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Dessin d'enfant (mathématiques)

En mathĂ©matiques, les dessins d'enfants, tels qu'ils ont Ă©tĂ© introduits par Alexandre Grothendieck dans son Esquisse d'un programme, sont des objets combinatoires permettant d'Ă©numĂ©rer de maniĂšre simple et Ă©lĂ©gante les classes d'isomorphisme de revĂȘtements Ă©tales de la droite projective privĂ©e de trois points. Le groupe de Galois absolu opĂ©rant de maniĂšre naturelle sur de tels revĂȘtements, le but de la thĂ©orie des dessins d'enfants est de traduire cette action en termes combinatoires.

Combinatoire

Un dessin d'enfant est un graphe abstrait connexe muni de deux structures additionnelles :

  • Une structure bipartite sur ses sommets, c.-Ă -d. une distinction entre sommets blancs et noirs de telle sorte que les extrĂ©mitĂ©s d'une arĂȘte n'aient jamais la mĂȘme couleur ;
  • Un ordre cyclique des arĂȘtes concourantes en un mĂȘme sommet.

La premiĂšre de ces deux conditions implique, par exemple, que le graphe ne possĂšde pas de boucle (arĂȘte ayant les deux extrĂ©mitĂ©s qui coĂŻncident). L'ordre cyclique est crucial dans la dĂ©finition ; en guise d'exemple, les deux derniers dessins sur la droite de la figure 1 sont distincts tout en correspondant au mĂȘme graphe abstrait.

Le degrĂ© d'un dessin d'enfant est le nombre d'arĂȘtes qui le composent. La valence d'un sommet est le nombre d'arĂȘtes auxquelles il appartient. Le degrĂ© est donc Ă©gal Ă  la somme des valences des sommets blancs (ou la somme des valences des sommets noirs). Il existe un nombre fini de dessins d'enfants de degrĂ© fixĂ©.

Figure 1. Les sept dessins d'enfants de degré 3.

Topologie

Figure 2. Les générateurs canoniques du groupe fondamental de la sphÚre privée de trois points.

Soit la sphĂšre privĂ©e de trois points et . Ayant fixĂ© un point base de , le groupe fondamental topologique est libre, engendrĂ© par deux Ă©lĂ©ments. De maniĂšre plus prĂ©cise, les lacets simples et autour de et constituent des gĂ©nĂ©rateurs canoniques de , le lacet autour de Ă©tant obtenu par la relation . On rappelle qu'il existe une bijection entre l'ensemble des classes d'isomorphie de revĂȘtements topologiques (finis) de et les classes de conjugaison de sous-groupes d'indice fini de .

Figure 3. Action de monodromie sur les arĂȘtes.

Étant donnĂ© un dessin d'enfant, il est maintenant possible de dĂ©finir une action Ă  droite de sur l'ensemble de ses arĂȘtes : le gĂ©nĂ©rateur (resp. ) envoie une arĂȘte sur la premiĂšre arĂȘte obtenue en tournant en sens anti-horaire autour du sommet noir (resp. blanc) de . Cette action, dĂ©crite dans la figure 3, est appelĂ©e action de monodromie; elle est transitive, car le graphe sous-jacent au dessin d'enfant est supposĂ© connexe. En particulier, les stabilisateurs des arĂȘtes sont des sous-groupes conjuguĂ©s de d'indice Ă©gal au degrĂ© du dessin d'enfant. On associe donc Ă  un dessin d'enfant une classe de conjugaison de sous-groupes de . RĂ©ciproquement, Ă©tant donnĂ© une telle classe de conjugaison , il est possible de lui associer un dessin d'enfant: ses arĂȘtes sont par dĂ©finition les Ă©lĂ©ments de l'ensemble des classes Ă  droite d'un reprĂ©sentant de . La multiplication Ă  droite par un Ă©lĂ©ment de dĂ©finit une action sur et deux arĂȘtes ont un sommet noir (resp. blanc) en commun si et seulement si elles appartiennent Ă  la mĂȘme orbite sous l'action du sous-groupe de engendrĂ© par (resp. par ). On vĂ©rifie facilement que ces constructions sont inverses l'une de l'autre. En rĂ©sumĂ©, on obtient la

Proposition/construction. Il existe une bijection entre l'ensemble des dessins d'enfants et l'ensemble des classes d'isomorphie de revĂȘtements topologiques finis de la sphĂšre privĂ©e de trois points.


Le paragraphe suivant propose une description plus visuelle et intuitive de cette correspondance.

Surfaces de Riemann

Il est possible de munir la surface topologique introduite dans le paragraphe prĂ©cĂ©dent d'une structure de surface de Riemann, unique Ă  isomorphisme prĂšs : elle est en effet isomorphe Ă  la sphĂšre de Riemann privĂ©e de trois points, que l'on peut supposer ĂȘtre et . Il s'ensuit que si est un revĂȘtement topologique, il existe une structure de surface de Riemann sur , unique Ă  isomorphisme prĂšs, telle que induise un revĂȘtement de surfaces de Riemann. La surface de Riemann possĂšde une unique compactification , et le morphisme se prolonge de maniĂšre unique en un revĂȘtement de la sphĂšre de Riemann uniquement ramifiĂ© au-dessus des points et . Un tel revĂȘtement est appelĂ© application de Belyi et le couple est une paire de Belyi.

Soit maintenant une application de Belyi. Le dessin d'enfant correspondant peut se rĂ©aliser concrĂštement en considĂ©rant la prĂ©image via de l'intervalle unitĂ© . Tout d'abord, est un complexe simplicial de dimension i.e. un graphe. L'ordre cyclique sur les arĂȘtes concourantes en un mĂȘme sommet est induit par l'orientation de la surface de Riemann . Les sommets noirs (resp. blancs) sont les Ă©lĂ©ments de la fibre (resp. ). Leur valence n'est autre que l'indice de ramification du point correspondant. Le complĂ©mentaire de est union disjointe de domaines, isomorphes Ă  des disques (en tant que surfaces de Riemann) ; ce sont les faces du dessin d'enfant. Dans le contexte des surfaces de Riemann, la proposition de la section prĂ©cĂ©dente peut alors se reformuler de la maniĂšre suivante :

Proposition. Il existe une bijection entre l'ensemble des dessins d'enfants et l'ensemble des classes d'isomorphie d'applications de Belyi.

Courbes algébriques

Figure 4. Les équations des dessins d'enfants de degré 3.

Le thĂ©orĂšme d'existence de Riemann, et plus gĂ©nĂ©ralement les thĂ©orĂšmes d'algĂ©brisation GAGA affirment que tout revĂȘtement fini de la sphĂšre de Riemann se rĂ©alise par analytification d'un revĂȘtement de la droite projective. En particulier si est une paire de Belyi (cf. le paragraphe prĂ©cĂ©dent), on peut supposer que est une courbe algĂ©brique (projective, lisse) dĂ©finie sur (cf ThĂ©orĂšme de Belyi et action galoisienne). On peut alors parler des Ă©quations d'un dessin d'enfant : ce sont celles qui dĂ©finissent la courbe d'une part, et celles qui dĂ©finissent le revĂȘtement de l'autre. Il est important de remarquer que ces Ă©quations ne sont pas uniques. Il est assez facile d'obtenir les Ă©quations des dessins d'enfant ayant un degrĂ© relativement petit, mais le cas gĂ©nĂ©ral se rĂ©vĂšle bien plus difficile. La figure 4 fournit la liste des Ă©quations des dessins d'enfants de degrĂ© .

Action galoisienne

Il est naturel de se demander quelles courbes se rĂ©alisent comme revĂȘtements de la droite projective non ramifiĂ©s en dehors de trois points. La rĂ©ponse est fournie par le cĂ©lĂšbre thĂ©orĂšme de Belyi, qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une uniformisation arithmetique pour les courbes algĂ©briques :

ThéorÚme (Belyi). Soit une courbe projective lisse définie sur . Les conditions suivantes sont équivalentes:

- Il existe une application de Belyi ,
- La courbe peut ĂȘtre dĂ©finie sur (i.e. il existe une courbe dĂ©finie sur telle que la courbe obtenue par extension des scalaires de Ă  soit isomorphe Ă  ).

Ce rĂ©sultat affirme que tout dessin d'enfant possĂšde des Ă©quations dont les coefficients sont des nombres algĂ©briques. De plus, on peut montrer que si deux applications de Belyi dĂ©finies sur sont isomorphes sur , alors elles le sont dĂ©jĂ  sur . Il est alors possible de dĂ©finir une action du groupe de Galois absolu sur les dessins d'enfants : fixons une application de Belyi dĂ©finie sur associĂ©e Ă  un dessin d'enfant . Pour tout Ă©lĂ©ment , le revĂȘtement obtenu en faisant agir sur les coefficients dĂ©finissant est encore une application de Belyi. Le dessin d'enfant correspondant, notĂ© , est appelĂ© conjuguĂ© galoisien de . L'un des objectifs de la thĂ©orie des dessins d'enfants de Grothendieck est de dĂ©crire cette action en termes combinatoires.

Notes et références

    Voir aussi

    Bibliographie

    • BelyÄ­, G. V., Galois extensions of a maximal cyclotomic field. Izv. Akad. Nauk SSSR Ser. Mat. 43 (1979), no. 2, 267–276.
    • Grothendieck, A., Esquisse d'un programme. London Math. Soc. Lecture Note Ser., 242, Geometric Galois actions, 1, 5–48, Cambridge Univ. Press, Cambridge, 1997.
    • Serre, J.-P., GĂ©omĂ©trie algĂ©brique et gĂ©omĂ©trie analytique. Ann. Inst. Fourier, Grenoble 6 (1955--1956), 1–42.
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