Accueil🇫🇷Chercher

Hypothèse de l'exploration inca de l'océan Pacifique

Une expédition maritime dirigée par le souverain inca Tupac Yupanqui est rapportée par plusieurs historiens espagnols de la fin du XVIe siècle. En 2006, l’historien péruvien José Antonio del Busto Duthurburu (en)[1] fait de cette expédition précolombienne à bord de radeaux une véritable exploration de l'océan Pacifique, en émettant l’hypothèse qu’elle aurait pu conduire les incas jusqu’en Polynésie, à Mangareva et à l’île de Pâques. Il se fonde notamment sur les travaux de Thor Heyerdahl, le célèbre et controversé[2] ethnographe norvégien qui s’est attaché toute sa vie à démontrer que le peuplement de la Polynésie pouvait avoir une origine américaine précolombienne. Il est désormais établi que l’essentiel du peuplement de la Polynésie est d’origine austronésienne et que des échanges ponctuels entre les deux populations polynésienne et précolombienne ont bien eu lieu. Alors que l’existence de ces échanges était supposée de longue date en raison de la présence et de la terminologie communes de la patate douce en Polynésie et en Amérique, des recherches génétiques récentes établissent qu’un métissage limité des deux populations s’est produit au XIIIe siècle[3] - [4]. Bien qu’on ignore encore les circonstances de ces contacts, les partisans de l’historien péruvien font de ces résultats un argument supplémentaire en faveur de leur hypothèse.

Récits originels

A l’origine de cette hypothèse, plusieurs récits distincts de lettrés espagnols datant de la fin du 16ème au début du 17ème siècle rapportent l'histoire du voyage de l’inca Tupac Yupanqui dans deux îles de l'océan Pacifique, dénommées Avachumbi (Haguachumbi ou Hahua Chumpi selon les sources) et Ninachumbi.

Pedro Sarmiento de Gamboa dans « la historia de los incas », 1572[5]

L’ouvrage « la historia de los incas » est une commande de Francisco de Toledo, vice-roi du Pérou de 1569 à 1581. Son intention est de justifier le jouc espagnol en démontrant que les Incas avaient exercé sur leurs peuples un pouvoir bien plus tyrannique. Il en confia la rédaction à Pedro Sarmiento de Gamboa, explorateur de retour d’une expédition dans le Pacifique à la recherche de la Terra australis et qui le conduisit à la découverte des îles Salomon, également connu pour avoir rédigé des traités sur la navigation, l'artillerie, ou les fortifications. Au fur et à mesure des visites du vice-roi dans ses provinces, Sarmiento recueille les témoignages des notables incas chargés d’entretenir la mémoire des événements de leurs ancêtres. Faute d’écriture, ces historiens autochtones ont recours à la répétition des récits de génération en génération et aux quipus[6]. L’épisode du voyage de l'Inca figure au chapitre n°46 de l'ouvrage intitullé « Tupac Inca Yupanqui se lance, une seconde fois, sur ordre de son père, à la conquête de ce qui restait insoumis en Chinchay-Suyu » :

« Et comme Topa Yupanqui partit conquérir la côte de Manabí, et l'île de Puná, et Túmbez, il arriva des marchands qui étaient venus par mer de l'ouest sur des radeaux, naviguant à la voile. De ceux-ci, il s'informa des pays d'où ils étaient venus, qui étaient des îles, l'une appelée Avachumbi et l'autre Ninachumbi, où il y avait beaucoup de monde et beaucoup d'or. Et comme Topa Inga était hautain d'esprit et de pensée, et ne se contentait pas de ce qu'il avait conquis sur terre, il décida de tenter cette heureuse aventure à travers les mers. Mais il ne croyait pas volontiers les marins marchands, car il disait : "Les Capacs (seigneurs) ne doivent pas faire confiance aux marchands, car ce sont des gens qui parlent beaucoup." Et pour se renseigner davantage, et comme c'était une affaire sur laquelle il pouvait ne s'informer nulle part, il appela à lui un homme qu'il avait emmené avec lui lors de la conquête, nommé Antarqui, que tous prétendaient être un grand nécromancien, si grand qu'il pouvait même voler dans les airs. Topa Inga lui a demandé si ce que les marins marchands racontaient à propos des îles était vrai. Antarqui répondit, après avoir bien réfléchi, que ce qu'ils disaient était bien vrai, et qu'il y irait le premier. Et, dit-on, il y est allé à l'aide de ses arts, a trouvé le chemin, a vu les îles, les gens et leurs richesses, et à son retour a tout confirmé à Topa Inga. « Lui, avec cette assurance, a décidé d'y aller. Et pour cela, il fit construire une très nombreuse quantité de radeaux, sur lesquels il embarqua plus de vingt mille soldats d'élite. Et il a emmené avec lui comme capitaines Guamán Achachi, Cunti Yupanqui, Quigual Topa, (tous Hanancuzcos - c'est-à-dire de la partie supérieure de Cuzco), et Yancan Mayta, Quizo Mayta, Cachimapaca Macus Yupangui, Llimpita Usca Mayta (tous Hurincuzcos - c'est-à-dire de la partie basse de Cuzco); et il prit avec lui comme général pour toute l'armada son frère Tilca Yupanqui, et laissa Apo Yupangui avec ceux qui restaient à terre. Topa Inga a navigué, et il est allé découvrir les îles Avachumbi et Ninachumbi, et en est revenu, d'où il a ramené avec lui des Noirs et beaucoup d'or et une chaise d'airain et une peau et les mâchoires d'un cheval, ces trophées étant placé dans la forteresse de Cuzco jusqu'au temps des Espagnols. Cette peau et cette mâchoire de cheval ont été conservées par l'un des principaux Incas, qui vit aujourd'hui, et a raconté cela, et lorsque les autres ont témoigné, il était également présent, et il s'appelle Urco Guaranga. J'insiste là-dessus car cela peut sembler un cas étrange et difficile à croire pour ceux qui ont une certaine connaissance des Indes. Topa Inga a utilisé plus de neuf mois pour ce voyage, d'autres prétendant que cela a pris un an, et comme il a pris tant de temps, tout le monde l'a cru mort. »

Certains éléments limitent la portée historique du récit, qu'il s'agisse d'invraisemblance ou d'anachronisme (le cheval par exemple, qui n'est pas connu à l'époque précolombienne), de référence mythologique (le personnage d'Antarqui et sa faculté de voler dans les airs), de la motivation politique de l'ouvrage (celle du vice-roi Toledo d'influencer la mémoire inca) ou encore de la motivation personnelle même de Sarmiento (découvreur d'îles dans le Pacifique et en quête de reconnaissance). C'est toutefois le récit connu le plus complet et le plus précoce de cette aventure, que Sarmiento insiste à fonder (les reliques du voyage) et à sourcer (la caution d'Urco Guaranga). Bien qu'il soit un des meilleurs connaisseurs de la géographie de l'océan Pacifique de son époque, Sarmiento ne se risque toutefois pas à identifier les deux îles visitées par l'Inca, soit qu'il confère au récit un caractère purement légendaire, soit qu'il cherche à en tirer parti auprès des autorités pour motiver le financement d'une nouvelle expédition à la recherche de l'or des îles encore inconnues.

Miguel Cabello de Balboa dans « Miscelánea Antártica - una historia del Peru antiguo », 1586[7]

Miguel Cabello de Balboa est un ecclésiastique qui a commencé sa carrière comme militaire sur différents champs de bataille en Europe. En 1566, il entre dans les ordres et quitte l’Espagne pour l’Amérique du sud où il s’installe à Quito. Son Miscelánée est un récit divertissant du règne des Incas dans lequel se mêlent légendes, événements historiques et histoires d’amour. Il s’appuie sur des récits traditionnels recueillis à Quito auprès de notables incas, mais aussi sur les ouvrages historiques de ses prédécesseurs, y compris « la historia de los incas » de Pedro Sarmiento de Gamboa, avec lequel son ouvrage présente certaines similitudes. Le voyage de l'Inca Tupac Yupanqui figure au chapitre n°17 qui traite "de l'entrée des Yngas à Quito pour la première fois et d'un voyage que Topa Ynga fit par mer" :

« Quand l'Inga eut réglé tout ce qui était relatif au gouvernement du pays dont il venait de s'emparer, il résolut de pousser ses conquêtes dans les provinces voisines qu'il croyait aussi riches que celle de Quito. Il s'avança sur le territoire des Chimbos, et parvint, après avoir traversé des montagnes presqu'inaccessibles, sur celui des Guancavillcas. (...) Ayant appris que dans les environs il y avait un bon port où il pourrait s'embarquer et augmenter la gloire de son nom, il se porta en avant et fit camper son armée à Manta, à Charapato et à Piquaza, (...) Ce fut dans cette marche, et du haut d'une montagne, qu'il aperçut pour la première fois la mer qu'il adora et nomma Mama-Cocha, ou Mère des lacs.

Il fit réunir une grande quantité des embarcations dont se servent les naturels de ces côtes. Ce sont des espèces de radeaux fabriquées de poutres d'un bois très-léger fortement attachées et recouvertes de roseaux. Les Espagnols leur ont donné le nom de Balsas. Il fit choix des pilotes les plus expérimentés et s'embarqua à la tête de ses meilleures troupes, avec autant de courage et de liberté d'esprit que s'il eût navigué toute sa vie.

Les historiens péruviens prétendent que ce voyage dura plus d'un an, et que l'Inga découvrit dans la mer du Sud des îles qu'ils nomment Haguachumbi et Ninachumbi. Je n'oserais pourtant affirmer ce fait, ni déterminer quelles sont les îles dont il est ici question, mais les Indiens rapportent que l'Inga ramena de cette expédition un grand nombre de prisonniers dont la peau était noire, beaucoup d'or et d'argent, un trône en cuivre et des peaux d'animaux semblables aux chevaux. On ignore tout à fait dans quelle partie du Pérou ou des mers qui baignent ses côtes il aura pu trouver de semblables objets. »

Dans ce récit comme dans le précédent, l’épisode du voyage de l'Inca se situe après la conquête de Quito et avant la construction d’une forteresse à Tumbes et le retour de Tupac sur Cuzco. Seul le récit de Balboa donne des indications sur le lieu d’embarquement, du côté de Manta, là où campe l’armée inca. Le voyage de Yupanqui pourrait donc avoir été entrepris entre Manta et Tumbes, au large de la côte de Manabi et vers le golfe de Guayaquil. Il existe dans ce secteur plusieurs îles qui pourraient figurer au rang des candidates aux titres de Haguachumbi et Ninachumbi : les iles de la Plata, de Salango et de la Puna. Cette dernière se trouve être l'île où Pizarro séjourna plusieurs mois lors de sa seconde expédition. Les biographes du conquistador en font le refuge de populations développées et prospères, reliées au continent par une flottille de radeaux. On peut trouver là une motivation à l'Inca Yupanqui pour y conduire une importante expédition maritime quelques décennies plus tôt.

Martín de Murúa dans « una Historia general del Perú », vers 1610[8]

Martín de Murúa est un moine mercenaire basque qui s'est porté volontaire au début des années 1580 pour servir dans les missions du Nouveau-Monde. Au cours de ses séjours et déplacements dans les régions de Curahuasi, Cuzco, Titicaca et Arequipa, il recueille des données pour l’écriture de son « Historia general del Peru », qui est considéré comme la première histoire illustrée du Pérou. Il fut assisté, pour les illustrations comme pour les traductions du quechua, par Felipe Guamán Poma de Ayala, un noble inca, lui aussi chroniqueur, qui se montra par la suite très critique de la description que Murúa fera de l'histoire des Incas. Murúa termine probablement son ouvrage vers 1610, mais ne le publie qu’en 1616 une fois de retour en Espagne. Le récit du voyage de Tupac Yupanqui figure dans le 1er volume, à la fin du chapitre 25 intitulé « Comment Tupa Ynga Yupanqui découvrit de nombreuses mines, fit conquête jusqu'au Chili et donna des lois à leurs royaumes » :

« Pendant que ces choses se faisaient, il alla visiter les Chachapoyas et visiter quelques provinces. A cette occasion, certains anciens Indiens disent qu'il s'est embarqué sur la mer en radeaux sur l'île de Puna et s'est rendu à Manta, et de là, il a navigué pendant un an et a atteint les îles appelées Hahua Chumpi et Nina Chumpi et les a conquises. Il y amena, pour étaler son triomphe, des gens comme des noirs, une grande quantité d'or et une chaise de cuivre. Il apporta des peaux de chevaux, des têtes et des os, tout ce qu'il y avait à montrer ici, car c'était une ancienne coutume chez ces Ingas d'apporter toutes les choses voyantes qui pouvaient provoquer l'admiration et l'effroi à Cuzco, afin qu'ils puissent les voir et magnifier leurs exploits et commémorer les choses qui étaient dans les autres provinces éloignées. Il est entendu que tous ces trophées ont ensuite été brûlés par Quesques et Chalco Chuma, les capitaines d'Atahualpa, lorsqu'ils ont pris Cuzco, faisant prisonnier Huascar Inga. Là, ils ont brûlé le corps de ce Tupa Ynga Yupanqui, car aucune trace de toutes ces choses n'a été trouvée à l'arrivée des Espagnols. D'autres disent que cette conquête de ces terres et îles a été faite par Tupa Ynga Yupanqui du vivant de son père, Ynga Yupanqui, lorsqu'il est allé à Quito et l'a conquise avec ses frères. (...) De ces îles que Tupa Ynga Yupanqui a conquises dans la mer aujourd'hui, il n'y a pas de nouvelles certaines. »

Contrairement à Sarmiento et Galboa qui situent le voyage de Yupanqui après la conquête de Quito, Murúa la place à la suite de celles du Chili. Il fait néanmoins partir l’expédition maritime de l’île de Puña, puis de Manta. Compte tenu de la distance entre le Chili et l’île de Puna, on peut s’interroger sur la chronologie de Murúa . D’autant que 3 chapitres plus tôt, après l’épisode de la conquête de Quito, il site une première fois les noms de Huachumpi et de Nina Chumpi ; Sauf qu’à ce moment de son récit, ce ne sont pas encore des îles… mais des capitaines de l’armée Huancavilca ! On suppose que Murúa se sera emmêlé dans ses notes, à moins que ce ne soit ses sources qui aient déformé le récit de leurs ancêtres.

Travaux de Thor Heyerdahl

L'ethnologue et navigateur norvégien Thor Heyerdahl avait suggéré que des Sud-Américains auraient pu naviguer dans le Pacifique. À cette époque, personne n’imaginait que des hommes auraient pu traverser le Pacifique sur de simples radeaux de balsa.

Expédition du Kon-Tiki

Devant l’incrédulité générale, Thor Heyerdahl a voulu démontrer qu’une telle traversée était réalisable. Il lança ce qui allait devenir l’expédition du Kon-Tiki. Heyerdahl fit construire une réplique aussi fidèle que possible des radeaux de balsa à voiles remarqués par les premiers découvreurs espagnols en Amérique du Sud afin de démontrer la navigabilité de ces embarcations et prouver que les vents et les courants pouvaient les propulser jusqu’en Polynésie.

Parti du port de Callao au Pérou, en direction de l'ouest, le radeau de balsa, emportant un équipage de six hommes, suivit le courant de Humboldt et s'échoua sur un récif dans l'archipel des Tuamotu après avoir dérivé durant 101 jours sur une distance de 9 000 km.

L’expédition du Kon-Tiki avait donc pu démontrer qu’un simple radeau de balsa pouvait se rendre jusqu’en Polynésie, à des distances bien plus considérables que l’Île de Pâques.

Cette épopée eut un retentissement considérable et prouva la possibilité de contacts entre l'Amérique et la Polynésie. Les écrits issus de cet exploit maritime ont donné naissance à une grande quantité d'éditions dans plusieurs langues.

Cependant, si l’expédition du Kon-Tiki avait pu se rendre loin en Océanie, en partant du Pérou, et avait ainsi démontré que l'on pouvait traverser le Pacifique sur un radeau quand les vents et courants étaient favorables, ce radeau ne pouvait cependant pas revenir à son point de départ. Cela limitait les relations possibles entre la Polynésie et l’Amérique du Sud. En effet, ce radeau s’était laissé tout simplement dériver en direction de l'ouest, poussée par le vent et suivant le courant de Humboldt, et il n'aurait pu, en temps normal, rebrousser chemin.

Or, ce radeau utilisé pour l'expédition du Kon Tiki avait une faille. Heyerdahl et son équipe ne connaissaient pas l'utilisation des dérives amovibles, "las guaras", telles que conçues par les anciens navigateurs sud-américains. C'est seulement bien des années plus tard lors d'une expédition de fouilles aux îles Galápagos qu'Heyerdahl fit l'essai de ces dérives et put constater leur grande manœuvrabilité, mais il y découvrir surtout une flûte et divers objets pré-incas.

Expédition aux Galapagos

À la suite de cette expédition, Heyerdahl, plus convaincu que jamais d’une possible influence des populations sud-américaines sur les îles du Pacifique, n’en resta pas là et poursuivit ses recherches. Il n’existait à l’époque aucune preuve archéologique d’une navigation depuis les côtes sud-américaines jusqu’à des îles du Pacifique. Heyerdahl, en 1953, mena donc la première expédition archéologique aux îles Galápagos, à 900 kilomètres des côtes de l’Équateur. Il y trouva sur différents sites une importante quantité de poteries sud-américaines précolombiennes qui furent formellement identifiées par d’éminents spécialistes. Ces découvertes indiquaient que des navigateurs sud-américains auraient pu voyager dans l’océan aussi loin de leurs côtes et qu’ils auraient peut-être même fait des allers et retours réguliers jusqu’à cet endroit.

Expédition à l'île de Pâques

Par la suite, en 1955 et 1956, Heyerdahl mena une autre expédition sur l'île de Pâques avec une équipe internationale d'archéologues de Norvège, des États-Unis et du Chili. Cette expédition effectua les toutes premières fouilles scientifiques sur l'île. À la suite de la découverte de plusieurs vestiges très anciens, Heyerdahl fut convaincu que des sud-américains, dont possiblement les Incas, seraient allés jusqu’à l’île de Pâques.

Malgré de nombreuses analogies entre les monuments de l’île de Pâques et des monuments précolombiens, la thèse d’une influence sud-américaine à l’île de Pâques, entre autres incaïque, ne fut pas considérée.

Travaux de José Antonio del Busto Duthurburu

En 1942, l'historien argentin Roberto Levillier (1886-1969) publia[9] un manuscrit retrouvé à l'Archivo General de Indias à Séville. Intitulé Historia Indica, ce manuscrit du conquistador Pedro Sarmiento de Gamboa a relancé le débat sur la possible occupation de l'île de Pâques par les Incas. Ces écrits font en effet référence à une expédition menée par l’Inca Tupac Yupanqui dans les îles du Pacifique.

Pedro Sarmiento de Gamboa, l'un des éminents navigateurs scientifiques espagnols du XVIe siècle, fut le premier à mentionner, d'après des informations qu'il aurait obtenues des Incas, que Tupac Yupanqui aurait organisé une expédition maritime en direction de l'ouest et aurait découvert deux îles nommées Nina-chumpi et Hahua-chumpi[10]. Gamboa croyait aussi avoir obtenu des informations lui permettant d'établir la position approximative de ces îles. Il lui semblait que ces îles pouvaient constituer une possession valable pour les Espagnols pouvant être ajoutée à leurs conquêtes.

Après étude de ces documents, l'historien péruvien José Antonio del Busto Duthurburu (1932-2006) s’est prononcé en faveur de la possibilité d'une expédition de l’Inca Tupac Yupanqui dans l’océan Pacifique.

En effet, cette tradition orale sud-américaine rapporte que l'Inca Tupac Yupanqui se serait rendu en Océanie, au sud-ouest du Pacifique, à partir des côtes du Pérou, sur une embarcation de type sud-américaine. L’Inca Tupac Yupanqui aurait voulu étendre son empire au-delà des mers. Selon la tradition orale, il aurait quitté le Pérou à la tête d'une flotte de 400 radeaux dans un voyage maritime qui l'aurait conduit à la découverte de plusieurs îles polynésiennes.

Duthurburu explore les possibilités de l'itinéraire[11], suivi par la flotte inca qui, selon la tradition orale, aurait fait escale aux îles de Nina-chumpi et Hahua-chumpi situées à l'ouest des côtes. La première option développée par l'auteur concerne la thèse selon laquelle les Incas auraient pu naviguer dans l'océan Pacifique, près des côtes, dans la région des îles Galápagos. Dans ce cas, il serait probable qu'Isabella, la plus grande île de l'archipel des îles Galápagos, aurait été Nina-chumbi et aurait été visitée en premier.

José Antonio del Busto Duthurburu examine ensuite la deuxième possibilité : le passage de Tupac dans l'Océanie, suivant un parcours beaucoup plus long en direction de la Polynésie. Duthurburu en arrive à la conclusion que l'île de Pâques aurait été Nina-chumbi, et que Tupac Yupanqui serait arrivé en premier à Mangareva qui aurait été Hahua-chumpi.

Après avoir examiné ces deux hypothèses - celle de la navigation près des côtes et celle de l'Océanie - Del Busto déclare qu'il incline vers celle de l'Océanie, en démontrant qu'elle est la plus plausible. Il invoque plusieurs raisons, dont la tradition orale polynésienne du roi Tupa et de sa flotte, qui proviendrait d'un pays situé là où le soleil est né, et la légende d'Uho à l'île de Pâques, qui raconte l'histoire d'une femme des îles et du prince Mahauna Te Ra'a, dont le nom se traduit par « Fils du Soleil ».

Jean-Hervé Daude, examinant la particularité de la culture pascuane vis-à-vis du reste de la Polynésie considère que l'explication réside dans un contact avec la culture d'un autre peuple. La tradition orale mentionne d'ailleurs l'arrivée d'un autre peuple sur l'île de Pâques : les « Longues oreilles », qui auraient modifié la surface de l'île par l'élaboration de grands monuments de pierre.

Selon Daude, cet autre peuple serait d'origine inca et sa présence sur l'île résulterait du passage de l'Inca Tupac Yupanqui vers 1465 au cours d'une expédition maritime à des fins expansionnistes[12].

Cette deuxième colonisation aurait été constituée d'hommes plus trapus, ce qui est aussi le propre des Andins dont la cage thoracique est très développée. Le visage des statues de pierre de l'île de Pâques, appelées moai, ressemblerait au visage des Andins et une plateforme sur l'île, l'ahu Vinapu, correspondrait au mode de construction d'une chullpa du plateau andin.

La tradition orale mentionne que les « Longues oreilles » auraient finalement été exterminés par le premier peuple colonisateur, les « Courtes oreilles ».

Notes et références

  1. https://data.bnf.fr/fr/12097135/jose_antonio_del_busto_duthurburu/
  2. Raoul d' Harcourt, « "Kon Tiki ". », Journal de la société des américanistes, vol. 40, no 1, , p. 258–259 (lire en ligne, consulté le )
  3. (en) Hanae Armitage, « Polynesians, Native Americans made contact before European arrival, genetic study finds », sur Stanford Medicine News Center (consulté le )
  4. « Des croisements anciens entre Polynésiens et Amérindiens mis en évidence par la génétique », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  5. (en) Jacob P. Lundh, Galapagos, a brief history, London, United Kingdom, Charles Darwin Foundation, 1999, 2001, 161 p. (ISBN 82-92294-00-7, lire en ligne), p. 22
  6. (es) Altolaguirre y Duvale et Ángel De, « La historia de los incas, de Pedro Sarmiento de Gamboa publicada por el Sr. Richard Pietschmann », (consulté le )
  7. Miguel Cabello de Balboa, Miscelánea Antártica, (lire en ligne)
  8. (es) « Murúa, Martín de: Historia General del Perú – BIBLIOTECA ANTOLÓGICA » (consulté le )
  9. dans l'un des trois volumes de son ouvrage : Don Francisco de Toledo, supremo organizador del Perú. Su vida, su obra [1515-1582]. Buenos Aires, Espasa-Calpe, 1935-1942
  10. De GAMBOA, Pedro Sarmiento.: History of the Incas and The Execution of the Inca Tupac , 2007.
  11. José Antonio del Busto Duthurburu : Túpac Yupanqui. Descubridor de Oceanía, 2006.
  12. Denise Wenger et Charles-Edouard Duflon (2011). L'île de Pâques est ailleurs, Ed. Frédéric Dawance, p. 24. et Jean Hervé Daude (2010). Île de Pâques : L'empreinte des Incas, Canada, p. 47.

Bibliographie

  • Heyerdahl, Thor : American Indians in the Pacific, The Theory behind the Kon-Tiki Expedition, 1952.
  • Heyerdahl, Thor : AKU-AKU, le secret de l’Île de Pâques, 1958.
  • Heyerdahl, Thor, Ferdon, Edwin N.,JR. Mulloy, William, Skjolsvold, Arne, Smith, Carlyle S. : Archaeology of Easter Island, Volume I,Reports of the Norwegian Archaeological Expedition to Easter Island and the East Pacific., 1961.
  • José Antonio del Busto Duthurburu : Túpac Yupanqui. Descubridor de Oceanía, 2006.
  • De GAMBOA, Pedro Sarmiento.: History of the Incas and The Execution of the Inca Tupac , 2007.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.