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DĂ©cret des deux tiers

Le décret sur les moyens de terminer la Révolution, dit décret des deux tiers, désigne un décret voté le 5 fructidor an III () par la Convention pour changer la loi électorale peu avant la fin de la mandature, afin de s'assurer du maintien en fonction d'une forte majorité de ses membres, soit 500 sur 750 députés, malgré le rejet prévisible des électeurs. Ainsi, 394 conventionnels ayant été réélus, ce décret permit à la Convention de nommer elle-même 106 députés.

Les causes du décret

Alors que la Constitution de l'an III est le fruit de la collaboration entre les républicains modérés et les royalistes constitutionnels, les concessions accordées, au printemps 1795, par la Convention aux insurgés vendéens et chouans et la répression de l'insurrection du 1er prairial an III () ont favorisé le réveil du royalisme. Alarmés par les excès de la Terreur blanche, la menace de la « proclamation de Vérone », — faite par Louis XVIII le 24 juin 1795, dans laquelle il appelle à la punition des régicides, au rétablissement des ordres et de la monarchie —, et l'expédition de Quiberon alarment les Thermidoriens. Alors que la valeur de l'assignat tombe de 7,5 % en prairial à 5 % en vendémiaire et que la vie chère frappe aussi bien les masses populaires que les petits rentiers et les petits propriétaires, l'impopularité des Conventionnels leur fait craindre un succès électoral des royalistes aux prochaines élections, lequel rendrait l'avenir de la République des plus incertains[1] - [2] - [3].

Les circonstances

Du 23 juin au , la Constitution de l'an III, Ă©laborĂ©e par une commission de onze membres rĂ©unissant des rĂ©publicains modĂ©rĂ©s et des royalistes, fait l'objet de discussions Ă  la Convention[4]. Le 1er fructidor an III (), le dĂ©putĂ© Baudin des Ardennes prĂ©sente un rapport « sur les moyens de terminer la RĂ©volution Â», dans lequel il prĂ©conise que les deux tiers des sièges au Conseil des Anciens et au Conseil des Cinq-Cents soient rĂ©servĂ©s Ă  des membres de l'ex-Convention, soit 500 des 750 Ă©lus. Pour le justifier, il explique que « la retraite de l'AssemblĂ©e Constituante vous apprend assez qu'une lĂ©gislature entièrement nouvelle pour mettre en mouvement une constitution qui n'a pas Ă©tĂ© essayĂ©e est un moyen infaillible de la renverser »[5]. Seul le girondin Saladin proteste. Ce dĂ©cret est votĂ©, avec la constitution, le 5 fructidor an III ()[6] - [7].

Plusieurs sections royalistes de Paris ayant protestĂ© contre ce dĂ©cret, la Convention vote le 13 fructidor (), Ă©galement sur un rapport de Baudin, un second dĂ©cret « sur le mode de rĂ©Ă©lection des deux tiers de la Convention Â» qui prescrit aux assemblĂ©es Ă©lectorales de commencer leurs opĂ©rations par l'Ă©lection des deux tiers. Les 68 Montagnards dĂ©crĂ©tĂ©s d'arrestation sont dĂ©clarĂ©s inĂ©ligibles[3].

Les réactions

Le 20 fructidor an III (), les assemblĂ©es primaires, ouvertes pour la dernière fois Ă  tous les citoyens sans condition de cens se rĂ©unissent pour se dĂ©terminer au suffrage universel sur la constitution et ces dĂ©crets. La ratification des dĂ©crets est laborieuse : 205 498 oui contre 108 754 non et des millions d'abstentions. Pour comparaison, la constitution a Ă©tĂ© adoptĂ©e avec 1 057 390 voix « pour Â» et 49 978 voix « contre Â». Le dĂ©cret des deux tiers a Ă©tĂ© rejetĂ© dans 19 dĂ©partements et par 47 sections parisiennes (alors dominĂ©es par les royalistes) sur 48. Seule la section des Quinze-Vingts l'approuve. Toutefois, 32 sections n'ayant pas prĂ©cisĂ© le nombre des acceptants et des refusants, leur vote n'est pas comptabilisĂ©[1].

La nouvelle constitution ayant été proclamée le 1er vendémiaire an IV (), les élections du corps législatif doivent avoir lieu du 20 au 29 vendémiaire (12 au ).

Ce décret est la cause directe de l'insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV[1].

Les conséquences

MalgrĂ© ce dĂ©cret, seuls 394 conventionnels sont rĂ©Ă©lus sur les 500 qu'il imposait, ce qui oblige la Convention Ă  nommer elle-mĂŞme 105 dĂ©putĂ©s. Pour le dernier tiers, il ne comporte que 4 sortants. Les survivants de la Montagne sont les grands perdants de l'Ă©lection, avec seulement 64 dĂ©putĂ©s « avancĂ©s Â», parmi lesquels Audouin, Poultier et Marbot. La droite, en revanche, connaĂ®t une importante poussĂ©e, avec 88 dĂ©putĂ©s contre-rĂ©volutionnaires et 73 royalistes modĂ©rĂ©s, les chefs de file de la rĂ©action Ă©tant Ă©lus dans plusieurs dĂ©partements: Lanjuinais est choisi par 39 dĂ©partements, Henry-Larivière par 37, Boissy d'Anglas par 36. Outre des hommes nouveaux hostiles au rĂ©gime, on retrouve surtout d'anciens constituants modĂ©rĂ©s, comme Dupont de Nemours, Le Coulteux de Canteleu et Tronchet, des Feuillants de l'AssemblĂ©e lĂ©gislative, comme Laffon-LadĂ©bat et LacuĂ©e[8].

Quant aux constitutionnels, ils sont reprĂ©sentĂ©s, Ă  droite, par les rĂ©publicains modĂ©rĂ©s, au nombre de 139 dĂ©putĂ©s, hostiles aussi bien au gouvernement rĂ©volutionnaire qu'Ă  une Restauration, et emmenĂ©s par Thibaudeau et Daunou. Ă€ leur gauche, 242 dĂ©putĂ©s, reprĂ©sentĂ©s par Barras, Merlin de Thionville et Tallien, regroupent les thermidoriens. Avec le ralliement d'une centaine d'Ă©lus « indĂ©cis Â» ou « partagĂ©s Â», rĂ©publicains de raison, ces deux ailes du centre constitutionnel vont constituer le noyau dirigeant du Directoire[8].

Notes et références

  1. Émile Ducoudray, « VendĂ©miaire (JournĂ©e du 13) Â», dans Albert Soboul (dir.), Dictionnaire historique de la RĂ©volution française, Paris, PUF, 1989 (rĂ©Ă©d. Quadrige, 2005, p. 1076-1079).
  2. Albert Soboul, La révolution française, Presses universitaires de France, 1965, 125 pages, p. 102.
  3. Albert Soboul, « De la RĂ©volution Ă  l'Empire en France: souverainetĂ© populaire et gouvernement autoritaire (1789-1804) Â» (p. 9-46), dans GouvernĂ©s et gouvernants, Recueils de la SociĂ©tĂ© Jean Bodin, De Boeck UniversitĂ©, 1989, 591 pages, p. 38-39.
  4. Albert Soboul, La Révolution française, Gallimard, coll. Tel, 2003, p. 432-433.
  5. Jean-Denis Bredin, Sieyès: la clé de la Révolution française, Éditions de Fallois, 1988, 611 pages, p. 371 (ISBN 2877060144).
  6. Philippe Buchez, Prosper-Célestin Roux-Lavergne, Histoire parlementaire de la révolution française, Paris, Paulin, 1838, tome 37, p. 16-19.
  7. Marie-Pauline Deswarte, Essai sur la nature juridique de la république: Constitution, institution?, L'Harmattan, 2003, 341 pages, p. 175.
  8. Denis Woronoff, La RĂ©publique bourgeoise de Thermidor Ă  Brumaire, 1794-1799, tome 3 de la Nouvelle histoire de la France contemporaine, Le Seuil, coll. Points Histoire, 2004, p. 46-49.

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