Jenny Delsaux
Jenny Delsaux, de son nom complet Jenny Anne Julie Delsaux, née Förster le à Hagenthal-le-Bas et morte le dans le 14e arrondissement de Paris[1], est une bibliothécaire française ayant travaillé notamment à la Sorbonne. De à , elle a été chargée par la Commission de récupération artistique (CRA) de superviser la restitution des livres que le régime nazi a spoliés en France durant l’Occupation.
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Jenny Anne Julie Förster |
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Biographie
Origines et formation
Née le à Hagenthal-le-Bas dans l’actuel département du Haut-Rhin, alors en Alsace-Lorraine allemande, Jenny Anne Julie Förster est la fille de Frédéric Charles Förster et Marie Julie Barbe Wolff[2]. La famille s'installe à Phalsbourg la même année puis à Wissembourg en [3]. À la fin de ses études secondaires, la jeune femme rejoint Strasbourg pour intégrer le l'école des bibliothécaires mise en place par la Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliothek, l'actuelle Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg[4]. La formation et le diplôme sont ouverts pour la première fois aux femmes[5]. Jenny Förster effectue un stage auprès de cette bibliothèque à la fin de son cursus en puis poursuit ses études à l'université de Strasbourg et au lycée Fustel-de-Coulanges au cours de la Première Guerre mondiale[3].
Après avoir préparé l’examen d’État (en allemand : Staatsexamen (de), équivalent de l'agrégation), elle se réoriente vers une licence d’enseignement d’allemand dans le système académique français mis en place à l’université de Strasbourg après le rattachement de l'Alsace-Lorraine à la France en . Diplômée en 1920, elle effectue un stage à la bibliothèque de la Sorbonne et obtient en le certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB). D’abord nommée à la bibliothèque universitaire de Nancy, elle travaille ensuite à celle de Lille en où elle passe un diplôme d’études russes[6].
Affectée à la bibliothèque de la Sorbonne au sein de l'université de Paris en , elle évolue aux côtés de Paule Salvan, Marguerite Dreyfus-Drevet et de Louis Barrau-Dihigo[7]. Elle introduit en France un modèle de catalogue de bibliothèque par fiches élaboré sur celui du « Sachkatalog (de) » utilisé par les bibliothèques allemandes pour faciliter la recherche des livres qu’elles conservent[8]. Faisant autorité dans le domaine, Jenny Förster, désormais épouse de Jean Paul Delsaux, participe à la rédaction d’un ouvrage publié en et intitulé Instructions établies pour le catalogue alphabétique de matières : cette méthode d'organisation des catalogues tient compte du contenu des documents et les sujets qu'ils abordent en les classant par ordre alphabétique à l'instar d'un dictionnaire[9].
Traitement des spoliations nazies
Poursuivant ses missions à la bibliothèque de la Sorbonne durant la Seconde Guerre mondiale, elle intègre le la sous-commission des livres nouvellement établie au sein de la Commission de récupération artistique (CRA). Créé à la Libération par le gouvernement provisoire de la République française, cet organisme situé à Paris est chargé de traiter les biens culturels pillés par le régime nazi durant l’Occupation et retrouvés à travers le continent européen[10]. La participation de Jenny Delsaux à ce projet de restitutions des livres spoliés se fait à la demande d’André Masson, inspecteur général des bibliothèques. Elle se voit chargée d’organiser les activités de la sous-commission : retrouver les dépôts des collections pillées, les faire acheminer jusqu’à Paris, les classer puis identifier les propriétaires victimes de spoliations pour leur restituer leurs biens[11]. L’objectif initial est d’inventorier les 300 000 livres retrouvés à Paris que les autorités allemandes ont abandonné à la libération de la ville en . À ces ouvrages, s’ajoutent de nombreux livres revenant d’Allemagne occupée par les Alliés[12]. Pour mener à bien le tri et les restitutions, Jenny Delsaux est secondée par trois bibliothécaires ou archivistes-paléographes, trois dactylographes, quatre magasiniers et de nombreux « trieurs »[13], jusqu'à cinquante personnes[14].
À partir d’, elle cumule la responsabilité des restitutions avec la direction de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC) à Nanterre[11]. En , l’équipe de Jenny Delsaux rédige en six semaines un volume du Répertoire des biens spoliés en France durant la guerre de 1939-1945 établi d’après les déclarations des victimes de spoliations[15]. Le , elle donne une conférence devant l’Association des bibliothécaires français (ABF) à l’École nationale des Chartes afin de présenter les réalisations de la sous-commission ainsi que quelques livres, manuscrits et autographes récupérés : certains documents rares sont dévoilés au public lors d’une exposition organisée par la CRA à la Bibliothèque nationale à Paris en [16]. Dans ses activités, la bibliothécaire se rend parfois elle-même en Allemagne comme en afin de retrouver les fonds de la bibliothèque d'État de Bavière à Munich évacués vers des dépôts à l’extérieur de la ville durant la guerre : l’accès à ces dépôts contenant des livres spoliés en France est rendu difficile par les autorités de la zone d'occupation américaine en Allemagne présentes en Bavière depuis et souhaitant s’approprier ce butin de guerre allemand[17].
Alors que près d’1,1 million d’ouvrages spoliés en France a été retrouvé en Allemagne et dans le reste de l’Europe, les activités de la sous-commission des livres se font avec un personnel et un budget réduit malgré la quantité à traiter[18] : les autorités françaises souhaitent à plusieurs reprises de mettre fin aux opérations dont le coût et la durée sont jugés trop importants. La suppression de la CRA est entérinée par décret en [19]. La sous-commission des livres passe alors sous la tutelle de l’Office des biens et intérêts privés (OBIP) pour traiter les affaires courantes durant l’année . Avant de quitter ses fonctions, Jenny Delsaux comptabilise le nombre de convois de livres récupérés : 773 100 documents sont ainsi revenus d’Allemagne dans 5 254 caisses[10], et 380 960 ouvrages ont été restitués à leurs propriétaires dépossédés ou leurs ayants droit[20], à savoir 2 312 personnes et 412 associations et institutions publiques. Les livres dont les propriétaires n’ont pas été retrouvés sont quant à eux attribués à la direction des bibliothèques du ministère de l’Éducation nationale qui les dépose auprès de bibliothèques et d’universités à travers la France[21].
Dernières années
À la suite des opérations de restitutions et avec l’appui de Julien Cain, Jenny Delsaux est promue conservatrice en chef et réintègre la BDIC en . Par l’intermédiaire de Pierre Lelièvre, elle se voit ensuite confier l’organisation du « service de multigraphie » de l’université de Paris : créé en , ce service est chargé de reprendre l’ensemble des fiches de catalogues des bibliothèques parisiennes[12].
Se désignant elle-même avec humour comme étant « le pape des fiches »[22], Jenny Delsaux participe à l’élaboration de la norme Catalogue alphabétique de matières publiée par l’Association française de normalisation (AFNOR) en et destinée à l’indexation analytique par matière des livres : il s'agit de la norme Z 44-070. Pour mettre en application celle-ci à la Sorbonne, elle produit avec Marguerite Dreyfus-Drevet un manuel intitulé Suggestions pratiques pour la rédaction du catalogue alphabétique de matières. Son expertise dans le domaine est sollicitée dans la rédaction l’ouvrage Bibliothèques : traitement, catalogage et conservation des livres et des documents sous la supervision de Paule Salvan[8].
Dans un témoignage qu’elle édite elle-même en , Jenny Delsaux relate ses activités au sein de la sous-commission des livres. Domiciliée au no 15 rue Daubenton dans le 5e arrondissement de Paris, elle décède à l'hôpital Cochin le [2].
DĂ©corations
Notes et références
- État civil sur le fichier des personnes décédées en France depuis 1970
- Archives de Paris.
- Liskenne et Jouan 2022
- Petiot 2021, p. 275
- Bornemann 2016, p. 56-61
- Masson 1978, p. 289.
- Petiot 2021, p. 276
- Laureilhe 1977, p. 225.
- Ministère de l’Éducation nationale 1961, p. 18.
- Dreyfus 2012, p. 233.
- Poulain 2008, p. 371.
- Masson 1978, p. 289-290.
- Lorentz 1998, p. 227.
- Petiot 2021, p. 277
- Poulain 2008, p. 386-387.
- Lorentz 1998, p. 239.
- Delsaux 1976, p. 11-18.
- Poulain 2019, p. 53.
- Poulain 2008, p. 391.
- Macroux 2021, p. 144.
- Delsaux 1976, p. 46-57.
- Petiot 2021, p. 278
- « Officiers de l’instruction publique et officiers d’académie », JORF no 168 du , p. 7834
- « Décret du 4 février 1950 portant promotions et nominations dans l’ordre national de la Légion d’honneur », JORF no 34 du , p. 1558
Annexes
Fonds d'archives
- « Foerster Julie, épouse Delsaux » (1977). Fonds : Actes de décès; Cote : 14D 620. Archives de Paris (présentation en ligne, lire en ligne).
Bibliographie
- (en) « Jenny Delsaux (1896-1977) », sur monumentsmenfoundation.org (consulté le )
- Daniel Bornemann, « Des femmes en bibliothèque au temps du Kaiser : deux expériences strasbourgeoises », La Revue de la BNU, vol. 14,‎ , p. 56-61 (DOI https://doi.org/10.4000/rbnu.1196, lire en ligne, consulté le )
- Jenny Delsaux, « Le service de multigraphie », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), no 10,‎ , p. 461-465 (ISSN 1292-8399, lire en ligne, consulté le )
- Jenny Delsaux, La sous-commission des livres à la récupération artistique : 1944-1950, Paris, [éditeur inconnu], , 63 p.
- Jean-Marc Dreyfus, « Le pillage des bibliothèques – et particulièrement des bibliothèques juives – en Alsace annexée, 1940-1945 », dans Alexandre Sumpf et Vincent Laniol (dir.), Saisies, spoliations et restitutions : archives et bibliothèques au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, (ISBN 978-2-7535-1996-1), p. 241-250
- Marie-Thérèse Laureilhe, « Jenny Delsaux : 1896-1977 », Bulletin d'informations de l'ABF, no 97,‎ , p. 225 (ISSN 0004-5365, lire en ligne, consulté le )
- Anne Liskenne et Ophélie Jouan, « Jenny Delsaux (1896-1977), itinéraire d’une pionnière des bibliothèques », sur arcbn2gm.hypotheses.org, (consulté le )
- Claude Lorentz, La France et les restitutions allemandes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, 1943-1954, [Paris], Direction des archives et de la documentation - Ministère des Affaires étrangères, , XXI-348 p. (ISBN 2-11-089157-2)
- Camille Noé Marcoux, « Livres spoliés : "l’effrayante dispersion" », La Gazette Drouot, no 1,‎ , p. 144-147 (ISSN 1169-2294)
- André Masson, « Nécrologie : Jenny Delsaux », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), no 5,‎ , p. 289-290 (ISSN 1292-8399, lire en ligne, consulté le )
- Ministère de l’Éducation nationale - Direction des bibliothèques de France, Bibliothèques : traitement, catalogage et conservation des livres et des documents, Paris, Institut pédagogique national, , 225 p. (lire en ligne)
- Marie-Thérèse Petiot, « Jenny Delsaux (1896-1977) : de l'indexation matière au règlement des spoliations nazies », dans Laurence Bobis et Boris Noguès (dir.), La bibliothèque de la Sorbonne : 250 ans d'histoire au cœur de l'université, Paris, Éditions de la Sorbonne, (ISBN 979-10-351-0621-8), p. 275-278
- Martine Poulain, Livres pillés, lectures surveillées : les bibliothèques françaises sous l'Occupation, Paris, Gallimard, , édition revue et augmentée éd., 753 p. (ISBN 978-2-07-045397-9)