Demi-groupe inversif
En mathĂ©matiques, et notamment en algĂšbre, un demi-groupe inversif est un demi-groupe oĂč tout Ă©lĂ©ment a un inverse unique au sens des demi-groupes : pour tout Ă©lĂ©ment de , il existe un Ă©lĂ©ment unique de tel que et .
Les demi-groupes inversifs apparaissent dans un certain nombre de contextes. L'exemple le plus courant est le demi-groupe des bijections partielles d'une ensemble dans lui-mĂȘme appelĂ© le demi-groupe inversif symĂ©trique ou monoĂŻde inversif symĂ©trique sur cet ensemble[1].
Dans cette page, on écrit la fonction à droite de son argument, soit au lieu de , une convention que l'on rencontre fréquemment dans la théorie des demi-groupes.
Origines
Les demi-groupes inversifs ont été introduits indépendamment par Viktor Wagner (en)[2] en 1952[3] et par Gordon Preston en 1954[4].
Les deux auteurs arrivent aux demi-groupes inversifs via leur Ă©tude des bijections partielles d'un ensemble: une transformation partielle ou fonction d'un ensemble est une application de sur , oĂč et sont des sous-ensembles de . Si et sont deux transformations, de , on peut les composer (de gauche Ă droite) sur le plus grand domaine oĂč la composition a un sens, Ă savoir
oĂč dĂ©note l'inverse de . Wagner Ă©tait le premier Ă observer que la composition de transformations partielles est un cas particulier du produit de relations binaires[5].
Il a aussi notĂ© que le domaine de composition de deux transformations partielles pouvait ĂȘtre l'ensemble vide, et il a introduit la transformation vide pour tenir compte de ceci. Avec l'adjonction de cette transformation vide, la composition de transformations partielles sur un ensemble devient une opĂ©ration binaire partout dĂ©finie. Muni de cette composition, l'ensemble de toutes les transformations partielles d'un ensemble forme un demi-groupe inversif, appelĂ© le demi-groupe inversif symĂ©trique ou monoĂŻde inversif symĂ©trique sur X[6]. Ce demi-groupe est l'archĂ©type d'un demi-groupe inversif, de maniĂšre analogue au rĂŽle d'archĂ©type jouĂ© par le groupe symĂ©trique. Par exemple, tout comme un groupe peut ĂȘtre plongĂ© dans un groupe symĂ©trique, tout demi-groupe inversif peut ĂȘtre plongĂ© dans un demi-groupe inversif symĂ©trique (voir plus bas).
(Clifford et Preston 1967, Chapitre 7) ou (Howie 1995, Chapitre 5) sont des introductions brÚves aux demi-groupes inversifs. (Lawson 1998) et (Petrich 1984) sont des présentations systématiques.
Exemples
- Tout groupe est un demi-groupe inversif.
- Le demi-groupe bicyclique est inversif, avec .
- Tout demi-treillis est un demi-groupe inversif.
- Un demi-groupe de Brandt (en) est inversif.
- Un demi-groupe de Munn est inversif.
Propriétés de base
L'inverse (unique) d'un élément d'un demi-groupe inversif est généralement noté . Les inverses d'un demi-groupe inversif possÚdent beaucoup de propriétés similaires des inverses dans un groupe; par exemple, on a . En revanche, et ne sont pas nécessairement égaux à l'identité (s'il y en a une), mais ils sont tous deux idempotents[7]. Un demi-groupe inversif dans lequel pour tout de (un demi-groupe inversif unipotent) est un groupe.
Il existe plusieurs caractérisations équivalentes des demi-groupes inversifs[8].
ThĂ©orĂšme â Soit un demi-groupe. Les conditions suivantes sont Ă©quivalentes :
- Tout élément de a un inverse unique, c'est-à -dire est inversif.
- est un demi-groupe rĂ©gulier (câest-Ă -dire que tout Ă©lĂ©ment de a un au moins un inverse) et de plus les idempotents de commutent (en d'autres termes, les idempotents de forment un demi-treillis).
- Toute -classe toute -classe contient exactement un idempotent (ici et sont les relations de Green).
L'idempotent de la -classe de est , alors que l'idempotent de la -classe de est . Il en résulte une caractérisation simple des relations de Green dans un demi-groupe inversif[9] :
Homomorphismes et représentations
Un morphisme (ou homomorphisme) d'un demi-groupe dans un demi-groupe est une application de dans qui vérifie pour tout , de . On a la propriété suivante[10] :
PropriĂ©tĂ© â L'image homomorphe d'un demi-groupe inversif est un demi-groupe inversif; de plus, l'image de l'inverse d'un Ă©lĂ©ment est l'inverse de l'image de l'Ă©lĂ©ment.
Historiquement un des premiers résultats concernant les demi-groupes inversifs est le théorÚme ci-dessous qui est l'analogue du théorÚme de Cayley pour les groupes[11] :
ThĂ©orĂšme de Wagner-Preston â Soit un demi-groupe inversif. La fonction de dans le demi-groupe des bijections partielles sur qui Ă un Ă©lĂ©ment de associe la bijection partielle de domaine et dĂ©finie par pour dans est une reprĂ©sentation fidĂšle[12] de .
En d'autres termes, tout demi-groupe inversif peut ĂȘtre plongĂ© dans un demi-groupe inverse symĂ©trique.
Congruences et demi-groupes inverses
Un congruence de demi-groupe est une relation d'équivalence compatible avec la loi de demi-groupe, c'est-à -dire vérifiant
- [13].
Dans un demi-groupe inversif , une relation particuliÚre est la relation définie par
- il existe avec [14].
Ici, la relation d'ordre est définie par si et seulement s'il existe un idempotent tel que . On peut prouver que la relation est bien une congruence, et qu'en fait c'est une congruence de groupe, ce qui signifie que le demi-groupe quotient est un groupe. Dans l'ensemble des congruences de groupe sur , la congruence est la plus petite, dans le sens que si est une autre congruence telle que est un groupe, alors est contenue dans . La congruence est appelée la congruence de groupe minimale sur [15].
Demi-groupe inversif libre
Le demi-groupe inversif libre sur un ensemble est construit comme suit[16] : on considÚre un ensemble en bijection avec , et disjoint de , et on pose . Sur le demi-groupe libre de tous les mots non vides sur , on définit l'anti-isomorphisme involutif
pour un mot , avec , par
- ,
et, pour ,
- .
Le demi-groupe inversif libre sur est le quotient de par la congruence de Wagner définie par les relations
- pour .
Le problĂšme du mot pour les groupes inversifs libres est dĂ©cidable, mais plus compliquĂ© que pour les groupes libres. Un rĂ©sultat cĂ©lĂšbre[17] dans ce domaine est dĂ» Ă Walter D. Munn qui a montrĂ© que les Ă©lĂ©ments du demi-groupe inversif libre peuvent ĂȘtre vus comme des arbres, d'ailleurs appelĂ©s arbres de Munn. La multiplication dans le demi-groupe inversif libre a un analogue dans les arbres de Munn qui correspond essentiellement Ă superposer des parties communes d'arbres[18].
Généralisations
Comme mentionnĂ© plus haut, un demi-groupe inversif S peut ĂȘtre dĂ©fini comme satisfaisant les conditions
- S est un demi-groupe régulier et
- les idempotents de S commutent.
On peut donc considérer les demi-groupes ne vérifiant qu'une des deux conditions.
Howie, dans son livre[19] Ă©numĂšre les exemples suivants :
- demi-groupe régulier: c'est un demi-groupe S dans lequel tout élément a au moins un inverse ; de maniÚre équivalente, pour tout a de S, il existe x dans S tel que axa = a.
- demi-groupe localement inversif : c'est un demi-groupe régulier dans lequel eSe est un demi-groupe inversif pour tout idempotent e.
- demi-groupe orthodoxe : c'est un demi-groupe régulier dont les idempotents forment un sous-demi-groupe.
- demi-groupe inversif généralisé : c'est un demi-groupe régulier dont les idempotents forment un ruban (en) normal, c'est-à -dire vérifient xyzx = xzyx, pour tous idempotents x, y, z. On peut montrer[20] que la classe des demi-groupes inversifs généralisés est l'intersection des demi-groupes localement inversifs et des demi-groupes orthodoxes.
Articles connexes
- Pseudogroupe (en)
- Demi-groupe de transformations
- Classes particuliĂšres de demi-groupes (en)
Notes et références
Notes
- Lawson 1998.
- Son pÚre était allemand ; c'est pourquoi Wagner préférait la translittération allemande de son nom, avec un "W" plutÎt qu'un "V", d'aprÚs (Schein 1981).
- L'article (Wagner 1952) contient l'annonce des résultats, et (Wagner 1953) un traitement détaillé.
- (Preston, 1954a), (Preston, 1954b), (Preston, 1954c).
- (Schein 2002), page 152.
- (Howie 1995, p. 149).
- (Howie 1995), Proposition 5.1.2(1), mais la preuve est facile puisque .
- (Howie 1995), Theorem 5.1.1.
- (Howie 1995), Proposition 5.1.2(1).
- (Clifford et Preston 1967, Theorem 7.36).
- (Howie 1995) Theorem 5.1.7; prouvé par (Wagner 1952) et indépendamment par (Preston, 1954c).
- est une représentation fidÚle si pour tout implique .
- (Howie 1995, p. 22).
- (Lawson 1998, p. 62).
- Lawson 1998 : Theorem 2.4.1.
- (Munn 1973), (Lawson 1998)
- (Munn 1974)
- Des détails sont donnés dans (Lawson 1998).
- (Howie 1995), Section 2.4 et chapitre 6.
- (Howie 1995, p. 222).
Références
- (en) Alfred H. Clifford et Gordon B. Preston, The Algebraic Theory of Semigroups, vol. II, Providence, R.I., AMS, coll. « Mathematical Surveys » (no 7), , xv+350 (MR 0218472)
- (en) John M. Howie, Fundamentals of Semigroup Theory, Oxford, Oxford University Press, coll. « London Mathematical Society Monographs. New Series » (no 12), , x+351 (ISBN 0-19-851194-9, MR 1455373)
- (en) M. V. Lawson, Inverse Semigroups : The Theory of Partial Symmetries, World Scientific,
- (en) Walter Douglas Munn, « Free inverse semi-groups », Semigroup Forum, vol. 5, no 1,â , p. 262-269 (DOI 10.1007/BF02572897)
- (en) Walter Douglas Munn, « Free inverse semi-groups », Proc. London Math. Soc., 3e sĂ©rie, vol. 29,â , p. 385-404 (DOI 10.1112/plms/s3-29.3.385, MR 0360881)
- (en) M. Petrich, Inverse semigroups, Wiley,
- (en) Gordon B. Preston, « Inverse semi-groups », J. London Math. Soc., vol. 29, no 4,â , p. 396â403 (DOI 10.1112/jlms/s1-29.4.396)
- (en) Gordon B. Preston, « Inverse semi-groups with minimal right ideals », J. London Math. Soc., vol. 29, no 4,â , p. 404â411 (DOI 10.1112/jlms/s1-29.4.404)
- (en) Gordon B. Preston, « Representations of inverse semi-groups », J. London Math. Soc., vol. 29, no 4,â , p. 411â419 (DOI 10.1112/jlms/s1-29.4.411)
- (en) Boris M. Schein (en), « Obituary: Viktor Vladimirovich Vagner (1908 - 1981) », Semigroup Forum, vol. 28,â , p. 149â158 (DOI 10.1007/BF02676643)
- (en) Boris M. Schein, « Book Review: "Inverse Semigroups: The Theory of Partial Symmetries" by Mark V. Lawson », Semigroup Forum, vol. 65,â , p. 189â200 (DOI 10.1007/s002330010132)
- (ru) Viktor V. Wagner, « Generalised groups », Doklady Akademii Nauk, vol. 84,â , p. 1119â1122 (lire en ligne)
- (ru) Viktor V. Wagner, « The theory of generalised heaps and generalised groups », Matematicheskii Sbornik, novaya Seriya, vol. 32, no 74,â , p. 545â632