François Jullien

Ancien élève de l'École normale supérieure et agrégé de l’université (1974), François Jullien a ensuite étudié la langue et la pensée chinoise à l'université de Pékin et à l'université de Shanghai (1975–1977). Il a été ensuite responsable de l'antenne française de sinologie à Hong-Kong (1978–1981), puis pensionnaire de la Maison franco-japonaise à Tokyo (1985–1987)[2]. Il a obtenu un doctorat de 3^e cycle en 1978, puis le doctorat d'État en études extrême-orientales en 1983.

Il a été successivement président de l'Association française des études chinoises (de 1988 à 1990), directeur de l'UFR Asie orientale de l'université Paris-Diderot (1990–2000), président du Collège international de philosophie (1995–1998), professeur à l'université Paris-Diderot et directeur de l'Institut de la pensée contemporaine[3] ainsi que du centre Marcel-Granet[4] - [2]. Il a été membre senior de l'Institut universitaire de France de 2001 à 2011[5].

Il a dirigé plusieurs collections aux Presses universitaires de France ainsi que l'Agenda de la pensée contemporaine aux PUF[6], puis aux éditions Hermann[7].

Il est titulaire de la chaire sur l'altérité créée à la Fondation Maison des sciences de l'homme[8] de 2011 à 2022.

De nombreux colloques ont été organisés autour de sa pensée, en France et à l'étranger (Allemagne, Argentine, Chine, Taïwan, Vietnam...), dont les derniers se sont tenus à l'université Paris-Diderot et à la Bibliothèque nationale de France (décembre 2010), sous le titre « Dérangements-Aperçus, Autour du travail de François Jullien » (actes du colloque publiés chez Hermann en 2011[9]) ; à l'université normale de Pékin (décembre 2012), « Dialogue au sommet » avec Cheng Chung-Ying actes publiés sous le titre « Sixiang yu fangfa », décembre 2014[10]) ; à Cerisy-la-Salle (septembre 2013), « Des possibles de la pensée, l'itinéraire philosophique de François Jullien »[11], (actes parus chez Hermann, mars 2015) ; à l'Academia sinica de Taïwan, novembre 2013[12] - [13] (actes parus en 2015) ; à l’École normale supérieure et à la Bibliothèque nationale de France (décembre 2017) ; au Patronage laïque Jules Vallès, Paris, "Décoïncidences, du théologique au politique"[14] en 2021 et au Patronage laïque Jules Vallès, Paris, "L'Incommensurable, l'inouï et la vraie vie" en 2022.

Nombres d'études ont été menées sur le travail de François Jullien :

• Jullien[15] à L'Herne en 2018, sous la direction de Daniel Bougnoux et François L'Yvonnet
• François Jullien, une aventure qui a dérangé la philosophie[16] (227 p.) par François L'Yvonnet chez Grasset
• Penser par Écart, le chantier conceptuel de François Jullien[17] (173 p.) de Jean-Pierre Bompied aux éditions Descartes & Cie
• Penser la Chine, Interroger la philosophie avec François Jullien[18] (292 p.) de Pascal David aux éditions Hermann, 2016
• Chine, la dissidence de François Jullien[19] de Nicolas Martin et Antoine Spire aux éditions du Seuil en 2011
• La pratique de la Chine en compagnie de François Jullien[20] (278 p.) par André Chieng chez Grasset
• Vivre à hauteur d'inouï, Dialogues avec François Jullien [21](100 p.) Coll. aux Éditions Descartes &Cie

Arne de Boever a publié François Jullien's Unexceptional Thought, A Critical Introduction[22] aux éditions Rowman & Littlefield en 2020.

En 2010, il a reçu, en Allemagne, le Prix Hannah Arendt pour la pensée politique[23] ; et, en 2011, le Grand prix de philosophie de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre[24].

La démarche de François Jullien n'a pas manqué de produire des débats féconds, tant en philosophie que dans l'orientalisme. François Jullien a notamment montré que c'est en faisant travailler des « écarts » ouvrant un « entre » réflexif qu'on peut produire du « commun » ; et non pas à partir du « semblable », qui ne produit que de l'uniforme qu'on prendrait à tort pour de l'« universel ». De ce chantier ouvert entre les langues et les pensées de la Chine et de l'Europe, François Jullien a dégagé, depuis, une pensée du « vivre », faisant sortir de la pensée de l'Être qui est le parti-pris majeur de la pensée grecque. Il en est résulté un nouveau concept d'existence, sans rapport avec l'existentialisme ; et dont on peut suivre d'autres développements, à partir des années 2010, à travers sa réflexion sur l'« intime », le « paysage », la « dé-coïncidence » et l'« inouï ». Une présentation d'ensemble de son travail est apportée par De l'Être au vivre, lexique euro-chinois de la pensée (2015).

Dans sa réflexion sur le divers des cultures, François Jullien a notamment développé les concepts d'« écart » et d'« entre », à l'encontre des notions de « différence » et d'« identité », couramment d'usage. D'une part, la différence, définissant une identité, conduit à ranger le divers des cultures dans des définitions identitaires qui figent les cultures et, « laissant tomber l'Autre » les ferment au dialogue. D'autre part, l'écart, au lieu de ranger, dérange, est donc exploratoire ; et, maintenant l'Autre en regard, fait paraître un entre en tension où peut se promouvoir un commun, non pas d'assimilation, mais productif. C'est ainsi que François Jullien conçoit l'universel à l'encontre de l'universalisme : tandis que celui-ci se contente de totalités acquises, qu'il croit définitives, la vertu de l'universel est d'en rouvrir la clôture pour en déployer plus loin l'exigence, qui n'est jamais satisfaite.

Depuis une dizaine d'années, François Jullien poursuit une réflexion sur l'existence dont témoignent ses derniers essais : Philosophie du vivre[25], Gallimard, 2011, De l'intime: Loin du bruyant Amour[26], Éditions Grasset, 2013, Une Seconde vie[27], Édition Grasset, 2017, L'Inouï[28], 2019, Éditions Grasset, De la vraie vie[29], Éditions de l'Observatoire, 2020, Ce point obscur d'où tout a basculé[30], Éditions de l'Observatoire, 2021, L'incommensurable[31], Éditions de l'Observatoire, 2022, La Transparence du matin[32], Éditions de l'Observatoire, 2023

Il cherche notamment à déployer des concepts en tant que quasi-transcendantaux : seconde vie, vraie vie, intime, inouï, écart, incommensurable pour penser le déploiement de l'expérience à l'encontre de son rabattement.

Au-delà des domaines de l'orientalisme et de la philosophie, l'œuvre de François Jullien a rencontré un intérêt croissant auprès d'autres publics :

• 1. dans le monde du management, notamment à partir des concepts de « potentiel de situation » à distinguer du « plan d'action », de « maturation » (des conditions) opposée à la modélisation projetée, ou de « transformation silencieuse » amorcée pour induire le changement plutôt que de l'imposer (Traité de l'efficacité, 1997 ; Conférence sur l'efficacité, 2005)[33] ;
• 2. dans le monde des psychologues et des analystes, notamment à partir du concept de « transformation silencieuse » (Les Transformations silencieuses, 2009), de la distinction de la parole et du dire (Si parler va sans dire, 2006) et de la pensée de l'allusif, de la disponibilité, du biais et de l'obliquité (Cinq concepts proposés à la psychanalyse, 2012). Plus récemment, à partir des concepts d'écart, d'entre, d'inouï, de « vraie vie » (Ecart, entre, inouï dans la psychanalyse, dialogues avec François Jullien, 2020).
• 3. dans le monde de l'art, notamment à partir des concepts de transformation silencieuse, de « grande image » (« La grande image n'a pas de forme ») ; d'essor et d'étale (l'étale est le déterminé, complètement advenu, mais dont l'effet est perdu ; l'essor désigne l'amont de l'effet, quand celui-ci est encore en procès, à l'œuvre, et ne s’est pas étalé) ; de frontal et d'obliquité (au frontal de la représentation, on peut préférer l'« oblique » de l'évocation : « peindre les nuages pour évoquer la lune ») ; de cohérence opposée à sens (si l'œuvre ne délivre plus un « sens », ne tient-elle pas par sa co-hérence lui conférant sa con-sistance en tant qu'œuvre) ; d'évasif (opposé à l'assignable), d'allusif (opposé au symbolique), etc.
  • François Jullien a notamment réfléchi sur la valeur de la « fadeur » dans l'art chinois, par écart avec la tradition européenne ; et, en retour, sur la singularité du choix du Nu dans l'art, en Europe, que met en valeur sa complète absence dans la tradition chinoise ; (cf. Éloge de la fadeur, 1991 ; Le Nu impossible, 2000 ; La grande image n'a pas de forme, 2003 ; Cette étrange idée du beau, 2010).
  • Les concepts de François Jullien ont trouvé un large usage chez les artistes contemporains de divers domaines : peinture, sculpture, théâtre, paysage, musique, architecture, ... Sur l'usage de ses concepts par les artistes, se reporter à un numéro spécial d'ArtPress n°46 Aout /Octobre 2017, Philosophie de François Jullien, des concepts proposés à l'Art ; et à Art et concepts, Chantier philosophique de François Jullien/Ateliers d'artistes, Sous la direction de François L'Yvonnet, PUF, 2020).

Marcel Gauchet présente le travail de François Jullien dans son ouvrage[34].

François Jullien est à l’initiative de la création de l’Association Décoïncidences, fondée en septembre 2020. Cette association a pour objet d’analyser les coïncidences idéologiques devenant des obédiences et paralysant l’esprit critique. Elle a pour ambition de « rouvrir des possibles » dans la pensée et la vie politique. François Jullien a développé ces enjeux dans son essai Politique de la Décoïncidence[35].

Dans son Traité de l’efficacité[36] paru en 1996 chez Grasset, François Jullien élabore une réflexion sur l’efficacité et la stratégie. Elle met principalement en vis-à-vis la conception grecque, reposant sur la modélisation qui est projetée sur la situation, et la conception chinoise reposant sur la maturation du potentiel qui est détecté dans la situation et dont il faut tirer parti pour réussir (concept de potentiel de situation). Il reprendra ce thème de l’efficacité en 2005 dans sa Conférence sur l’efficacité[37], parue dans la collection « Libelles » des Presses Universitaires de France.

François Jullien introduit en 2017 le concept de dé-coïncidence dans son essai Décoïncidence : D’où viennent l’art et l’existence ?[38] paru aux Éditions Grasset. La coïncidence en tant qu’adéquation est positive. Mais l’adéquation est portée à adhérer à elle-même et par là à se satisfaire d’elle-même et donc à s’enliser. De positive, elle verse dans une positivité stérile, qui bloque l’invention. Il faut donc, selon François Jullien, défaire cette coïncidence, autrement dit en dé-coïncider de façon à rouvrir des possibles[39]. Il est difficile de renverser la coïncidence, la dénoncer ne suffit pas, en revanche, c’est en la fissurant que l’on peut remettre la situation en chantier. François Jullien a initié en 2020 une réflexion politique à partir de ce concept dans Politique de la décoïncidence [40]à l'Herne qu’il poursuit et complète par une analyse sociétale plus large dans son essai Rouvrir des possibles[41] publié en 2023 aux Éditions de l’Observatoire. Ce concept est à l’œuvre dans les champs les plus divers de l’expérience (de l’art à la psychanalyse, de l’éthique à la politique).

En 1990, le sinologue Jean-François Billeter a critiqué la présentation par François Jullien du philosophe Wang Fuzhi dans son livre Procès ou création : Une introduction à la pensée des lettrés chinois : Essai de problématique interculturelle (1989). En 2007, il réitère par un court essai intitulé Contre François Jullien[42]. François Jullien lui répond dans un autre essai intitulé Chemin faisant, connaître la Chine, relancer la philosophie[43], puis paraît un recueil d’articles de plusieurs intellectuels dont Paul Ricoeur (à titre posthume puisque ce philosophe est mort en 2005), Bruno Latour, Alain Badiou : Oser construire : Pour François Jullien[44].

• Lu Xun. Écriture et révolution, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1979, 128 p. (ISBN 2-7288-0061-8)
• La Valeur allusive : Des catégories originales de l’interprétation poétique dans la tradition chinoise, Paris, École française d'Extrême-Orient, 1985, 312 p. (ISBN 2-85539-744-8)[45]
• François Jullien, La Chaîne et la trame. Du canonique, de l’imaginaire et de l’ordre du texte en Chine, Extrême-Orient/Extrême-Occident, Presses Universitaires de Vincennes ; réed. « Quadrige », PUF, 2004.
• Procès ou Création. Une introduction à la pensée des lettrés chinois, Seuil, 1989[46].
• Éloge de la fadeur. À partir de la pensée et de l’esthétique de la Chine, Philippe Picquier, 1991[47] - [48] - [49].
• La Propension des choses. Pour une histoire de l’efficacité en Chine, Seuil, 1992[50].
• Figures de l’immanence. Pour une lecture philosophique du Yi king, Grasset, 1993[51] - [52] - [53]
• Le Détour et l’Accès. Stratégies du sens en Chine, en Grèce, Grasset, 1995[54] - [53] - [55] - [56]
• Fonder la morale. Dialogue de Mencius avec un philosophe des Lumières., Grasset, 1995[53] ;
• Traité de l'efficacité, Grasset, 1997[57] - [58] - [59] - [60]
• Un sage est sans idée ou L’Autre de la philosophie, Seuil, 1998, 237 p. ; rééd. « Points », Seuil, 2013.
• De l'Essence ou du nu, 152 p., Paris, Seuil, 2000 ; rééd. « Points », Seuil, Le Nu impossible, 2005.
• Du « temps ». Éléments d’une philosophie du vivre, Grasset, 2001 ; rééd. Le Livre de Poche, « Biblio », 2012.
• La Grande image n’a pas de forme ou Du non-objet par la peinture, Seuil, 2003[61]
• L'Ombre au tableau, du mal ou du négatif, Seuil, 2004[62]
• Nourrir sa vie. À l’écart du bonheur, Seuil, 2005 ; rééd. « Points », Seuil, 2015.
• Conférence sur l’efficacité, PUF, 2005.
• Si parler va sans dire. Du logos et d’autres ressources, Seuil, 2006.
• Chemin faisant, connaître la Chine, relancer la philosophie. Réplique à ***, Seuil, 2006.
• De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Fayard, 2008 ; rééd. « Points », Seuil, 2010.
• L’invention de l’idéal et le destin de l’Europe, Seuil, 2009 ; rééd. Gallimard, Folio, 2017.
• Les Transformations silencieuses, Grasset, 2009 ; rééd. Le Livre de Poche, « Biblio », 2010.
• Cette étrange idée du beau, Grasset, 2010 ; rééd. Le Livre de Poche, « Biblio », 2011.
• Le Pont des singes (De la diversité à venir). Fécondité culturelle face à identité nationale, Galilée, 2010.
• Philosophie du vivre, Gallimard, 2011 ; rééd. Gallimard, Folio, 2015.
• Entrer dans une pensée ou Des possibles de l’esprit, Gallimard, 2012, 188 p. ; rééd. Gallimard, Folio, 2018.
• L’écart et l’entre. Leçon inaugurale de la Chaire sur l’altérité, Galilée, 2012, 91 p. ; rééd. Gallimard, Folio, 2018.
• Cinq concepts proposés à la psychanalyse, Grasset, 2012, 185 p., rééd. Le Livre de Poche, « Biblio », 2013.
• De l’intime. Loin du bruyant Amour, Grasset, 2013, 253 p. ; rééd. Le Livre de Poche, « Biblio », 2014.
• Vivre de paysage ou L’impensé de la Raison, Gallimard, 2014, 258 p.
• De l'Être au vivre, Lexique euro-chinois de la pensée, Gallimard, 2015, 315 p.
• Vivre en existant, Une nouvelle éthique, Gallimard, 2016, 281 p.
• Près d'elle, Présence opaque : présence intime, Galilée, 2016, 119 p.
• Il n'y a pas d'identité culturelle, mais nous défendons les ressources d'une culture, Éditions de L'Herne, 2016, 93 p.
• Une seconde vie, Grasset, 2017, 185 p. ; rééd. Le Livre de Poche, « Biblio », 2018.
• Dé-coïncidence. D'où viennent l'art et l'existence?, Grasset, 2017, 162 p.
• Si près tout autre, De l'écart et de la rencontre, Grasset, 2018, 223 p.
• Ressources du christianisme, Mais sans y entrer par la foi, Éditions de L'Herne, 2018, 121 p.
• L'inouï, Grasset, 2019, 207 p.
• De l'écart à l'inouï, Éditions de L'Herne, 2019, 129 p.
• De la vraie vie, Éditions de l'Observatoire, 2020, 200 p.
• Politique de la décoïncidence, Éditions de L'Herne, 2020, 122 p.
• Ce Point obscur d'où tout a basculé, Éditions de l'Observatoire[63], 155 p.
• Moïse ou la Chine. Quand ne se déploie pas l'idée de Dieu, Éditions de l'Observatoire, 2022, 384 p.
• L’Incommensurable, Éditions de L’Observatoire, 2022, 250 p.
• La Transparence du matin, Éditions de L’Observatoire, 2023, 272 p.[64]
• Rouvrir des possibles. Décoïncidence, un art d'opérer, 2023, 168 p., Éditions de l'Observatoire • Modèle:979-1-03292-692-5[65]

François Jullien est l'un des penseurs contemporains les plus traduits[66]. Son œuvre est publiée dans quelque vingt-huit pays : trente et un essais traduits en allemand, trente-quatre en italien, trente-deux en espagnol, vingt en anglais, vingt-cinq en chinois, dix-sept en vietnamien[67]...

• Lu Xun, Fleurs du matin cueillies le soir, Alfred Eibel, 1976
• Lu Xun, Sous le dais fleuri [Les luttes idéologiques en Chine durant l'année 1925], Alfred Eibel Éditeur, 1978
• Zhong Yong ou la Régulation à usage ordinaire, traduction et commentaires, Imprimerie nationale, 1993