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Juricomptabilité

La juricomptabilitĂ© (nĂ©ologisme d'origine quĂ©bĂ©coise crĂ©Ă© dans les annĂ©es 1980[1], correspondant Ă  forensic accounting pour les anglophones) est une discipline juridique rĂ©cemment apparue en AmĂ©rique du Nord, consacrĂ© Ă  la recherche de fraude, crimes commerciaux[2] ou d’autres comportements illĂ©gaux ou contraires Ă  l'Ă©thique liĂ©s Ă  l'Ă©criture comptable ou Ă  la gestion des comptes[3] dans les bilans comptables ou « Ă©tats financiers », documents fiscaux, etc.

Le comptable (selon le code de sa profession) audite des états financiers en y recherchant d'éventuelles erreurs ou incohérences, mais sans spécifiquement rechercher les fraudes qu'il pourrait cacher[4], éventuellement déguisées en « optimisation fiscale ».

C'est un mĂ©tier qui tend Ă  se dĂ©velopper notamment aux États-Unis dans le sillage de la crise financiĂšre[5], y compris dans les quatre groupes leaders en matiĂšre d'audit financier (EY, PwC, Deloitte et KPMG, dits Big Four ou Fat Four (littĂ©ralement, les « quatre gros ») car Ă©tant les quatre plus grands groupes d'audit financier au niveau mondial. Ils occuperaient en 2012 environ 35 % du marchĂ© de la juricomptabilitĂ©[5], mais la plupart des juricomptables sont employĂ©s par des agences de dix personnes ou moins [6].

Dans le monde anglophone, la notion de forensic Ă©voque que le travail du consultant en juricomptabilitĂ© doit ĂȘtre d'un niveau « convenable pour une utilisation dans une cour de justice », ce pourquoi un corpus important de normes a Ă©tĂ© associĂ© Ă  cette profession en AmĂ©rique du Nord.

Cette référence à la place (forum) judiciaire explique qu'on compare la juricomptabilité à l'expertise comptable judiciaire de droit français[7].

Fonctions

Le juricomptable peut ĂȘtre appelĂ© prĂ©ventivement pour aider son client Ă  limiter le risque de fraudes et litiges existants (ou anticipĂ©s); il peut par exemple imposer des procĂ©dures plus transparentes ou recommander d'Ă©viter de confier toutes les questions financiĂšres Ă  un seul et mĂȘme associĂ©[4].

Il peut aussi ĂȘtre appelĂ© dans un grand nombre de situations de suspicion de fraude ou pour l'Ă©tude d'une fraude avĂ©rĂ©e, par exemple de la part d'une entreprise envers un tiers, d'associĂ© en affaires au sein d'une mĂȘme entreprise, d'un comptable malhonnĂȘte dans une entreprise, un organisme de charitĂ©, une ONG, une structure de coopĂ©ration dĂ©centralisĂ©e, etc. Il peut encore s'agir de blanchiment d'argent ou encore de prouver une faillite frauduleuse, une banqueroute ou tout autre type de fraude commise par un commerçant ou artisan envers son client ou fournisseur. Il peut s'agir d'aider une personne divorcĂ©e qui ne touche pas la pension due alors que le conjoint pourrait matĂ©riellement la verser. Il peut s'agir d'argent dĂ©tournĂ© par une tutelle gĂ©rant les fonds d'un enfant mineur, d'un handicapĂ© mental, d'une personne ĂągĂ©e, etc.[4]. La fraude peut ĂȘtre rĂ©alisĂ©e par un ou plusieurs comptables, seuls et pour eux-mĂȘmes, ou sous la pression d'un supĂ©rieur ou d'un tiers.

Il peut enfin aussi ĂȘtre appelĂ© pour confirmer ou prouver une innocence en cas d'allĂ©gations de fraude, ou pour rechercher d'Ă©ventuelles responsabilitĂ©s cachĂ©es preuves[8] de collusion avec des tiers (par exemple, des fournisseurs) ?

La dĂ©couverte d'une fraude est celle d'une perte financiĂšre mais elle peut aussi ĂȘtre source d'une dĂ©gradation d'image pour l'entitĂ© concernĂ©e. L'information sur la fraude peut parfois aussi « avoir pour effet d’accroĂźtre le soutien Ă  l’organisation (en suscitant l’empathie) ».

Le juricomptable peut préparer ou épauler le travail de la justice en lui soumettant des éléments de preuves que la police ou une autorité judiciaire n'a pas eu le temps ou les moyens de rechercher ou découvrir, et/ou en évaluant le préjudice financier.
Dans ce cas, il peut ĂȘtre amenĂ© Ă  tĂ©moigner comme expert indĂ©pendant et impartial devant un tribunal. Il doit alors « prendre des mesures raisonnables pour communiquer au tribunal les informations, les hypothĂšses sur lesquelles son tĂ©moignage s’appuie, et toute limitation ayant une incidence sur son tĂ©moignage (...) se conformer Ă  toutes les normes d’exercice de la juricomptabilitĂ© lorsqu’ils tĂ©moignent verbalement ou faire des mises en garde appropriĂ©es concernant toute limitation de leur capacitĂ© de respecter ces normes d’exercice »[3]. Dans ce cas, les anglophones le dĂ©nomment aussi forensic auditor (vĂ©rificateur judiciaire) ou des ou investigative auditor (vĂ©rificateur d'enquĂȘte).

Aspects Ă©thiques

Comme dans bien d'autres mĂ©tiers ayant trait aux normes, rĂšgles et droits, des questions Ă©thiques et morales sont soulevĂ©s lors de l'exercice de ce mĂ©tier, par exemple concernant la divulgation de l'identitĂ© du fraudeur, la protection des « divulgateurs » et lanceurs d'alerte (par exemple les États-Unis avec la Securities and Exchange Commission disposent maintenant d'un programme de protection et de rĂ©compense Ă  l'intention des dĂ©nonciateurs de fraudes en matiĂšre de valeurs mobiliĂšres[9]), la gestion d'Ă©ventuelles menaces, la poursuite en justice et la communication interne ou externe sur le tort fait par la fraude ou une confidentialitĂ© contractualisĂ©e..

Le fraudeur est a priori supposé mal intentionnée et l'autre partie bien intentionné, mais il peut arriver que les situations soient plus complexe que cela, ce que le juricomptable doit essayer d'appréhender via une bonne analyse du contexte (quand il y a accÚs).

MĂ©tier, formation

Dans certains pays (Canada par exemple), des normes cadrent les compétences professionnelles, l'exécution de sa mission et les modalités de préparation de son rapport[3]. Il existe encore peu d'ouvrages de langue française, mais certains présentent déjà les enjeux du professionnalisme pour la juricomptabilité [10].

Compétences

De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, ce mĂ©tier exige une parfaite connaissance du travail de comptable, une expertise en matiĂšre d’enquĂȘte, appuyĂ©e par un esprit d’investigation. Ceci implique un sens aigu de l'observation pour, par exemple, dĂ©tecter des anomalies dans les donnĂ©es comptables, les droits d'accĂšs, les mĂ©tadonnĂ©es associĂ©es, ou pour dĂ©tecter dans les Ă©critures comptables des donnĂ©es apparemment anodines mais pouvant cacher une fraude ou modifier les Ă©tats financiers. Ceci implique aussi « L’«esprit d’investigation» nĂ©cessite que l’on fasse preuve d’un certain degrĂ© de scepticisme dans l’identification, la recherche, l’analyse et l’évaluation des informations pertinentes par rapport Ă  chaque mission, en Ă©tant conscient qu’elles sont susceptibles d’ĂȘtre biaisĂ©es, fausses ou incomplĂštes »[3].
Selon la norme canadienne, le juricomptable doit pouvoir clairement justifier ses hypothĂšses et prĂ©senter ses arguments et rendre ses conclusions et constats de maniĂšre objective et impartiale[11] aprĂšs avoir identifiĂ© des diffĂ©rends (rĂ©els ou prĂ©vus), ou des « situations de risque, de soupçon ou d’allĂ©gation de fraude ou d’autres comportement s illĂ©gaux ou contraires Ă  l’éthique »[3]. Le juricomptable peut se spĂ©cialiser (par exemple pour les rĂ©clamations d'assurance, les rĂ©clamations pour blessures corporelles, des fraudes immobiliĂšres[12], la vĂ©rification des redevances[13] ou l'informatique (voir ci-dessous).

Compétence en informatique

Les comptables ont eux-mĂȘmes promu le « bureau sans papier Â» (dĂ©matĂ©rialisation du travail). De nombreux logiciels de comptabilitĂ© sont apparus sur le marchĂ© depuis les annĂ©es 1980, y compris pour le traitement statistique et divers types d'analyse complexes de donnĂ©es.
Ils sont associés à des bases de données pouvant contenir des millions d'informations.
Certains juricomptables se sont donc spĂ©cialisĂ©s dans la criminalitĂ© informatique, l'informatique judiciaire et l'investigation informatique (on les dit souvent criminalistique informatique) afin d'exploiter au mieux les disques durs, bases de donnĂ©es et depuis quelques annĂ©es le « cloud ». Ils sont de plus en plus sollicitĂ©s par les entreprises ou collectivitĂ©s suspectant des fraudes[5]. Ce serait mĂȘme la spĂ©cialitĂ© qui croĂźt le plus rapidement[14]. Les outils permettant la fraude Ă©voluent. La formation continue du juricomptable est donc nĂ©cessaire.

Salaire

Les personnes employĂ©es en juricomptabilitĂ© aux États-Unis ont un salaire qui varie selon leur compĂ©tence et expĂ©rience, avec – selon les donnĂ©es disponibles – un salaire annuel moyen de 80 435 US dollars selon une enquĂȘte rĂ©cente (sur la base de sondages) d'IBISWorld. Et selon cette enquĂȘte ces salaires devraient augmenter en raison de la forte demande pour ce crĂ©neau.

Formations

Les formations existantes sont surtout dispensĂ©es aux États-Unis oĂč cette discipline est la plus dĂ©veloppĂ©e.
Des universités américaines la délivrent à des juristes et/ou comptables en deuxiÚme cycle en "juricomptabilité".
C'est aussi une spĂ©cialisation possible des Comptables professionnels au Canada oĂč l'ICCA a rĂ©cemment recommandĂ© que soit mise en place une « attestation de compĂ©tence » pour les « membres qui satisfont Ă  des exigences prĂ©cises de formation, d’examen et d’expĂ©rience admissible », dans le cadre d'une « stratĂ©gie nord-amĂ©ricaine en matiĂšre d’attestation de compĂ©tence, en collaboration avec l’American Institute of Certified Public Accountants (AICPA) » pour laquelle des pourparlers sont entamĂ©s[15].

Le juricomptable peut ĂȘtre amenĂ© Ă  lui-mĂȘme se faire conseiller par un juriste, notamment quand il travaille dans un autre pays que le sien.

Lettre de mission

Elle est importante car cadrant le travail. Cette lettre de mission doit ĂȘtre claire et bien prĂ©ciser les attendus et conditions et Ă©tapes de chaque mission et son pĂ©rimĂštre, les moyens humains et financiers prĂ©vus (conditions de rĂ©munĂ©ration, la rĂ©munĂ©ration elle-mĂȘme ne pouvant ĂȘtre fixĂ©e Ă  l'avance quand l'Ă©tendue du travail d'audit et enquĂȘte n'est pas connu), les « limitations » du travail (dont quand un accĂšs est refusĂ© ou que l’information ne peut ĂȘtre obtenue ou fournie)[11].

Prospective et intĂ©rĂȘt pour ce « nouveau Â» mĂ©tier

Plusieurs grands scandales financiers amĂ©ricains (et pour la France de nombreuses affaires politico-financiĂšres) ont fait perdre beaucoup d'argent et d'emplois. Ils peuvent ĂȘtre Ă  l'origine de crise graves (ex. : crise des subprimes).

Le besoin de sécurisation juridique dans un contexte économique de crise (crise de 2008) et dans un contexte fiscal de plus en plus complexe et international semblent favorable au développement de ce métier[5].

Une croissance annuelle de + 6,8 %/an est attendue de 2013 Ă  2017 selon un rapport d'IBISWorld. De grands scandales financiers (affaire Enron, WorldCom, d'Adelphia, de Global Crossing et de Tyco aux États-Unis par exemple ou Bre-X, Cinar, Livent et Nortel au Canada[1] ou du CrĂ©dit lyonnais en France[16]) ont montrĂ© que mĂȘme dans des cabinets d'expertise Ă©conomique et comptable, des fraudes importantes peuvent avoir lieu.

De plus, la demande sociale semble en faveur du développement d'un commerce éthique et de la responsabilité sociale et environnementale dans les sociétés, ainsi que de lutte contre la corruption[17], les paradis fiscaux et l'évasion fiscale. Ce contexte pourrait encourager le développement de ce métier.

Par exemple, au Canada, CPA Canada a offert des ressources et des outils aux comptables professionnels sur les obligations de déclaration concernant le blanchiment d'argent[18].

Limites

Toutes les fraudes ne sont pas détectées ou élucidées. Parmi les limites figurent

– la complexitĂ© croissante des rĂ©seaux financiers et commerciaux ;
– la complexitĂ© croissante de la technique (informatique notamment) et de la fiscalitĂ© ;
– l'opacitĂ© des paradis fiscaux ;
– et parfois des conflits d'intĂ©rĂȘt (quand un mĂȘme auditeur ou son cabinet travaille aussi pour le fraudeur par exemple) ;



Ces limites sont Ă©tudiĂ©es par des chercheurs, notamment via l'analyse des grands scandales financiers de la fin du XXe siĂšcle, afin de voir si la lutte contre la fraude peut ĂȘtre amĂ©liorĂ©e. HEC MontrĂ©al a par exemple crĂ©Ă© une Chaire de gouvernance et de juricomptabilitĂ© [19] et l'universitĂ© Paris-Dauphine offre un enseignement de master intitulĂ© "Fraudes Controle Gouvernance" accrĂ©ditĂ© par l'Acfe. La recherche bĂ©nĂ©ficie de revues acadĂ©miques spĂ©cialisĂ©es : ainsi du Journal of Forensic and Investigative Accounting.

Notes et références

  1. Claude Lafleur (2010), Juricomptabilité - Responsabilité collective Apprendre des grandes fraudes générées par les Enron et autres WorldCom Le Devoir, 2003-10-25
  2. voir le chapitre « Commercial Crime », dans Accountant's Handbook of Fraud Prevention and Detection (FRAUD)
  3. ICCA (2006), Normes canadiennes d'exercice des missions de juricomptabilité (novembre 2006, en vigueur au 1er mars 2007), PDF, 24 p
  4. Claude Lafleur, article intitulĂ© JuricomptabilitĂ© - Si vous ĂȘtes victime d'une fraude
, publiĂ© dans le journal Le Devoir (2011-11-08)
  5. By Ken Tysiac (2012), Demand strong for forensic accountants in wake of financial crisis Forensic accounting revenue in the United States is expected to grow 6.8% annually over the next five years 2012-09-24
  6. IBISWorld report, cité par Ken Tysiac (2012)
  7. R. Labelle et E. Charrier, « expertise comptable judiciaire et juricomptabilitĂ© Â», in B. Colasse (dir.), EncyclopĂ©die de comptabilitĂ©, contrĂŽle de gestion et audit, Economica, 2e Ă©d., 2009. M. Saboly, R. Labelle, "Forensic Accounting in France: Emergence and Development", Journal of Forensic Accounting, 2008, 9(1), 83-94.
  8. Rem : on ne parle de preuve pour une information que quand elle est admise par un tribunal à ce titre (source Guide 2 cité en bibliographie de cet article)
  9. Securities and Exchange Commission www.sec.gov : Rules (Les rĂšgles)
  10. Dans une perspective canadienne et française : G. Leclerc, E. Charrier et M. Roy, Investigation financiÚre et juricomptabilité. Guide de bonnes pratiques, Thomson-Yvon Blais, 2012. Cf. aussi, dans une perspective française, O. Gallet, Halte aux fraudes. Guide pour les auditeurs et les dirigeants, Dunod, 2e éd., 2010.
  11. The 2011 Forensic and Valuation Services (FVS) Trend Survey, Guide crĂ©Ă© et revu par le ComitĂ© canadien des normes de juricomptabilitĂ© et publiĂ©s une fois approuvĂ©s par le Conseil de l’Alliance pour l’excellence en juricomptabilitĂ© («Conseil de l’AEJ») ; Institut canadien des comptables agrĂ©Ă©s (PDF, 48p)
  12. (en) Denise Cicchella, Construction audit guide : overview, monitoring, and auditing, Altamonte Springs, FL, IIA Research Foundation, , 149 p. (ISBN 0-89413-587-2)
  13. (en) Russell L. Parr et Gordon V. Smith, Intellectual property : valuation, exploitation, and infringement damages., Hoboken, N.J., Wiley, , Chapter 33 (ISBN 978-0-470-45703-0 et 0-470-45703-1, lire en ligne)
  14. Par Brad Sargent (2013)Aspirants juricomptables, il vous faut un solide bagage de compétences avril 2013
  15. ICCA (2013), Avis de CPA Canada aux Ă©tudiants actuels et potentiels des programmes d’études supĂ©rieures spĂ©cialisĂ©es en juricomptabilitĂ© ;
  16. Rosen, L. S. (2006). CAP Forum on Forensic Accounting in the Post‐Enron World: Forensic Accounting: Where and When Headed ?/ La juricomptabilitĂ© : quand mettre le cap dans quelle direction ? CAP Forum on Forensic Accounting in the Post‐Enron World : Accounting and Auditing Education Reform/La refonte de la formation en comptabilitĂ© et en vĂ©rification. Canadian Accounting Perspectives, 5(2), 257-286.
  17. Gouvernement canadien (2013), Le Canada intensifiera sa lutte contre la corruption transnationale, communiqué 2013-02-05
  18. Juricomptabilité, Comptables professionnels agréés (CPA Canada)
  19. R. Labelle et E. Charrier, "expertise comptable judiciaire et juricomptabilité", in B. Colasse (dir.), Encyclopédie de comptabilité, contrÎle de gestion et audit, Economica, 2e éd., 2009.

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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