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Destruction du barrage de Kakhovka

La destruction du barrage hydroélectrique de Kakhovka a lieu dans la nuit du , dans le contexte de la campagne du Dniepr (en) de l'invasion russe de l'Ukraine.

Destruction du barrage de Kakhovka
Vue satellite du barrage après sa rupture.
Vue satellite du barrage après sa rupture.

Pays Drapeau de l'Ukraine Ukraine (de jure pour les deux rives)
Drapeau de la Russie Russie (de facto pour la rive gauche)
Coordonnées 46° 46′ 40″ nord, 33° 22′ 13″ est
Cause Explosion
Date

Contexte

Vue du barrage de Kakhovka en 2013 : les arches du déversoir traversent le cours d'eau. À l'autre bout du barrage, le bâtiment des turbines se trouve sur l'ouvrage. Des lignes haute tension enjambent le fleuve. Une grue bleue est positionnée sur le barrage.
Le barrage de Kakhovka en 2013. La rupture s'est produite à la hauteur du portique de manutention.

Les forces armées de la fédération de Russie ont pris le contrôle de la centrale hydroélectrique de Kakhovka le , au début de l'invasion de l'Ukraine[1] - [2].

La barrage de Kakhovka est une centrale hydroélectrique associée à un barrage au fil de l'eau, située près de Nova Kakhovka, sur le cours du Dniepr en Ukraine. Le barrage crée le réservoir de Kakhovka. Il s'agit d'un barrage d'importance stratégique pour l'alimentation en eau de la rive gauche du Dniepr et notamment de la Crimée, et le refroidissement de la centrale nucléaire de Zaporijjia[3], située en amont. Il permet en outre l'irrigation de grandes étendues agricoles du sud de l'Ukraine et du nord de la Crimée via le canal de Crimée du Nord.

Le le président ukrainien Volodymyr Zelensky affirme que les forces russes ont placé des explosifs à l'intérieur du barrage de Kakhovka[4] - [5]. Le 31 octobre 2022, le ministre des Affaires étrangères de la Moldavie, Nicu Popescu, affirme que l'Ukraine a intercepté des missiles russes visant un barrage du Dniestr[6].

Au cours de la contre-offensive de Kherson, les forces ukrainiennes ont mené des frappes HIMARS sur le tablier du pont pour empêcher les approvisionnements russes, une frappe endommageant partiellement une vanne[7]. Lorsque les forces russes se retirent de Kherson, elles détruisent le tablier du pont derrière elles, endommageant certaines des vannes[8] - [9].

En novembre 2022 l'armée russe ouvre les vannes et le réservoir atteint son niveau le plus bas en trois décennies[10]. L'administration militaire régionale de Zaporijia suggère que l’un des objectifs russes pourrait être d'inonder la zone au sud du barrage, afin d'empêcher les forces ukrainiennes de traverser le Dniepr. Ukrhydroenergo, la compagnie hydroélectrique ukrainienne, pensait également que les occupants russes « avaient ouvert les écluses de la station par crainte d'une avancée des soldats ukrainiens »[11].

Un niveau très bas est maintenu dans les mois suivants jusqu'à ce que le gouvernement ukrainien le fasse remonter grâce à l'apport d'un autre réservoir situé en amont sur la rivière[10]. L'arrivée d'eau au printemps 2023 s'accompagne de débordements et noie des terres situées en amont[10].

Le 30 mai 2023, une semaine avant la rupture du barrage, le gouvernement russe décrète qu'« il n'y aurait pas d'enquête sur les accidents survenus dans les installations industrielles et hydroélectriques en Ukraine occupée à la suite d’opérations militaires, de sabotages et d’actes de terrorisme »[12].

Destruction

Selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky « à 2 h 50 locale le matin du , une explosion interne des structures du barrage s'est produite »[13]. Il était sous contrôle des forces armées russes depuis le début de l'offensive, et aurait été miné[5].

Au moment de la destruction, le barrage se situait sur la ligne de front entre les forces russes et ukrainiennes[14]. Le jour même, les deux belligérants rejettent la responsabilité de la destruction sur le camp adverse. Au moins 16 000 personnes seraient concernés par la montée des eaux provoquée par la destruction du barrage.

La section centrale du barrage est détruite, ce qui entraîne des inondations généralisées en aval. Au moment de sa destruction, le niveau de l'eau avait atteint son plus haut niveau en trente ans[15].

Les images satellite obtenues par BBC News indiquent que l'état du barrage se détériorait depuis début juin, voire plus tôt, avec une section de route de la salle des turbines au barrage qui semblait s'affaisser le 2 juin, ce qui pouvait traduire de possibles problèmes structurels[16] - [17]. Selon Bernard Tardieu, président d'honneur du Comité français des barrages et réservoirs, les dommages à la route n'ont aucune conséquence sur la retenue elle-même[18]. Le , une équipe de sismologues norvégiens indiquent qu'une de leurs stations a enregistré une explosion à 2 h 54, après avoir détecté une activité plus faible à 2 h 35[19].

Selon deux responsables américains et un responsable occidental cités par la NBC, « Le gouvernement américain dispose de renseignements qui semblent désigner la Russie comme coupable de l’attaque contre le barrage en Ukraine »[20] - [21].

Le 9 juin 2023, Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l'Union Européenne indique : « Le barrage n'a pas été bombardé. Il a été détruit par des explosifs installés dans les zones où se trouvent les turbines. Cette zone est sous contrôle russe. Tout paraît indiquer que, si cela a eu lieu dans une zone sous contrôle russe, il est difficile que cela ait pu être quelqu'un d'autre »[22]

Une telle destruction est susceptible d'être qualifiée de crime de guerre au titre du Protocole I additionnel aux Conventions de Genève, établi le ,

Conséquences

Impact sur la centrale nucléaire de Zaporijjia

Selon l'Agence internationale de l'énergie atomique, il n'y a « aucun risque immédiat pour la sûreté nucléaire » mais le gouvernement ukrainien estime de son côté que la baisse du niveau du réservoir pourrait mettre en péril la centrale, ce qui a été contredit par l'agence de l'ONU en charge du nucléaire [14].

Impact militaire pour la contre-offensive ukrainienne

La destruction du barrage complique la tâche des militaires ukrainiens : la montée des eaux et l’inondation des berges vont rendre la traversée du fleuve plus difficile pour des troupes. Le conseiller du président ukrainien Mykhaïlo Podoliak a déclaré sur le sujet : « Le but est évident : créer des obstacles infranchissables sur le chemin de l’avancée »[14], limitant les options des forces ukrainiennes pour opérer sur la zone.

La route franchissant le barrage aurait pu servir aux forces ukrainiennes à avancer sur les positions russes, de l'autre côté du fleuve, dans le cadre de la contre-offensive lancée en juin 2023[16] - [14]. La montée des eaux sur la rive gauche va faire perdre des positions défensives à la Russie[23]. L'Institut pour l'étude de la guerre avançait avant l'explosion que la destruction du barrage pourrait permettre aux forces russes de « couvrir leur retraite de la rive droite du Dniepr et empêcher ou retarder les avancées ukrainiennes sur le fleuve »[24].

Impact sur les populations et infrastructures

Oleksandre Prokoudine, chef de l’administration militaire de la région de Kherson, a déclaré qu'« environ 16 000 personnes sur la rive droite de la région se trouvent en zone critique »[25]. Après l’explosion du barrage qui retenait 18 km3 d'eau, plusieurs villages ont été « complètement ou en partie » inondés[26], l’électricité et le gaz ont été coupés dans plusieurs districts[14]. Sur la rive contrôlée par l'Ukraine, au moins 17 000 civils ont été évacués le , tandis que 22 000 personnes seraient menacées par les inondations sur la rive gauche sous contrôle russe[23].

La rupture du barrage devrait assécher le canal de Crimée du Nord, alimenté par le lac de retenue. Le canal permet l'alimentation en eau de la péninsule de Crimée[23]. Selon les autorités ukrainiennes, plus d'un million et demi d'hectares de terres agricoles irriguées grâce au réservoir ne pourront plus être pleinement exploitées à court terme[27]

Les animaux du zoo de Nova Kakhovka sont morts noyés[23].

  • Kherson après la destruction du barrage de Kakhovka.
  • Situation des inondations à la suite de la destruction du barrage de Nova Kakhovka et estimation des surfaces susceptibles d’être inondées.
    Situation des inondations à la suite de la destruction du barrage de Nova Kakhovka et estimation des surfaces susceptibles d’être inondées.
  • Carte de l'écoulement du fleuve Dniepr en aval du barrage (sur un fond de carte OpenStreetMap). Le fleuve s'écoule sur environ 75 kilomètres en direction de l'est-sud-est jusqu'à son embouchure dans la mer Noire, en traversant notamment la ville de Kherson.
    Écoulement du Dniepr en aval du barrage de Kakhovka.
  • Les villages de la rive gauche du Dniepr, sous occupation russe, sont sous l'eau après la rupture du barrage de Kakhovka le 6 juin 2023.
    Les villages de la rive gauche du Dniepr, sous occupation russe, sont sous l'eau après la rupture du barrage de Kakhovka le 6 juin 2023.
  • Inondation dans l'oblast de Kherson, 10 juin 2023.
    Inondation dans l'oblast de Kherson, 10 juin 2023.
  • Dans Kherson inondée, le 7 juin 2023.
    Dans Kherson inondée, le 7 juin 2023.

Impact écologique

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a qualifié cette destruction d'écocide[28]. L'écoulement des boues accumulées au fond du lac de retenue fait peser des craintes pour l'environnement, les sédiments étant contaminés par l'agriculture et l'industrie soviétiques[29]. Le delta du Dniepr est considéré comme un sanctuaire pour nombre d’espèces animales[14], et la pollution des terres arables et des zones marécageuses et du littoral va affecter des espèces telles que la loutre d'Europe ou le grand esturgeon[29].

À la suite de la destruction du barrage, « 150 tonnes d’huile moteur » se sont déversées dans le fleuve Dniepr, selon les responsables ukrainiens, qui mettent en garde contre le risque de pollution dans la partie sud de l'Ukraine - avec en plus une possibilité de nouvelles fuites[30] - [31].

En amont, l'abaissement du niveau du Dniepr et de ses affluents va perturber les habitats naturels ainsi que les systèmes d'irrigation[29]. En aval, le Groupe de travail sur les conséquences écologiques de la guerre en Ukraine (Uwec) estime que 80 000 hectares de réserve naturelle ont été détruits[27].

Une dizaine de jours après la destruction du barrage, 150 tritons sont retrouvés morts échoués sur les côtes de la mer Noire, emportés par la crue[32]. Les eaux issues du barrage et polluées par des déchets, eaux usées, carburants, et nitrates, atteignent l'embouchure du Danube et le département environnement de la région d'Odessa considère début juillet que 7 000 kilomètres carrés de la partie nord-ouest de la mer Noire sont pollués[33]. L'apport de nitrates et d'eau douce favorise par ailleurs la prolifération algues vertes dans la mer Noire[33].

Découverte de reliques historiques

La baisse du niveau de l'eau du réservoir en amont du barrage de Kakhovka à mis au jour des vestiges de la Seconde Guerre mondiale, comme le montre des images (qui n'ont pas pu être identifiées de manière indépendante) filmées par des habitants locaux[34]. Ont été découverts des ossements humains, des armes et des équipements semblables à ceux que les soldats allemands portaient sous l'Allemagne nazie. Le secteur avait été en 1943 le théâtre de l'un des plus importants affrontements de l'Histoire, connu sous le nom de bataille du Dniepr. Plus de trois millions de soldats avaient été impliqués[34].

La zone où ont été retrouvés ces vestiges se situent aux environs de la ville de Nikopol, au sud-ouest de Zaporijia. C'est à cet endroit qu'ont eu lieu les combats les plus féroces de la bataille du Dniepr, qui s'étendait sur un front de 1 400 km. Près de la ville, « les pertes des troupes soviétiques varient de 30 000 à 60 000 soldats, et celles des troupes allemandes atteignent 20 000 soldats », selon l'historien du musée national de l'histoire de l'Ukraine, Andrii Solonets. Selon le journal The Guardian, les corps des Allemands tués lors de cette bataille avaient été abandonnés dans les marais[35]. Ces derniers ont ensuite été recouverts par l’eau, en 1956, lors de la construction du barrage de Kakhovka[36].

Voir aussi

Notes et références

  1. (uk) Anita Winkelmayer, « Російська армія окупувала частину Херсонської області України - ХОДА », Deutsche Welle, (consulté le ).
  2. AFP, « Kakhovka, barrage stratégique pour la Crimée, sous contrôle russe », sur Ici Beyrouth, (consulté le ).
  3. Stéphane Bussard, « Le réservoir de Kakhovka et l’importance stratégique de l’eau dans la guerre d’Ukraine », sur Le Temps, (consulté le ).
  4. (en) « Ukraine’s Zelenskyy accuses Russia of planning to destroy dam », sur Al Jazeera, (consulté le ).
  5. Louise Brosolo, « Guerre en Ukraine : le barrage de Kakhovka, arme de destruction massive ? », sur France 24, (consulté le ).
  6. (en) Alexander Tanas, Tom Balmforth (écriture) et Timothy Heritage (édition), « Debris of Russian missile downed by Ukraine lands in Moldovan village », sur Reuters, (consulté le ).
  7. (en) Isabelle Khurshudyan, Paul Sonne, Serhiy Morgunov et Kamila Hrabchuk, « Inside the Ukrainian counteroffensive that shocked Putin and reshaped the war », sur The Washington Post, (consulté le ).
  8. (en) Lori Hinnant et Vasilisa Stepanenko, « Damage to Russian-occupied dam submerges Ukrainian reservoir island community », sur AP, (consulté le ).
  9. (en) Catalina Marchant de Abreu, « Nova Kakhovka dam breach: Old image resurfaces to falsely illustrate today's damage », sur France 24, (consulté le ).
  10. (en) Una Hajdari, « 'Biggest ecocide in Ukraine': Thousands of species threatened by breach at Kakhovka Dam », sur Euronews, (consulté le ).
  11. (en) Geoff Brumfiel, Connie Hanzhang Jin et Jacob Fenton, « Russia is draining a massive Ukrainian reservoir, endangering a nuclear plant », sur NPR, (consulté le ).
  12. (en) Iryna Balachuk, « Russia decided accidents at hazardous facilities would not be investigated shortly before blowing up Kakhovka Hydroelectric Power Plant », sur Ukrayinska Pravda, (consulté le ).
  13. (en) « Explainer: What the Kakhovka Dam Catastrophe Means For the Ukraine-Russia War », sur The Moscow Times, (consulté le ).
  14. Cédric Pietralunga, « Après la destruction partielle du barrage Kakhovka, Zelensky dénonce un « crime de guerre » », sur Le Monde, (consulté le ).
  15. (en) « Ukraine’s Kakhovka Hydrolectric Power Plant », sur Radio Free Europe/Radio Liberty (consulté le ).
  16. (en) « Ukraine war: What we know about Kakhovka dam attack », sur BBC News, (consulté le ).
  17. « Le barrage de Kakhovka avant et après sa destruction », sur Le Monde, (consulté le ).
  18. Fabien Magnenou, « Guerre en Ukraine : la destruction du barrage de Kakhovka nourrit de multiples hypothèses », sur France TV Info, (consulté le ).
  19. (en) Nora Buli et Hugh Lawson (éditeur), « Norwegian seismologists say data shows explosions at time of Ukraine dam blast », sur Reuters, (consulté le ).
  20. « Le gouvernement américain dispose de renseignements qui semblent désigner la Russie comme coupable de l’attaque contre le barrage en Ukraine », sur Le Monde, (consulté le ).
  21. https://www.nbcnews.com/news/world/kakhovka-dam-ukraine-russia-destroyed-rcna87852
  22. Barrage ukrainien : « tout paraît indiquer » que la Russie est responsable, déclare Josep Borrell
  23. Olivier Tallès, François d'Alançon et Alain Guillemoles, « Entre l'Ukraine et la Russie, la guerre du Dniepr », La Croix, no 42636, , p. 2-3 (ISSN 0242-6056).
  24. Maxime Ponsot et AFP, « Guerre en Ukraine. Pourquoi le barrage de Kakhovka fait craindre une «catastrophe de grande ampleur» », sur Ouest-France, (consulté le ).
  25. « Ukraine : les images de la destruction de l'important barrage de Nova Kakhovka », sur Le Monde.fr, (consulté le ).
  26. AFP, « Guerre en Ukraine : Le barrage de Nova Kakhovka détruit, ce que l’on sait », sur Le HuffPost, (consulté le ).
  27. https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-pollution-cultures-detruites-faune-menacee-quelle-est-l-ampleur-de-la-catastrophe-ecologique-apres-l-explosion-du-barrage-de-kakhovka_5887379.html
  28. « Guerre en Ukraine : ce que l'on sait de la destruction du barrage de Kakhovka », sur Le Figaro, (consulté le ).
  29. « La crainte d'une pollution durable de l'estuaire », Ouest-France, no 24037, , p. 2 (ISSN 0999-2138, lire en ligne).
  30. « Guerre en Ukraine en direct : après la destruction du barrage de Kakhovka, jusqu’à 80 localités sont menacées par l’inondation selon l’Ukraine », sur Le Monde, (consulté le ).
  31. « Ukraine: quelles sont les conséquences de la destruction du barrage de Kakhovka? », sur RFI, (consulté le ).
  32. https://www.francetvinfo.fr/live/message/648/9b5/f24/bfd/256/148/0a6/848.html
  33. https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-un-mois-apres-la-destruction-du-barrage-de-kakhovka-la-pollution-atteint-la-partie-nord-ouest-de-la-mer-noire_5931797.html
  34. « Ukraine : la destruction du barrage de Kakhovka pourrait avoir dévoilé les vestiges d'une des plus grandes batailles de l'Histoire », sur Le Figaro, .
  35. (en) « Skulls left scattered after Ukraine dam breach may be from second world war », sur The Guardian, .
  36. « Ukraine. Des squelettes de soldats nazis mis au jour après la destruction du barrage de Kakhovka ? », sur Ouest France, .
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