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Gerrymandering

Le gerrymandering (terme nord-amĂ©ricain, prononcĂ© [dʒeʁimandĆ“ÊiƋ] en français nord-amĂ©ricain), le dĂ©coupage Ă©lectoral partisan[1] ou encore le charcutage Ă©lectoral[1] - [2] - [3] est le dĂ©coupage des circonscriptions Ă©lectorales ayant pour objectif de donner l’avantage Ă  un parti, un candidat ou un groupe donnĂ©[4].

Publiée en mars 1812, cette caricature satirique fut dessinée en comparant le contour du nouveau district du Sud-Essex acté par le gouverneur Gerry à une salamandre.
représentation visuelle du gerrymandering
Différentes maniÚres de découper des circonscriptions électorales.

La stratĂ©gie consiste principalement Ă  dĂ©couper les districts Ă©lectoraux de maniĂšre Ă  regrouper le nombre de votes de ceux qui sont perçus comme opposants, Ă  l’intĂ©rieur d’un nombre restreint de districts oĂč le parti au pouvoir va perdre dans une forte proportion, mais oĂč il va gagner par de petites majoritĂ©s ailleurs, dans un plus grand nombre de districts[5].

Cette pratique d'optimisation Ă©lectorale peut se retourner toutefois contre ses auteurs, dans la mesure oĂč une Ă©volution marginale de l'opinion peut conduire Ă  des rĂ©sultats totalement opposĂ©s et faire battre le parti que l'on souhaitait favoriser.

Découpage et redécoupage des circonscriptions électorales

Historique aux États-Unis

Exemple du quatriÚme district congressionnel de l'Illinois créé en 1993 pour regrouper deux zones majoritairement hispaniques favorables au Parti démocrate.

Ce terme vit le jour aux États-Unis en 1811 quand, juste avant l'Ă©lection prĂ©sidentielle, le gouverneur du Massachusetts, Elbridge Gerry, fut accusĂ© d’avoir « redĂ©coupĂ© » la circonscription d'un comtĂ© afin de favoriser son parti[6] ; la polĂ©mique enfla quand les journaux publiĂšrent une caricature d'Elkana Tisdale reprĂ©sentant la forme de la circonscription comme celle d'une salamandre. Gerrymandering est ainsi un mot-valise composĂ© du nom du gouverneur, Gerry, et du mot anglais pour salamandre, salamander. Les intĂ©rĂȘts Ă©tant colossaux, le moindre avantage est perçu comme trĂšs important pour un candidat et les « cartographes » des circonscriptions Ă©lectorales pĂšsent souvent sur l’issue d’un scrutin. Certains auteurs emploient les expressions « partisan gerrymandering » (« charcutage Ă©lectoral Ă  visĂ©e partisane ») lorsque le but est d’accentuer l’avantage d’un parti politique, et « racial gerrymandering » (« charcutage Ă©lectoral Ă  visĂ©e raciale ») lorsque le but est d’augmenter le pouvoir politique d’une minoritĂ© « ethno-raciale ».

Tous les dix ans, Ă  la suite du recensement, toutes les circonscriptions Ă©lectorales amĂ©ricaines sont remaniĂ©es pour reflĂ©ter l’évolution dĂ©mographique du pays. La section 1 de l’article 1er de la constitution des États-Unis accorde les pouvoirs lĂ©gislatifs au CongrĂšs (SĂ©nat et Chambre des reprĂ©sentants). La section 2 dispose que le nombre de reprĂ©sentants sera fonction des Ă©volutions dĂ©mographiques de chaque État, et ce chiffre sera remis Ă  jour tous les dix ans par le biais du recensement.

Chaque circonscription doit reprĂ©senter le mĂȘme nombre de citoyens, ou du moins se rapprocher, tant que faire se peut, de cet idĂ©al. Ainsi, au sein d’un mĂȘme État, les circonscriptions divisent leur population Ă©quitablement, c’est la doctrine dite du one man, one vote (« une personne, une voix »).

Les circonscriptions les plus Ă  mĂȘme de crĂ©er la controverse sont les legislative districts et les congressional districts, pour lesquels les enjeux politiques sont les plus importants. Les legislative districts servent Ă  Ă©lire les lĂ©gislateurs des États : les sĂ©nateurs d'État (State Senators) et les membres de l’AssemblĂ©e (Assembly Members) ou reprĂ©sentants (Members of the State House of Representatives), chaque État amĂ©ricain ayant un parlement, le plus souvent composĂ© d'un sĂ©nat et d'une assemblĂ©e ou chambre des reprĂ©sentants.

Les congressional districts servent eux Ă  Ă©lire les membres de la chambre des reprĂ©sentants des États-Unis (Members of the U.S. House of Representatives) qui, avec le SĂ©nat des États-Unis, forment le CongrĂšs amĂ©ricain. La circonscription Ă©lectorale pour les sĂ©nateurs des États-Unis (U.S. Senators) est, elle, toujours l'État entier.

Le gerrymandering tire son nom de l'homme politique américain Elbridge Gerry.

Le dĂ©coupage des circonscriptions s’appelle le districting ou redistricting et l’attribution des siĂšges s’appelle apportionment ou reapportionment, pourtant le premier terme est devenu dans le langage courant synonyme des deux. Chaque État envoie deux sĂ©nateurs Ă  Washington, D.C. et un nombre de reprĂ©sentants proportionnel Ă  sa population. La chambre des reprĂ©sentants compte 435 membres et le recensement dĂ©cennal dĂ©cide combien de siĂšges sont attribuĂ©s Ă  chaque État en fonction de sa population. Ainsi, certains États n’ont qu’un seul reprĂ©sentant, comme le Wyoming (ce qui est le minimum par État) et la Californie, qui est le plus peuplĂ©, en obtint 53 Ă  l’issue du recensement de 2000.

Le gerrymandering est trĂšs critiquĂ© dans la sociĂ©tĂ© pour son caractĂšre injuste, mais il est encore trĂšs utilisĂ©, notamment par les rĂ©publicains entre 2010 et 2021[7], et la Cour suprĂȘme n'a encore jamais rendu de dĂ©cision le condamnant. Dans Colegrove v. Green (1946) elle a indiquĂ© que l’organisation des Ă©lections relevait de chaque État fĂ©dĂ©rĂ©, et qu'il n'appartenait qu'au CongrĂšs (et non Ă  elle) de se prononcer sur une dĂ©faillance d'un des États ; toutefois, dans Reynolds v. Sims (1964), elle a statuĂ© que les circonscriptions devaient avoir Ă  peu prĂšs le mĂȘme nombre d'Ă©lecteurs, pour que soit respectĂ© le principe constitutionnel "un homme une voix", et d'un seul tenant[8].

Au XXIe siĂšcle

Dans les deux premiĂšres dĂ©cennies, les partis ont continuĂ© Ă  chercher Ă  tirer parti du gerrymandering, qui peut leur confĂ©rer, quant au nombre de siĂšges, un avantage pour plusieurs cycles Ă©lectoraux ; les contestations judiciaires – mĂȘme si elles sont couronnĂ©es de succĂšs, durant souvent des annĂ©es pour combler ces victoires injustes[7]. Selon l'ONG Fair Vote (dĂ©diĂ©e Ă  une reprĂ©sentation Ă©quitable des Ă©lecteurs dans les circonscriptions lĂ©gislatives), de 2010 Ă  2021 « la composition politique de la lĂ©gislature a Ă©tĂ© effectivement gelĂ©e pendant une dĂ©cennie, et les changements ne sont possibles que dans une fourchette limitĂ©e et Ă©troite. Le systĂšme de reprĂ©sentation, parce qu'il a Ă©tĂ© rendu moins sensible politiquement et donc moins rĂ©actif, a ainsi Ă©tĂ© rendu moins apte Ă  s'acquitter de sa tĂąche la plus fondamentale - traduire le sentiment public en politique publique aussi prĂ©cisĂ©ment que possible »[9].

À l'Ă©tĂ© 2018, la Cour a Ă©cartĂ©, pour des raisons de procĂ©dure, l'examen de contestations intentĂ©es par des Ă©lecteurs du Wisconsin et du Maryland[6].

La Cour suprĂȘme n'est pas obligĂ©e d'examiner les requĂȘtes qui lui sont adressĂ©es. En 2013 par une dĂ©cision sur la loi sur les droits de vote, elle a levĂ© l'obligation d'obtenir l'approbation fĂ©dĂ©rale pour le redĂ©coupage[7]. DĂ©but 2019, elle a dĂ©cidĂ© d'examiner les dĂ©cisions de deux tribunaux fĂ©dĂ©raux invalidant des cartes Ă©lectorales en Caroline du Nord et dans le Maryland, la premiĂšre Ă©tant jugĂ©e trop favorable aux RĂ©publicains et la seconde aux DĂ©mocrates. La position des nouveaux juge Brett Kavanaugh est une des inconnues[6]. En 2021, la Cour suprĂȘme comprend 6 six juges sur 9 qui sont conservateurs (dont 3 nommĂ©s par Donald Trump), situation pourrait influer durablement sur les choix de sociĂ©tĂ©[10].

DĂ©but 2021, divers observateurs, des mĂ©dias (dont le New York Times) et des manifestations devant la cour suprĂȘme demandent un redĂ©coupage plus « juste », et dĂ©noncent un gerrymandering rĂ©publicain, et notamment un gerrymandering racial (visant une diminution du pouvoir de vote des Ă©lecteurs noirs aux États-Unis notamment en Pennsylvanie, dans l'Ohio, au Wisconsin, en Caroline du Nord et en GĂ©orgie oĂč les Ă©lecteurs noirs ont Ă©tĂ© ciblĂ©s avec « une prĂ©cision chirurgicale ») pourrait ĂȘtre l'une des raisons du succĂšs d'une extrĂȘme partisanerie, de la diffusion de thĂ©ories du complot et du dĂ©vouement Ă  Donald Trump parmi l'extrĂȘme droite amĂ©ricaine[11].

En 2021, un nouveau redĂ©coupage des cartes Ă©lectorales, initiĂ© sous le gouvernement de Donald Trump est en cours[11]. Un lobbying rĂ©publicains promeut des cartes de circonscriptions pour le CongrĂšs (« district du CongrĂšs ») qui garantiront, selon Samuel S. Wang (directeur du Princeton Gerrymandering Project) que les rĂ©publicains domineront la Chambre en 2022 et la conserveront des annĂ©es ; ce lobbying est notamment portĂ© par Jim Jordan dont la circonscription a une curieuse forme de serpent ou de canard, nĂ©cessitant 3 heures de trajet en voiture pour la couvrir d'une extrĂ©mitĂ© Ă  l'autre, et couvrant des parties de 14 comtĂ©s, agencĂ©es de telle maniĂšre que la forme de cette circonscription assure la rĂ©Ă©lection constante d'un Ă©lu rĂ©publicain. AprĂšs le recensement de 2010 les rĂ©publicains de l'Ohio ont recartographiĂ© ce district et d'autres, avec le rĂ©sultat souhaitĂ© : Jim Jordan a ainsi pu remporter chacune des cinq derniĂšres Ă©lections avec plus de 22 % d'avance sur ses adversaires politiques[11]. Des dizaines d'autres cas de ce type sont dĂ©noncĂ©s. Ils auraient favorisĂ© la fidĂ©litĂ© du Parti rĂ©publicain envers le prĂ©sident Trump lors de ses allĂ©gations de fraude Ă©lectorale, faites sans fondement[11]. Les opposants au gerrymandering demandent un redĂ©coupage fait par des mathĂ©maticiens et cartographes impartiaux se basant sur des directives claires et objectives et non par des rĂ©publicains cherchant Ă  manipuler le dĂ©coupage Ă©lectoral pour systĂ©matiquement conserver la majoritĂ© et le pouvoir central. Plusieurs États ont crĂ©Ă© des commissions de redĂ©coupage indĂ©pendantes non partisanes, et on Ă©voque des algorithmes capables de dessiner des limites plus "neutres" de districts (mais il existe des dissensus sur leur capacitĂ© Ă  aussi effacer l'inclinaison partisane existante du processus Gerrymandering)[7]. Quelques États, actuellement dĂ©mocrates, pour tenter d'Ă©quilibrer le jeu, vont probablement essayer de redessiner les districts qui leur sont favorables dans certains États (New York, Illinois et Maryland)[7]. En janvier 2021, Adam Kincaid, qui dirige le National Republican Redistricting Trust (organisation de cartographie du parti GOP) a dĂ©clarĂ© que son Ă©nergie serait dirigĂ©e en 2021 « vers les inĂ©vitables batailles juridiques qui suivront la cartographie partisane de cette annĂ©e »[7]. Selon Allison Riggs Ă©voquant en janvier 2021 des poursuites contre les cartes dessinĂ©es par les rĂ©publicains de 2010 en Floride, en Caroline du Nord, au Tennessee et au Texas (directrice exĂ©cutive par intĂ©rim de la Southern Coalition for Social Justice), le gerrymandering partisan sera encore Ă  l'Ɠuvre en 2021[7].

Jonathan Cervas (qui Ă©tudie le gerrymandering dans le cadre d'un postdoctorat Ă  l'universitĂ© Carnegie Mellon) note que le charcutage Ă©lectoral ne suffit pas toujours Ă  faire gagner un parti : ainsi, « les dĂ©mocrates ont pu gagner la Chambre en 2018 malgrĂ© le fait qu'il y avait des États trĂšs gerrymandered »[7].

Au Canada

Le gerrymandering a Ă©tĂ© Ă©galement utilisĂ© au Canada jusqu'en 1964, date Ă  laquelle le gouvernement fĂ©dĂ©ral a chargĂ© Élections Canada, une institution indĂ©pendante, de s'occuper du dĂ©coupage Ă©lectoral.

Au QuĂ©bec, la Commission de la reprĂ©sentation Ă©lectorale a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e dans le mĂȘme but et a soumis ses premiĂšres modifications Ă  la carte Ă©lectorale le . Le processus est donc depuis lors indĂ©pendant des politiciens.

En France

En France, la rĂ©organisation de la rĂ©gion parisienne en 1964 peut ĂȘtre vue comme Ă©tant un cas de gerrymandering dans le but de limiter l'influence du Parti communiste français[12]. Cependant, les territoires concernĂ©s sont contigus (dĂ©partements) et non imbriquĂ©s.

Lors du redécoupage de 1986, Charles Pasqua reconnaßtra avoir déterminé certaines circonscriptions sur mesure pour Gilbert Mitterrand, Roland Dumas ou Jean-Pierre ChevÚnement[13].

Notes et références

  1. « découpage électoral partisan », Grand Dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française (consulté le ).
  2. Pierre Bouvier et Pierre Breteau, « Midterms : comment le « gerrymandering », ou « charcutage Ă©lectoral », pĂšse sur l’élection amĂ©ricaine », Le Monde,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  3. « États-Unis : qu’est-ce que le “gerrymandering” ou “charcutage Ă©lectoral” ? », sur RĂ©forme (consultĂ© le ).
  4. Gagnon 2006, p. 44
  5. (en) Jordan Ellenberg, « How Computers Turned Gerrymandering Into a Science », sur https://www.nytimes.com, (consulté le )
  6. Agence France-Presse, « La Cour suprĂȘme des États-Unis se saisit de dĂ©coupages Ă©lectoraux partisans », sur lemonde.fr, (consultĂ© le )
  7. (en-US) Reid J. Epstein et Nick Corasaniti, « The Gerrymander Battles Loom, as G.O.P. Looks to Press Its Advantage », sur The New York Times, (ISSN 0362-4331, consulté le )
  8. notez par exemple l'Ă©troite bande sinueuse connectant deux zones sur la premiĂšre carte
  9. (en) « How Proportional Representation Would Finally Solve Our Redistricting and Gerrymandering Problems », sur FairVote (consulté le )
  10. « Avortement, immigration, Obamacare
 "Tout pourrait ĂȘtre repassĂ© Ă  la moulinette des conservateurs" avec la nouvelle juge de la Cour suprĂȘme Amy Coney Barrett », sur Franceinfo, (consultĂ© le )
  11. (en-US) Reid J. Epstein et Nick Corasaniti, « How Gerrymandering Will Protect Republicans Who Challenged the Election », sur The New York Times, (ISSN 0362-4331, consulté le )
  12. « Quand la politique dĂ©coupe la gĂ©ographie », 21Maps,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  13. Mathieu Castagnet, « Dossier. Le gouvernement s'attelle au redécoupage électoral. En 1986, un découpage sous haute tension », sur la-croix.com, .

Voir aussi

Bibliographie

  • FrĂ©dĂ©rick Gagnon, Le CongrĂšs des États-Unis, QuĂ©bec, QuĂ©bec, PUQ, , 312 p. (ISBN 978-2-7605-1416-4)

Articles connexes

Liens externes

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