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Ika Hügel-Marshall

Erika "Ika" Hügel-Marshall est une écrivaine et militante afro-allemande, née le en Bavière (Allemagne de l'Ouest) et morte le 21 avril 2022. Elle est connue pour son militantisme au sein de l'organisation afroféministe allemande ADEFRA (Afro-Deutsche Frauen).

Ika Hügel-Marshall
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Biographie
Naissance
Décès
(à 75 ans)
Berlin
Nationalité
Activités
Conjoint

Le racisme de la société allemande qu'elle subit dans son enfance, alors qu'elle est orpheline, est à l'origine de son engagement militant qui débute dans les années 1980. Sa vie de militante féministe et antiraciste est racontée dans son autobiographie Daheim unterwegs. Ein deutsches Leben, publiée en Anglais sous le titre Invisible Woman: Growing up Black in Germany ( Femme invisible : grandir en tant que noire en Allemagne).

Erika Hügel-Marshall y aborde le sujet du racisme en Allemagne et sa recherche d'une identité familiale. Ses écrits portent l'influence de son amie Audre Lorde, activiste afro-américaine avec qui elle a eu l'occasion de travailler et qu'elle admire[1].

Elle est en couple avec la militante féministe et réalisatrice allemande Dagmar Schultz.

Biographie

Enfance à l'orphelinat et racisme

Erika Hügel-Marshall naît le 13 mars 1947[2] d'une mère bavaroise blanche et d'un père soldat afro-américain, Eddie Marshall[2], rentré aux États-Unis avant sa naissance[3]et qu'elle ne rencontrera qu'à l'âge de 46 ans. Ses parents se sont rencontrés juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, après un assouplissement des lois interdisant au personnel militaire d'interagir avec les civils[2]. Selon elle, les soldats noirs traitaient bien les enfants allemands indigènes, distribuant de la nourriture et des vêtements[2], mais ses parents se rencontraient généralement en secret en raison de remarques racistes. En novembre 1946, à la suite d'une maladie, son père retourne aux États-Unis. À ce moment-là, ils savent tous deux que sa mère est enceinte, mais elle ignore son départ[2]. Un an après la naissance d'Ika, sa mère épouse un Allemand et une demi-sœur naît l'année suivante. Sa mère et sa grand-mère l'aiment et la traitent comme n'importe quel autre enfant malgré la désapprobation sociale. Elle est proche de sa demi-sœur, mais pas de son beau-père[2].

Malgré les souvenirs d'une enfance agréable, Hügel-Marshall est stigmatisée à cause de sa couleur de peau[3]. En grandissant, elle fait face à un racisme constant et est décrite par la communauté locale comme une Negermischling, Mischling étant le terme utilisé par les nazis pour désigner les enfants « mixtes » (nés d'un parent juif et d'un parent non juif)[4].

Quand elle entre à l'école en 1952, les services sociaux forcent sa mère à l'envoyer à l'orphelinat La Maison des Enfants de la Petite Cabane de Dieu. En effet, jusqu'en 1970 en Allemagne, les enfants dits «illégitimes» sont considérés comme pupilles de l'Etat, qui devient ainsi responsable de leur éducation[5].

À l'âge de 10 ans, elle entre à l'orphelinat sous la promesse d'un séjour temporaire de 6 semaines. Elle y resta pourtant jusqu'à la fin de son enfance[2]. Elle y subit des violences psychologiques et physiques de la part d'adultes et d'enfants : Par exemple, il lui est interdit de pleurer l'absence de sa mère, elle est gavée de son propre vomi et subit un exorcisme au cours duquel elle doit répéter des phrases telles que «Satan, je t'ai chassé» et «Seigneur Jésus, purifie mon âme noire» tout en ayant les yeux bandés[2]. Elle est également enfermée dans une pièce sombre.

À cette époque de son enfance, elle n'a « de plus grand désir que d'être blanche » et est « criblée de culpabilité » parce qu'elle est noire, ce qui d'après les religieuses placerait le péché dans son âme[2]. Lorsqu'elle est autorisée à passer les vacances d'été auprès de sa famille, elle n'ose leur faire part de ces terribles expériences[2].

Hügel-Marshall réussit bien à l'école, terminant souvent en tête de classe. Elle apprend à nager par elle-même[2]. Elle est cependant toujours traitée avec condescendance par les religieuses, qui déclarent notamment : «Nous n'attendions jamais grand-chose de vous»[4]. Ses enseignants lui répètent qu'elle ne représentera jamais rien, qu'elle mènera une vie de débauche, aura des enfants hors mariage, deviendra alcoolique, et ne trouvera pas meilleur emploi que la garde d'enfants. Malgré ses demandes répétés pour intégrer une école qui lui permettrait d'accéder à des études supérieures et ainsi devenir enseignante, elle est transférée dans un pensionnat où elle est formée pour s'occuper de jeunes enfants[6]. Après deux ans de formation, elle ne trouve pas d'emploi, bien que sa colocataire blanche ait immédiatement trouvé un poste.

Vie privée

À Francfort, elle rencontre et épouse un Allemand blanc nommé Alexander. Sa famille et celle de son époux assistent au mariage, mais plusieurs incidents illustrent une fois de plus son invisibilité au sein de la société allemande. Quand elle et Alexandre vont chercher leur licence de mariage, l'officier d'état civil salue Alexandre, note son nom, puis demande « Où est la mariée ? ». Alors qu'ils descendent les marches du palais de justice après leur mariage, un passant offre ses félicitations de mariage à la demoiselle d'honneur. Elle ignore les incidents, même si elle remarque : « je suis troublée par ce besoin continu de signaler aux autres que c'est moi qui me marie ». Ils divorcent six ans plus tard[2].

Ika Hügel-Marshall est depuis la conjointe de Dagmar Schultz, féministe, sociologue et réalisatrice avec qui elle milite.

Recherche de son père

En 1965, elle tente de retrouver son père et lui écrit une lettre expliquant sa situation, mais la lettre est retournée marquée de l'inscription « adresse insuffisante »[2]. Elle n'abandonne pas l'espoir de le retrouver et quand, en 1990, elle déménage à Berlin, elle a rencontré des gens qui lui offrent de l'aider à retrouver son père et ce côté de sa famille. En 1993, à l'âge de 46 ans, elle rencontre finalement son père et sa famille américaine à Chicago, où elle est accueillie et acceptée comme une égale[7]. Hügel-Marshall a dit plus tard « voici la fin de mon voyage », ajoutant « je savais que ma survie dans une société raciste blanche n'était pas pour rien »[2]. Son père meurt l'année suivante[4].

Activisme

Formation et modernisation d'un orphelinat

Hügel-Marshall poursuit ses études et obtient une licence en éducation et protection de l'enfance. Dans les années 1980 elle trouve du travail dans une maison pour enfants à Francfort-sur-le-Main, où elle demeure pendant douze ans. La maison ressemble plus à un centre de détention qu'à une école, lui rappelant l'orphelinat dégradant de son enfance. En collaboration avec les autres enseignants et face à l'opposition de la direction de l'école, elle fait des changements substantiels et impulse sa modernisation. Tout en y travaillant, elle a terminé un diplôme en travail social et en pédagogie[2].

Hügel-Marshall enseigne les études de genre et le suivi psychologique à Berlin, après avoir obtenu un diplôme en pédagogie sociale[2]. Elle travaille comme psychothérapeute et est également une artiste qui se spécialise dans les dessins de couleur et la sculpture sur bois. Elle réside avec sa conjointe, Dagmar Schultz. Hügel-Marshall a également publié de nombreux articles.

Elle meurt inopinément le 21 avril 2022, âgée de 74 ans.

Intégration à l'ADEFRA : Les « femmes afro-allemandes »

Au cours de la décennie 1980 Hügel-Marshall devient active dans le mouvement des droits des femmes à Francfort. Cependant, même parmi ses collègues militantes féministes, elle se sent isolée, car elle est la seule femme noire. Elle n'a jamais rencontré un autre Allemand noir et, de ses années passées au foyer pour enfants, elle a appris à considérer les Noirs, y compris elle-même, comme inférieurs et immoraux. Des années plus tard, elle déclare que « la chose la plus désastreuse que j'ai apprise à la maison était la haine de soi »[2].

En 1986, elle assiste à une réunion d'Afro-Allemands de l'ADEFRA, abréviation de afrodeutsche Frauen (femmes afro-allemandes)[8]. Elle a 39 ans et c'est la première fois qu'elle voit « un visage noir qui n'était pas le sien »[2]. Elle est touchée par le sentiment d'appartenir à une communauté et devient activiste pour la cause afro-allemande, étudiant l'histoire des Afro-Allemands et affirmant leur légitimité dans une société qui supposent toujours que les Allemands doivent être blancs[2].

Elle utilise la littérature et les médias pour attirer l'attention sur le statut des Afro-Allemands comme « statistiquement invisibles et pourtant inconfortablement voyants »[9]. Elle et d'autres personnes germanophones noires n'étaient généralement pas acceptées comme allemands en raison de leur couleur de peau.

Le mouvement afro-allemand, fondé en même temps que l'Initiative des Allemands noirs (Initiative Schwarze Deutsche), a utilisé la construction communautaire « pour résister à la marginalisation et à la discrimination, pour gagner l'acceptation sociale et pour se construire une identité culturelle »[10].

Le travail de Hügel-Marshall a été influencé par l'activiste américaine des droits civiques Audre Lorde[11]. Lorde vivait en Allemagne quand l'ADEFRA a été fondée et a encouragé les Afro-Allemands à se réunir et à discuter de leurs vies. Elle les a encouragés à écrire leurs autobiographies, ce que fit Hügel-Marshall. Elle et Lorde se sont rencontrées pour la première fois en 1987. Hügel-Marshall avait lu le travail de Lorde et était excitée à l'idée de la rencontrer[2]. En 2012, elle a assisté au festival culturel Audre Lorde Legacy à Chicago avec sa conjointe cinéaste Dagmar Schultz. Au festival, était présenté le documentaire Audre Lorde: The Berlin Years 1984 to 1992 dont elle a co-écrit le script[12].

Autobiographie

En 1998, Hügel-Marshall publie son autobiographie, Daheim unterwegs: Ein deutsches Leben[13], relatant son expérience en tant que femme noire en Allemagne. Daheim signifie « à la maison » tandis que unterwegs signifie « en route » ou « en transit » ; la combinaison est un oxymore délibéré suggérant à quelqu'un qui cherche une maison dans son propre pays[3]. La traduction anglaise du livre, publiée en 2001 par Continuum International Publishers, est intitulée Invisible Woman : Growing Up Black en Allemagne. Une version anglaise annotée a été publiée par Peter Lang Publishing en 2008. Le livre explore la relation avec son père et avec l'Allemagne et décrit la recherche de son identité[14].

Le livre a remporté le prix littéraire Audre Lorde et a été lu par Hügel-Marshall lors d'événements publics en Allemagne, en Autriche et aux États-Unis[2]. Il a été décrit comme « un voyage intensément émouvant à la recherche d'elle-même [...] une histoire personnelle, mais aussi un microcosme du racisme dans l'Allemagne contemporaine »[4] et « à bien des égards, paradigmatique pour l'expérience noir-allemande »[10].

En 2007, elle a donné une lecture et un séminaire sur le livre à l' Université de Rochester [15]. En 2012, elle a donné une lecture publique au Festival annuel du film de Berlin et au-delà de l'Institut Goethe[16].

Références

  1. « Remember the Ladies: Dagmar Schultz | Stumbling Toward Enlightenment »
  2. Hügel-Marshall, Ika, 1947-, Invisible woman : growing up black in Germany, Continuum, (ISBN 0-8264-1294-7 et 978-0-8264-1294-2, OCLC 44732241, lire en ligne)
  3. Wright, Michelle M., 1968-, Becoming Black : creating identity in the African diaspora, Duke University Press, (ISBN 978-0-8223-8586-8 et 0-8223-8586-4, OCLC 654494268, lire en ligne)
  4. Kaplan, Marion, « Rev. of Hügel-Marshall, Gaffney: Invisible Woman: Growing up Black in Germany. », Central European History. 36 (2), , p. 316 (doi:10.1017/s0008938900006890. JSTOR 4547317)
  5. (de) « Ika Hügel-Marshall - Ein afrodeutsches Leben in der Nachkriegszeit », sur Deutschlandfunk Kultur (consulté le )
  6. Fehrenbach, Heide., Race after Hitler : Black occupation children in postwar Germany and America, Princeton University Press, (ISBN 0-691-11906-6 et 978-0-691-11906-9, OCLC 56686508, lire en ligne)
  7. « Stench from Windy City », Social Work, (ISSN 1545-6846, DOI 10.1093/sw/13.4.104, lire en ligne, consulté le )
  8. « Über Uns », Generation Adefra (consulté le )
  9. Lucy Bland, « British women meet black GIs », dans Britain’s ‘brown babies’, Manchester University Press, (ISBN 978-1-5261-5405-7, lire en ligne)
  10. Deborah Janson, « The Subject in Black and White: Afro-German Identity Formation in Ika Hügel-Marshall's Autobiography Daheim unterwegs: Ein deutsches Leben », Women in German Yearbook: Feminist Studies in German Literature & Culture, vol. 21, no 1, , p. 62–84 (ISSN 1940-512X, DOI 10.1353/wgy.2005.0012, lire en ligne, consulté le )
  11. Gerund, Katharina., Transatlantic Cultural Exchange : African American Women's Art and Activism in West Germany., Transcript, (ISBN 978-3-8394-2273-1 et 3-8394-2273-6, OCLC 902420758, lire en ligne)
  12. (en) « Film Team », sur audrelorde-theberlinyears.com (consulté le )
  13. Heffernan, Valerie. et Obradovic, Dragana., Transitions : Emerging Women Writers in German-language Literature., Editions Rodopi, (ISBN 978-94-012-0948-9 et 94-012-0948-0, OCLC 858764920, lire en ligne)
  14. Mazón, Patricia M.,, Steingröver, Reinhild, et Berman, Russell A., 1950-, Not so plain as black and white : Afro-German culture and history, 1890-2000 (ISBN 978-1-58046-678-3 et 1-58046-678-8, OCLC 946346693, lire en ligne)
  15. « EVENT: Program by Ika Hügel-Marshall, author of Invisible Woman: Growing Up Black in Germany », University of Rochester, (consulté le )
  16. « Brats and Brews for Berlin & Beyond Film Festival », KQED, (lire en ligne, consulté le )
(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Ika Hügel-Marshall » (voir la liste des auteurs).

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