Crise du tourisme au Club Méditerranée
La crise du tourisme qui frappe le monde dans les années 2000 touche le Club Méditerranée qui modifie alors profondément sa politique commerciale. Cette crise débute le 11 septembre 2001. Par l'addition de faits successifs dans le monde entier, elle perdure toujours de nos jours, entraînant depuis plusieurs années des changements majeurs de positionnement pour l'entreprise, loin des préceptes établis lors de sa fondation un demi-siècle auparavant.
Historique
À l'aube de l'an 2000, le Club Méditerranée reste depuis de nombreuses années dans une situation difficile : les villages vieillissants au confort insuffisant pour l'époque, l'héritage d'une gestion « chaotique » ainsi qu'un modèle économique dépassé n'apportent plus de bénéfices[1]. Le voyagiste compte alors 120 villages[2], ce sera environ 70 la décennie suivante : l'entreprise reste très dépendante de cette principale activité[3]. De plus, sa présence éparpillée dans une quarantaine de pays l'affaiblit et la rend particulièrement vulnérable au moindre événement mondial[4] - [5]. Parmi toutes les tâches auxquelles il s'attèle dès son arrivée en 1997, Philippe Bourguignon entreprend une politique commerciale de diversification cherchant à augmenter le nombre de clients, quitte à baisser les prix[n 1]. Deux ans plus tard, un plan social est mis en place[6].
11 septembre 2001
Les attentats du World Trade Center marquent le début de problèmes économiques pour l'ensemble des intervenants du tourisme[7] dont le Club Méditerranée. Dès le week-end suivant, une cellule de crise[n 2] est réunie par Philippe Bourguignon dans les Yvelines[9] : la ligne directive établie par le chef d'entreprise se voit enterrée[10] - [11]. La période qui s'ensuit, nommée l'« after eleven[6] » par les Américains, oblige le Club Méditerranée à établir « une mutation complète[12] ». Le Club Méditerranée licencie plusieurs centaines de personnes juste après le 11 septembre[13]. Alors que les annulations pour les destinations du Maghreb tombent, l'entreprise décide de la fermeture d'une quinzaine de villages un mois après les événements[6] - [14] - [n 3]. Licenciements et réduction du nombre de clubs, plusieurs dizaines de millions d'euros d'économie sont attendus[6].
Mais la politique de volume et diversification de Philippe Bourguignon, entamée lors de son arrivée à la tête du voyagiste, est un échec[6] - [15]. Poussé par les principaux actionnaires, il démissionne en décembre 2002. Il est remplacé par Henri Giscard d'Estaing. Ce dernier engage alors une montée en gamme, « seule issue possible » consistant, entre autres, à s'adresser à une clientèle plus aisée financièrement mais aussi à fermer les villages non rentables[14]. Un an après l'arrivée de Henri Giscard d'Estaing à la tête du Club Méditerranée, les résultats restent mauvais, le nombre de clients chutant de plusieurs milliers[16] : il annonce une perte de quelques dizaines de millions d'euros. Les problèmes survenus en Asie pèsent sur le compte de résultat et la fermeture des villages bas de gamme reste plus que jamais au programme répète-t-il[17].
Alors que le Club Méditerranée possède une dizaine de villages sur ce continent, les attentats de Bali en 2002[18] entraînent une chute immédiate du cours de bourse[19]. Ces événements, suivis de l'épidémie de SRAS l'année suivante, engendrent un recul de chiffre d'affaires de l'ordre de 20 % sur l'Asie[20]. Les années suivantes n'épargnent pas la région avec le tsunami dans l'océan Indien qui atteint Kani[n 4] le village aux Maldives, détruit totalement Faru dans le même archipel et touche Phuket en Thaïlande[21]. Mais aussi plus particulièrement l'Indonésie, où l’entreprise exploite deux villages[19], avec de multiples autres attentats[n 5]. Bien que plus loin, tout ceci vient s'ajouter à l'ouragan Wilma qui pénalise le village de Cancún[22] ou l'épidémie de chikungunya à La Réunion qui se répand dans cette ile durant plusieurs années.
Les années suivantes, le chiffre d'affaires de l'entreprise progresse légèrement[23] - [24] et le nombre de clients suit également une courbe ascendante[25] ; le Club Méditerranée enregistre des « petits bénéfices[26] » lorsque débute la crise économique qui va s'ancrer dans le monde entier pour plusieurs années. Malgré tout, quelques signes positifs apparaissent, fruit de la politique commerciale initiée quelques années auparavant, d'économies, mais surtout de la vente d'actifs[27] - [28]. Pourtant, l’embellie est de courte durée et les bénéfices chutent de nouveau, conséquence entre autres de l'épidémie de grippe A. La grève générale aux Antilles françaises en 2009 oblige le Club Med à fermer temporairement ses deux villages, La Caravelle en Guadeloupe[29] et Les Boucaniers en Martinique[30] - [n 6].
L'Éruption de l'Eyjafjöll, qui paralyse le secteur aérien durant les vacances de printemps 2010, touche une dizaine de milliers de clients du voyagiste et lui coûte plusieurs millions d'euros[32]. L'entreprise est obligée au dernier moment d'annuler, reporter ou remplacer les voyages prévus. Contrairement à d'autres voyagistes, le Club Méditerranée dispose d'un avantage pour la gestion de ces éventements perturbateurs par le département spécifique aux crises[33] : « Dans la mesure où, contrairement aux autres tour-opérateurs, nos clients sont des adhérents, nous disposons de tous leurs portables et avons pu les contacter sans problème[32] » précise l'entreprise.
De 2010 à 2012, les chiffres vont légèrement mieux, laissant espérer que la montée en gamme est positive malgré la crise qui persiste dans le domaine du tourisme[34] - [35] - [36]. Pourtant, l'embellie reste de courte durée[37] et Henri Giscard d'Estaing précise qu'il « n'observe ni signaux de stabilisation dans les pays de destination traditionnelle ni indication que l'économie européenne doive se redresser à court terme »[38]. Les printemps arabes rejaillissent sur toute la profession et sur le Club Méditerranée.
Bassin méditerranéen
Traditionnellement, le voyagiste reste très implanté dans le bassin méditerranéen et plus particulièrement en Tunisie, au Maroc, en Turquie ainsi qu'en Égypte[37]. Le premier village du Club Méditerranée en Tunisie ouvre à Djerba en 1954, en 1961 au Maroc et sept plus tard au Caire. Outre des éventements locaux, la guerre d'Irak en 2004 fait suite aux attentats du World Trade Center et plonge l'ensemble de la région dans les difficultés[39] - [40]. Depuis 2010 et les printemps arabe, le « nombre de Français qui ont choisi l'Afrique du Nord pour leurs vacances a baissé de 47 % » précise Henri Giscard d'Estaing[41] - [42]. De son côté, la destination de la Turquie semble moins touchée au sein de l'entreprise, même si des attentats en 2003, 2004, 2010 ou 2015 frappent Istanbul et Ankara. La Grèce voisine, avec la crise de la dette publique qui débute en 2010 et entraine de multiples manifestations, ne change en rien la politique du Club Méditerranée qui n'y possède qu'un unique village prisé : la destination reste depuis quelque temps une valeur refuge[43].
Quelques mois après le 11 septembre, l'attentat de Djerba marque le début d'une série de faits qui vont entrainer le tourisme tunisien vers une réduction importante de fréquentation[37]. Alors que celui reste encore dynamique durant de quelques années, la Révolution de jasmin qui débute en 2010 entraine une chute immédiate du nombre de touristes. D'ailleurs, l'Ambassade de France déconseille la destination[44]. Le pays est encore particulièrement touché en 2015 avec l'attaque du musée du Bardo, un attentat à Sousse[45] puis vers la fin d'année à Tunis : la chute de clients s'accroit drastiquement[46]. Fer de lance de l'entreprise les années passées avec les villages situés à Djerba ou Hammamet, abandonné en 2013[37], l'entreprise n'y conserve finalement qu'un unique club sur l'île de Djerba[47] - [48].
Alors qu'un attentat a lieu à Casablanca en 2003 puis frappe le centre de Marrakech en 2011, après les manifestations de contestation de 2011, le Quai d'Orsay fini par inclure le pays dans la liste des « pays à éviter »[49]. Après les fermetures de Smir ou Marrakech - la Medina quelques années auparavant, Le Club Méditerranée conserve malgré tout trois villages dans ce pays.
Si divers événements ont lieu en Égypte comme l'accident de Charm el-Cheikh, qui touche pourtant directement un autre voyagiste français FRAM, ou le triple attentat qui s'ensuit dans le Sinaï, ceux de 2005 et 2006 qui tétanisent le tourisme, c'est surtout avec la Révolution égyptienne de 2011 que le Club Méditerranée prend les mesures les plus importantes. Le voyagiste est obligé de rapatrier certains de ses clients en urgence[50]. Par la suite, la situation politique reste instable et entraine la fermeture du site de Louxor, puis El Gouna[n 7] - [n 8]. Deux ans plus tard. L'attentat en février 2014 au Sinaï et l'attentat suicide perpétré en octobre de la même année font que l'entreprise ferme un autre village[51]. Situation particulièrement tendue, plusieurs bombes explosent durant l'année suivante[n 9]. La chute inexpliquée du Vol 9268 Metrojet, revendiquée comme attentat par l'EI, n'améliore pas la situation et le dernier village ouvert ces derniers temps par intermittence[52], Sinai Bay[n 10], voit lui aussi ses portes se fermer.
L'épidémie d'Ebola de 2014 en Afrique entraine moitié moins de ventes que d'habitude sur ce pays où l'entreprise est peu engagée avec un unique village à Cap Skirring[53] - [54], le site de Dakar ayant déjà été clos quelque temps auparavant.
Henri Giscard d'Estaing parle de crise « profonde » et n'envisage pas d'améliorations à court terme, le secteur du tourisme ayant « sans aucun doute plusieurs années difficiles devant lui »[42]. Depuis les années 2000, la moitié des anciens villages ont disparu durant cette période[42].
Notes et références
Notes
- En complément et comme exemple de cette politique commerciale visant à multiplier les clients avec des séjours moins chers, lire l'article Oyyo.
- Cette cellule de crise apparait plus particulièrement après la mort d'un enfant le 18 août 2001 dans la piscine d'un village du Club en Grèce[8].
- Au milieu de toutes ces fermetures, celle de Moorea, village emblématique de l'entreprise en Polynésie, est décidée.
- Les noms d'usage des villages, souvent leur lieu géographique, est ici en italique dans cet article.
- L'Indonésie, avec un attentat contre l’ambassade australienne à Jakarta (septembre 2004), trois attentats coordonnés à Bali contre une zone touristique, une vingtaine de morts (octobre 2005), trois attentats (deux contre des hôtels, un contre un péage d'autoroute, 17 juillet 2009).
- Le climat social aux Antilles avait déjà fait fuir Accor et Nouvelles Frontières quelques années avant. Le choix de la fermeture se pose aussi pour le Club Méditerranée mais finalement Les Boucaniers, village ouvert en 1969, est rénové[31].
- El Gouna, village trois tridents ouvert en 2004.
- En complément sur la situation plus générale du tourisme en Égypte ces années là, lire l'article : Isabelle de Foucaud, « La crise politique en Égypte menace la reprise du tourisme », Conjoncture, sur lefigaro.fr, .
- Bombes en Égypte durant 2015 : février, deux en mars, juillet.
- Sinai Bay inauguré en décembre 2010.
Références
- Manceau 2010, L'heure des comptes, p. 24 à 27
- Manceau 2010, L'heure des comptes, p. 26
- [PDF] Institut de recherche et d'études supérieures du tourisme, Stratégies des opérateurs touristiques sur le marché du voyage (lire en ligne), p. 3 et suivantes
- Manceau 2010, Introduction, p. 20
- Manceau 2010, Réinventer un business model, p. 49
- François Bostnavaron, « Le Club Méditerranée ne parvient pas à rénover sa formule », Le Monde, no 17715, , p. 15 (ISSN 0395-2037)
- Manceau 2010, Introduction, p. 15 et 20
- Manceau 2010, Inventer de nouvelles façons de travailler, p. 177 à 180
- Manceau 2010, Un monde à reconstruire, p. 106
- Manceau 2010, L'heure des comptes, p. 31
- Philippe Bourguignon, Hop !, éditions Anne Carrière, , 230 p. (ISBN 978-2-84337-330-5), chap. 16 (« Bienvenu au Club »), p. 145
- Manceau 2010, Introduction, p. 15
- Manceau 2010, Cap sur l’intelligence collective, p. 81
- Manceau 2010, Introduction, p. 16
- Béatrice Peyrani, « Club Med : le SOS du PDG », sur lepoint.fr, Le Point, (consulté le )
- Manceau 2010, Mettre le cap sur l'incomparable, p. 53
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- « Club Med : en baisse de 10% après l'attentat en Indonésie », sur boursier.com, « il est en baisse de plus de 10% dans les premiers échanges. Une sanction qui fait suite aux attentats terroristes qui ont frappé l'Indonésie »
- « Le Club Med vise une croissance de 30 % sur l'Asie en 2004 », sur quotidiendutourisme.com, Le Quotidien du tourisme, « Le groupe français a annoncé qu'il prévoyait une croissance de 20 % à 30 % sur ce continent en 2004, après une année 2003 affectée par l'épidémie de pneumonie atypique. »
- Manceau 2010, Inventer de nouvelles façons de travailler, p. 178 à 180
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- « Nette hausse des résas au Club Med », sur quotidiendutourisme.com, Le Quotidien du tourisme,
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- Manceau 2010, Convaincre les analystes, p. 152
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- « Club Med va fermer son village d'Hammamet en Tunisie », sur europe1.fr, Europe 1, « Le Club Méditerranée a confirmé mercredi la fermeture de son village d'Hammamet en Tunisie, confirmant des informations de presse tunisienne. Instabilité politique Depuis le printemps arabe, l'instabilité politique qui règne en Tunisie a fait fuir les touristes français. »
- Patrick Bartholomé et Charlotte Simonart, « Maroc: le tourisme souffre d'une surévaluation du risque terroriste », sur rtbf.be, Radio-télévision belge de la Communauté française, « Ces dernières semaines, les opérateurs français enregistraient des annulations en cascade, entre 30 et jusqu'à 50% dans certains établissements. […] On a fait un amalgame entre des stations balnéaires sûres, situées en Algérie, au Maroc, en Tunisie et le désert où de toute façon nous n’envoyons jamais aucun client. […] »
- « Égypte : Le Club Med propose des retours anticipés, Air France augmente ses capacités », sur quotidiendutourisme.com, Le Quotidien du tourisme,
- « Egypte : le Club Med ferme temporairement son site de Taba », sur leparisien.fr, Le Parisien, « Le Club Med a décidé de fermer jusqu'au 29 mars son village de vacances de Taba en Égypte, après de nouvelles recommandations du ministère des Affaires étrangères français faisant suite à un attentat qui a tué plusieurs touristes sud-coréens au Sinaï le 16 février. »
- « Égypte : la baisse du tourisme continue », sur quotidiendutourisme.com, Le Quotidien du tourisme,
- Pascale Filliâtre, « Ebola : le Club Med s'accroche au Sénégal », sur lechotouristique.com, L'Écho touristique, « Le groupe n'a pas caché […] que les ventes étaient en chute libre ( à -49%). Mais le village de Cap Skirring restera ouvert »
- Mehdi Ba, « Le naufrage silencieux du tourisme au Sénégal », sur jeuneafrique.com, Jeune Afrique,
- Jean-Jacques Manceau, Le Club Med : réinventer la machine à rêves, Paris, Perrin, , 224 p. (ISBN 978-2-262-03303-3, présentation en ligne)
Lien externe
- Jean-Bernard Litzler, « La grande panne des voyagistes », Économie, sur lefigaro.fr, Le Figaro, (consulté le )