Histoire du Cachemire
Cet article présente les faits saillants de l'histoire du Cachemire, une région montagneuse du sous-continent indien qui désigne, depuis la partition des Indes et la disparition du Jammu-et-Cachemire, l'ensemble du territoire constituant cette ancienne principauté.
Aujourd'hui, le Cachemire est partagé entre l'Inde, le Pakistan et la Chine.
Période védique
- PĂ©riode vĂ©dique (2000-500) : tribus, royaumesâŠ
Antiquité
- Empire achéménide (559-330)
- Sakas
- Bataille de l'Hydaspe (-326) : victoire d'Alexandre le Grand sur Poros (roi du Pendjab), Abisares (en) (roi d'Abhira), TaxilĂšs et Cleophis (en)
- Empire maurya (324-185)
- Empire séleucide (312-63 ou 305-64)
- Royaume gréco-bactrien (246-100)
- Royaumes indo-grecs (200-10)
- Satrapes du Nord (en) (de -60 Ă +150)
- Indo-Scythes (de -150 Ă + 400)
- Empire kouchan (30-375)
PĂ©riode hunnique
- Huns Alkhon (370-670 ou 380-560)
PĂ©riode hindouiste et bouddhiste
Anciennement peuplée, la région est gagnée à la culture hindoue au moins dÚs le VIe siÚcle avant notre Úre. Elle appartient à plusieurs reprises aux grands empires de l'Inde notamment sous Ashoka et Kanishka[1].
L'empereur maurya Ashoka est souvent crĂ©ditĂ© d'avoir fondĂ© la ville de Srinagar. Au VIIIe siĂšcle, le Cachemire devient un Ătat indĂ©pendant et conquĂ©rant. Le roi LalitĂąditya (en) (725-753) Ă©tend sa domination depuis les plaines du Pendjab jusqu'Ă la rĂ©gion montagneuse du Ladakh. Il englobe temporairement le royaume de KĂąnnauj. LalitĂąditya fait venir des artisans des pays conquis et dĂ©veloppe l'agriculture grĂące au drainage et Ă la mise en place de l'irrigation du bassin de Srinagar qui constitue le cĆur de son royaume. Il fait bĂątir des villes et des temples dont celui cĂ©lĂšbre de MĂąrtĂąnda. Le Cachemire est alors un foyer important de la culture sanskrite oĂč prospĂšrent simultanĂ©ment bouddhisme et une Ă©cole particuliĂšre du shivaĂŻsme[1].
Le Cachemire Ă©tait autrefois un pays dâapprentissage du bouddhisme, peut-ĂȘtre avec l'Ă©cole dominante de SarvÄstivÄda. Les moines bouddhistes d'Asie centrale ont visitĂ© le royaume. Ă la fin du IVe siĂšcle de notre Ăšre, le cĂ©lĂšbre moine koutchĂ©en KumÄrajÄ«va, nĂ© d'une famille noble indienne, a Ă©tudiĂ© DÄ«rghÄgama et MadhyÄgama au Cachemire sous Bandhudatta. Il est devenu plus tard un traducteur prolifique qui a aidĂ© Ă rĂ©pandre le bouddhisme en Chine. Sa mĂšre Jiva semble avoir pris sa retraite au Cachemire. VimalÄkáčŁa, un moine bouddhiste, s'est rendu Ă Kucha au Cachemire. Il a modifiĂ© KumÄrajÄ«va en Vinayapiáčaka.
Cette civilisation se maintient jusqu'Ă l'introduction de l'islam au XIVe siĂšcle[1].
PĂ©riode musulmane
Les musulmans et les hindous du Cachemire, ont vĂ©cu dans une relative harmonie, depuis le mode de vie soufi que quelques musulmans ont suivi au Cachemire, complĂ©tĂ© par la tradition Rishi de Pandits cachemirien. [Citation nĂ©cessaire] Cela a conduit Ă une culture syncrĂ©tique, oĂč les hindous et les musulmans ont vĂ©nĂ©rĂ© les mĂȘmes saints et priĂ© dans les mĂȘmes sanctuaires [citation nĂ©cessaire]. Bulbul Shah, cĂ©lĂšbre saint soufi, a Ă©tĂ© capable de convertir Rinchan Shah, qui Ă©tait alors prince de Kashgar Ladakh, Ă un mode de vie islamique. En vertu de cette pratique musulmane, hindous et bouddhistes Cachemiris ont gĂ©nĂ©ralement connu une coexistence pacifique. Au fil du temps, toutefois, la gouvernance Soufie a cĂ©dĂ© la place Ă des monarques musulmans. Certains dirigeants cachemiris, comme le Sultan Zain-ul-Abidin, ont Ă©tĂ© tolĂ©rants Ă l'Ă©gard de toutes les religions, d'une maniĂšre comparable Ă Akbar. Cependant, plusieurs dirigeants musulmans du Cachemire ont Ă©tĂ© intolĂ©rants envers dâautres religions. Le Sultan Sikandar Butshikan du Cachemire (AD 1389-1413) est souvent considĂ©rĂ© comme le pire d'entre eux. Les historiens ont enregistrĂ© un grand nombre de ses atrocitĂ©s. Les dossiers Tarikh-i-Firishta ainsi que des ordonnances interdisant la rĂ©sidence Ă tout autres que les musulmans au Cachemire rĂ©vĂšlent que Sikandar a persĂ©cutĂ© les hindous. Il a Ă©galement ordonnĂ© la destruction de toutes les « images d'or et d'argent ». Le Tarikh-i-Firishta outre: « Beaucoup de brahmanes, plutĂŽt que d'abandonner leur religion ou leur pays se sont eux-mĂȘmes empoisonnĂ©s. Certains se sont enfuis. AprĂšs l'Ă©migration des brahmanes, Sikandar a ordonnĂ© la destruction de tous les temples au Cachemire. Ayant brisĂ© toutes les images au Cachemire, (Sikandar) a acquis le titre de "Destructeur des idoles"[2] La chronique des rois du Cachemire, Rajatarangini, est le seul texte historique Ă©crit en sanskrit. Une traduction en persan a Ă©tĂ© effectuĂ©e pour l'empereur Akbar sur son ordre aprĂšs son invasion du Cachemire. Un rĂ©sumĂ© de son contenu est donnĂ© par Abul Fazl dans l'Ain-i-Akbari. Le Rajatarangini a Ă©tĂ© Ă©crit par Kalhana vers le milieu du XIIe siĂšcle. Son travail a repris dans six livres des Ă©crits qui sont maintenant perdus. Le Rajatarangini est le premier d'une sĂ©rie de quatre histoires qui enregistrent les annales du Cachemire. Partant d'une interprĂ©tation de l'histoire traditionnelle trĂšs ancienne, le Rajatarangini remonte jusquâau rĂšgne de Sangrama Deva, (c. 1006 av. J.C.). Le deuxiĂšme ouvrage, par Jonaraja, continue l'histoire de l'endroit oĂč Kalhana lâa quittĂ©e, et, entrant dans la pĂ©riode musulmane, donne un compte rendu du rĂšgne de Zain-ul-ab-ad-din, 1412. Le quatriĂšme rĂ©cit, appelĂ© Rajavalipatak par Prajnia Bhatta, complĂšte l'histoire de l'intĂ©gration du Cachemire par lâempereur Moghol Akbar, 1588.
Domination afghane (1752-1819)
DÚs le début du XIXe siÚcle, la vallée du Cachemire était passé sous le contrÎle de l'Empire Durrani de l'Afghanistan.
Domination sikh (1819-1846)
En 1780, aprÚs la mort de Ranjit Deo, le Raja de Jammu, le royaume du Jammu (au sud de la vallée du Cachemire), a été envahi par les Sikhs en vertu de Ranjit Singh de Lahore jusqu'en 1846[3]. Ranjit Singh, s'est distingué dans les campagnes, en particulier lors de l'annexion de la vallée du Cachemire par les Sikhs en 1819. lEn raison de ses services il a été nommé gouverneur de Jammu en 1820. Avec l'aide de Zorawar Singh, Gulab Singh a conquis le Ladakh et le Baltistan, régions de l'est et du nord-est de Jammu[3].
En 1845, la PremiĂšre Guerre anglo-sikh a Ă©clatĂ©, et Gulab Singh est apparu comme un bon mĂ©diateur. Il est devenu le conseiller de confiance de Sir Henry Lawrence. Deux traitĂ©s ont Ă©tĂ© conclus. Par le premier, l'Ătat de Lahore et la colline entre les pays Beas et l'Indus, (c'est-Ă -dire l'Ouest du Punjab) ont Ă©tĂ© remis Ă lâautoritĂ© britannique, contre l'Ă©quivalent dâun crore (roupies). Par le second, les Britanniques ont annexĂ© pour 75 lakhs (roupies) tous les pays de collines ou de montagne situĂ©es Ă l'est de l'Indus et Ă l'ouest de Ravi »(c'est-Ă -dire la vallĂ©e du Cachemire)[3]. Peu de temps aprĂšs la mort de Gulab Singh en 1857, son fils, Ranbir Singh, a ajoutĂ© les Ă©mirats du Hunza, Gilgit et Nagar au royaume.
Principauté des Dogrùt (1846-1947/1952)
Les DogrĂąts constituent la dynastie de maharadjahs qui rĂ©gna sur la principautĂ© de Jammu-et-Cachemire de 1820 Ă 1952, date Ă laquelle la monarchie fut abolie. Le dernier maharadjah rĂ©gnant dut choisir, lors de l'indĂ©pendance des Indes, en 1947, Ă quel nouvel Ătat : de l'Inde ou du Pakistan, il devait intĂ©grer son Ătat. Il choisit l'Inde et cela provoqua le premier conflit armĂ© entre les deux nouveaux Ătats.
Quatre souverains se succédÚrent :
- 1820-1856 Gulab-Singh (1792-1857), abdiqua
- 1856-1885 Ranbir-Singh (1830-1885)
- 1885-1925 Pratap-Singh (1848-1925)
- 1925-1952 Hari-Singh (1895-1961)
Le yuvaradjah (prince hĂ©ritier) de Jammu-et-Cachemire Karan-Singh, fils du maharadjah Hari-Singh, devint chef de l'Ătat (sardar i risayat) de l'Ătat de Jammu-et-Cachemire en 1952, lorsque le pays devint une rĂ©publique. Il le resta jusqu'en 1957, date Ă laquelle l'Ătat de Jammu-et-Cachemire fut dĂ©finitivement intĂ©grĂ© Ă l'Inde.
DĂ©colonisation britannique et ses suites (1947-1956)
Le démantÚlement de l'Empire des Indes en 1947 entraßne un changement d'équilibre important dans la sous-région cachemirienne.
Ă la veille de la dĂ©colonisation, l'Ătat princier (native state, selon le lexique britannique de l'Ă©poque) du Cachemire est autonome, dirigĂ© par un prince et chef de guerre qui a rachetĂ© le territoire pour 7,5 millions de roupies lors du TraitĂ© d'Amritsar. En vertu de cet accord, il est de facto un homme Ă la solde du Royaume-Uni, qui garde donc sa tutelle sur le Cachemire par intermĂ©diaire interposĂ©. Ce systĂšme d'Ătat princier sâapparente Ă une variante de la stratĂ©gie britannique traditionnelle de contrĂŽle indirect par le truchement dâun (micro) Ătat vassalisĂ©, bĂ©nĂ©ficiant dâune relative autonomie. Dans le cas du Cachemire, il est intĂ©grĂ© au sein mĂȘme du territoire sous contrĂŽle britannique et confiĂ© Ă un mahĂąrĂąja de confession opposĂ©e Ă celle de ses sujets. Lâassociation dâun seigneur hindou Ă©tranger Ă une population musulmane marque le dĂ©but des premiĂšres tensions au Cachemire.
Le processus de dĂ©colonisation sâengage en 1947. La commission Radcliffe est chargĂ©e de tracer les frontiĂšres des Ătats indĂ©pendants. Elle accorde Ă trois Ătats princiers le droit de lâautodĂ©termination afin dâĂȘtre rattachĂ© au Pakistan ou Ă lâInde, ou de conserver son autonomie. C'est le cas du Cachemire. Contrairement aux deux autres Ătats princiers qui choisissent le rattachement, le processus aboutit Ă un conflit armĂ©. Au moment de la Partition, et alors que, finalement, il semble sâorienter vers un rattachement Ă lâInde suivant la confession de son prince Hari Singh, le Cachemire est envahi. Le Pakistan orchestre en effet une offensive armĂ©e des tribus pachtounes de la province frontaliĂšre du Nord-Ouest. Le mahĂąrĂąja demande l'aide de l'Inde qui s'engage alors dans une guerre avec le Pakistan. C'est le dĂ©but de la 1re Guerre indo-pakistanaise.
Elle ne prend fin qu'avec lâintervention de lâONU. En 1948, une rĂ©solution onusienne demande le retrait des troupes pakistanaises et lâorganisation par lâInde dâun « plĂ©biscite libre et impartial ». Avec lâaccord de Karachi, lâONU impose en juillet 1949 la Line of Control, ligne de cessez-le-feu entre les deux camps, dont lâĂ©tanchĂ©itĂ© est assurĂ©e par une force dâobservation. Mais le Pakistan refuse de rendre les territoires conquis qui finissent par constituer une nouvelle province, lâAzad Kashmir (le Cachemire libre). LâInde en tire argument pour ne pas organiser le rĂ©fĂ©rendum quâelle a toute chance de voir basculer en faveur du Pakistan tant la domination musulmane est Ă©crasante au sein de la population kashmirie. En 1950, un article de la Constitution indienne octroie Ă lâĂtat de Jammu-et-Cachemire une relative autonomie vis-Ă -vis du pouvoir central. Mais ce nâest quâen 1956 que lâAssemblĂ©e constituante de lâĂtat de Jammu et Cachemire vote le rattachement Ă lâInde. NĂ©anmoins, le Pakistan maintient son occupation sur le reste du Cachemire.
ProblĂšme du Cachemire
Deux Cachemire, une ligne de démarcation
Le différend quant au Cachemire opposant l'Inde et le Pakistan depuis la Partition a débouché sur deux autres conflits armés en 1949 et 1965, auxquels s'ajoute la guerre de 1971 à l'issue de laquelle le Bangladesh est devenu indépendant. à ce conflit interétatique, s'ajoute corrélativement, depuis 1989, un soulÚvement interne au Cachemire qui a fait plusieurs dizaines de milliers de morts.
Les affrontements et les guerres se sont succĂ©dĂ© afin de repousser la Line of Control vers lâest ou lâouest, selon le camp envisagĂ©. De part et d'autre de cette ligne de dĂ©marcation se situent donc deux territoires au statut international flou : le Jammu-et-Cachemire indien et l'Azad Cachemire pakistanais.
La 3e guerre indo-pakistanaise en 1971 sâachĂšve par une victoire indienne mais la pression internationale oblige lâInde Ă Ă©vacuer les terres conquises et Ă libĂ©rer 90 000 prisonniers. Lâaccord de Simla en 1972 marque le retour au statu quo ante pour le Cachemire. En 1989, le retrait soviĂ©tique aprĂšs la dĂ©faite de l'Union soviĂ©tique contre l'Afghanistan change de nouveau la donne, entraĂźnant la radicalisation de lâIslam au Cachemire. Un virage fondamentaliste dans la lutte armĂ©e sâamorce qui nâexistait pas auparavant. Au lendemain du dĂ©part soviĂ©tique se dĂ©clenche ainsi une insurrection au Cachemire rĂ©clamant dĂ©sormais le rattachement au Pakistan, qui durant toute la guerre a soutenu lâAfghanistan.
En 1999, la tension entre les deux Ătats culmine dans le conflit du Kargil Ă la suite des mouvements de troupes rĂ©guliĂšres et irrĂ©guliĂšres pakistanaises qui traversent la ligne de contrĂŽle et prennent position dans les hauteurs himalayennes du Cachemire, menaçant des voies de circulation et entraĂźnant une rĂ©ponse de l'Inde. Le Pakistan tente Ă ce moment-lĂ de couper en deux la route SrinagarâLeh et dâĂ©tablir ainsi une nouvelle Line of Control. La tension entre les deux nations est alors Ă son comble, mais la pression diplomatique des Ătats-Unis force le Pakistan Ă se retirer des territoires qu'il avait occupĂ©s. La rĂ©solution de crise entraĂźne le renversement du pouvoir civil et le coup d'Ătat militaire qui porte le gĂ©nĂ©ral Pervez Musharraf au pouvoir en octobre.
Entrée en jeu de la Chine
La rĂ©gion orientale de l'ancien Ătat princier du Cachemire, l'Aksai Chin, inhabitĂ©, a Ă©tĂ© en proie Ă un diffĂ©rend frontalier. Ă la fin du XIXe siĂšcle et du dĂ©but du XXe siĂšcle, bien que des accords aient Ă©tĂ© signĂ©s entre la Grande-Bretagne, l'Afghanistan et la Russie sur la frontiĂšre nord du Cachemire, la Chine n'a jamais acceptĂ© ces accords, et la position officielle chinoise n'a pas changĂ© avec les communistes en 1949. Vers le milieu des annĂ©es 1950, l'armĂ©e chinoise Ă©tait entrĂ©e dans la partie nord-est du Ladakh[4]. « En 1956-57, ils avaient terminĂ© une route militaire Ă travers l'Aksai Chin zone pour assurer une meilleure communication entre le Xinjiang et l'ouest du Tibet. LâInde a fait la dĂ©couverte tardive de cette route Ă la frontiĂšre entre les deux pays. Ceci a conduit Ă la guerre sino-indienne dâoctobre 1962. »[4] La Chine a occupĂ© l'Aksai Chin depuis le dĂ©but des annĂ©es 1950 et, en outre, une zone frontaliĂšre de prĂšs de 8 % du territoire, le Trans-Karakoram Tract, a Ă©tĂ© cĂ©dĂ©e par le Pakistan Ă la Chine en 1963.
Les prĂ©tentions chinoises sur la sous-rĂ©gion kashmirie sont fondĂ©es sur une continuitĂ© topographique (haut plateau tibĂ©tain). Le territoire contrĂŽlĂ© par la Chine est, de plus, inhabitĂ© et dĂ©sertique. La Chine sâest installĂ©e dans le nord-est de la rĂ©gion aprĂšs les guerres sino-indiennes de 1959-1960 et 1962 et sâimpose progressivement comme un tiers encombrant dans un jeu initialement indo-pakistanais. Lâimplantation chinoise est entĂ©rinĂ©e par le dĂ©veloppement dâinfrastructures de communication. Depuis 1957, une route relie le Xinjiang au Tibet (la route nationale chinoise 219) et depuis 1978 elle connecte le Xinjiang au Pendjab.
Une périphérie économique, ethnique et religieuse
Du fait de sa topographie de haute montagne et de son isolement dans les rĂ©seaux de communication nationaux respectifs, l'ex-royaume du Cachemire est devenu un refuge pour les minoritĂ©s religieuses ainsi quâun conservatoire culturel et identitaire. Le compartimentage du territoire favorise le dĂ©veloppement de logiques communautaires, voire tribales. Ce statut coĂŻncide Ă©troitement avec celui de pĂ©riphĂ©rie Ă©conomique. La mise en valeur agricole, principale activitĂ© de la rĂ©gion avec lâartisanat (filage de la soie, depuis le dĂ©clin du tissage du kashmir, sculpture sur bois et papier mĂąchĂ©) sâavĂšre plus difficile que dans les plaines indiennes oĂč les techniques agricoles sont beaucoup plus Ă©laborĂ©es Ă la suite de la rĂ©volution verte.
Certes, les musulmans composent lâĂ©crasante majoritĂ© (94 %) de la population de l'ex-royaume. Mais la situation confessionnelle de la rĂ©gion est pourtant loin de constituer une base solide pour un quelconque dĂ©coupage. Ainsi, si le Pakistan rĂ©clame le Cachemire en vertu de lâunitĂ© musulmane, lâAzad Cachemire constitue(rait) cependant une forte minoritĂ© chiite pour un pays Ă majoritĂ© sunnite. Au sein mĂȘme de lâĂtat indien de Jammu-et-Cachemire, les variations gĂ©ographiques de la rĂ©partition religieuse sont importantes.
L'ex-royaume du Cachemire rassemble donc des confettis de particularismes conflictuels qui mettent en Ă©chec la fonction ethnico-religieuse de la « frontiĂšre » (Line of Control) de 1949. Lâabsence dâadhĂ©sion nationale aux valeurs d'un centre politique semble expliquer en grande partie lâexplosion de la revendication des particularismes religieux, qui tentent de se constituer en diffĂ©rences spatiales.
Point de vue pakistanais
Le Pakistan, bien que bĂąti sur une structure fĂ©dĂ©rale, fonde son unitĂ© sur le rassemblement des musulmans. Ă la suite de la Partition de lâEmpire des Indes britanniques en 1947, de gigantesques transferts de population eurent donc lieu, de sikhs vers lâInde et de musulmans vers le Pakistan. Câest donc la poursuite de cette dĂ©marche que demande le Pakistan au vu des 94 % de musulmans prĂ©sents au Cachemire.
Ătant donnĂ© le rapport de force entre lâInde et le Pakistan, ce dernier ne peut lutter face au boom indien, tant dĂ©mographique quâĂ©conomique et militaire. Câest pourquoi Islamabad sâest engagĂ© dans un processus dâinternationalisation afin dâimpliquer le concert des nations dans un rĂšglement multilatĂ©ral. Le Pakistan rĂ©clame donc depuis 1947 lâapplication du principe onusien de lâautodĂ©termination assistĂ©e par des observateurs : internationaliser le conflit est un moyen de sâassurer des appuis extĂ©rieurs qui contrebalancent le poids indien dans les possibles nĂ©gociations. Ainsi, le Pakistan est susceptible dâĂ©viter toute forme de chantage de la part du camp indien. La cession Ă la Chine dâune partie infinitĂ©simale des Territoires du Nord en 1963 a ainsi permis au Pakistan de sâassurer les bonnes grĂąces dâun alliĂ© de poids, qui a officiellement soutenu sa position dâun rĂ©fĂ©rendum au Cachemire, prenant ainsi le contrepied de la diplomatie indienne.
NĂ©anmoins, cette revendication nâa jusquâici que peu abouti. DĂšs lors, le recours au financement des factions musulmanes sĂ©paratistes militarisĂ©es peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme un pis-aller illĂ©gal au recours onusien lĂ©gal. C'est en effet un moyen de provoquer le dĂ©litement intĂ©rieur indien au Cachemire afin dâobtenir une forme dâautodĂ©termination qui ferait sans nul doute la part belle au Pakistan.
Point de vue indien
New Delhi voit dâun Ćil inquiet les revendications cachemirie dâindĂ©pendance dans la mesure oĂč elles remettent en cause lâorigine mĂȘme de lâInde. Pour ce rĂ©gime laĂŻc Ă structure fĂ©dĂ©rale, lâassimilation du Cachemire est en effet la preuve mĂȘme de la rĂ©ussite de son modĂšle politique, capable de coiffer par un pouvoir central rĂ©duit Ă lâessentiel des entitĂ©s rĂ©gionales diverses et partiellement autonomes grĂące Ă leurs assemblĂ©es. La perte du Cachemire, de quelque façon que ce soit, serait donc une porte ouverte Ă toute aspiration de mĂȘme nature dans le reste de lâUnion, et donc une menace Ă terme pour sa structure Ă©tatique.
Du fait mĂȘme de sa position politique sur le Cachemire, lâInde refuse donc tout pluripartisme dans les nĂ©gociations avec le Pakistan. Elle estime en effet que le conflit doit ĂȘtre rĂ©glĂ© en "interne", au sein de lâUnion indienne, puisque câest son modĂšle dâassimilation qui est remis en cause. Câest pour cette mĂȘme raison quâelle tente de circonvenir les pourparlers avec le Pakistan dans un Ă©change bilatĂ©ral, dĂ©nonçant comme ingĂ©rence toute tentative tierce officielle de se constituer en arbitre. AprĂšs la fin de la guerre avec le Pakistan en 1965, lâInde a ainsi obtenu avec lâaccord de Simla de 1972 le principe dâun rĂšglement uniquement bilatĂ©ral. Ce cadre restreint lui permet dâinstaurer Ă la table des nĂ©gociations un rapport de force avec le Pakistan qui lui est favorable et ainsi dâimposer ses vues plus facilement.
Point de vue chinois
La Chine contrÎle la partie nord-est (Aksai Chin et le Trans-Karakoram Tract). L'Inde dispose de la majorité du glacier de Siachen, y compris la Saltoro Ridge passe, alors que le Pakistan contrÎle le territoire sud-ouest de la Saltoro Ridge.
Le rĂŽle de la Chine dans le conflit va en croissant. Pour ce rĂ©gime Ă pouvoir central fort, il sâagit dâaffirmer son autoritĂ© dans des territoires quâelle a longtemps dĂ©laissĂ©s en raison de leur difficile accessibilitĂ©. Mais sa montĂ©e en puissance passe aussi par une maĂźtrise complĂšte du territoire national, le dĂ©veloppement des infrastructures routiĂšres dĂ©jĂ mentionnĂ©es en Ă©tant la preuve.
Nucléarisation du conflit
Le contentieux autour du Cachemire prend une rĂ©sonance dâautant plus importante que les trois Ătats quâil oppose sont des puissances nuclĂ©aires.
Le dĂ©veloppement des capacitĂ©s militaires de lâInde a dĂ©butĂ© aprĂšs la dĂ©faite contre la Chine en 1962 et lâaccession de la Chine en 1964 au rang de puissance nuclĂ©aire. LâInde a alors entamĂ© diffĂ©rents programmes de dĂ©veloppement de ses armes conventionnelles et un programme nuclĂ©aire militaire (le nuclĂ©aire civil Ă©tait envisagĂ© depuis lâindĂ©pendance) longtemps restĂ© secret. Câest donc en rĂ©ponse Ă la menace chinoise que lâInde est entrĂ©e dans le club nuclĂ©aire.
Par ricochet, le Pakistan a dĂ» lui aussi se doter de lâarmĂ©e nuclĂ©aire afin de rester une menace pour lâInde. En effet, le Pakistan aurait Ă©tĂ© dans lâincapacitĂ© de faire pression sur lâInde sâil nâavait Ă©tĂ© en mesure de faire jeu Ă©gal avec sa grande rivale. Pour pouvoir rester un acteur crĂ©dible de la sous-rĂ©gion et revendiquer le Cachemire, le Pakistan ne pouvait se passer de lâarme nuclĂ©aire sous peine de devenir une puissance marginale.
En rĂ©ponse aux essais nuclĂ©aires indiens (mai 1998), le Pakistan a effectuĂ© les siens propres (juin 1998). Cependant, la nuclĂ©arisation du Pakistan nâa jamais Ă©tĂ© rĂ©ellement perçue comme une menace par lâInde, mĂȘme si le Ghauri dont le Pakistan a fait lâessai en avril 1998 possĂšde une portĂ©e suffisante pour atteindre New Delhi. La menace pakistanaise est dĂ©sormais indirecte. Elle rĂ©sulte surtout de son « alliance » avec la Chine depuis 1963 qui pourrait Ă©ventuellement se solder par un appui militaire ou des transferts de technologies.
La dissuasion nuclĂ©aire semble donc dĂ©sormais fonctionner, entraĂźnant une stabilisation de la sous-rĂ©gion par sanctuarisation du territoire. Les positions de chacun apparaissent figĂ©es car tout changement territorial est susceptible de faire lâobjet dâun chantage Ă la bombe nuclĂ©aire, provoquant quelques escalades qui nĂ©anmoins nâaboutissent pas dans les faits.
Hégémonie asiatique en question
La rĂ©gion est divisĂ©e entre les trois pays qui connaissent un diffĂ©rend territorial : Le Pakistan contrĂŽle la partie nord-ouest (Nord et l'Azad Cachemire), l'Inde contrĂŽle le centre et le sud (Jammu-et-Cachemire) ainsi que le Ladakh, enfin la Chine contrĂŽle la partie nord-est (Aksai Chin et le Trans-Karakoram Tract). LâInde contrĂŽle 141 338 km2 (54 571 miles carrĂ©s) du territoire, le Pakistan 85 846 km2 (33 145 miles carrĂ©s) et la Chine, le reste soit 37 555 km2 (14 500 miles carrĂ©s).
Ni l'Inde ni le Pakistan n'ont officiellement reconnu l'adhĂ©sion des zones revendiquĂ©es par les autres. LâInde revendique ces zones, y compris la zone "cĂ©dĂ©e" Ă la Chine par le Pakistan dans le Trans-Karakoram Tract en 1963 tandis que le Pakistan revendique toute la rĂ©gion Aksai Chin et Trans-Karakoram Tract. Les deux pays se sont battus lors de plusieurs guerres dĂ©clarĂ©es sur le territoire. La guerre indo-pakistanaise de 1947 a crĂ©Ă© les vĂ©ritables frontiĂšres d'aujourd'hui, le Pakistan dĂ©tenant environ un tiers du Cachemire et l'Inde la moitiĂ©, avec une ligne de contrĂŽle Ă©tablie par l'Organisation des Nations unies. La guerre indo-pakistanaise de 1965 a abouti Ă une impasse et un cessez-le-feu nĂ©gociĂ© par l'ONU.
MĂȘme si le conflit persiste et que Pakistan et Inde ne trouvent pas de rĂ©el terrain dâentente, il est devenu depuis 1999 lâobjet dâun "dialogue composite" qui a permis depuis de maintenir les dĂ©rapages Ă lâĂ©tat dâaccrochage. Il est en fait de plus en plus difficile pour le Pakistan de contester de façon directe la position indienne en raison de son Ă©mergence progressive en tant que grande puissance. Le dĂ©sĂ©quilibre du rapport de force entre le Pakistan et lâInde allant en sâaccroissant, le premier subit de plus en plus la volontĂ© du second. Ceci explique aussi en partie que le Pakistan ne se soit plus lancĂ© dans une action militaire Ă©tatique. Au contraire, il s'est aventurĂ©, jusqu'en 2001 semble-t-il en tout cas, dans le soutien financier Ă des groupes paramilitaires, voire terroristes, actifs au Cachemire indien.
En rĂ©alitĂ©, les enjeux stratĂ©giques de la rĂ©gion tendent Ă se dĂ©placer de la Line of Control issue de l'accord de 1949 entre Inde et Pakistan Ă la frontiĂšre sino-indienne, dont la fonction est politico-stratĂ©gique. Les incursions chinoises lors des guerres de 1959-1960 et 1962 ont permis Ă la Chine dâinvestir de petits territoires au Cachemire, mais suffisamment pour exister au sein du rapport de force. Les revendications de chacun paraissent beaucoup moins vives que sur la Line of Control et lâInde a en partie acceptĂ© lâĂ©tat de fait de lâinstallation chinoise, comme l'attestent les nĂ©gociations sino-indiennes d'avril 2005.
NĂ©anmoins, cette opposition autour du Cachemire entre les deux pays tĂ©moigne dâune possible lutte quant au statut de puissance dominante en Asie. Tant quâaucun des deux Ătats nâavaient les moyens techniques suffisants pour maĂźtriser cet espace difficile - ce qui est encore en partie le cas pour lâInde - la barriĂšre montagneuse de la chaĂźne himalayenne a constituĂ© le support dâune frontiĂšre politique limitant les deux aires culturelles hindoue et sinisĂ©e. LâInde considĂšre ainsi lâensemble du sous-continent comme son aire dâinfluence naturelle oĂč elle exerce sa domination. Il en va de mĂȘme pour la Chine de lâautre cĂŽtĂ© de lâHimalaya, qui argue dâailleurs d'une continuitĂ© gĂ©ographique entre le Tibet et les plateaux du Ladakh ainsi quâune continuitĂ© religieuse du bouddhisme pour justifier son installation. Le Cachemire constitue donc un symbole de leur emprise rĂ©gionale pour ces deux puissances qui aspirent Ă devenir des modĂšles pour lâensemble de lâAsie.
Lutte anti-terroriste, une nouvelle donne ?
Ă la suite des attentats du 11 septembre 2001, les Ătats-Unis sont entrĂ©s en guerre en lâAfghanistan afin de mener une "guerre contre le terrorisme", entraĂźnant le passage de nombreux rĂ©fugiĂ©s afghans pro-talibans au Cachemire. Ce dernier, tout comme pendant la guerre contre les soviĂ©tiques, est donc redevenu une base de repli active pour les miliciens afghans. Il semble ainsi avĂ©rĂ© que des camps dâentraĂźnement se soient installĂ©s Ă la "frontiĂšre" entre les Territoires du Nord sous domination pakistanaise et lâInde. Ces camps feraient dĂ©sormais aussi partie du cursus honorum privilĂ©giĂ© des indĂ©pendantistes cachemiris.
L'adoption de l'attentat comme nouvelle mĂ©thode d'action pour les indĂ©pendantistes est la principale consĂ©quence de ce changement. Le premier attentat-suicide menĂ© par des sĂ©paratistes du Cachemire a lieu le , Ă Srinagar[5]. Le , une voiture piĂ©gĂ©e explose devant l'AssemblĂ©e lĂ©gislative du Cachemire, faisant 30 morts, puis le , un homme tire sur la foule au Parlement de New Delhi, faisant sept morts[6]. L'attentat-suicide du , attribuĂ© Ă un groupe basĂ© au Pakistan, nâa pas Ă©tĂ© condamnĂ© par le Pakistan.
En 2002, câest Ă nouveau le Parlement de New Delhi qui a Ă©tĂ© visĂ© par un attentat Ă la voiture piĂ©gĂ©e, attribuĂ© Ă des indĂ©pendantistes cachemiris basĂ©s au Pakistan. Ă la suite du tollĂ© international, le Pakistan sâest vu dans lâobligation de condamner ces attentats. MalgrĂ© ces attaques, une rencontre de hauts fonctionnaires des deux pays l'annĂ©e suivante entraĂźne une diminution de la tension. Le Premier ministre indien, Atal Bihari Vajpayee dĂ©cide de "tendre la main de la paix au Pakistan" (avril 2003), Ă l'occasion d'un discours Ă Shimla. Le , en marge d'un sommet de la SAARC (South Asian Association for Regional Cooperation) Ă Islamabad, est relancĂ© le "dialogue composite", qui doit dĂ©sormais officiellement porter sur toutes les questions opposant l'Inde et le Pakistan, y compris le Cachemire. L'alternance Ă New Delhi, qui porte au pouvoir le parti du CongrĂšs et un nouveau premier ministre, Manmohan Singh, ne remet pas en cause ce rapprochement. Des groupes de travail avancent dans tous les domaines. En avril 2005, une ligne de bus est pour la premiĂšre fois ouverte entre Srinagar et Muzaffarabad tandis qu'en visite Ă New Delhi, le PrĂ©sident Musharraf indique qu'Ă ses yeux, le processus de paix est "irrĂ©versible". Fin 2009, l'armĂ©e indienne a annoncĂ© le retrait de deux divisions d'infanterie du Cachemire indien, en raison de l'amĂ©lioration de la situation sĂ©curitaire[7].
En septembre 2013 (26), une double attaque pakistanaise en Inde a fait encore remonter la tension entre l'Inde et le Pakistan. le fondamentalisme religieux pakistanais pousse les rebelles Ă entreprendre des actions de plus en plus osĂ©esâŠ
Notes et références
- Jacques Dupuis, Histoire de l'Inde, Kailash, , 2e Ă©d., p. 169.
- Vivek Chadha, Low Intensity Conflicts in India: An Analysis, SAGE Publications, , 513 p. (ISBN 978-0-7619-3325-0, lire en ligne), p. 38.
- (en) « Kashmir: History », Imperial Gazetteer of India, vol. 15,â , p. 94-95.
- « Kashmir », dans EncyclopÊdia Britannica (lire en ligne) (consulté le ).
- Robert A. Pape, The Strategic Logic of Suicide Terrorism, originellement publié dans American Political Science Review 97 (3), août 2003, p. 323-361.
- Sans compter, pour ces deux attentat-suicides, l'auteur lui-mĂȘme (Robert Pape, 2003, op.cit.).
- « Blogger », sur blogspot.com (consulté le ).
Voir aussi
Articles connexes
- Sur la partie contrÎlée par l'Inde, voyez Jammu-et-Cachemire
- Sur la partie contrÎlée par le Pakistan, voyez Azad Cachemire
- Sur la partie contrÎlée par la Chine, voyez l'Aksai Chin
- Pour des précisions sur la ligne de démarcation de 1949, voyez Line of Control
Liens externes
- Blankonthemap Le site du Nord Cachemire
- Page sur le Cachemire sur le site de la Documentation Française
- Page sur le Cachemire sur le site de l'International Crisis Group
- DĂ©claration de l'ONU sur le Jammu et Cachemire en septembre 2002
- Présentation générale du problÚme cachemiri par le Monde diplomatique (janvier 2002)
- Article du Monde diplomatique (janvier 2002) sur le terrorisme au Cachemire
- Article du Monde diplomatique (juin 2004) sur le rapport du Pakistan au Cachemire