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José Robles Pazos

JosĂ© Robles Pazos (Saint-Jacques-de-Compostelle, 1897 – Valence ? 1937 ?) est un intellectuel espagnol (Ă©crivain, illustrateur, traducteur) et militant politique de gauche, au service de la Seconde RĂ©publique espagnole.

José Robles Pazos
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Les conditions de la mort de José Robles ont entraßné une rupture totale entre deux grands écrivains américains : John Dos Passos (qui était ami de Robles) et Ernest Hemingway.

José Robles a inspiré à Dos Passos son roman Adventures of a Young Man (1939).

Biographie

Né dans une famille riche de Galice, il étude la philosophie et les lettres à Madrid et devient professeur de littérature espagnole.

José s'ouvre aux idées progressistes, mais ses prises de position l'obligent à quitter l'Espagne.

Il Ă©migre aux États-Unis et obtient en 1920 une chaire de professeur de littĂ©rature espagnole Ă  l'universitĂ© Johns-Hopkins de Baltimore. Il devient le traducteur et l'ami de John Dos Passos (dont Ă  l'Ă©poque les opinions politiques sont nettement de gauche) ; sa traduction en espagnol de Manhattan Transfer est reconnue comme excellente. Robles traduit aussi quelques Ɠuvres de Sinclair Lewis. SpĂ©cialisĂ© dans le thĂ©Ăątre classique espagnol, il publie une compilation du Cancionero teatral de Lope de Vega.

Quand la guerre civile espagnole éclate (), José Robles est en vacances dans sa famille en Espagne. Sympathisant du mouvement républicain, il est nommé lieutenant-colonel par le nouveau régime ; et comme il parle le russe, Robles est affecté, comme interprÚte et collaborateur, au service de l'attaché militaire soviétique, le général Vladimir Gorev (en)[1].

Cependant sa franchise, son indépendance et ses prises de position sans détour compromettent José Robles ; il disparaßt au début 1937, sans doute victime (comme Andreu Nin et tant d'autres) des purges exercées par les agents du NKVD dirigé par Alexandre Orlov.

La journaliste communiste amĂ©ricaine Josephine Herbst (en), qui visite alors le front en tant qu'invitĂ©e du Parti communiste d'Espagne parvient Ă  apprendre que Robles, accusĂ© d'ĂȘtre un « espion franquiste », a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© et fusillĂ©. Elle transmet l'information Ă  Dos Passos et Ă  Hemingway, alors Ă  Madrid.

En John Dos Passos Ă©crit au rĂ©dacteur en chef de The New Republic qu'il avait appris la nouvelle de la « disparition » de son ami JosĂ© Robles alors qu'il revenait de Valence oĂč il avait passĂ© une semaine; il avait pu alors contacter le chef du contre-espionnage, qui lui avait fait savoir que Robles avait Ă©tĂ© Ă©liminĂ© par une « section spĂ©ciale ». Les Espagnols, ajoutait Dos Passos, pensaient que Robles avait Ă©tĂ© Ă©liminĂ© Ă  titre d'exemple car il parlait trop librement dans les cafĂ©s ; alors que les AmĂ©ricains procommunistes [2] racontaient que Robles Ă©tait un espion franquiste[3].

Selon Stephen Koch, Robles Ă©tait devenu l'interprĂšte du « conseiller militaire » soviĂ©tique en chef Jānis K. BērziƆơ [4], et quand celui-ci s'opposa Ă  Alexandre Orlov sur l'opportunitĂ© d'Ă©liminer les militants du POUM et les anarchistes (leur disparition affaiblissait notablement l'armĂ©e rĂ©publicaine), l'interprĂšte prĂ©cĂ©da le gĂ©nĂ©ral dans sa disgrĂące[5].

Conséquences sur les plans culturel et littéraire

La liquidation de JosĂ© Robles entraĂźna une rupture totale entre Dos Passos et Hemingway, qui Ă©taient amis depuis plus de quinze ans (voir l'article gĂ©nĂ©ration perdue) : Dos Passos avait vu arriver Hemingway, alors jeune mariĂ© et jeune reporter, Ă  Paris en 1921, et par la suite Hemingway avait reçu Dos Passos Ă  Key West et l'avait initiĂ© Ă  la pĂȘche au tarpon [6].

Hemingway pensait que la mort de Robles avait été « une nécessité de temps de guerre »; Dos Passos (qui de plus estimait que Hemingway l'avait supplanté lors du tournage du film Terre d'Espagne, de Joris Ivens) rompit avec Hemingway. Choqué par ce qu'il avait éprouvé en Espagne, Dos Passos abandonna par la suite ses convictions de gauche.

On ne peut par ailleurs s'empĂȘcher de faire le parallĂšle entre JosĂ© Robles et Robert Jordan, le hĂ©ros de Pour qui sonne le glas : comme Robles, Robert Jordan est un jeune professeur de littĂ©rature et culture espagnole dans une universitĂ© nord-amĂ©ricaine, il aime et connaĂźt bien l'Espagne, il y revient pendant la guerre civile, il s'entend parfaitement avec les Espagnols [7], et il meurt pour l'Espagne rĂ©publicaine.

George Packer a Ă©crit une critique sur le livre de Stephen Koch, The Breaking Point: Hemingway, dos Passos, and the Murder of Jose Robles [8] dans The New Yorker : "Fin septembre 36, Hemingway Ă©crit Ă  Maxwell Perkins, son editor aux Éditions Scribner : « Je m’en veux terriblement d’avoir ratĂ© le problĂšme espagnol, mais je dois d’abord finir ce livre. » La guerre civile espagnole, qui selon l’avis gĂ©nĂ©ral ne durerait que quelques mois, arrangea le programme littĂ©raire d’Hemingway : elle dura deux ans et demi de plus. Il termina To Have and Have Not (En avoir ou pas) et signa immĂ©diatement un contrat[9] : il allait Ă  Madrid Ă©crire une sĂ©rie de dĂ©pĂȘches depuis le front. Et sans tarder il tomba amoureux de Martha Gellhorn, une belle journaliste dotĂ©e d’un bon carnet d’adresses, qui avait dĂ©barquĂ© dans sa vie de solitaire volontaire Ă  Key West alors qu’elle allait partir elle aussi pour l’Espagne, comme correspondante de la revue Collier's Weekly. À Madrid, Hemingway fournissait les conseils littĂ©raires et les recommandations, et Gellhorn apprenait Ă  Ernest la syntaxe de la propagande du Front populaire... John Dos Passos, lui aussi, voyageait alors en Espagne. Dos Passos Ă©tait un vieil ami d’Hemingway : ils avaient tous deux vĂ©cu dans le Paris des annĂ©es 1920, et Dos avait prĂ©sentĂ© Ă  Hemingway celle qui allait devenir sa seconde Ă©pouse
 Mais l'amitiĂ© entre Dos Passos et Hemingway s’était dĂ©jĂ  dĂ©tĂ©riorĂ©e lors de la publication de The Big Money, le troisiĂšme roman de la trilogie U.S.A. de Dos Passos : Hemingway avait vu d’un mauvais Ɠil le succĂšs remportĂ© par l’Ɠuvre, et la couverture de Time Magazine consacrĂ©e Ă  Dos Passos, prĂ©cisĂ©ment au moment du dĂ©but de la guerre d’Espagne.

De gauche à droite : Joris Ivens, Ernest Hemingway et Ludwig Renn, un officier supérieur des Brigades internationales

Dos Passos Ă©tait soudain aussi grand que le grand homme des lettres amĂ©ricaines, aussi cĂ©lĂšbre mĂȘme que Faulkner, Fitzgerald
 Dos Passos Ă©tait en Espagne pour collaborer au documentaire Terre d’Espagne, un film que le jeune et brillant cinĂ©aste Joris Ivens devait tourner sous les auspices d’écrivains new-yorkais rĂ©unis par Archibald MacLeish ; ce documentaire devait permettre de rĂ©unir des fonds pour la RĂ©publique espagnole et inciter Roosevelt Ă  lever l’embargo amĂ©ricain sur les armes. En fait, Dos Passos Ă©tait manipulĂ© : le film devait servir la propagande organisĂ©e par Moscou, et lui-mĂȘme, tombĂ© en dĂ©faveur chez les communistes depuis que le CongrĂšs des Écrivains de 1934 avait officiellement abandonnĂ© le modernisme pour le rĂ©alisme socialiste, devait servir d’appĂąt et attirer un poisson bien plus gros que lui. Hemingway, qui Ă©tait indiffĂ©rent aux idĂ©es de gauche avant de connaĂźtre Martha Gellhorn, fut tout heureux de rendre service
 (aprĂšs la disparition de son ami JosĂ© Robles), Dos Passos, trĂšs inquiet et pensant Ă  l’épouse et aux enfants de JosĂ©, fit le tour des officiels espagnols. Il ne rencontra qu’onctueux mensonges de bureaucrates ou rebuffades : maintenant qu’ils avaient Hemingway, ils n’avaient mĂȘme plus besoin d’ĂȘtre polis avec Dos Passos. Ce dernier trouva lĂ  la confirmation de ce qu’il pensait dĂ©jĂ  : la politique progressiste sans le respect des individus n’est qu’un leurre. Hemingway, dans un article (lĂ©gĂšrement voilĂ©) traitant de la disparition de Robles (article paru dans un spinoff de Esquire du nom de « Ken », qui eut une existence brĂšve) parla du « bon cƓur plein de naĂŻvetĂ© d’un libĂ©ral amĂ©ricain typique ». LettrĂ©, perdant ses cheveux, dĂ©gingandĂ©, optimiste, trop confiant dans la bonne volontĂ© des autres : Dos Passos Ă©tait le genre d’homme Ă  exciter le sadisme d’Hemingway. « Blanc comme le dessous d'une sole qui n'a pas Ă©tĂ© vendue, Ă  11h, avant que le marchĂ© au poisson ne ferme » : selon Stephen Koch, c'est ainsi que Hemingway dĂ©crit son vieux copain. Il semble que Hemingway Ă©prouvait le besoin de dĂ©truire de temps en temps un mariage ou une amitiĂ©. À Madrid, il fit les deux.

Selon Stephen Koch (dans son livre The Breaking Point), Hemingway et Martha Gellhorn reçoivent froidement Dos Passos quand il arrive, les mains vides, dans leur suite bien approvisionnĂ©e de l'hĂŽtel Florida [10] ; ils trouvent que Dos Passos, qui pose des questions dans toute la ville Ă  propos de JosĂ© Robles, est ridicule. « Si c'est la disparition de ton idiot de prof qui te tracasse, arrĂȘte d'y penser » lui assĂšne Hemingway. « Des gens disparaissent tous les jours. ». On Ă©tait en guerre, il y a un code de bonne conduite Ă  respecter pendant une guerre, et Dos Passos ne respectait pas les rĂšgles. « Dos n'avait pas sa place dans une guerre », proclamait Hemingway, « parce que ce n'Ă©tait pas un chasseur ». Et Stephen Koch paraphrase les observations de Josephine Herbst dans son livre Journal d'Espagne : « Dos ne sait pas se comporter dans la nature. Il arrive sans nourriture. Il n'a rien dans les tripes. Il ne comprend rien Ă  la guerre. » Et quand Dos Passos dit Ă  Hemingway : « La question que je me pose sans arrĂȘt, c'est : pourquoi se battre pour la libertĂ©, si en mĂȘme temps on dĂ©truit la libertĂ© individuelle ? », Hemingway lui rĂ©plique : « Merde pour la libertĂ© individuelle. Tu es avec nous ou contre nous ? ».

Hemingway n'adhéra jamais au dogme des communistes, mais il admirait leur fermeté, alors qu'il regardait la ferveur révolutionnaire des anarchistes comme une plaisanterie [11]. Mais si le hasard l'avait mis dans le camp des nationalistes, il aurait admiré la dureté inflexible des lieutenants de Franco.

Quant à Dos Passos, la guerre d'Espagne semble avoir tué quelque chose en lui
 Les trahisons dont il avait souffert (tant sur le plan personnel que politique) l'avaient dévasté au point qu'il n'a pu écrire sur ce qui était arrivé à son ami José Robles comme à son amitié avec Hemingway. Cependant, Hemingway, aprÚs son retour en Amérique, répandait oralement et par écrit la notion que Dos Passos était un lùche et un traßtre à la causa [12]. Ce n'est qu'en 1939 que Dos Passos, qui cherchait à tirer au clair la signification profonde de la mort de José Robles, publia un roman, Adventures of a Young Man. Ce livre (qui a été fortement dénigré par Malcolm Cowley, un ex-compagnon de voyage de Dos Passos) décrit les désillusions d'un jeune radical, qui part combattre en Espagne, et qui y meurt. Personne n'a entendu parler de Adventures of a Young Man, alors que Pour qui sonne le glas est étudié en faculté. Certes le roman d'Hemingway est plus envoûtant; mais Dos Passos, avec son réalisme désabusé et direct, est celui qui transmet vraiment le sens de la vie dans les années 1930 [13]".

Paradoxalement, Aventures of a Young Man ramÚne de nos jours à Hemingway : Martin Ritt a tourné en 1962 le film Hemingway's Adventures of a Young Man (Aventures de jeunesse).

Notes et références

  1. Vladimir Gorev (1900-1938), nom de guerre en Espagne : « Sancho »
  2. Dos Passos faisait allusion à Josephine Herbst, et surtout au couple Hemingway-Martha Gellhorn, qui, dira-t-il plus tard, ne l'a nullement aidé (ni matériellement ni psychologiquement) lors de la disparition de son ami Robles (selon George Packer, The Spanish Prisoner dans The New Yorker : voir )
  3. lettre citée par Carr (1984), p. 365.
  4. Ian Berzine, 1889-1938 (nom de guerre : Grishin), ex-chef du GRU, était en fait le commandant en chef de l'armée républicaine espagnole, et il fut perdant dans sa lutte interne contre Alexandre Orlov et ses troupes du NKVD
  5. Koch (1994), pp. 283ff.
  6. Hemingway et Dos Passos de retour de la pĂȘche au tarpon : voir http://www.jfklibrary.org/Asset-Viewer/7J2cscypsEiKoAmB4zeZFw.aspx
  7. Hemingway fait dire au conseiller militaire soviétique Karkov : « (Jordan) has a great way with the Spaniards » (Pour qui sonne le glas, milieu du chapitre 42). Un autre modÚle pour Jordan : Robert Hale Merriman
  8. voir infra "Bibliographie" et "Liens externes".
  9. avec la NANA (North American News Association)
  10. George Packer ajoute entre parenthĂšses, Ă  la fin de son article, que cette scĂšne est inspirĂ©e d'une scĂšne identique de Century’s Ebb, un roman que Dos Passos a Ă©crit 40 ans plus tard environ
  11. en fait Hemingway ne cache pas la répulsion que les anarchistes provoquent chez lui : voir dans Pour qui sonne le glas la description par Pilar du massacre des riches - et celle des tranchées des anarchistes, quand Andreu porte le message de Robert Jordan à Golz
  12. selon Packer, Hemingway fit en AmĂ©rique une tournĂ©e pour prĂ©senter le film de Joris Ivens Terre d'Espagne, Ă  qui il avait prĂȘtĂ© sa voix pour le commentaire. Selon l'article de WP en "Joris Ivens", le film Terre d'Espagne fut projetĂ© Ă  la Maison Blanche devant Franklin Delano Roosevelt et Eleanor Roosevelt, aprĂšs un dĂźner auquel avaient Ă©tĂ© invitĂ©s Joris Ivens et les Hemingway
  13. cette phrase de George Packer : « Hemingway’s romantic fable is in almost every way more compelling. But Dos Passos, in his dispirited and unblinking realism, was the one to convey what it meant to be alive in the nineteen-thirties » conclut l'article de WP en sur Adventures of a Young Man de John Dos Passos

Bibliographie

  • MartĂ­nez de PisĂłn, Ignacio (2005). Enterrar a los muertos (1re Ă©dition), Ă©d. Seix Barral.
  • Stephen Koch, The Breaking Point: Hemingway, dos Passos, and the Murder of Jose Robles (voir la critique du livre par George Packer du New Yorker dans "Liens externes")
  • Carr, Virginia (1984). Dos Passos: A Life. New York, Doubleday & Co.
  • Preston, Paul (2008). We Saw Spain Die. Foreign Correspondents in the Spanish Civil War. Londres, Constable.
  • Koch, Stephen (1994). Double Lives: Spies and Writers in the Secret Soviet War of Ideas against the West. (ISBN 0-02-918730-3)

Liens externes

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