Droit musulman des successions
Le droit des successions (chareh) est rĂ©glementĂ© de façon prĂ©cise par le fikh (la science du droit musulman), qui s'appuie sur plusieurs passages du Coran. Il influence de façon assez forte le droit positif d'un certain nombre de pays musulmans, aussi bien en Jordanie, Syrie, Irak, Soudan ou KoweĂŻt (qui suivent le rite hanĂ©fite); que dans les pays de rite malĂ©kite (y compris en Tunisie, art. 85-152 du Code du statut personnel de 1956, qui s'Ă©carte pourtant de la charia dans bien des aspects; mais aussi au Maroc, avec la Moudawana de 2004, art. 277-395) [1]. Le Coran innove par rapport au temps de l'Arabie prĂ©islamique en accordant une place au matriarcat et Ă la reconnaissance d'une parentĂ© par les femmes, et donc d'un droit d'hĂ©ritage pour celles-ci [2]. Mahomet aurait par lĂ fusionnĂ© les traditions patriarcales de l'Arabie avec les coutumes de La Mecque, oĂč avait survĂ©cut un rĂ©gime ancien de matriarcat[2]. Ses rĂ©formes ont Ă©tĂ© facilement acceptĂ©es par ses Compagnons, de La Mecque, mais beaucoup moins par les Ansar, d'origine mĂ©dinoise[2].
Droit de successions dans le Coran
Le Coran est trĂšs prĂ©cis sur les diffĂ©rents bĂ©nĂ©ficiaires de l'hĂ©ritage du dĂ©funt, ainsi il suffit Ă lui seul pour Ă©tablir le droit de successions, sans mĂȘme faire rĂ©fĂ©rence Ă la Sunna.
Les versets traitant de cette question se trouvent dans la 4e sourate du QorÊŸÄn, traditionnellement intitulĂ©e An-Nisa ou « Les Femmes » en français.
Versets 11 et 12 de la Sourate « Les Femmes »
« Voici ce que Dieu vous enjoint au sujet de vos enfants : au fils, une part Ă©quivalente Ă celle de deux filles. S'il n'y a que des filles, mĂȘme plus de deux, Ă elles alors deux tiers de ce que le dĂ©funt laisse. Et s'il n'y en a qu'une, Ă elle alors la moitiĂ©. Quant aux pĂšre et mĂšre du dĂ©funt, Ă chacun d'eux le sixiĂšme de ce qu'il laisse, s'il a un enfant. S'il n'a pas d'enfant et que ses pĂšre et mĂšre hĂ©ritent de lui, Ă sa mĂšre alors le tiers. Mais s'il a des frĂšres, Ă la mĂšre alors le sixiĂšme, aprĂšs exĂ©cution du testament qu'il aurait fait ou paiement d'une dette. De vos ascendants ou descendants, vous ne savez pas qui est plus prĂšs de vous en utilitĂ©. Ceci est un ordre obligatoire de la part de Dieu, car Dieu est, certes, Omniscient et Sage.
Et Ă vous la moitiĂ© de ce que laissent vos Ă©pouses, si elles n'ont pas d'enfants. Si elles ont un enfant, alors Ă vous le quart de ce qu'elles laissent, aprĂšs exĂ©cution du testament qu'elles auraient fait ou paiement d'une dette. Et Ă elles un quart de ce que vous laissez, si vous n'avez pas d'enfant. Mais si vous avez un enfant, Ă elles alors le huitiĂšme de ce que vous laissez aprĂšs exĂ©cution du testament que vous auriez fait ou paiement d'une dette. Et si un homme, ou une femme, meurt sans hĂ©ritier direct, cependant qu'il laisse un frĂšre ou une sĆur, Ă chacun de ceux-ci alors, un sixiĂšme. S'ils sont plus de deux, tous alors participeront au tiers, aprĂšs exĂ©cution du testament ou paiement d'une dette, sans prĂ©judice Ă quiconque. (Telle est l') Injonction de Dieu! Et Dieu est Omniscient et Indulgent. »
Verset 176 de la Sourate « Les Femmes »
« Ils te demandent ce qui a Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ©. Dis : "Au sujet du dĂ©funt qui n'a pas de pĂšre ni de mĂšre ni d'enfant, Dieu vous donne Son dĂ©cret : si quelqu'un meurt sans enfant, mais a une sĆur, Ă celle-ci revient la moitiĂ© de ce qu'il laisse. Et lui, il hĂ©ritera d'elle en totalitĂ© si elle n'a pas d'enfant. Mais s'il a deux sĆurs (ou plus), Ă elles alors les deux tiers de ce qu'il laisse; et s'il a des frĂšres et des sĆurs, Ă un frĂšre alors revient une portion Ă©gale Ă celle de deux sĆurs. Dieu vous donne des explications pour que vous ne vous Ă©gariez pas. Et Dieu est Omniscient. »
Ces versets coraniques vont ĂȘtre la source principale en ce qui concerne le droit de succession. La Sunna, quant Ă elle, n'en parle presque pas si ce n'est un hadith oĂč Mahomet confirme les Ă©lĂ©ments Ă©noncĂ©s dans le Coran en disant : « Dieu a donnĂ© Ă chacun la part qui lui revenait de droit, alors pas de testament pour les hĂ©ritiers ». (RapportĂ© par Ahmad, Tirmidhi)
Conditions dâĂ©tablissement du testament
La validitĂ© dâun testament dĂ©pend tout dâabord de la capacitĂ© du testateur Ă Ă©tablir un testament.
Le droit exige que le testateur soit majeur et jouisse de ses facultĂ©s mentales. Le consentement est Ă la base de tout acte juridique, par consĂ©quent le code civil est trĂšs exigeant en ce qui concerne lâintĂ©gralitĂ© des facultĂ©s mentales du testateur. Le testateur doit ĂȘtre sain dâesprit afin que sa volontĂ© soit claire et dĂ©terminĂ©e.
Il y a interdiction de tester un bien illicite : comme illicite des biens provenant dâun recel ou un bien grevĂ© dâune servitude (ex. : un immeuble hypothĂ©quĂ©) car nul ne peut transmettre Ă autrui plus de droit quâil nâen a lui-mĂȘme.
Selon le droit musulman seront considĂ©rĂ©s illicites des biens acquis selon des rĂšgles contraires Ă lâIslam (ex. : revenus grevĂ©s de taux dâintĂ©rĂȘts).
Toute personne qui aura donné ou tenté de donner la mort au défunt ou qui aura porté contre le défunt une accusation grave et calomnieuse est exclue de la succession.
ModalitĂ©s dâexĂ©cution du testament
Le droit prĂ©voit lâordre de succession et dĂ©nomme les hĂ©ritiers rĂ©servataires (ascendants, descendants, collatĂ©raux, conjoint).
Ainsi non seulement aucun hĂ©ritier ne peut ĂȘtre favorisĂ© ou dĂ©favorisĂ© par un legs testamentaire mais des limites ont Ă©tĂ© fixĂ©es Ă lâattribution dâune portion de patrimoine Ă ceux qui nâont pas la qualitĂ© dâhĂ©ritiers, afin de donner prioritĂ© aux hĂ©ritiers avant tout autre personne.
La rĂ©serve est la partie du patrimoine rĂ©servĂ©e Ă certains hĂ©ritiers et dont le testateur ne peut les priver. Il ne sera jamais possible de remettre en cause cette rĂ©serve, câest une rĂšgle dâordre public Ă laquelle nul ne peut dĂ©roger.
On appelle quotitĂ© disponible, la fraction de patrimoine dont le testateur peut disposer librement en prĂ©sence dâhĂ©ritiers rĂ©servataires, dĂ©terminĂ©e par la loi, elle varie en fonction de la qualitĂ© et du nombre des hĂ©ritiers rĂ©servataires.
Si le testateur a un seul enfant, la moitiĂ© du patrimoine lui revient de droit et lâautre moitiĂ© peut ĂȘtre librement attribuĂ© Ă autrui par le testateur ; sâil a deux enfants, les deux tiers leur reviennent, il reste un tiers dans la quotitĂ© disponible ; enfin sâil a trois enfants ou plus, les trois quarts leur est du, il ne reste quâun quart dans cette quotitĂ©.
Le droit musulman ne distingue pas en fonction du nombre dâenfants, il ne permet pas de lĂ©guer en faveur dâautrui plus dâun tiers de son patrimoine. La position musulmane privilĂ©gie toujours les liens de famille sur tout autre lien.
La possibilitĂ© aux bĂ©nĂ©ficiaires du testament de renoncer Ă la succession ou aux legs qui leur est consenti. Ainsi nul nâest obligĂ© dâaccepter une succession ou un legs.
La conséquence de cette renonciation est que la part du renonçant va bénéficier aux autres héritiers.
Représentation successorale
Bien que n'existant pas dans le droit musulman, la reprĂ©sentation successorale a Ă©tĂ© mise en Ćuvre dans la plupart des pays, via le « legs obligatoire », qui provient d'une innovation juridique Ă©gyptienne. La loi Ă©gyptienne du sur le testament innove en effet en empruntant Ă l'Ă©cole zahirite, disparue et rejetĂ©e par l'ensemble des rites sunnites[1] : le lĂ©gislateur stipule ainsi que les petits-enfants, exclus de la succession de leurs grands-parents, Ă la suite du dĂ©cĂšs d'un de leurs parents, pourraient dĂ©sormais recueillir une part de succession ne pouvant excĂ©der le tiers, Ă titre de lĂ©gataire[1].
LâĂgypte fut suivie en Syrie (Code du statut personnel de 1953), en Tunisie (Code du statut personnel de 1956), au Maroc (Moudawana de 1958 et de 2004), en AlgĂ©rie (Code de la famille de 1984) et en Mauritanie (Code du statut personnel de 2001)[1].
Place de la femme dans le systĂšme du droit successoral musulman
Les versets coraniques relatifs Ă la succession contiennent un verset qui dĂ©signe une part pour la fille et les deux restant pour le fils, ce verset est : « Quant Ă vos enfants : Dieu vous ordonne dâattribuer au garçon une part Ă©gale Ă celle de deux filles⊠» « Les femmes 11 ». »
En contrepartie de cela, il incombe au mari d'assurer les dépenses, l'habillement et le logement de la femme, ainsi que de payer la dot qui est souvent élevée[3].
Seulement, la plupart de ceux qui soulĂšvent la question de la diffĂ©rence successorale entre les deux sexes ignorent que ce verset parle dâun cas unique nâimpliquant aucune consĂ©quence sur la capacitĂ© de la femme en tant quâĂȘtre humain jouissant dâun statut juridique tout Ă fait honorable. En effet, si dans un seul cas lâon attribue Ă la femme la moitiĂ© de ce quâon attribue Ă lâhomme, on est loin dâune rĂšgle gĂ©nĂ©rale traitant les droits successoraux de la femme de maniĂšre constante et immuable.
Il y a trois rÚgles gérant les droits successoraux en islam :
- Le degrĂ© de parentĂ© de lâhĂ©ritier homme ou femme avec le dĂ©funt : plus ce lien est fort, plus la part augmente. Par consĂ©quent, la part baisse proportionnellement Ă la faiblesse du lien parental sans considĂ©ration du sexe.
- La place chronologique dans le domaine spatio-temporel. Lâislam attribue plus de droits successoraux Ă ceux qui font face Ă la vie quâĂ ceux qui sâen dĂ©tournent. Les plus jeunes qui auront Ă assumer des responsabilitĂ©s, du fait quâils auront plus de temps Ă vivre que les personnes ĂągĂ©es. Cela sans considĂ©ration de lâaspect anatomique.
Exemple : la fille du dĂ©funt hĂ©rite plus que la mĂšre du dĂ©funt et plus que le pĂšre du dĂ©funt ; mĂȘme lorsque câest ce pĂšre mĂȘme qui Ă©tait la source de richesse de son fils. Car la fille aura Ă elle seule la moitiĂ© de la succession dans ce cas prĂ©cis. - La charge financiĂšre imposĂ©e par lâislam Ă lâhĂ©ritier vis-Ă -vis des membres de la famille, y compris la femme.
Le droit musulman impose Ă lâhomme de subvenir aux besoins de la femme quâelle soit sĆur, mĂšre ou Ă©pouse. Lorsque les hĂ©ritiers ont un lien parental similaire avec le dĂ©funt et se trouvent dans la mĂȘme gĂ©nĂ©ration hĂ©ritiĂšre comme les enfants directs du dĂ©funts, la charge financiĂšre sera dĂ©terminante des parts successorales. A lien de parentĂ© Ă©quivalent, Le Coran gĂ©nĂ©ralise la primautĂ© de l'homme sur la femme. En effet, dans ce cas, contestĂ© par certains, lâhomme « fils du dĂ©funt » doit absolument subvenir aux besoins de sa femme et ses enfants, ce qui a nĂ©cessitĂ© une part de plus que sa sĆur, tandis que sa sĆur, si elle Ă©tait mariĂ©e, elle a un Ă©poux qui subvient Ă ses besoins et sa part reste intacte, ce qui nâest pas le cas de son frĂšre. Mais si elle nâĂ©tait pas mariĂ©e, Ă ce moment-lĂ son frĂšre (qui a hĂ©ritĂ© une part de plus quâelle) doit subvenir Ă ses besoins. Il est aussi Ă rappeler qu'en droit successoral musulman il n'existe pas de charges fiscales (ou d'impĂŽt sur les successions).
- Dans lâensemble du systĂšme successoral musulman, dans seulement 4 cas la femme hĂ©rite la moitiĂ© de ce quâhĂ©rite lâhomme.
- Dans plus de 8 cas, la femme hĂ©rite la mĂȘme part que lâhomme -en gĂ©nĂ©ral, quand son lien de parentĂ© avec le dĂ©funt est plus proche que celui d'un homme.
- Dans plus de 10 cas, la femme hĂ©rite plus que lâhomme ; quand le lien de parentĂ© de la femme est plus proche du dĂ©funt que celui de l'homme.
- Dans plusieurs autres cas, la femme seule hérite ; quand l'homme n'a pas de lien de parenté ou a perdu ses droits.
- Et dans tous les autres cas l'homme hérite plus que la femme, dans l'esprit du Verset 11, de la sourate « les femmes »
- Chez les quarmatiens, un groupe Ă©sotĂ©rique dâArabie, avait instituĂ© l'Ă©galitĂ© entre homme et femme en matiĂšre de droit successoral.
Notes et références
- François-Paul Blanc, Le droit musulman, Dalloz, 2e édition, 2007, 128 p., p. 127-128.
- François-Paul Blanc, op. cit., p. 111-112.
- Mohamed Talbi, « Ma religion c'est la liberté », éd. Nirvana, 2011, p. 147 et 182.