Injure et outrage en droit français
Une injure est une parole offensante adressĂ©e dĂ©libĂ©rĂ©ment Ă une personne dans le but de la blesser moralement[1], en cherchant Ă l'atteindre dans son estime de soi, son honneur ou sa dignitĂ©. Une insulte, quasi synonyme d'injure, est cependant considĂ©rĂ©e comme une injure moins grave. Une injure grave est un outrage. Ă certaines Ă©poques ou dans certaines rĂ©gions du monde lĂ oĂč les pouvoirs politiques et religieux sont ou Ă©taient entremmĂȘlĂ©s, l'injure et le blasphĂšme Ă©taient ou sont encore plus ou moins confusĂ©ment liĂ©s (par exemple en France du Moyen Ăge Ă la RĂ©volution française, le roi Ă©tait aussi de droit divin et l'insulte au roi Ă©tait donc proche du blasphĂšme[2]). Le caractĂšre privĂ© ou public de l'injure ou de l'outrage a aussi une importance dans la gravitĂ© associĂ©e Ă l'acte d'injurier[3] - [4] - [5]. La fonction de la personne injuriĂ©e ou outragĂ©e a une importance juridique et symbolique, dans le cas par exemple de l'outrage Ă magistrat, outrage au chef de l'Ătat[6], etc. Ces notions ont des racines anciennes remontant au moins au droit grec et romain[7].
L'injure et l'outrage dans le droit français
En France, selon l'article 29 de la loi du sur la liberté de la presse[8], « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. » C'est ce dernier point, l'absence d'imputation de fait précis qui fait la différence, parfois difficile à apprécier, entre l'injure et la diffamation.
L'outrage est au delà des limites accordée à la liberté d'expression[9] - [10], mais la notion d'outrage est en partie subjective et parfois d'appréciation difficile car les limites entre le droit de critique et l'injure ou l'outrage sont parfois floues [11].
RĂ©gime de l'injure
Comme la diffamation, l'injure peut constituer un dĂ©lit ou une contravention selon les conditions dans lesquelles elle est profĂ©rĂ©e, et peut ĂȘtre passible de peine de prison ou d'amende. En particulier, la gravitĂ© des sanctions varie selon qu'elle est publique ou non, qu'elle est ou non prĂ©cĂ©dĂ©e de provocations de la part de la personne injuriĂ©e, et selon la qualitĂ© de la personne Ă laquelle elle s'adresse selon qu'il s'agit d'un particulier, d'un fonctionnaire public ou d'une institution, par exemple. L'injure crĂ©e automatiquement un prĂ©judice Ă l'encontre de la personne injuriĂ©e, cependant son montant est souvent difficile Ă Ă©valuer. Une injure publique est rĂ©primĂ©e par la loi de 1881 (article 33), qui la punit d'une amende, aujourd'hui de 12 000 euros. Le code pĂ©nal (article R.621-2) fait de l'injure non publique une contravention de la 1re classe, soumise Ă une amende de 38 euros[12].
Les injures et diffamations publiques sont normalement prescrites aprĂšs trois mois. La loi Perben II du [13] a portĂ© ce dĂ©lai Ă un an dans le cas oĂč la diffamation ou l'injure ont Ă©tĂ© profĂ©rĂ©es en raison de l'ethnie, de la nation, de la race ou de la religion.
Exemples de condamnations pour injure
En 1992, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a qualifié d'injure le jeu de mots fait par Jean-Marie Le Pen ajoutant au nom du ministre Michel Durafour l'épithÚte « crématoire »[14].
Il a été considéré que le fait de vendre sur Internet des t-shirts sur lesquels étaient inscrits des propos homophobes constituait une injure publique à l'encontre des personnes homosexuelles[15].
Le moteur de recherche Google, suggĂ©rant des requĂȘtes de recherche au fur et Ă mesure de la frappe (pratique trĂšs utilisĂ©e qui relĂšve de la production participative ou crowdsourcing) a Ă©tĂ© condamnĂ©e pour avoir suggĂ©rĂ© d'associer le mot « escroc » au nom d'une entreprise, ce qui a constituĂ© selon la Cour d'Appel une injure publique[16].
Une salariée licenciée a été condamnée pour injure aprÚs avoir qualifié son ancienne entreprise d'association de malfaiteurs sur son blog[17].
Le chanteur Orelsan a d'abord été condamné pour injures et incitation à la violence envers les femmes en [18] mais a été relaxé par la cour d'appel de Versailles le [19].
Outrage
Lorsqu'elle est profĂ©rĂ©e de maniĂšre non publique Ă l'Ă©gard d'une personne chargĂ©e d'une mission de service public, l'insulte prend le nom d'outrage. Le code pĂ©nal punit l'outrage[20] en y incluant « les paroles, gestes ou menaces, les Ă©crits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressĂ©s Ă une personne chargĂ©e d'une mission de service public, dans l'exercice ou Ă l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature Ă porter atteinte Ă sa dignitĂ© ou au respect dĂ» Ă la fonction dont elle est investie ». De tels faits via un forum Internet, mĂȘme peu frĂ©quentĂ©, sont considĂ©rĂ©s comme publics, donc soumis Ă la loi sur la libertĂ© de la presse[21]. Cependant, l'article 434-24 prĂ©voit que lorsque « l'outrage a lieu Ă l'audience d'une cour, d'un tribunal ou d'une formation juridictionnelle », la peine encourue est plus sĂ©vĂšre.
La loi sur la libertĂ© de la presse rĂ©prime aussi l'outrage commis contre les ambassadeurs ou agents diplomatiques Ă©trangers. L'outrage s'appliquait autrefois Ă la religion ainsi qu'Ă la morale publique et aux bonnes mĆurs (loi du ), fondement de la condamnation de Baudelaire en 1857. L'outrage public Ă la pudeur a disparu au profit d'une description plus concrĂšte des faits incriminĂ©s[22]. La France[23], comme l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne, rĂ©prime l'outrage au drapeau[24], qui a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© inconstitutionnel aux Ătats-Unis par la Cour suprĂȘme. Dans les mĂȘmes conditions, l'outrage public Ă l'hymne national, au cours d'une manifestation organisĂ©e ou rĂ©glementĂ©e par les autoritĂ©s publiques, est rĂ©primĂ© par la loi française.
Notes et références
- Palmer, V. V. (2015). Dommages Moraux: LâĂveil Français au 19e SiĂšcle (Moral Damages: The French Awakening in the 19th Century). RIDC, 1-2015.(lien)
- Hoareau-Dodinau, J. (2002). Dieu et le roi: la répression du blasphÚme et de l'injure du roi à la fin du moyen ùge (Vol. 8). Presses Universitaires de Limoges et du Limousin.)
- BEAUMATIN, E. (2008). Le trait âprivĂ©â/âpublicâ en matiĂšre dâinjure et de dĂ©lits connexes : Remarques linguistiques sur une distinction. Outrages, insultes, blasphĂšmes et injures: Violences du langage et polices du discours, 71.
- Beaumatin E.(2008) Le trait âprivĂ©â/âpublicâ en matiĂšre dâinjure et de dĂ©lits connexes: remarques linguistiques sur une distinction en droit français. Outrages, insultes, blasphĂšmes: violences du langage et polices du discours, 71-90.
- Oger C (2012) La conflictualitĂ© en discours: le recours Ă lâinjure dans les arĂšnes publiques. Argumentation et Analyse du Discours, (8).
- Georgel J (1976) Un siĂšcle d'offenses au Chef de l'Ătat français. La Revue administrative, 29(171), 253-267.
- Heurteau A (1881) De injuris et famosis libellis: droit romain; De la diffamation, de l'injure, de l'outrage et de l'offense: droit français (ThÚse de doctorat, Pichon et Cotillon).
- Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, version consolidée (Legifrance).
- Garibian, S. (2006). Pour une lecture juridique des quatre lois « mémorielles ». Esprit, (2), 158-173.
- Ravaz, B. (2012). La ResponsabilitĂ© de la Presse et la Protection de lâHonneur des Personnes.
- Tillement, G. (1991). Le droit de critique et le droit pénal (Doctoral dissertation, Nancy 2) (résumé)
- Voir l'article R.621-2 du code pénal, ainsi que le barÚme des contraventions à l'article 131-13.
- Loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
- ArrĂȘt du 20 octobre 1992.
- TGI Paris, 5 février 2007, Sos Homophobie, PSG / Vincent Q.
- Cour d'Appel de Paris, 14 décembre 2011. L'affaire souligne en outre les dangers de la production participative au regard de la protection des données personnelles que gÚre la CNIL
- TGI Paris, 16 octobre 2006, Nissan Europe et autres / Stéphanie G.
- Orelsan condamné : «Une avancée historique», Le Figaro, 31 mai 2013
- « Provocation à la violence : le rappeur Orelsan relaxé », sur Le Figaro, (consulté le ).
- Code pénal, art. 433-5 et suivants.
- Exemple : cour dâappel de Douai, 4e chambre des appels correctionnels, arrĂȘt du 5 avril 2006.
- On parlera d'exhibition sexuelle (article 222-32 du code pénal).
- Article 433-5-1 du code pénal
- Voir une étude du ministÚre de la justice français : L'outrage au drapeau.
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- Bilger, P. (1991). AbrĂ©gĂ© du droit de la presse (Vol. 7). Ăditions du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes.
- Dareau F (1776) Traité des injures dans l'ordre judiciaire: ouvrage qui renferme particuliÚrement la jurisprudence du petit-criminel. Prault.
- Guilhaumou, J. (2009). , Outrages, insultes, blasphĂšmes et injures: violences du langage et polices du discours Mots. Les langages du politique, Ăric Desmons, Marie-Anne Paveau Ă©d. (89), 139-141.
- Guillot, M. N., & Lagorgette, D. (2010). Les Insultes en français : de la recherche fondamentale à ses applications (linguistique, littérature, histoire, droit). Journal of French Language Studies, 20(3), 344 (résumé).
- Hammer, F. (2009). Cherchez lâinsulte! Trouvez lâoutrage! Une approche du champ vexatoire. Les insultes en français : de la recherche fondamentale Ă ses applications (linguistique, littĂ©rature, histoire, droit), 171-180.
- Lagorgette, D. (2012). Insulte, injure et diffamation: de la linguistique au code pénal?. Argumentation et Analyse du Discours, (8).
- Le Pourhiet, A. M. (2015). Le droit français est-il Charlie?. Le Débat, (3), 21-35 ([Le Pourhiet, A. M. (2015). Le droit français est-il Charlie?. Le Débat, (3), 21-35. lien]).
- Oger C (2012) La conflictualitĂ© en discours: le recours Ă lâinjure dans les arĂšnes publiques. Argumentation et Analyse du Discours, (8).
- Totti, J. (1893). Droit romain, De l'injure: Droit français, De la prescription de l'action publique... Chevalier-Marescq.