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Kriminalpolizei sous le TroisiĂšme Reich

Le Kriminalpolizeiamt, en abrégé le « Kripo », est le service de la police criminelle qui, sous le TroisiÚme Reich, devient un outil de répression politique. En effet, aprÚs la prise du pouvoir par Adolf Hitler, les nazis développent un processus de nazification de tous les aspects de la vie allemande afin de consolider la mainmise du parti nazi sur le pouvoir (la Gleichschaltung). Pour ce faire, il transforme des organes de police comme la Kriminalpolizei, ou en crée de nouveaux ; ces instances sont placées sous les ordres de hauts fonctionnaires nazis. La police criminelle est ainsi inséparable de la figure de son directeur : Arthur Nebe[N 1].

Fonction

Place de la Kripo dans l’appareil rĂ©pressif SS

Les organes de rĂ©pression de la SS Ă©taient au nombre de trois. La premiĂšre instance, la Kripo (police criminelle) est un organisme d’État prĂ©existant au IIIe Reich, qui se contente d’en « nazifier » les fonctionnaires. Avec la Gestapo (police secrĂšte d’État), elle forme le volet inquisitorial et exĂ©cutif de ces organes. Le Sicherheitsdienst (SD), enfin, est un service de renseignement fondĂ© en 1931 par Reinhard Heydrich. C’est un organisme du NSDAP qui accueille des militants bĂ©nĂ©voles de la SS[1].

En , la fusion de la Kripo avec la Gestapo amĂšne Ă  la crĂ©ation de la SiPo (Sicherheitspolizei). Heydrich, dĂ©jĂ  directeur de la SS, prend le contrĂŽle de ce nouvel organe de l’appareil rĂ©pressif jusqu’à son assassinat en 1942. Ainsi, les ordres Ă©manent du SS–Hauptamt, bien que la Kripo ait une place bien distincte de la SS elle-mĂȘme.

À partir de 1939, la Kripo, la Gestapo et le SD sont fondus en un organe central unique, le RSHA, permettant une incorporation totale au sein de l’appareil rĂ©pressif SS.

Sociologie des dirigeants de la Kripo

Au sommet de cet appareil rĂ©pressif, dirigeant ses antennes rĂ©gionales ou les bureaux des services centraux, un groupe de trois cents officiers SS a, dĂšs 1940-1941, assurĂ© la mise en place des politiques de rĂ©pression ainsi que les dĂ©portations vers les camps de concentration et d’extermination. Ces dirigeants sont issus de la Kriegsjugendgeneration : trop jeunes pour avoir participĂ© Ă  la Grande Guerre, reprochant Ă  leurs aĂźnĂ©s leur idĂ©alisme, ils ont rĂ©alisĂ© leurs premiĂšres expĂ©riences politiques dans les corporations Ă©tudiantes qui Ă  partir de 1921 tendent de plus en plus vers l’extrĂȘme droite[2].

Leur adhĂ©sion au national-socialisme est alors l’aboutissement d’un parcours politique souvent prĂ©coce, marquĂ© par cette socialisation Ă©tudiante Ă  forte connotation völkisch, Ă©litaire, raciste et antisĂ©mite. Une double spĂ©cificitĂ© peut ĂȘtre attribuĂ©e Ă  l’univers intellectuel de ces hommes. Bien que se dĂ©finissant au sein de l’appareil nazi en opposition Ă  l’antisĂ©mitisme populaire et violent des SA, ils adoptent la dimension fondamentalement biologique de l’antisĂ©mitisme extrĂ©miste. Ils rĂ©alisent ainsi la jonction entre l’antisĂ©mitisme populaire et un antisĂ©mitisme bourgeois restĂ© d’essence religieuse.

Évolution

Création

Sous le rĂ©gime nazi, en 1936, la Kripo est devenu le dĂ©partement de police criminelle de tout le Reich. En , une rĂ©forme fondamentale de la police est rĂ©alisĂ©e avec la crĂ©ation du Reichssicherheitshauptamt (RSHA) en , rĂ©pondant Ă  l’expansion nazie en Europe et due principalement Ă  Heydrich dont la volontĂ© est d’unifier vraiment la police de sĂ©curitĂ© et le Sicherheitsdienst (SD) au sein d’une nouvelle structure organisationnelle, une institution Ă  part entiĂšre qui serait inscrite au budget de l’État[3]. Ceci permet d’assurer un contrĂŽle politique effectif sur les territoires occupĂ©s par la Wehrmacht[4]. Ainsi, la Kripo devient l’Amt V (le dĂ©partement V), la Police Criminelle du RSHA, Ă©galement connu sous le nom de Reichskriminalpolizeiamt (RKPA). Il s’ensuit son instrumentalisation par le Reich et sa participation aux politiques raciales de ce dernier, tout ceci dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale.

Organisation interne

La Kripo est composée de six groupes, nombre ramené à quatre en :

  • politique criminelle et prĂ©vention ;
  • opĂ©rations ;
  • reconnaissance ;
  • filature ;
  • institut de techniques criminelles ;
  • institut de biologie criminelle[5].

En 1943 est crĂ©Ă© l’institut central de mĂ©decine criminelle. De plus, la Kripo comme l’ensemble de la police et de la SS est soumise Ă  une juridiction autonome chargĂ©e de punir les excĂšs, les « crimes » commis par ses membres. Cette juridiction rĂ©pond Ă  l’autoritĂ© d’Himmler, initiateur du projet.

RĂ©orientation de la Kripo sous Himmler

Dans les annĂ©es 1933-1934, Himmler souhaite profiter de tensions politiques internes pour progresser Ă  la tĂȘte de la police. Lors de la rĂ©organisation de la Police criminelle d’État aprĂšs sa prise en main par Himmler en , la Kripo fait l’objet d’une centralisation par le land de Prusse[5]. Elle est soumise comme les autres branches du RSHA Ă  une politique de hiĂ©rarchisation et d’unification par un systĂšme de postes et de commissariats[6].

Himmler met en place des mesures de modernisation recommandĂ©es par les experts depuis les annĂ©es vingt comme l’institution d’une Ă©cole de la police de sĂ©curitĂ© et d’une Ă©cole spĂ©cialisĂ©e de criminologie Ă  Charlottenburg, ainsi que la crĂ©ation de centrales chargĂ©es de plusieurs types de criminalitĂ©s afin de centraliser l’information.

La politique d’Himmler appliquĂ©e Ă  la police allemande se caractĂ©rise d’une part par une rupture totale avec le principe de lĂ©galitĂ©. En effet, en : Himmler proclame de maniĂšre officielle que la police « s’écarte dĂ©finitivement de la lĂ©galitĂ© »[7]. D’autre part elle se caractĂ©rise par la volontĂ© de crĂ©ation d’un fonctionnarisme militaire, concept illustrĂ© dans Des hommes ordinaires de C. Browning – qui dĂ©crit comment de simples soldats en sont venus Ă  prendre part au gĂ©nocide des Juifs polonais – ou par Himmler lui-mĂȘme[8] qui dĂ©finissait la Kripo comme une « organisation fondĂ©e sur l’ordre, sur le sang, qui dĂ©fendra la famille, une organisation qui se dĂ©veloppera dans les siĂšcles, voire dans les millĂ©naires Ă  venir. » [9]

Himmler alloue deux fonctions essentielles Ă  la police [10] :

  • « La police doit accomplir la volontĂ© des autoritĂ©s de l’État et maintenir l’ordre qu’elles exigent. » ;
  • « La police doit protĂ©ger de toute destruction et de toute corruption le peuple allemand en tant qu’organisme, sa force vitale et ses institutions. (...) La police ne peut agir que sur ordre des autoritĂ©s et non sur les lois ».

Par ailleurs l’image qu’Himmler et les hauts responsables donnent de la police met l’accent sur ces menaces, mais aussi l’assurance que le citoyen normal n’avait rien Ă  craindre. Himmler rĂ©suma cette ambivalence dans son discours pour la JournĂ©e de la police allemande en 1937 par la formule : « sĂ©vĂšre et implacable quand il le faut, comprĂ©hensif et bienveillant quand on le peut »[11].

On peut constater enfin un phénomÚne de « radicalisation cumulative »[12] de la Kripo du fait de la concurrence avec la Gestapo. Un phénomÚne qui se verra amplifié avec le début de la guerre[13].

Un rÎle nouveau donné par la guerre

Par un dĂ©cret du , Heydrich a considĂ©rablement rĂ©duit les missions de la Gestapo Ă  l’approche de la guerre, au profit de la Kripo. Ainsi, les activitĂ©s dans le domaine des confessions, des Juifs, des francs-maçons, des Ă©migrĂ©s, de la rĂ©action et des affaires du parti furent sĂ©rieusement rĂ©visĂ©es Ă  la baisse ; les secteurs comme les affaires Ă©conomiques, l’homosexualitĂ© et l’avortement furent confiĂ©s Ă  la Police Criminelle[14].

En septembre 1939 est crĂ©Ă©e la RSHA, dont la Kripo constitue le dĂ©partement V et Ă  la tĂȘte duquel est nommĂ© Arthur Nebe, Ă©galement chef du Einsatzgruppen B. En effet, le manque de main d’Ɠuvre pour assurer la mise en place des politiques de rĂ©pression ainsi que les dĂ©portations vers les camps de concentration et d’extermination amĂšne la Kripo Ă  complĂ©ter les rangs des Einsatzgruppen ou dans les administrations des territoires occupĂ©s[15].

La guerre apporte de nouvelles missions Ă  la Kripo, parmi lesquelles la surveillance et la discipline de la jeunesse que l’on souhaite protĂ©ger de la « nĂ©gligence » par diverses interdictions. En effet, la police criminelle doit s’occuper du contrĂŽle des millions d’étrangers vivant en Allemagne et des consĂ©quences des bombardements aĂ©riens alliĂ©s parmi lesquelles les nombreux vols avec effraction. Elle rĂ©agit Ă  ces nouveaux dĂ©fis de deux façons. D’une part, elle ne se prĂ©occupe plus des dĂ©lits considĂ©rĂ©s comme mineurs, ce qui a pour effet d’entraĂźner un recul de certains types de dĂ©linquance dans les statistiques officielles, comme les fraudes. D’autre part, elle fait progressivement de la « lutte prĂ©ventive contre le crime » une politique de massacre systĂ©matique, puisque les conditions de dĂ©tention dans les camps de concentration se durcissent considĂ©rablement[16].

Instrumentalisation de la Kripo par la politique raciale du Reich

L’un des Ă©lĂ©ments de rupture incontournable dans la politique rĂ©pressive du Reich est sans aucun doute le passage Ă  une politique de prĂ©vention qui modifie le rĂŽle de la police[17].

À cela s’ajoute la prise en compte de considĂ©rations biologiques dans la recherche criminelle. La lutte contre la criminalitĂ© se mue en une question raciale et gĂ©nĂ©tique, et s’effectue au service de l’idĂ©ologie nazie[18]. Ce n’est qu’en 1938 qu’une politique de persĂ©cution systĂ©matique des Juifs se met en place, ainsi que la collaboration avec Dr Robert Ritter et son unitĂ© de recherche sur l’hygiĂšne raciale.

Les cibles de la Kripo

La Kripo conquiert dĂšs 1933 le monopole de la question tsigane qui Ă©tait prise en charge par ce service dĂšs la fin du XIXe siĂšcle avec pour projet de lui donner une assise scientifique[19]. DĂšs lors, la Kripo joue un rĂŽle dans le gĂ©nocide tsigane en orchestrant la dĂ©portation en de 2800 Tsiganes issus du Gouvernement gĂ©nĂ©ral de Pologne et en 1941 avec la dĂ©portation de 5000 autres enfermĂ©s dans le ghetto de ƁódĆș[20]. Les Tsiganes sont alors assimilĂ©s Ă  des criminels professionnels ou par habitude.

Les homosexuels font aussi l’objet d’une persĂ©cution particuliĂšre. DĂšs , la crĂ©ation d’un centre pour la lutte contre l’homosexualitĂ© et l’avortement dans le Reich, dĂ©taillant les mesures d’arrestation des homosexuels vient attester de cette volontĂ© de rĂ©pression Ă  l’égard de cette catĂ©gorie[21].

De plus, dÚs le début de la guerre, les personnes jugées indignes de la défense (condamnés à plusieurs reprises) sont déportées dans les camps, comme les prostituées non enregistrées ou les « psychopathes criminels ».

La Kripo et la dénazification

AprĂšs la chute du Reich, bien que les AlliĂ©s mĂšnent une entreprise de dĂ©nazification, ils dĂ©cident de ne pas supprimer la Kripo afin de favoriser l’ordre et la restauration de la dĂ©mocratie allemande au plus vite. DĂšs lors, cette organisation d’État qui a prĂ©existĂ© au Reich lui survit, se maintient et s’adapte, avec nĂ©anmoins une politique d’épuration licenciant tous les policiers ayant servi l’État nazi.

Notes et références

Notes

  1. Néanmoins Nebe, impliqué dans le complot du 20 juillet 1944 est exécuté, pendu à un croc de boucher, à la prison de Plötzensee en .

Références

  1. Christian Ingrao, ConquĂ©rir, amĂ©nager, exterminer – rĂ©centes recherches sur la Shoah, E.H.E.S.S, 2003, p. 420
  2. Ibid., p. 421
  3. Michael Wildt, Generation des Unbedingten, Studienausgabe, Hamburger Édition, 2003, p. 259 et s.
  4. Robert L. Koehl, RKFdV: German Resettlement and Population Policy, 1939-1945. A History of the Reich Commission for Strengthening of Germandom, Cambridge, Cambridge University Press, 1957.
  5. Peter Longerich (trad. de l'allemand par Raymond Clarinard), Himmler : biographie, Paris, HĂ©loĂŻse d'Ormesson, , 916 p. (ISBN 978-2-35087-137-0, OCLC 708369920)
  6. Peter Wagner, « Volksgemeinschaft ohne Verbrecher. Konzeption und Praxis der Kriminalpolizei in der Zeit der Weimarer Republik und des Nationalsozialismus », cité dans Donald Bloxham et Tony Kushner, The Holocaust, critical historical approaches, Manchester University Press, 2005, p. 161.
  7. Bundesarchiv (BAB), R 19/379. Dans l’article du Völkischer Beobachter sur sa prise de fonctions, le discours d’Himmler fut citĂ© sans ses tirades antisĂ©mites – respectant ainsi sciemment les consignes de retenue vis-Ă -vis des persĂ©cutions contre les Juifs en cette annĂ©e olympique qu’était 1936. citĂ© dans Peter Longerich 2010, p. 258 et s.
  8. Hans Frank, Grundfragen der deutschen Polizei. Bericht ĂŒber die konstituierende Sitzung des Ausschusses fĂŒr Polizeirecht der Akademie fĂŒr Deutsches Recht am 11.10.36, Hambourg 1936, citĂ© dans Peter Longerich 2010, p. 11-16.
  9. Peter Longerich 2010, p. 11-16
  10. Peter Longerich 2010, p. 205.
  11. Peter Longerich 2010, p. 207
  12. Selon la thĂ©orie de Hans Mommsen, Cumulative radicalisation and progressive self-destruction as structural determinants of the Nazi dictatorship, Cambridge University Press, 1997 reprise par Ian Kershaw, l’Holocauste a Ă©tĂ© causĂ©e par la « radicalisation cumulative » du IIIe Reich : plutĂŽt que d’avoir Ă©tĂ© consciencieusement planifiĂ©e puis mise Ă  exĂ©cution par les dirigeants nazis de premier plan, la Shoah aurait Ă©tĂ© le rĂ©sultat imprĂ©visible d’une combinaisons de luttes bureaucratiques sans fin avec un tournant vers l’antisĂ©mitisme radical des politiques publiques et du rĂ©gime Ă  la suite de l’invasion barbare de l’Union soviĂ©tique de 1941.
  13. Sur la Kripo en tant que composante de la Sipo, voir Peter Wagner, Volksgemeinschaft ohne Verbrecher. Konzeption und Praxis der Kriminalpolizei in der Zeit der Weimarer Republik und des Nationalsozialismus cité dans Peter Longerich 2010, p. 243.
  14. BAB R58/239 cité dans Peter Longerich 2010, p. 245.
  15. Patrick Wagner, Volksgemeinschaft ohne Verbrecher, cité dans Peter Longerich 2010, p. 467
  16. Peter Longerich 2010, p. 467.
  17. Patrick Wagner, Volksgemeinschaft ohne Verbrecher, cité dans Peter Longerich 2010, p. 469
  18. Peter Longerich 2010, p. 226
  19. Michael Zimmermann, Rassenutopie und Genozid. Die nationalsozialistische Lösung der Zigeunerfrage [Gebundene Ausgabe], p. 41-75 cité dans Peter Longerich 2010, p. 230.
  20. Christian Ingrao, ConquĂ©rir, amĂ©nager, exterminer, recherches rĂ©centes sur la Shoah, Éditions de l’E.H.E.S.S annales. Histoire, Sciences Sociales.
  21. Bernhard Jellonek, HomosexualitĂ€t in der NS-Zeit. Dokumente einer Diskriminierung und Vefolgung, GĂŒnter Grau, Francfort sur le Main, 1993 citĂ© dans Peter Longerich 2010, p. 467.


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