Groupe de Grigorchuk
En mathĂ©matiques et notamment en thĂ©orie des groupes, le groupe de Grigorchuk, aussi appelĂ© le premier groupe de Grigorchuk, est un groupe finiment engendrĂ© construit par Rostislav Grigorchuk et qui fournit le premier exemple d'un groupe finiment engendrĂ© de croissance intermĂ©diaire, c'est-Ă -dire plus rapide qu'un polynĂŽme et plus lent qu'une exponentielle. Le groupe de Grigorchuk est aussi le premier exemple d'un groupe moyennable qui nâest pas Ă©lĂ©mentairement moyennable, ce qui rĂ©pond Ă une question de Mahlon Day posĂ©e en 1957[1].
Historique
Le groupe a Ă©tĂ© construit par Grigorchuk en 1980[2], et il a prouvĂ© qu'il est de croissance intermĂ©diaire en 1984[3] ; ceci rĂ©pond Ă une question posĂ©e par John Milnor en 1968[4]. Le groupe de Grigorchuk continue Ă ĂȘtre un objet clĂ© en thĂ©orie gĂ©omĂ©trique des groupes, en particulier en relation avec les groupes automatiques, et a aussi des connexions avec les groupes de monodromie itĂ©rĂ©e[5].
Le taux de croissance d'un groupe finiment engendrĂ© est le nombre b(n) d'Ă©lĂ©ments du groupe qui sont produits d'au plus n Ă©lĂ©ments de l'ensemble de gĂ©nĂ©rateurs. Grigorchuk a prouvĂ© que b(n) croĂźt plus vite que mais moins vite que oĂč .
La borne supérieure a été améliorée par Laurent Bartholdi[6] qui obtient :
- ,
oĂč vĂ©rifie Une meilleure borne infĂ©rieure a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e par Yurii Leonov[7].
Un résultat lié est le théorÚme de Gromov sur les groupes à croissance polynomiale, obtenu par Mikhaïl Gromov en 1981, qui montre qu'un groupe finiment engendré a croissance polynomiale si et seulement si ce groupe a un sous-groupe nilpotent d'index fini. Avant l'exemple de Grigorchuk, plusieurs résultats ont décrit des classes de groupes dont la croissance est soit polynomiale soit exponentielle, comme les groupes linéaires ou les groupes résolubles[8] - [9] etc.
Des extensions et généralisations ont été proposées par divers auteurs[10] - [11] - [12] - [13].
Construction
Le groupe de Grigorchuk est dĂ©fini comme un groupe d'automorphismes de lâarbre binaire infini. L'arbre, notĂ© (on rencontre aussi la notation ou ), est vu comme l'ensemble des mots finis sur l'alphabet , y compris le mot vide (ou ) qui est la racine de lâarbre. Pour tout nĆud de lâarbre , le mot est le fils gauche de et le mot est le fils droit de dans . Le groupe peut alors ĂȘtre vu comme le groupe de toutes les bijections de qui prĂ©servent les longueurs, donc qui sont des permutations sur les mots de mĂȘme longueur, et qui respectent les prĂ©fixes ; en d'autres termes, si est prĂ©fixe de , alors est prĂ©fixe de .
Le groupe de Grigorchuk est le sous-groupe du groupe d'automorphisme engendré par quatre éléments particuliers de , notés , soit
- ,
oĂč les automorphismes sont dĂ©finis par les relations suivantes :
Dans ces formules, est un mot de , y compris le mot vide. Pour , les formules se rĂ©duisent Ă
puisque l'image du mot vide par un automorphisme est toujours le mot vide. Seule l'automorphisme est défini explicitement, les autres le sont par récurrence sur la longueur de l'argument, qui correspond à la hauteur de l'élément dans l'arbre. Par exemple, l'évaluation de donne
- .
L'ensemble des mots de s'écrit comme réunion disjointe
- .
Les sommets de dénotés par et constituent respectivement le sous-arbre gauche et le sous-arbre droit de , notés (parfois aussi ) et (ou ). On a alors
- ,
en d'autres termes échange les éléments des sous-arbres gauche et droit niveau par niveau. Les actions de et peuvent s'écrire aussi sous la forme :
oĂč est l'identitĂ© du groupe d'automorphisme, et oĂč la premiĂšre composante est lâaction quand le mot est dans le sous-arbre gauche, la deuxiĂšme composante quand est dans le sous-arbre droit ; en d'autres termes :
- .
Relations
Plusieurs formules relient les éléments. Notamment la conjugaison par permet l'échange des composants :
La vérification est facile, ainsi
- .
Les éléments , et sont des involutions ; la preuve est directe pour , et par récurrence sur la longueur des mots pour les autres :
Les éléments commutent deux-à -deux et leur produit est égal au troisiÚme :
de sorte que est un groupe abélien d'ordre 4 isomorphe au produit direct de deux groupes cycliques d'ordre 2.
Il en résulte aussi que le groupe est aussi engendré par trois éléments, à savoir et deux quelconques parmi . Ainsi, .
Mot réduit : Tout élément de s'écrit comme produit d'éléments de sorte qu'entre deux , il y a exactement un des éléments b, c, ou d. Une telle écriture est dite réduite. Ainsi, l'écriture réduite de est [14].
Propriétés
Voici des propriétés de base du groupe de Grigorchuk (des démonstrations sont données dans la monographie de Pierre de la Harpe[14]):
- Le groupe est infini[3].
- Le groupe est résiduellement fini[3]. Soit le morphisme qui envoie un élément de sur sa restriction à l'arbre fini de hauteur . Les groupes sont finis et pour tout non trivial, il existe un tel que .
- Le groupe est un 2-groupe, c'est-à -dire tous ses éléments sont d'ordre fini qui de plus est une puissance de 2[2].
- Le groupe est de croissance intermédiaire[3].
- Le groupe est moyennable mais n'est pas un groupe élémentairement moyennable (en)[3].
- Le groupe est juste infini (en), c'est-Ă -dire qu'il est infini mais que tous ses groupes quotient sont finis.
- Le groupe a la congruence subgroup property : un sous-groupe H est d'indice fini dans G si et seulement si pour un entier n.
- Le problĂšme de lâappartenance Ă un sous-groupe est dĂ©cidable dans le groupe G ; en d'autres termes, il existe un algorithme qui, Ă©tant donnĂ© des mots , dĂ©cide si est un Ă©lĂ©ment du sous-groupe engendrĂ© par [15].
- Le groupe est séparable (en), c'est-à -dire tout sous-groupe finiment engendré est fermé dans la topologie profinie sur [15]
- Tout sous-groupe maximal de est d'indice fini dans [16].
- Le groupe est finiment engendrĂ© mais nâa pas de prĂ©sentation finie[3] - [17].
Décidabilité
- Le stabilisateur des sommets de niveau 1 de dans G (le sous-groupe des éléments qui opÚrent comme identité sur 0 and 1), est le groupe :
- est un sous-groupe normal d'index 2 dans G et
- Un mot réduit représente un élément de si et seulement s'il contient un nombre pair d'occurrences de a.
- Si w est un mot réduit de G avec un nombre pair positif d'occurrences de a, alors il existe des mots u, v pas nécessairement réduits tels que :
- et
- Ceci est parfois appelé la propriété de contraction. Elle joue un rÎle majeur dans de nombreuses démonstrations car elle permet d'opérer par récurrence sur la longueur des mots.
- Le problÚme des mots et le problÚme de conjugaison sont décidables pour le groupe . Ceci s'obtient comme conséquence de la propriété de contraction[14].
Automates
L'usage d'automates finis, et notamment d'automates de Mealy, pour la reprĂ©sentation et lâĂ©tude du groupe Grigorchuk s'est rĂ©vĂ©lĂ©e utile. Les automates considĂ©rĂ©s n'ont pas d'Ă©tats initiaux ni terminaux. Les Ă©tats sont en bijection avec les gĂ©nĂ©rateurs du groupe, augmentĂ©s de l'automorphisme identitĂ©, et les transitions sont les quadruplets tels que , oĂč et . On voit qu'il existe un chemin de Ă d'Ă©tiquette d'entrĂ©e et d'Ă©tiquette de sortie si et seulement si . Par exemple, il y a dans lâautomate le chemin
représentant le calcul
- .
L'étude des automates de Mealy et des groupes et demi-groupes de transformations qu'ils définissent a été développée par Laurent Bartholdi[18] - [19] ou Thibault Godin, InÚs Klimann, Matthieu Picantin[20].
Notes et références
- Mahlon M. Day. Amenable semigroups. Illinois Journal of Mathematics, vol. 1 (1957), p. 509â544.
- Grigorchuk 1980.
- Grigorchuk 1984.
- John Milnor, Problem No. 5603, American Mathematical Monthly, vol. 75 (1968), p. 685â686.
- Volodymyr Nekrashevych. Self-similar groups. Mathematical Surveys and Monographs, 117. American Mathematical Society, Providence, RI, 2005. (ISBN 0-8218-3831-8).
- Laurent Bartholdi. Lower bounds on the growth of a group acting on the binary rooted tree. International Journal of Algebra and Computation, vol. 11 (2001), no. 1, p. 73â88.
- Yu. G. Leonov, On a lower bound for the growth of a 3-generator 2-group. Matematicheskii Sbornik, vol. 192 (2001), no. 11, p. 77â92; translation in: Sbornik Mathematics. vol. 192 (2001), no. 11â12, p. 1661â1676.
- John Milnor. Growth of finitely generated solvable groups. Journal of Differential Geometry. vol. 2 (1968), p. 447â449.
- Joseph Rosenblatt. Invariant Measures and Growth Conditions, Transactions of the American Mathematical Society, vol. 193 (1974), p. 33â53.
- Roman Muchnik, and Igor Pak. On growth of Grigorchuk groups. International Journal of Algebra and Computation, vol. 11 (2001), no. 1, p. 1â17.
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- Grigorchuk et Wilson 2003.
- Pervova 2000.
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- Bartholdi, Reznykov et Sushchansky 2006
- Bartholdi 2017.
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