Droit de retrait
L'expression « droit de retrait » peut désigner différentes prérogatives, en fonction du domaine juridique concerné.
Sens ancien
En France, au Moyen Âge et sous l'Ancien Régime, le droit de retrait est une pratique juridique permettant de reprendre, après la vente, un bien, un fief en dédommageant l'acquéreur. Cette pratique permet de maintenir l'intégralité des patrimoines familiaux ou des possessions seigneuriales.
En droit français
Droit d'auteur
Le droit de retrait est l'un des droits moraux français défini par le code de la propriété intellectuelle. Il est reconnu à l'article L.121-4 du code de la propriété intellectuelle. L'auteur repentant peut donc retirer au cessionnaire de ses droits patrimoniaux, le monopole d'exploitation en contrepartie d'une indemnisation préalable. L'œuvre est donc retirée, ce qui signifie qu'elle ne peut plus être exploitée. Toutefois, le code de la propriété intellectuelle prévoit également un « contre-repentir » qui offre la possibilité à l'auteur d'exploiter de nouveau son œuvre. Pour ce faire, il se doit de contracter de nouveau avec son ancien cessionnaire aux conditions originairement décrites. Cependant, le droit de retrait ne touche pas toutes les œuvres du droit d'auteur puisqu'il est exclu des créations de logiciels, sauf aménagement contractuel (article L. 121-7 CPI). Il en va de même pour les agents publics qui ne peuvent l'exercer qu'avec accord de leur hiérarchie.
Droit du travail
En droit français du travail, le droit de retrait est le droit pour le salarié de se retirer « de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ». À la différence des procédures d'alerte, attachées à certaines institutions représentatives, le droit de retrait est un droit individuel mais qui peut s'exercer collectivement[1] - [2]. Il est fondé sur l'article L. 4131-1 du Code du travail pour les salariés[3] et sur l'article 5-6 du décret no 82-453 du 28 mai 1982 pour les fonctionnaires[4].
Conditions du droit de retrait
Le caractère effectif du danger n'est pas retenu, il suffit que le salarié, eu égard aux circonstances tenant à sa personne, ait pu avoir un simple « motif raisonnable » de croire à l'existence de celui-ci[5].
Le salarié a une obligation d'alerte : il doit avertir son supérieur hiérarchique dès qu'il constate ce type de danger pour pouvoir exercer son droit de retrait[5].
Le droit de retrait a pour seul objectif la sauvegarde du salarié et ne peut servir à faire la promotion de revendications professionnelles[6].
Conséquences du droit de retrait
L'exercice du droit de retrait n'entraîne ni sanction, ni retenue sur salaire (contrairement sur ce point au droit de grève) ; il peut néanmoins faire l'objet d'une retenue sur salaire si le salarié n'a pas un motif raisonnable de penser que la situation présente un danger[7]. Le salarié n'est pas tenu de reprendre le travail tant que le danger grave et imminent persiste.
Si le salarié est victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors que l'employeur était informé de la situation de danger, celui-ci est considéré comme ayant commis une faute inexcusable et la rente due au salarié est majorée.
Cependant, d'après la jurisprudence de la Cour de cassation « lorsque les conditions du droit de retrait individuel ne sont pas réunies, le salarié s'expose à une retenue sur salaire »[8] - [9].
Le salarié devant avertir sa hiérarchie, une phase d'enquête est entamée par le comité compétent. Celle-ci permet aux supérieurs de prendre d'éventuelles sanctions en cas d'abus de ce droit[5]. En cas de retrait non justifié, Le salarié peut également encourir une sanction disciplinaire voire un licenciement si son attitude peut s'analyser en une insubordination ou un acte d'indiscipline[10].
Le droit de retrait est provisoire. Le salarié se doit, lorsque l'employeur a mis en œuvre tous les moyens pour faire disparaître le danger invoqué, de reprendre le travail. En cas de non reprise du travail, il peut être sanctionné, notamment pour abandon de poste et l'employeur pourra alors mettre en demeure le salarié de reprendre le travail et à défaut, lancer une procédure de licenciement pour faute grave dans la mesure où l'abandon de poste est sanctionné judiciairement[11].
En droit canadien
- En politique canadienne, le droit de retrait est le droit d'une province de se retirer d'elle même d'un programme administré par le gouvernement fédéral.
Droit des biens
Le droit québécois a conservé l'ancienne signification de l'expression droit de retrait. En effet, le droit de retrait y est demeuré la pratique juridique permettant de reprendre, après la vente, un bien en dédommageant l'acquéreur.
Ce droit, utilisé en matière de convention d'indivision, permet d'assurer l'étanchéité du cercle des indivisaires. En effet, le droit de retrait permet aux copropriétaires indivis de racheter la quote-part (ou part) qu'une personne étrangère a acquise, à titre onéreux, en lui remboursant le prix de la cession et les frais qu'elle a acquittés. Tel que le prévoit l'article 1022 du Code civil du Québec, les indivisaires disposent d'une année, à la suite de l'acquisition de la quote-part par une personne étrangère, pour exercer ce droit.
Une exception à ce droit a d'ailleurs été prévue à l'article 1022 al. 2 C.c.Q : le droit de retrait ne peut être exercé lorsque les indivisaires ont, dans la convention d'indivision, stipulé des droits de préemption et que, portant sur un immeuble, ces droits ont été publiés.
Cette exception a pour but d'assurer une certaine stabilité du cercle des indivisaires et d'éviter l'exercice abusif du droit de retrait.
Notes et références
- Voir par exemple, les risques encourus par du personnel de chantier en cas de risque d'écroulement de la structure. Chaque employé sur le chantier étant en danger, l'ensemble des salariés sur place peut user de son droit de retrait.
- Matthieu Tracol, 12. Faut-il appliquer les « 110 propositions » ? Le Parti socialiste et les droits nouveaux des travailleurs (1972-1983), Les programmes politiques, Karim Fertikh, Mathieu Hauchecorne et Nicolas Bué (dir.), Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 217-230
- « Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d'une telle situation. L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection. »
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« Si un agent a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé ou s'il constate une défectuosité dans les systèmes de protection, il en avise immédiatement l'autorité administrative. Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un agent ou d'un groupe d'agents qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux. La faculté ouverte au présent article soit s'exercer de telle manière qu'elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent. L'autorité administrative ne peut demander à l'agent de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent. La détermination des missions de sécurité des biens et des personnes qui sont incompatibles avec l'exercice du droit de retrait individuel défini ci-dessus en tant que celui-ci compromettrait l'exécution même des missions propres de ce service, notamment dans les domaines de la douane, de la police, de l'administration pénitentiaire et de la sécurité civile, est effectuée par voie d'arrêté interministériel du ministre chargé de la fonction publique, du ministre chargé du travail et du ministre dont relève le domaine, pris après avis du comité d'hygiène et de sécurité central compétent et de la commission centrale d'hygiène et de sécurité du Conseil supérieur de la fonction publique de l'État. »
- Trafic perturbé à la SNCF : grève ou droit de retrait ? Trois questions sur le mouvement social lancé par des conducteurs et des contrôleurs, francetvinfo.fr, publié le 18 octobre 2019, mis à jour le 19 octobre 2019
- Lamy social 2007, n°2450 in fine
- Cass. soc., 11 juillet 1989 ; Cah. soc. 1989, A41
- Cass. crim., 25 novembre 2008 ; Bull. crim., pourvoi n°07-87650 ; Lire en ligne
- Cass. ch. so., 10 juin 2008 ; N° de pourvoi: 06-46000 ; Bull. civ. 2008, V, N° 130. Lire en ligne
- Annie Chapoutier, « Le droit de retrait », Travail & sécurité, n° 769, février 2016
- Georgy Arayo, Droit de retrait : prudence, juritravail.com, 28 novembre 2013
Voir aussi
Articles connexes
- Ancien Régime
- Droit d'auteur
- Droit du travail en France : Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail
- Registre spécial de danger grave et imminent : Ce registre est obligatoire. Il répertorie l'exercice du droit de retrait.
Liens externes
- France
- Droit français du travail
- Ministère du Travail, « Le droit de retrait », http://www.travail-solidarite.gouv.fr, Site officiel du ministère français du travail, 14 août 2008. Consulté le 26 janvier 2009.
- Tableau synoptique du droit de retrait (web.ac-lille.fr)