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Kafala

La kafala (en arabe: كَفَّلَ) est une procĂ©dure d'adoption spĂ©cifique au droit musulman qui correspond Ă  une tutelle sans filiation. Un enfant – issu d’un milieu Ă©conomiquement dĂ©favorisĂ© ou nĂ© hors mariage, etc. – est recueilli par une famille adoptive qui s’engage Ă  l'Ă©lever comme son propre enfant. Cependant, l’enfant recueilli n'aura pas les mĂȘmes droits d'hĂ©ritage qu'un enfant lĂ©gitime. L'adoptĂ© garde son patronyme d'origine et n’hĂ©rite pas automatiquement des biens de ses parents adoptifs. La kafala est issue du droit coranique qui interdit l'adoption plĂ©niĂšre et ses effets afin de prĂ©server le nom patronymique de la famille, considĂ©rĂ©e comme pilier de la sociĂ©tĂ©. Cette particularitĂ© de l'interdiction de l'adoption dans l'islam est liĂ©e Ă  la vie de Mahomet. La kafala est reconnue par la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989.

La kafala dĂ©signe aussi le parrainage prĂ©alable Ă  l'embauche des travailleurs Ă©trangers dans les pays du golfe Persique. Dans le cadre du systĂšme de recrutement de la kafala (ici le programme « Kafala-Visa 18 » du KoweĂŻt), les Ă©trangers ne sont autorisĂ©s Ă  entrer et Ă  prendre un emploi au KoweĂŻt que s'ils sont parrainĂ©s par un kafeel koweĂŻtien (un parrain). La loi koweĂŻtienne stipule que le kafeel et l'employeur d'un travailleur Ă©tranger doivent constituer qu'une seule et mĂȘme personne ; cependant, il existait en 2002 une pratique de plus en plus courante de « vente de visas », c'est-Ă -dire que le kafeel ne remplit plus le rĂŽle d'employeur de l'Ă©tranger sous son parrainage. Au lieu de cela, certains kafeel vendent des visas au travailleur Ă©tranger (directement ou indirectement en les vendant Ă  une agence de recrutement dans le pays d’origine de l’immigrant potentiel) avec la comprĂ©hension non Ă©crite que l’étranger peut travailler pour un employeur autre que le parrain. Un tel visa est devenu connu sous le nom de « visa Azad (gratuit) »[1].

Convention des droits de l'enfant

La kafala est expressément citée comme équivalent à l'adoption dans la Convention des droits de l'enfant des Nations Unies de 1989, en rapport avec l'abandon d'enfants, à l'article 20 (alinéa 3) :

  1. Tout enfant qui est temporairement ou dĂ©finitivement privĂ© de son milieu familial, ou qui dans son propre intĂ©rĂȘt ne peut ĂȘtre laissĂ© dans ce milieu, a droit Ă  une protection et une aide spĂ©ciale de l'État.
  2. Les États parties prĂ©voient pour cet enfant une protection de remplacement conforme Ă  leur lĂ©gislation nationale.
  3. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la « Kafala » de droit islamique, de l'adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d'une certaine continuité dans l'éducation de l'enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique.


Les dispositifs de substitution Ă  l'adoption

Dans la plupart des pays musulmans, oĂč le droit musulman inspire, Ă  un degrĂ© ou un autre, le systĂšme juridique, l'adoption n'existe pas en tant que telle (sauf en Turquie, IndonĂ©sie, Tunisie [2] - [3] ainsi qu'au Liban). Plusieurs dispositifs de substitution existent, dont en particulier la kafala (ou « recueil lĂ©gal » [2]). Celle-ci a pour effets la tutelle lĂ©gale, instaurant un rapport de type filial mais sans crĂ©er de nouveaux liens de filiation[2]. L'enfant recueilli est reconnu comme enfant lĂ©gitime, sauf pour ce qui concerne la filiation et l'hĂ©ritage. Il peut prendre le nom de son tuteur (ou kafil[4]). Toutefois, l'enfant recueilli peut recevoir une part de l'hĂ©ritage, selon la procĂ©dure du tanzil[4].

L'adoption est Ă©galement utilisĂ©e, de façon plus discrĂšte, dans certains pays du Maghreb (Maroc[5], AlgĂ©rie, etc.), afin d'Ă©viter un abandon d'enfant la mĂšre ne pouvant garder son enfant accepte qu'un homme mariĂ© le reconnaisse comme sien, Ă©vitant ainsi Ă  celui-lĂ  d'ĂȘtre considĂ©rĂ© comme enfant naturel. Il s'agit lĂ  d'une pratique Ă  laquelle l'ONG SOS Villages d'Enfants participe activement, permettant de trouver une issue convenable tant Ă  la mĂšre qu'Ă  l'enfant. Utilisant un vocabulaire typiquement « Ă©conomiste » et « pragmatique », le journal marocain L'Économiste Ă©crivait ainsi, en 2010 :

« DĂ©clenchĂ©e dĂšs la confirmation de l’abandon, la kafala est donc considĂ©rĂ©e comme la meilleure option pour l’enfant. Mais en dehors de SOS village habilitĂ©e Ă  la solliciter, les autres structures impliquĂ©es dans l’accueil d’enfants abandonnĂ©s ne sont pas dotĂ©es de cette aptitude. Elles peuvent toutefois participer activement Ă  sa promotion. Depuis 2005, le nombre d’affaires relatives Ă  la kafala traitĂ©es par la justice est en nette progression. Il est passĂ© de 1 661 en 2005 Ă  2 261 en 2008[6]. »

Droit international privé : kafala et adoption

La diffĂ©rence de rĂ©gime entre la kafala et l'adoption constitue un casse-tĂȘte juridique dĂšs lors qu'on se situe dans le contexte d'une adoption internationale. Si les parents sont nationaux d'un pays adoptant l'adoption, a fortiori l'adoption plĂ©niĂšre, et qu'ils « adoptent » un enfant venant d'un pays oĂč seul le rĂ©gime de la kafala existe, faut-il admettre que cet enfant soit privĂ© d'un lien de filiation lĂ©gitime avec ses parents adoptants, conformĂ©ment Ă  la loi du pays oĂč il est nĂ©, ou faut-il accepter de rompre avec le rĂ©gime juridique de son pays natal, pour lui accorder une filiation de plein droit ?

La question, loin d'ĂȘtre facile, connaĂźt diffĂ©rentes rĂ©ponses selon les pays (sachant que malgrĂ© une loi de 1972, la diffĂ©rence entre enfant lĂ©gitime et naturel n'a Ă©tĂ© dĂ©finitivement abolie, en France, que par une ordonnance de 2005 faisant suite Ă  une condamnation de la Cour europĂ©enne des droits de l'homme; il s'agit lĂ , par ailleurs, d'un conflit typique de normes en droit international privĂ©, qu'on retrouve par exemple pour les « mĂšres porteuses »).

En France

Le sĂ©nateur Alain Milon (UMP) a dĂ©posĂ© en mars 2011 une proposition de loi visant Ă  autoriser l'adoption plĂ©niĂšre d'enfants adoptĂ©s par des Français, et vivant en France, selon la procĂ©dure de la kafala, ce qui constituerait ainsi une rupture avec la loi de leur pays d'origine. Il s'est notamment appuyĂ©, pour cela, sur l'exemple de l'Espagne, de l'Italie, de la Belgique et de la Suisse, qui autorisent une telle procĂ©dure[7]. La question demeure dĂ©battue, et traverse les partis. Ainsi, en 2008, la sĂ©natrice Verte Alima Boumediene-Thiery interpellait le gouvernement au sujet de l'octroi de visas aux enfants recueillis en kafala par des couples français. Le gouvernement rĂ©pondait alors, par la voix d'Éric Besson :

« Madame la sĂ©natrice, sachez que Mme la garde des sceaux partage pleinement votre souci de mieux prendre en considĂ©ration la situation des enfants recueillis en France dans le cadre d’une kafala judiciaire marocaine ou algĂ©rienne. Cependant, elle appelle votre attention sur le fait que la kafala ne crĂ©e pas de lien de filiation. Cette procĂ©dure ne peut donc en aucun cas ĂȘtre assimilĂ©e Ă  une adoption, les lĂ©gislations du Maroc et de l’AlgĂ©rie ne reconnaissant pas ce mode de filiation.

Dans ces conditions, vous comprendrez que la loi française ne permette pas l’adoption d’un enfant qui n’est pas adoptable selon sa loi personnelle [allusion Ă  l'art. 370-3 du Code civil prĂ©alablement citĂ© par la sĂ©natrice].

Toutefois, dĂšs lors que l’enfant a Ă©tĂ© Ă©levĂ© pendant cinq ans en France par des Français, la nationalitĂ© française peut lui ĂȘtre accordĂ©e. La loi française lui Ă©tant alors applicable, l’enfant peut ĂȘtre adoptĂ© par ceux qui l’ont recueilli. Ce dispositif apparaĂźt tout Ă  fait Ă©quilibrĂ©.

Mme la garde des sceaux observe d’ailleurs que le rapport sur l’adoption en France remis au PrĂ©sident de la RĂ©publique le par M. Colombani ne prĂ©voit aucune modification lĂ©gislative sur ce point, mais prĂ©conise de s’orienter vers des mĂ©canismes de coopĂ©ration avec les pays d’origine, notamment en vue de faciliter la dĂ©livrance de visas au profit des enfants concernĂ©s. Ces conclusions rejoignent celles qui ont Ă©tĂ© formulĂ©es par le groupe de travail chargĂ© de rĂ©flĂ©chir au statut des enfants recueillis par kafala, mis en place par le ministĂšre de la justice en , en liaison avec les autres ministĂšres concernĂ©s. Elles font actuellement l’objet d’une concertation Ă  l’échelon interministĂ©riel[8]. »

Modifications de la loi de 2016

Modification de l'article 21-12 par la loi n° 2016-297

L'article 21-12 du Code civil offre depuis la loi du 26 novembre 2003 une possibilité de contourner l'interdiction de l'adoption par l'effet de l'acquisition de la nationalité française. Ainsi, l'enfant recueilli en France depuis au moins cinq ans et élevé par une personne de nationalité française, pouvait réclamer la nationalité française et obtenir sa naturalisation.

L'article 21-12 du code civil, modifiĂ© par la loi n°2016-297 du 14 mars 2016 relative Ă  la protection de l'enfant, rĂ©duit le dĂ©lai de cinq ans Ă  trois ans :

« L'enfant qui a fait l'objet d'une adoption simple par une personne de nationalitĂ© française peut, jusqu'Ă  sa majoritĂ©, dĂ©clarer, dans les conditions prĂ©vues aux articles 26 et suivants, qu'il rĂ©clame la qualitĂ© de Français, pourvu qu'Ă  l'Ă©poque de sa dĂ©claration il rĂ©side en France.

Toutefois, l'obligation de résidence est supprimée lorsque l'enfant a été adopté par une personne de nationalité française n'ayant pas sa résidence habituelle en France.

Peut, dans les mĂȘmes conditions, rĂ©clamer la nationalitĂ© française :

1° L'enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l'aide sociale à l'enfance ;

2° L'enfant recueilli en France et Ă©levĂ© dans des conditions lui ayant permis de recevoir, pendant cinq annĂ©es au moins une formation française, soit par un organisme public, soit par un organisme privĂ© prĂ©sentant les caractĂšres dĂ©terminĂ©s par un dĂ©cret en Conseil d'Etat. »

Désormais, l'enfant recueilli par un Français tout comme celui confié au service de l'aide sociale à l'enfance pourra acquérir la nationalité française aprÚs un délai de trois ans.

Une fois français, l'enfant n'est plus soumis Ă  sa loi personnelle qui interdit l'adoption mais sera soumis Ă  la loi française et pourra ĂȘtre adoptĂ©. Les parents par kafala citoyens français choisissent rĂ©guliĂšrement de faire une adoption simple ou plĂ©niĂšre afin de sĂ©curiser le statut de l'enfant en France, crĂ©er un lien de filiation, et permettre l'hĂ©ritage[9].

Variantes de la kafala dans divers pays musulmans, parrainage Ă  l'embauche

Aux Émirats arabes unis

Comme toute institution juridique, la kafala connaĂźt des variantes. Certains pays musulmans sont allĂ©s jusqu'Ă  lĂ©galiser l'adoption plĂ©niĂšre, d'autres ont trouvĂ© des procĂ©dures intermĂ©diaires. Enfin, dans les Émirats arabes unis [10], la kafala est utilisĂ©e comme une sorte de sponsorship obligatoire avant d'ouvrir une entreprise ou de se faire embaucher sur place (les nombreuses zones franches crĂ©Ă©es dans les EAU, et notamment Ă  DubaĂŻ, Ă©chappent cependant Ă  cette rĂšgle de la kafala).

Au Qatar

La kafala, telle qu'elle est pratiquĂ©e au Qatar, est considĂ©rĂ©e par de nombreux observateurs comme une forme moderne d'esclavage[11] - [12] - [13] - [14] - [15]. Elle est notamment appliquĂ©e dans le cadre des chantiers de la Coupe du monde de football de 2022, oĂč sont dĂ©jĂ  morts 900 travailleurs immigrĂ©s, avec une prĂ©vision minimum de 4 000 morts d'ici Ă  la fin des chantiers[16] - [17] - [18] - [19] - [20] - [21]. Le systĂšme est rĂ©formĂ©, le [22]. Cette rĂ©forme devait entrer en vigueur le [23].

Références

  1. Ruhs, M.. “Temporary Foreign Worker Programmes: Policies, Adverse Programmes: Policies, Adverse Consequences, and the Need to Make Them Work Consequences, and the Need to Make Them Work.” (2002).
  2. Vulbeau A., « La kafala ou le recueil lĂ©gal de l’enfant », Informations sociales 2008/2, No 146, p. 23-24. [lire en ligne].
  3. Pour la Tunisie, voir (entre autres) la Loi n° 1958-0027 du 4 mars 1958 relative à la tutelle publique, à la tutelle officieuse et à l’adoption.
  4. Edwige-Rude Antoine, Conflits de lois entre pays : quand l'adoption devient impossible, CNRS Info, février 2000.
  5. Loi no 15-01 relative à la prise en charge des enfants abandonnés, qui a été promulguée par le Dahir no 1-02-172 du 13 juin 2002. Voir par exemple La kafala en droit marocain, Droit marocain.blogspot, 20 mai 2007.
  6. Enfance abandonnĂ©e. La kafala, pour dĂ©sengorger «les stocks», L'Économiste, Ă©d. no 3363, 16 septembre 2010.
  7. PROPOSITION DE LOI relative à l'adoption des enfants réguliÚrement recueillis en kafala, déposée par Alain Milon et enregistrée à la présidence du Sénat le 10 mars 2011
  8. Question au gouvernement d'Alima Boumediene-Thiery, 30 avril 2008
  9. « Connexion », sur forum-kafala.forumactif.com (consulté le )
  10. Benjamin Barthe, « Au Liban, les bonnes se rebellent », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  11. Qatar 2022 : plus de 400 travailleurs népalais morts sur les chantiers, selon une ONG, sur france24.com (consulté le 11 juillet 2014).
  12. Droits de l'homme : Amnesty dénonce une situation alarmante au Qatar, sur metronews.fr (consulté le 11 juillet 2014).
  13. Résolution du Parlement européen sur le Qatar: la situation des travailleurs migrants, sur europarl.europa.eu (consulté le 11 juillet 2014).
  14. KoweĂŻt : Rapport sur la violation des droits de l’Homme, sur geotribune.com (consultĂ© le 11 juillet 2014).
  15. « Des “esclaves” nĂ©palais morts au Qatar sur les chantiers de la Coupe du monde » sur lemonde.fr.
  16. « La CSI propose à la FIFA une mission conjointe au Qatar » sur force-ouvriere.fr.
  17. « Qatar: chantier interdit », sur sports.fr.
  18. « Mondial 2022 : les damnés de Doha » par Benjamin Barthe sur lemonde.fr du 18 octobre 2013.
  19. « More than 500 Indian workers have died in Qatar since 2012, figures show » sur theguardian.com.
  20. FIFA Needs to Take the 2022 World Cup Away from Qatar. Now., sur newrepublic.com (consulté le 2 juillet 2014).
  21. Grande satisfaction au Qatar aprĂšs l’abolition du systĂšme controversĂ© de la kafala, sur mapexpress.ma (consultĂ© le 31 octobre 2015)
  22. David Garcia, « Esclaves du XXIe siĂšcle au Qatar : Deux millions de travailleurs Ă©trangers Ă  la merci de leurs « parrains » », Le Monde diplomatique,‎ (lire en ligne)

Articles connexes

Liens externes

  • Kafala.fr, site d'une association Ă  but non lucratif venant en aide aux enfants abandonnĂ©s et aux orphelins du Maroc.
  • Kafala : une procĂ©dure obsolĂšte, Le Brief, 30 janvier 2021
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