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Jean Kunlin

Jean Kunlin, né le à Schiltigheim (Bas-Rhin) et mort le à Boulogne-Billancourt, est un chirurgien français.

Jean Kunlin
Portrait de Jean Kunlin
Portrait de Jean Kunlin
Biographie
Naissance
Schiltigheim (Strasbourg)
Décès
Boulogne-Billancourt
Nationalité Drapeau de la France Français
Thématique
Profession Chirurgien

Il réalise le premier pontage vasculaire en 1948.

Biographie

René Leriche et Jean Kunlin à Strasbourg.

Jean Kunlin fait ses études de médecine à Strasbourg où il devient l'interne puis le chef de clinique de René Leriche qui dirigeait la clinique chirurgicale A des Hôpitaux de Strasbourg. C’est à lui qu’il doit sa formation chirurgicale et il conservera une profonde admiration pour ce maître et un attachement sans faille. Le rayonnement international de Leriche attirait à Strasbourg de nombreux jeunes chirurgiens et Jean Kunlin se lie d'amitié avec plusieurs d'entre eux notamment João Cid dos Santos et Michael De Bakey (qui deviendront des maîtres dans leurs pays).

C’est dans le Laboratoire de chirurgie expérimentale des Hôpitaux de Strasbourg qu’il entame sa longue carrière de chercheur. Sa thèse de doctorat est d'ailleurs consacrée à un premier travail expérimental[1].

En 1938, il est nommé chirurgien-chef de l’Hôtel Dieu de Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle). La guerre met fin prématurément à cette activité. Après la débâcle et l'armistice de 1940, il tente de remettre en marche son service qui a été pillé par les Allemands.

Puis René Leriche, qui a entretemps succédé à Charles Nicolle à la chaire de médecine expérimentale du Collège de France, lui propose en 1942 d'être son assistant.

Il s'installe donc à Paris, où il restera le fidèle collaborateur de Leriche jusqu'à la retraite de ce dernier. Parallèlement à sa pratique chirurgicale, il reprend ses recherches expérimentales qu’il poursuivra sans relâche toute sa vie : d'abord dans le laboratoire du Collège de France, puis dans le laboratoire de physiologie du Val de Grâce, enfin à l'hôpital Foch de Suresnes.

Très tôt, la pathologie cardio-vasculaire devient son centre d'intérêt. À cette époque, le traitement chirurgical des cardiopathies — notamment congénitales — se heurtait à un obstacle apparemment insurmontable : la nécessité d'accéder aux cavités cardiaques pour y pratiquer une chirurgie « à cœur ouvert ». Ce défi suscitait de nombreuses recherches et, dans cette perspective, Jean Kunlin conçoit un cœur-poumon artificiel grâce auquel il réussit, sous circulation extra-corporelle, à ouvrir et explorer les cavités cardiaques du chien[2].

Le premier pontage

Croquis n°1 réalisé par Jean Kunlin.

Mais sa contribution essentielle qui allait transformer profondément le traitement des maladies artérielles fut le premier pontage veineux, réalisé le à l'hôpital américain de Paris[3].

Un homme de 54 ans souffrait d'une obstruction de l'artère fĂ©morale qui entraĂ®nait des douleurs intenses et une gangrène du pied[4]. Il avait Ă©puisĂ© toutes les ressources thĂ©rapeutiques, notamment les interventions sur le système nerveux sympathique (sympathectomie lombaire et artĂ©riectomie fĂ©morale) — seule chirurgie disponible Ă  l'Ă©poque. La seule solution restait l'amputation de cuisse : le patient, soigneusement informĂ©, accepta que Jean Kunlin tente sur lui une opĂ©ration inĂ©dite. Le segment d'artère bouchĂ© fut court-circuitĂ© par une veine longue de 26 cm prĂ©levĂ©e sur la cuisse-mĂŞme du patient et branchĂ©e : en amont sur l'artère fĂ©morale Ă  la racine de cuisse, en aval sur l'artère poplitĂ©e au niveau du genou (croquis n°1 rĂ©alisĂ© par Jean Kunlin).

Croquis n°2 réalisé par Jean Kunlin.

Le résultat fut spectaculaire : la restauration du flux sanguin dans la jambe et le pied entraîna la disparition immédiate des douleurs, le réchauffement du pied et la cicatrisation rapide de l'ulcère gangréneux. Ce résultat, qui se maintint plusieurs années est d'autant plus remarquable que le matériel de clampage et de suture vasculaires disponible en 1948 apparaît aujourd'hui inadapté (croquis n°2 réalisé par Jean Kunlin).

EncouragĂ© par ce succès, Jean Kunlin rĂ©alise alors plusieurs pontages analogues et publie en 1951 17 cas dont 10 couronnĂ©s de succès[5]. Chez un des patients, la greffe se maintiendra permĂ©able plus de 28 ans. DĂ©sormais cette technique se rĂ©pand rapidement dans le monde chirurgical. Aux États-Unis, le « Kunlin's by-pass » est progressivement appliquĂ© Ă  des artères de tout calibre : Ă  l'aorte grâce aux prothèses en dacron dĂ©veloppĂ©es par Michael De Bakey puis, lorsque la circulation extra-corporelle sera mise au point, aux artères coronaires.

Jean Kunlin poursuit ses recherches en laboratoire, leur consacrant (outre son travail de chirurgien) un à deux après-midi par semaine. À partir de 1953, il travaille au Laboratoire de physiologie du Val de Grâce où il fait la connaissance de Henri Laborit. En collaboration avec ce dernier, et inspiré par ses idées sur l'hibernation artificielle, il réalise plusieurs travaux expérimentaux sur la chirurgie intra-cardiaque[6], la fibrillation cardiaque[7], le clampage de l'aorte descendante[8]. Puis il s'intéressera au traitement de l'embolie gazeuse des coronaires[9], au choc du lever de garrot[10].

La suture suspendue

Croquis n°3 réalisé par Jean Kunlin.

En 1959, il publie un premier travail expérimental sur une nouvelle méthode de suture veineuse : la suture dite « suspendue »[11]. Contrairement aux artères, les veines se prêtent mal à la suture, la zone suturée se bouchant en quelques semaines. Une étude expérimentale lui montre que l'obstruction est précédée d'un rétrécissement progressif de la zone suturée. Il attribue ce phénomène à la rétraction cicatricielle qui n'est pas contrebalancée par la faible pression régnant dans la veine.

Il a l’idĂ©e de maintenir bĂ©ante la zone de suture en la suspendant Ă  un anneau rigide coaxial Ă  la veine (croquis n°3 rĂ©alisĂ© par Jean Kunlin). Une Ă©tude expĂ©rimentale confirme la justesse de sa dĂ©marche et le conduit Ă  des applications couronnĂ©es de succès chez l'homme : trois greffes veineuses entre veine porte et veine cave (une greffe contrĂ´lĂ©e permĂ©able Ă  près de 5 mois)[12] et un remplacement de veine jugulaire interne[13].

Cette technique si efficace dans les sutures veineuses sera ensuite appliquée par Jean Kunlin aux petites artères, dont le faible calibre mettait les techniques classiques en échec. En 1962, il publie les premiers succès obtenus sur des artères de 1 à 2 mm de diamètre[14] et en 1963, il utilisera la technique de suture suspendue dans une tentative hardie de greffe entre carotide primitive et carotide intra-crânienne, en collaboration avec le neuro-chirurgien Ernest Woringer[15].

Désormais, cette technique lui permet d'étendre l'indication de pontage aux artères de la jambe dont le calibre est nettement inférieur à celui des artères fémorale ou poplitée des premiers pontages[16].

En 1963, il est nommé chef du Département de chirurgie vasculaire périphérique à l'Hôpital Foch de Suresnes. Jusqu'à sa retraite en 1972, il y disposera d'un environnement hospitalier de qualité et bénéficiera de la collaboration de jeunes chirurgiens dont certains deviendront de véritables disciples.

Ainsi, parallèlement à son activité clinique, il pourra poursuivre son travail expérimental dans le laboratoire de l'hôpital Foch qu'il fréquentera bien au-delà de sa retraite en 1972. Son élève et ami Jacques Testart se souvient de ces « jeudis après-midi où nous faisions de longs pontages veineux entre jugulaire et oreillette ou veine cave inférieure, des transpositions de valvules veineuses…»[17]

Avec son élève péruvien, Francisco Lengua, il étudie une nouvelle et paradoxale technique, l'inversion circulatoire par anastomose artério-veineuse dans le traitement des ischémies sévères sans possibilité de reconstruction artérielle directe[18]. Cette technique sera mise en œuvre chez l'homme par Lengua qui en obtiendra quelques succès[19].

Après sa retraite, Jean Kunlin est invitĂ© en 1981 et 1982 comme professeur honoraire Ă  Vienne oĂą il poursuit l'Ă©tude expĂ©rimentale de cette technique[20].

Jean Kunlin ne fut pas seulement un chirurgien accompli : opérateur soigneux et habile, expérimentateur inspiré. Tous ceux qui l'ont approché ont été frappés par sa rigueur intellectuelle, son réalisme hostile aux spéculations hasardeuses : ses idées novatrices étaient soumises à une autocritique sévère avant d'être appliquées à l'homme avec la plus grande prudence. L'acte chirurgical s'intégrait dans un traitement médical plus large qu'il prenait la peine d'expliquer longuement à ses patients. Selon Jacques Testart : « Cette grande sollicitude ne se limitait pas aux patients, elle s'étendait à tous ceux avec qui il travaillait et dont il suscitait l'affection et l'attachement. Modeste, il n'a jamais brigué d'honneur ni revendiqué de fonctions auxquelles il aurait pu avoir droit »[17].

Néanmoins, Jean Kunlin était membre de nombreuses sociétés savantes et la Société internationale de chirurgie lui décerna en 1963 le prix René-Leriche. En 1981, la ville de Paris lui remet sa médaille de vermeil.

Paradoxalement, Jean Kunlin, l’inventeur du pontage, est plus connu à l'étranger qu'en France comme l'indique la liste des sociétés savantes dont il était membre.

Liste des sociétés savantes

Le docteur Jean Kunlin était membre des sociétés suivantes :

  • SociĂ©tĂ© française de chirurgie ;
  • SociĂ©tĂ© française de phlĂ©bologie ;
  • SociĂ©tĂ© française de cardiologie ;
  • SociĂ©tĂ© internationale de chirurgie ;
  • SociĂ©tĂ© europĂ©enne de chirurgie cardio-vasculaire.

Le docteur Jean Kunlin était membre honoraire des sociétés suivantes :

  • SociĂ©tĂ© de chirurgie vasculaire de Grande-Bretagne et d’Irlande ;
  • SociĂ©tĂ© allemande d’angĂ©iologie ;
  • SociĂ©tĂ© allemande de chirurgie vasculaire ;
  • SociĂ©tĂ© autrichienne d’angĂ©iologie ;
  • SociĂ©tĂ© suisse d’angĂ©iologie ;
  • SociĂ©tĂ© amĂ©ricaine de chirurgie vasculaire.

Notes et références

  1. Jean Kunlin, Contribution à l'étude de l'ulcère peptique expérimental, Strasbourg, Thèse de Doctorat en Médecine,
  2. Jean Kunlin, Expériences de perfusions supradiaphragmatiques et de circulation extracorporelle totale chez le chien en vue de la chirurgie intracardiaque (au moyen d'un cœur et d'un poumon artificiels), Revue de Chirurgie 71, , p. 237-264
  3. RenĂ© Leriche et Jean Kunlin, PossibilitĂ© de greffe veineuse de grande dimension (15 Ă  47 cm) dans les thromboses artĂ©rielles Ă©tendues, C. R. AcadĂ©mie des Sciences 227, , p. 939-940
  4. (en) Jeffrey Norton, Philip S. Barie, Ralph R. Bollinger et Alfred E. Chang, Surgery : Basic Science and Clinical Evidence, New York, NY, Springer Science & Business Media, (ISBN 978-0-387-68113-9, lire en ligne)
  5. Jean Kunlin, Le traitement de l'ischémie artéritique par la greffe veineuse longue, Revue de Chirurgie 70, , p. 206-235
  6. Jean Kunlin, Charles Jaulmes et Henri Laborit, Essais de chirurgie intracardiaque expérimentale exsangue sous hibernation artificielle, Mémoires de l'Académie de Chirurgie 79, , p. 664-670
  7. Jean Kunlin et J.M. Melon, Etude de la fibrillation et des moyens de défibrillation du cœur chez le chien hiberné artificiellement (méthode de Laborit) et soumis à l'arrêt circulatoire et à la ventriculotomie, La Presse Médicale 46, , p. 1063-1066
  8. Jean Kunlin et Henri Laborit, Le clampage de l'aorte thoracique descendante. Indications en chirurgie cardiaque expérimentale chez le chien hiberné. Applications humaines possibles, Mémoires de l'Académie de Chirurgie 82, , p. 926
  9. Jean Kunlin, S. Richard et A.C. Bénitte, Essais favorables de réanimation cardiaque après embolie gazeuse coronarienne expérimentale, C. R. Société de Biologie 152, , p. 1687
  10. M. Stupfel, Jean Kunlin, S. Richard, J.P. Geloso et P. Volfin, Modifications respiratoires et métaboliques au cours du choc expérimental par garrot chez le chien, 1959, Journal de Physiologie 51, p. 21-37
  11. Jean Kunlin, A.C. Bénitte, S. Richard et B. Adam, Sur une nouvelle méthode de suture veineuse, Revue de Pathologie Générale et de Physiologie Clinique 59, , p. 1061-1064
  12. E. Forster, Jean Kunlin, R. Schnoebelen, J. Coblentz et J. Muller, Anastomose porto-cave par greffe veineuse avec suture suspendue à des anneaux, Mémoires de l'Académie de Chirurgie 87, , p. 797-801
  13. G. Barthelmé, Jean Kunlin, J. Jeney et F. Lengua, Greffe de la veine jugulaire interne par suture suspendue après curage ganglionnaire cervical complémentaire chez un malade ayant déjà subi la résection de la veine jugulaire opposée, Annales d'Oto-Laryngologie et de Chirurgie de la Face 80, , p. 103-105
  14. Jean Kunlin, F. Lengua et S. Richard, Anastomoses et greffes d'artères de petit calibre (entre 1 et 2 millimètres) par la technique de la suspension de la suture à un anneau, C. R. Société de Biologie 156, , p. 288-289
  15. E. Woringer et Jean Kunlin, Anastomose entre la carotide primitive et la carotide intra-cranienne ou la sylvienne par greffe selon la technique de la suture suspendue, Neuro-Chirurgie 9, , p. 181-188
  16. (en) Jean Kunlin, Long-term results of restorative arterial surgery for arteritis obliterans... Attempts to graft on the tibial arteries with suspended suture, Journal of Cardiovascular Surgery 5, , p. 568-570
  17. Jacques Testart, Jean Kunlin - 1904-1991. Allocution présidentielle prononcée à la Réunion Annuelle de la Société de Chirurgie Vasculaire de Langue Française, Deauville, France, Annales de Chirurgie Vasculaire - Vol. 9, supplément,
  18. Jean Kunlin et F. Lengua, Nouveaux documents expérimentaux sur l'inversion circulatoire par fistule artério-veineuse dans l'ischémie du membre, Journal des Maladies Vasculaires 8, , p. 287-292
  19. (en) F. Lengua, J.M. Nuss, R. Lechner et Jean Kunlin, Arterialization of the venous network of the foot through a bypass in severe arteriopathic ischemia, Journal of Cardiovascular Surgery 25, , p. 357-360
  20. (en) R. Gottlob, Jean Kunlin, F. Lengua, B. El Nashef and T. Neubauer, Arteriovenous flow reversal, experimental investigations, Z. exp. Chir. Transplant. kĂĽnstl. Organe 18, , p. 341-352

Bibliographie

  • Jean Kunlin, « Histoire du pontage vasculaire », dans AngĂ©iologie, 42, 1990.
  • J.C. Dos Santos, « Sur la dĂ©sobstruction des thromboses artĂ©rielles anciennes », dans MĂ©moires AcadĂ©mie de Chirurgie, 73, 409, 1947.
  • (de), R. May, « Der erste Bypass », dans Aktuelle Chirurgie, vol. 5, .
  • Christian Wolff, « Kunlin, Jean », dans Patrick Cabanel et AndrĂ© EncrevĂ©, Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 Ă  nos jours, t. 3 H-L, Paris, Les Éditions de Paris / Max Chaleil, (ISBN 9782846213332), p. 529

Hommages

  • France : Jacques Testart, Annales de Chirurgie Vasculaire, vol. 9, 1995 (Version anglaise dans Ann. Vascular Surgery 9 – SupplĂ©ment 1995).
  • France : François Bacourt, American Hospital Express, no 11, 2005.
  • Allemagne :  prof. Hans Hess, European Journal of Vascular Surgery, no 6, pp. 442-443, 1992.
  • Autriche : prof. Helmuth Denck, Angio, no 6, .
  • PĂ©rou : dr. Francisco Lengua, Boletin del Colegio MĂ©dico del PerĂą, no 3, 1992.
  • Suisse : prof. Urs Brunner, Angio Archiv, vol. 23, 1992.
  • États-Unis : prof. Michael D. De Bakey, Journal of Cardiovascular Surgery, no 33, 1992.

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