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Georg Christoph Lichtenberg

Georg Christoph Lichtenberg, né à Ober-Ramstadt le et mort à Göttingen le , est un philosophe, écrivain et physicien allemand.

Georg Christoph Lichtenberg
Description de cette image, également commentée ci-après
Georg Christoph Lichtenberg (date inconnue ; publié en 1790).
Auteur
Mouvement Aufklärung

Biographie

Georg Christoph Lichtenberg est le dix-septième enfant du pasteur Johann Conrad Lichtenberg et d’Henriette Catharina Eckhardt. D’une santé fragile, il passe son enfance et son adolescence à Darmstadt où une chute, vers l’âge de huit ans, entraîne une déformation de sa colonne vertébrale; il perd son père en 1751.

Se livrant avec passion à l’étude, une bourse octroyée par le Landgrave Ludwig VIII lui permit de s’inscrire à l’université de Göttingen le . Il y étudie les mathématiques, l’astronomie et les sciences naturelles, sans négliger l’histoire et la littérature.

Il perd sa mère en 1764 année au cours de laquelle il entreprend la rédaction de ses cahiers.

De 1767 à 1770 il subvient à ses besoins en donnant des leçons d’anglais. Au printemps 1770, il effectue le premier de plusieurs voyages en Angleterre, et à Londres en particulier, qui lui permirent d’étudier à fond les mœurs de ce pays pour tirer, de leur contraste avec les mœurs allemandes, des sujets de satire, et où il rencontre le roi George III.

À son retour il est nommé professeur de philosophie à Göttingen où il reçoit le titre de conseiller de cour en 1788. Il devient un pédagogue apprécié de ses étudiants. D’août à il effectue un second voyage en Angleterre à l’invitation du roi qui lui confie l’éducation de ses cadets.

Malgré son infirmité, il connaît de nombreuses conquêtes féminines. En mai 1777, il fait la connaissance d’une jeune fille de 13 ans, Maria Dorothea Stechard, dont il tombe amoureux. Ils vivent en ménage mais non mariés jusqu’à la mort de cette dernière en 1782. Cette mort provoque chez Lichtenberg des crises de dépression et lui donne des idées de suicide. La rencontre, en septembre 1783, avec Margarethe Kellner, qui devient son épouse, l’apaise un temps. De nombreux enfants naissent de cette union[1].

Dans le cadre de ses activités scientifiques sur le calcul des probabilités, l’électricité, etc., il a correspondu avec Kant, Volta et introduit en Allemagne l’usage du paratonnerre[2].

Il a également rencontré Goethe qui cherchait son soutien dans le cadre de sa théorie des couleurs. Lichtenberg est devenu membre de la Royal Society le

En dehors de ses travaux scientifiques, Lichtenberg a produit plusieurs essais littéraires et surtout de nombreux écrits satiriques, caractérisés par leur verve et leur humour. Les principaux sont une suite de Ausführliche Erklärung der Hogarthischen Kupferstiche (Commentaires sur les gravures de Hogarth, Göttingen, 1794-1808, in-fol, 10 liv.) ; Timorus, das ist die Verteidigung zweier Israeliten, die durch die Kräftigkeit der lavaterischen Beweisgründe und der Göttingischen Mettwürste bewogen den wahren Glauben angenommen haben (Timorus, ou l’apologie de deux juifs décidés par la force des arguments de Lavater et par les andouilles de Göttingen à embrasser la vraie foi, 1773, in-8°), satire, signée du pseudonyme de « Conrad Pholorin », en réponse à l’appel à la conversion adressé par Lavater au philosophe juif Mendelssohn ; Über Physiognomik wider die Physiognomen (Sur la physiognomonie, contre les physiognomonistes, Wider, etc.; Göttingen, 1778), protestation du bon sens contre les prétentions de Lavater ; Über die Pronunciation der Schupse des alten Griechenlands (De la Prononciation des moutons de l’ancienne Grèce, 1782), plaisante parodie des innovations orthographiques proposées par Voß. Une grande partie de ces satires parurent dans le Göttingischer Taschen-Calendar (et sa version française l'Almanac de Goettingue) que Lichtenberg dirigea vingt-cinq ans, jusqu'à sa mort en 1799.

Les Sudelbücher ou cahiers d’aphorismes

Statue de Lichtenberg à Göttingen.

L’œuvre pour laquelle Lichtenberg est passé à la postérité sont les quelque huit mille cent pensées[3] dont il a couvert un certain nombre de cahiers. Cette œuvre fragmentaire, non destinée à la publication du vivant de leur auteur, est désormais et généralement désignée sous le terme d’aphorismes. Ce terme est dû au philologue allemand Albert Leitzmann qui a publié, de 1902 à 1906, une édition savante des cahiers de Lichtenberg sous le titre Georg Christoph Lichtenbergs Aphorismen[4] car Lichtenberg n’a jamais employé ce mot, pour désigner son travail d’écriture, dont il parle davantage comme d’un Sudelbuch, « livre brouillard », une allusion aux registres comptables et de gestion.

Les cahiers ont fait l’objet de différentes éditions en France dont les plus importantes sont, après les premières traductions de Victor Bouillier (auteur d'un Essai sur sa vie et ses œuvres littéraires, Édouard Champion, 1914), et Albert Béguin :

  • Cahiers d’aphorismes, DenoĂ«l, 1980, traduction de Marthe Robert. Cette Ă©dition contient mille cinq cent cinquante-sept aphorismes.
  • Le recueil le plus complet des aphorismes de Lichtenberg est Le Miroir de l’âme, JosĂ© Corti, 1997, traduction et introduction de Charles Le Blanc. Le recueil en compte près de deux mille cent. Cette Ă©dition se fonde sur l’édition savante allemande en quatre tomes et deux livres de commentaires (1968-1992) de Wolfgang Promies. Elle respecte strictement l’ordre chronologique des cahiers.

Lichtenberg demeure encore particulièrement ignoré en France, même si, parmi les premiers à attirer l'attention sur ce philosophe, on compte Albert Béguin qui lui consacre le premier chapitre de L'Âme romantique et le rêve (1939), où il cite Goethe : « Lorsqu'il fait une plaisanterie, c'est qu'il y a là un problème caché », et André Breton qui lui consacre un des chapitres de son Anthologie de l'humour noir (1940), rappelant d'abord combien de grands penseurs ou écrivains l'ont admiré : Goethe, Kant, Nietzsche, Schopenhauer ou encore Tolstoï. Selon Breton, la question de la liberté et de l'autonomie de la pensée (« croire ou ne pas croire », « ne nier ni croire »), contre le dogmatisme, est au centre de son œuvre ; il souligne également à quel point la vie comme la pensée de Lichtenberg abondent en « contradictions passionnantes », écrivant ainsi : « En lui, bien que l'homme des “lumières” soit l'adversaire déterminé du mouvement de Sturm und Drang (d'assaut et de tumulte) qui s'empare alors de la littérature allemande, il est d'emblée le plus enthousiaste admirateur de Jean Paul. En lui encore, l'homme de l'expérience (le professeur de physique à l'université de Göttingue, il a été le maître de Humboldt, il a découvert que les électricités positive et négative ne se propagent pas de la même manière dans les matières isolantes) vit dans la plus parfaite intimité avec le rêveur (le rationaliste Lichtenberg a fait l'éloge de Jacob Böhme, il a été le premier à pénétrer le sens profond de l'activité onirique et le moins qu'on puisse dire est que ses vues sur ce sujet restent de toute actualité). Il doit être célébré comme le prophète du hasard, de ce hasard dont Max Ernst dira qu'il est le “maître de l'humour”. »[5] « Le rêve est une vie »[6], écrit Lichtenberg.

Charles Le Blanc, qui le considère comme une des consciences les plus lucides de l'Aufklärung (les Lumières), présente son œuvre comme une « œuvre clé », qui est un « miroir de l'âme », une sorte de long monologue intérieur attentif à la vie intérieure, réalisant l'impératif socratique de la connaissance de soi, selon un mode à la fois moraliste et scientifique. Lichtenberg parle d'abord de son âme, et enjoint avant tout de penser par soi-même et voir par ses propres yeux (primat de l'expérience) : « On parle beaucoup des Lumières et l'on dit que l'on en souhaite davantage. Mon Dieu ! À quoi bon toute cette lumière si les gens n'ont point d'yeux ou bien ferment volontairement ceux qu'ils ont ? »[7] Notre savoir et la plupart de nos représentations relèvent largement de l'anthropomorphisme, mais l'homme est perfectible et se produit lui-même : « Dieu crée les bêtes, l'homme se crée lui-même. »[8] Mais entre savoir et ignorance, il convient de se méfier des langages obscurs et des mots en général : « Nous devons [...] bien des erreurs à l'abus des mots ; c'est peut-être à ce même abus que nous devons les axiomes »[9] ; « Chez les sages les plus éclairés suit, à tout accroissement de connaissance, la conviction de leur ignorance »[10], si bien que nous en sommes quasiment réduits à « inventer de nouvelles erreurs. »[11]

Selon Charles Le Blanc, cette Ĺ“uvre est toujours actuelle par la force de son combat contre le danger du système (« la technique qui remplace l'expĂ©rience »), l'intolĂ©rance, le fanatisme, le dogmatisme, l'acadĂ©misme, sa dĂ©fense de la science contre l'Ă©rudition, de la raison contre le sentimentalisme, mais surtout en montrant la bĂŞtise des hommes. Face Ă  « une tendance qui remplace l'expĂ©rience des idĂ©es et des Ĺ“uvres », « la vĂ©ritĂ© de l'expĂ©rience » par « l'interprĂ©tation de cette vĂ©ritĂ© », opĂ©rant un « passage d'une vĂ©ritĂ© d'expĂ©rience Ă  une vĂ©ritĂ© qui se rĂ©sume Ă  n'ĂŞtre qu'une technique », « l'on peut se servir de ses [Lichtenberg] maximes comme autant de lanternes magiques pour mieux lire en nous-mĂŞmes. »[12] C'est d'ailleurs le sens que Lichtenberg donnait lui-mĂŞme Ă  ses pensĂ©es : « Je vous laisse ce petit livre pour qu'il soit un miroir plutĂ´t qu'une lorgnette ; pour que vous vous y regardiez, et non pour que vous observiez autrui. »[13] Charles Le Blanc commente ainsi : « Nous ne sommes pas encore parvenus Ă  faire le compte exact de nos faiblesses, ni Ă  connaĂ®tre la balance prĂ©cise de nos ridicules : ce livre sert Ă  en dresser le bilan. L'Ĺ“uvre de Lichtenberg [...] prend le lecteur Ă  tĂ©moin, elle se construit autour de lui, l'interpelle, le tutoie, mais de ce tutoiement qui est une forme supĂ©rieure de respect, lorsque les connivences, la complicitĂ© et la sympathie se sont fait jour entre deux intelligences, un jour qui apparaĂ®t souvent par la lecture. »[14] Mais en mĂŞme temps, ce livre-brouillard apparaĂ®t comme « une grande Voie lactĂ©e d'idĂ©es. »[15]

En combattant les systèmes et en s'adonnant aux rêves, Lichtenberg défend le courage de penser par soi-même, ayant l'intuition que « la vie consciente n'est pas assez riche [...] pour épuiser notre humanité »[16].

Propos sur Lichtenberg :

  • Goethe : « Les Ă©crits de Lichtenberg peuvent nous servir comme de la plus merveilleuse lanterne magique : lĂ  oĂą il rit, c’est qu’un problème se cache. »[17]
  • Hebbel : « J’ai ces derniers temps fort lu Jean Paul et un peu Lichtenberg. Quelle tĂŞte bien faite est-ce que celui-lĂ  ! J’aimerais mieux ĂŞtre oubliĂ© avec Lichtenberg qu’immortel avec Jean Paul. »
  • Karl Kraus : « Lichtenberg creuse plus profondĂ©ment que tout autre, mais ne remonte pas Ă  la surface. Il parle sous terre. Seul l’entend qui soi-mĂŞme creuse profondĂ©ment. »[18] Serge Gainsbourg le citait rĂ©gulièrement et notamment "la laideur a ceci de supĂ©rieure Ă  la beautĂ© : c'est qu'elle dure".

On a donné, après la mort de Lichtenberg, une édition de ses Vermischte Schriften (Œuvres diverses ; Göttingen, 1800-1806, 9 vol. ; 1844-1845, 6 vol.). On a aussi publié ses Briefe (Lettres ; Ibid., 1846-47, 2 vol.).

Postérité

Ĺ’uvres

  • Publication d'une sĂ©lection des Aphorismes de Lichtenberg d'après les cahiers originaux retrouvĂ©s par Albert Leitzmann (Berlin, 1902-1908) ;
  • Aphorismes, 1557 pensĂ©es choisies dans la prĂ©cĂ©dente Ă©dition et traduites de l'allemand par Marthe Robert, prĂ©face d'AndrĂ© Breton (Club français du livre, 1947) ;
  • Aphorismes de Lichtenberg, 644 pensĂ©es sĂ©lectionnĂ©es dans la prĂ©cĂ©dente Ă©dition (Jean-Jacques Pauvert, coll. « LibertĂ©s », 1966) ;
  • Aphorismes, traduction du texte intĂ©gral revu par M. Robert (Les Presses d'aujourd'hui, 1980) ;
  • Aphorismes, traduit de l’allemand par et prĂ©face de M. Robert (Paris, DenoĂ«l, 1985) ;
  • Aphorismes : extraits des cahiers de brouillon de l’auteur, traduit de l’allemand par Marc B. de Launay, (Paris, Findakly, 1986, [RĂ©Ă©d. en 1996]) ;
  • Consolations Ă  l’adresse des malheureux qui sont nĂ©s un et autres textes, traduit de l’allemand par Pierre PĂ©nisson, Ole Hanse-Love, Theo Leydenbach (Paris, Corti, 1990) ;
  • Lettres sur l’Angleterre, Ă©ditĂ© et traduit de l’allemand par Henri Plard, Belval (Vosges) (CircĂ©, 1991) ;
  • Le Miroir de l’âme, aphorismes traduits et prĂ©sentĂ©s par Charles Le Blanc (Paris, JosĂ© Corti, 1997); seconde Ă©dition 1998 ; troisième Ă©dition revue 2012 ;
  • Maximes et pensĂ©es, Ă©ditĂ© et traduit de l’allemand par Pierre Garnier (Paris, A. Silvaire, 1998) ;
  • PensĂ©es, traduit de l’allemand par et prĂ©f. par Charles Le Blanc (Paris, Rivages, « Rivages poches, no 283 », 1999) ;
  • Le Couteau sans lame : et autres textes satiriques, Ă©ditĂ© et traduit de l’allemand par Charles Le Blanc (Paris, Corti, 1999) ;
  • 62 manières d'appuyer sa tĂŞte sur le coude : cartographie de la mĂ©lancolie, nouvelle traduction de l'Ă©diteur en collaboration avec Gudrun S. et Nadine Le Lirzin, illustrĂ©e de 62 clichĂ©s photographiques par Roger Roques et Gudrun S. (Toulouse, Champavert Ă©diteur, 2012) ;
  • Lichtenberg, extraits rassemblĂ©s par Jean-François Billeter, 2014 (Paris : Allia) ;
  • Les quatre parties du jour et Les buveurs de ponche, traduction par Lamy, 1797 (Lyon, Fage Ă©ditions, 2018).

Notes et références

  1. Biographie établie par Charles Le Blanc dans Lichtenberg, Le Miroir de l’âme, José Corti, 1997, p. 575-580
  2. Nicolas Witkowski, Une Histoire sentimentale des sciences, Seuil, coll. « Points Sciences », Paris, 2003 (ISBN 2020787792), p. 135-140.
  3. Charles Le Blanc in Lichtenberg, Le Miroir de l’âme, troisième édition revue, José Corti, 2012, p. 91.
  4. Charles Le Blanc in Lichtenberg, Le Miroir de l'âme, p. 88.
  5. André Breton, Anthologie de l'humour noir, Le Livre de poche (édition définitive de 1966, Jean-Jacques Pauvert éditeur), 1995, p. 55.
  6. Lichtenberg, Le Miroir de l’âme, p. 314.
  7. Le Miroir de l’âme, p. 548.
  8. Le Miroir de l’âme, p. 301.
  9. Le Miroir de l’âme, p. 218.
  10. Le Miroir de l’âme, p. 302-303.
  11. Le Miroir de l’âme, p. 560.
  12. Charles Le Blanc, introduction à Lichtenberg, Le Miroir de l’âme, p. 17.
  13. Le Miroir de l’âme, p. 236.
  14. Le Miroir de l’âme, quatrième de couverture.
  15. Le Miroir de l’âme, p. 413.
  16. Albert Béguin, L'Âme romantique et le rêve, Corti, rééd. 1991, p. 14.
  17. Goethes Werke, Hamburger Ausgabe, tome 12, p. 421. Cité par André Breton dans Anthologie de l'humour noir.
  18. Cité en exergue de son introduction par Charles Le Blanc in Lichtenberg, Le Miroir de l'âme, p. 11.
  19. Nicolas Witkowski, op. cit., p. 135-140.

Annexes

Bibliographie

  • Edmond Dune, « Lichtenberg », in Critique n° 240, 1967
  • Victor Bouiller, Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), essai sur sa vie et ses Ĺ“uvres littĂ©raires, Paris, Édouard Champion, 1914
  • Albert Schneider, G. C. Lichtenberg, prĂ©curseur du Romantisme : L'homme et l'Ĺ“uvre, SociĂ©tĂ© d'impressions typographiques, Nancy, 1954
  • Charles Le Blanc in « Georg Christoph Lichtenberg », Le Miroir de l'âme, Paris, JosĂ© Corti, 1997, 1998, 2012, pages 9 Ă  96 (troisième Ă©dition : 2012)
  • Lichtenberg (prĂ©sentation, choix et traduction de Pierre Garnier), coll. « Maximes et pensĂ©es », AndrĂ© Silvaire, 1998
  • Jean Mondot (dir.), Les Aphorismes de Lichtenberg : Lectures d’une Ĺ“uvre, Éditions du Temps, 2001
  • Pierre Senges, Fragments de Lichtenberg, Paris, Verticales-Phase deux, 2008

Articles connexes

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