Génération Snowflake
Le vocable de génération Snowflake (« flocon de neige » en anglais) est utilisé au Royaume-Uni et aux États-Unis pour critiquer les adolescents et jeunes adultes, à savoir les générations dites Y et Z, en insistant sur leurs prétendues fragilité émotionnelle et incapacité à supporter l'expression d'opinions contraires aux leurs[1].
Il s'agit d'un terme péjoratif voire insultant[1]. Son usage s'est développé à partir de 2016, notamment sous la plume de polémistes de droite[1].
Origine
Le concept vient de l'ouvrage de 2016 ‘I Find That Offensive!’ de Claire Fox[2], une ancienne militante communiste britannique. L'expression proviendrait d'une réplique du roman Fight Club publié en 1996, reprise dans l'adaptation cinématographique Fight Club en 1999, où l'un des personnages dit : « Vous n'êtes pas exceptionnels. Vous n'êtes pas un flocon de neige, merveilleux et unique. Vous êtes faits de la même substance organique pourrissante que tout le reste. »[alpha 1] - [8] - [9].
La même année, le mot est salué par le Collins English Dictionary (en) comme un des dix ayant marqué 2016[1]. Il reflète une opposition prisée par les médias anglophones entre la génération du baby-boom et leurs cadets[1].
Fondements
Ce comportement allégué serait imputable à l'hyperprotection dont auraient bénéficié les jeunes adultes concernés pendant leur enfance, maintenus par leurs parents et le corps enseignant à l'abri de toute critique. En ayant supposément renforcé leur estime de soi, c'est aussi leur narcissisme qu'on aurait développé, ainsi que la conviction qu'autrui aurait des devoirs envers eux[8].
Les membres de ces générations seraient incapables d'affronter une contradiction dans leur vision du monde qu'ils tiendraient pour la seule valide. Cela aurait pour conséquence qu'ils exigeraient de ne pas avoir à subir de confrontation à d'autres idées. Ils auraient ainsi développé la cancel culture[9]. Dans les universités américaines puis britanniques, ils réclameraient par exemple la mise en place d'espaces sécurisés réservés à des groupes spécifiques (les safe spaces)[9] - [1] et des messages d'avertissements pour les protéger de contenus potentiellement choquants dans leurs lectures (trigger warnings)[1].
Politisation
À la suite du résultat du référendum de 2016 en faveur du Brexit au Royaume-Uni et de l'élection en 2016 de Donald Trump comme 45e président des États-Unis, l'expression « génération snowflake » a souvent été raccourcie pour devenir simplement « snowflake » et est devenue une insulte politisée. Un article de du Guardian commente : « Jusqu'à très récemment, qualifier quelqu'un de « snowflake » aurait impliqué le mot « génération » »[10].
En 2017, une agence de communication américaine a créé un « snowflake test »[11] destiné à être utilisé dans son processus d'embauche pour « écarter les candidats trop sensibles, libéraux et trop facilement offensés ». De nombreuses questions ont été conçues pour évaluer la position d'un candidat sur l'Amérique, la police et les armes à feu[12]. Le psychologue et universitaire de l'Alliance Manchester Business School (en) de l'université de Manchester Cary Cooper suggère qu'il s'agit d'une mauvaise stratégie pour attirer de jeunes travailleurs talentueux[13].
Dans son Manifeste rabat-joie féministe, la philosophe britannique Sara Ahmed commente l'appellation en remarquant qu'elle reviendrait à taxer d'« hypersensibilité » des personnes qui continuent d'être sensibles à des problèmes que d'autres estiment être réglés (comme le racisme, le sexisme, la transphobie). Elle appelle au contraire à affûter la sensibilité politique aux côtés des « flocons de neige » hypersensibles et des rabat-joies[14].
Notes et références
Notes
-
« You are not a beautiful and unique snowflake. You are the same decaying organic matter as everyone else, and we are all part of the same compost pile. »
« Vous n'êtes pas un beau flocon de neige unique. »
« Listen up, maggots. You are not special. You are not the beautiful or unique snowflake. You are the same decaying organic matter as everything else. We are the all-singing, all-dancing crap of the world. We are all part of the same compost heap. »
« Écoutez-moi, bande d'asticots. Vous n'êtes pas exceptionnels. Vous n'êtes pas un flocon de neige, merveilleux et unique. Vous êtes faits de la même substance organique pourrissante que tout le reste. Nous sommes la merde de ce monde prête à servir à tout. Nous appartenons tous au même tas d'humus en décomposition. »
Références
- Hélaine Lefrançois, « Comment « flocon de neige » est devenu une insulte pour toute une génération » [archive du ], sur Konbini, (consulté le ).
- Fox 2016.
- (en) Chuck Palahniuk, Fight Club, New York, W. W. Norton & Company, , 208 p. (ISBN 0-393-03976-5 et 0-393-32734-5), chap. 17, p. 134 [lire en ligne].
- Chuck Palahniuk (trad. Freddy Michalski), Fight Club, Paris, Gallimard, coll. « La Noire » (no 74), , 264 p. (ISBN 2-07-074855-3), chap. 17, p. ??, puis coll. « Folio / SF » (no 95), 2002 (réimpr. 2013), 290 p. (ISBN 2-07-042240-2) (2002) (ISBN 978-2-07-045561-4) (2013), p. 193.
- (en) « No, 'Snowflake' as a Slang Term Did Not Begin with 'Fight Club' : The lost history of 'snowflake' », sur merriam-webster.com, Merriam-Webster.
- (en) Gayathri Anuradha, « Calling Youngsters Snowflakes Damages Their Mental Health, Research Says », International Business Times, .
- Jewell 2022, [lire en ligne].
- Brice Couturier, « Les campus américains et la génération « flocons de neige » », France Culture, (consulté le ).
- Brice Couturier, « La liberté de dire aux gens ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre », Le Tour du monde des idées, France Culture, (consulté le ).
- (en) Rebecca Nicholson, « ‘Poor little snowflake’ – the defining insult of 2016 », The Guardian, (consulté le ).
- (en-US) « The Original CEO Snowflake Test: Are You A Snowflake? », sur goforquiz.com, (consulté le ).
- (en) Ben Chapman, « CEO uses 'snowflake' test when hiring to avoid 'whiny millennials' », The Independent, (consulté le ).
- (en) Cary Cooper, « The legitimate concerns of ‘snowflake’ workers », Worklife, BBC, (consulté le ).
- (en) Sara Ahmed, « The Feminist Killjoy Handbook », Penguin, (consulté le ).
Voir aussi
Bibliographie
- (en) Claire Fox, ‘I Find That Offensive!’, Londres, Biteback, coll. « Provocations », , 179 p. (ISBN 978-1-849-54981-3 et 978-1-78590-055-6, lire en ligne).
- (en) Claire Fox, ‘I Still Find That Offensive!’, Londres, Biteback, coll. « Provocations », , 217 p. (ISBN 978-1-78590-421-9 et 978-1-78590-416-5, lire en ligne).
- (en) Hannah Jewell, We Need Snowflakes : In defence of the sensitive, the angry and the offended, Londres, Coronet (Hodder & Stoughton), , 304 p. (ISBN 978-1-4736-7213-0, 978-1-4736-7214-7, 978-1-4736-7215-4 et 978-1-4736-7216-1, lire en ligne).