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Combats esthétiques

Combats esthétiques est le titre sous lequel ont été recueillis, en 1993, en deux gros volumes, les articles consacrés par l’écrivain Octave Mirbeau à la peinture et à la sculpture au cours de sa longue carrière de journaliste influent (de 1877 à 1914), capable de ruiner les réputations les mieux établies et de consacrer des artistes inconnus qui jettent sur les choses un regard neuf.

Octave Mirbeau (1848-1917).

L’édition en est établie, présentée et annotée par Pierre Michel et Jean-François Nivet.

Ses passions

Auguste Rodin, La Porte de l'Enfer (Musée Rodin), dont Mirbeau nous a laissé la première description en février 1885

Chantre quasiment officiel de Claude Monet et d'Auguste Rodin, auxquels il consacre de très nombreuses chroniques et qu'il contribue plus que tout autre à faire passer, en vingt ans, d’une modeste notoriété à la gloire et à la consécration, il proclame le génie de Vincent van Gogh, de Paul Cézanne et de Camille Claudel, il chante Edgar Degas et Auguste Renoir, il rend hommage à Whistler, Eugène Carrière et Jean-François Raffaëlli, il promeut Maxime Maufra, Constantin Meunier et Aristide Maillol.

Ses exécrations

En revanche, l’auteur de L'Abbé Jules tourne en ridicule, d'un côté, les symbolistes, préraphaélites, « larvistes » et autres « kabbalistes », dont il exècre l'inspiration tournant le dos à la nature ; et, de l'autre, les académistes, les pompiers, les fabricants de toiles peintes et les industriels de la statuaire, couverts de prix et de breloques et décorés comme des vaches aux comices agricoles : ses têtes de Turc sont Alexandre Cabanel, William Bouguereau, Édouard Detaille, Carolus-Duran, Benjamin-Constant, Denys Puech…

Le devoir du critique

Hostile au système des Salons, ces « Bazars des médiocrités à treize sous », et à l’intervention de l’État niveleur dans le domaine des beaux-arts, Octave Mirbeau est partie prenante du système marchand-critique qui se met en place dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et qui permet aux peintres impressionnistes de subsister malgré l’ostracisme des Salons officiels. Mais il ne se fait aucune illusion sur les marchands et galeristes, et le mercantilisme en art lui semble éminemment dangereux, puisqu’il tend, à son tour, à étouffer les véritables talents et les voix originales, si elles sont jugées non rentables.

Son devoir de critique n'est pas d’analyser et d'interpréter les œuvres, exercice qui lui semble vain et arbitraire (il compare les critiques attitrés à des « ramasseurs de crottin de chevaux de bois »), mais simplement d’essayer de faire partager à ses lecteurs ses coups de cœur et ses exécrations, dans l'espoir de permettre à quelques artistes novateurs de se faire connaître et reconnaître et de vivre de leur art. Il est avant tout un porte-voix, qui fait de l’émotion esthétique, toute subjective, le critère de ses jugements en matière d’art. Mais, sans illusions sur les hommes et sur le système éducatif, il sait pertinemment qu'un nouveau snobisme risque de se mettre en place, sans que le grand public parvienne jamais à éprouver de véritables émotions esthétiques.

Contexte, et présentation d’un journaliste passionné d’art.

Octave Mirbeau, aujourd’hui connu pour ses compositions littéraires était d’abord pour ses contemporains un journaliste, et l’un des plus éminents critiques d’art de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Après une instauration très mouvementée et faite de nombreux compromis, la troisième République désire asseoir définitivement sa légitimité par une prise en charge de la culture se traduisant par un certain paternalisme étatique très académique [1] notamment par le biais des Salons du Palais du louvre[2]. Dès les années 1880, les avant-gardes comme Monet et les autres impressionnistes sont vilipendés et marginalisés par ce système, par la critique et par le public. Outre l’injuste rétribution du talent des artistes, la plupart des chefs-d’œuvre de l’époque échappent aux yeux du public et aux mains de la France qui laisse les riches étrangers en profiter par le biais du marché de l’art naissant avec la figure de Durand-Ruel.

C’est dans la conscience profonde de cette injustice, de ce gâchis de talents et devant la sclérose d’un tel système qu’Octave Mirbeau met sa plume et sa verve de journaliste satirique au service d’une meilleure éducation de l’art, en tentant de promouvoir les artistes qu’il estime digne de renom et de gloire.

Il s’avère que la plupart de ses jugements furent confirmés par la postérité, et Mirbeau est par beaucoup considéré comme le prophète [3] de l’art moderne.

Cette position explique le ton de journaliste satirique et piquant qu’il emploie Ă  l’égard de ses contemporains, en prenant position sur des questions souvent très pragmatiques, contrairement aux critiques d’art traditionnels. Il puise cependant sa verve et son Ă©loquence Ă  la source d’un esthĂ©tisme sincère et rĂ©flĂ©chi, ce qui fait de ce recueil d’articles sur l’art un vĂ©ritable journal de ses Combats EsthĂ©tiques, paradoxalement bien nommĂ© : entre amour d’un idĂ©al du beau et volontĂ© de le faire reconnaĂ®tre.

A. L’engagement pragmatique d’un connaisseur passionné.

• Engagement pragmatique : Octave Mirbeau a pleinement conscience du rĂ´le social qu’accompagne la tribune de la notoriĂ©tĂ©, rĂ´le qu’il compte jouer en tant qu’éducateur des sensibilitĂ©s esthĂ©tiques. Il ne sĂ©pare donc pas sa critique esthĂ©tique de son engagement pragmatique et parfois ponctuel de journaliste. Ainsi il consacre chaque annĂ©e un article aux salons du Palais du Louvre et s’évertue Ă  critiquer la mĂ©diocritĂ© de la majeure partie des Ĺ“uvres qui y figurent. Le dix , dans La France, il se penche sur le problème de la naissance d’une « industrie de la contrefaçon Â» pour dĂ©noncer la multiplication des faux. Il n’hĂ©site pas Ă  rendre hommage ou Ă  faire des oraisons funèbres après le dĂ©cès de certains artistes comme pour Jules Bastien-Lepage en 1884.

• Un effort fastidieux : Il commente d’ailleurs son rĂ´le dans certains de ses articles, ainsi en 1884 il dira Ă  propos de la rĂ©ception de l’œuvre de Manet : « le public s’est pris d’admiration ; mais que de temps et d’effort ont Ă©tĂ© nĂ©cessaires, et comme cela s’est fait peu Ă  peu, pĂ©niblement, par conquĂŞtes successives Â». Dans cette dernière phrase on voit dans la juxtaposition de deux propositions subordonnĂ©es presque redondantes que la phrase insiste sur cet effort et sur la durĂ©e du processus, insistance qui est redoublĂ©e par les trois complĂ©ments circonstanciels de manière de la fin de la phrase : « peu Ă  peu, pĂ©niblement, par conquĂŞtes successives Â».

• Une culture classique au service de l’art de son temps : Si Mirbeau s’oppose avec virulence au classicisme extrĂŞme de l’acadĂ©mie qui empĂŞche les vrais artistes d’être reconnus, ce n’est pas pour la dĂ©fense de l’avant-gardisme et de la nouveautĂ© en tant que telle, au contraire. Pour lui les ressources et motivations de l’art restent et seront toujours les mĂŞmes et c’est avec les mĂŞmes critères qu’il apprĂ©cie les peintres classiques comme Watteau, Rembrandt, Velasquez, Rubens ou encore RaphaĂ«l [4], que Monet, Rodin ou Renoir. Il dira d’ailleurs : « Je veux tenter de dĂ©montrer que ce sont rĂ©ellement les seuls qui forment aujourd’hui l’anneau de la grande chaĂ®ne qui relie l’art d’aujourd’hui Ă  l’art d’autrefois Â» . Et ce qui empĂŞche ses contemporains de voir cet anneau c’est ce qu’il appelle la « tyrannie bourgeoise Â» dans un temps oĂą « l’on est parvenu Ă  suffrage-universaliser l’art comme le reste. Â»[5].

B. Un orateur Ă  la tribune : La maĂ®trise de la polyphonie.

•Le rhĂ©toriqueur et le jeu sur les diffĂ©rentes voix du discours : Outre ces interventions pragmatiques, il fait aussi figure de journaliste satirique en usant d’une habile rhĂ©torique par des jeux sur les points de vue Ă©nonciatifs et temporels ou encore sur les diffĂ©rents Ă©thos de la voix auctoriale, que la notion de polyphonie[6] dĂ©veloppĂ©e notamment par Oswald Ducrot nous permettra d’analyser.

« Que pensera-t-on de nous plus tard quand on se dira que tous ceux qui furent de grands artistes, et qui porteront, dans la postĂ©ritĂ©, la gloire, ont Ă©tĂ© insultĂ©s, vilipendĂ©s- pis encore, plaisantĂ©s ? Â»[7]

On peut d’abord remarquer qu’ici, l’énonciateur se projette dans le futur de la postérité et montre un souci de l’image qu’y renverront ses contemporains et lui-même dans les années à venir. C’est une manière pour le locuteur de remettre le jugement qu’il énonce entre les mains de descendants qui n’existent pas encore, de ne pas marquer la particularité de son jugement et de son goût.

Du même coup se placer dans la postérité, c’est aussi instituer les avant-gardes par le texte, les montrant dans le futur comme déjà reconnues.

Mais à un troisième niveau, on voit qu’il s’agit aussi de pointer du doigt le caractère éphémère et changeant de l’institutionnalisme, qui sait rarement reconnaître les artistes de son temps justement par un manque de grandeur de vue, que le texte se propose de nous faire adopter.

•L’art de l’ironie et de la pointe : Mirbeau excelle dans le style journalistique de son Ă©poque, oĂą la presse enfin libĂ©rĂ©e et de plus en plus massive se dĂ©chaĂ®ne dans des combats comme ceux de l’affaire Dreyfus, et oĂą le succès revient Ă  celui qui sera le plus retentissant [8]. Il a donc aiguisĂ© sa plume au mĂ©tier de journaliste satirique et ses Ă©crits sur l’art s’en ressentent. En effet ses « adversaires Â» sont nommĂ©s et tournĂ©s en ridicule par une ironie souvent piquante, parfois acerbe. Sa verve est sans pitiĂ© et sans limite, ainsi Ă  la mort de Cabanel en 1889, un des emblèmes de l’acadĂ©misme, Mirbeau Ă©crit un article dans L’Echo de Paris en guise d’oraison funèbre oĂą l’ironie profite de la mort du peintre pour faire son effet. Il joint aussi la pointe Ă  l’accumulation pĂ©jorative : «  Comme il Ă©tait mĂ©diocre, mĂ©diocre immensĂ©ment, mĂ©diocre avec passion, avec rage, avec fĂ©rocitĂ©, il ne souffrait pas qu’un peintre ne fĂ»t point mĂ©diocre Â». Outre l’accumulation presque burlesque qui montre une mĂ©diocritĂ© Ă©pique du peintre, Mirbeau ajoute au ridicule en faisant un chevalier de la mĂ©diocritĂ©. Atteignant le summum de la satire, le journaliste clĂ´t son article par une parodie d’épitaphe Ă©minemment piquante : « Ci-gĂ®t un professeur : il professa. Â», tirant sur l’épigramme.

C. contre la fixitĂ© de l’acadĂ©misme, inscrire le « bouger Â» dans le discours.

Ce retournement escompté des valeurs esthétiques, il cherche aussi à l’ancrer dans l’écriture, à l’inscrire dans ses textes et en particulier dans l’utilisation des mots.

Mirbeau donne un bel exemple de cet Ă©cart ou de ce bouger qu’il peut y avoir dans un mĂŞme mot, qui peut ĂŞtre Ă  la fois expression d’un jugement sincère ou cristallisation d’un prĂ©jugĂ© social. Ainsi s’il lui arrive souvent d’employer le terme de « chef-d’œuvre Â»  pour parler des tableaux qu’il apprĂ©cie, il pointe du doigt sa mauvaise utilisation, qui va dans le sens d’une catĂ©gorisation des Ĺ“uvres par la critique au dĂ©triment de la sensibilitĂ©. Dans son article : « L’angĂ©lus Â», paru le dans L’Echo de Paris, il dĂ©nonce le fait que ce tableau de Millet soit considĂ©rĂ© Ă  tort comme sa pièce maĂ®tresse, du simple fait que la critique l’ait mis sur un piĂ©destal. Il Ă©crit : « L’angĂ©lus est, Ă  ce qu’il paraĂ®t, le chef-d’œuvre de Millet. Â». On voit avec la proposition incise : « Ă  ce qu’il paraĂ®t Â» qui signale le ton ironique du propos, le discrĂ©dit qu’il porte Ă  ce jugement. Mais on remarque aussi que Mirbeau pointe du doigt cette tendance grĂ©gaire qu’on a Ă  s’en rapporter au discours gĂ©nĂ©ral, Ă  la doxa, plutĂ´t qu’à sa propre sensibilitĂ© et Ă  ce qu’il paraĂ®t vraiment de la chose. Ainsi le journaliste amène le lecteur Ă  faire un travail de « re-sĂ©mentisation Â» du mot, pour que lui apparaisse l’écart entre ce qu’il devrait signifier et sa signification dĂ©tournĂ©e au sein d’un discours figĂ© oĂą il n’a d’autre fondement que sa profĂ©ration par une figure d’autoritĂ©.

 Une verve de chroniqueur qui cache une rĂ©elle sensibilitĂ© esthĂ©tique et une volontĂ© de la faire partager.

• Le lyrisme : S’il conserve dans ses Ă©crits sur l’art ce style de chroniqueur satirique, c’est pour servir la cause de l’art et des artistes de son temps. Dans de nombreux articles, alors qu’un premier Ă©nonciateur tonitruant excite l’intĂ©rĂŞt du lecteur, il semble que le front d’un second, peut-ĂŞtre plus personnel,  perce par endroits le masque du chroniqueur, pour laisser voir une sensibilitĂ© esthĂ©tique allant parfois jusqu’au lyrisme. Ainsi souvent l’usage de la première personne du singulier exprimant un jugement n’arrive qu’après l’utilisation du pronom impersonnel « on Â» ou du pronom « nous Â» ; il arrive Ă©galement que l’ironie et l’épigramme qui sont des procĂ©dĂ©s du demi-mot et de l’implicite, laissent place Ă  des exclamations plus franche et plus directes exprimant les Ă©motions d’un Ă©nonciateur sensible ; il dira en parlant de Claude Monet : « Cela est beau, allez ! Â». Ici il semble que l’énonciateur renonce mĂŞme Ă  convaincre le lecteur dans une sorte de rĂ©signation comme lorsqu’il dit Ă  propos de Bastien-Lepage mĂ©connu malgrĂ© son talent : « Cela est triste assurĂ©ment, mais qu’y faire ? Vous ĂŞtes un artiste, un vrai… Â» [9]. Cette dualitĂ© des Ă©nonciateurs au sein du texte marque la division qui sĂ©pare l’engagement dans des questions pragmatiques, et la description des tableaux Ă  proprement parler ; celle du journaliste et celle du critique d’art.

• La simplicitĂ© de la description picturale : il semble que ce soit la simplicitĂ© qui prĂ©side Ă  l’écriture d’art. Les descriptions utilisent un vocabulaire simple et direct, rarement imagĂ© et allant Ă  l’essentiel des Ă©motions, avec un rythme souvent ternaire comme ici : « Un arbre, un chemin et le ciel, il ne lui en faut pas plus pour faire un chef-d’œuvre Â»[10]. On voit que la phrase peut se diviser en deux parties, la première qui est nominale juxtaposant trois Ă©lĂ©ments simples de description du tableau, et la seconde qui ne fait que s’y rĂ©fĂ©rer pour l’appeler chef-d’œuvre. Dans cette phrase d’une extrĂŞme simplicitĂ©, on peut voir que l’écriture ne s’appesantit ni sur la description, ni sur le commentaire puisqu’elle les rĂ©unit au sein d’une mĂŞme phrase courte, qui ne fait qu’esquisser le tableau et affirmer sa beautĂ©.

Ainsi il apparaĂ®t que la verve satirique serve la sensibilitĂ© esthĂ©tique, et que cette sensibilitĂ© esthĂ©tique Ă  la base de l’engagement excuse le recours Ă  une verve de chroniqueur qu’il condamne par ailleurs. Cependant c’est peut-ĂŞtre de cette dualitĂ© mĂŞme des Ă©nonciateurs que ressort la sincĂ©ritĂ© du locuteur et peut-ĂŞtre du sujet parlant qu’est la personne rĂ©elle d’Octave Mirbeau. En effet on pourrait rĂ©unir les deux styles qui semblent s’opposer, sous le mĂŞme patronage de l’éloquence, telle que la voit et la dĂ©finit Mirbeau lorsqu’il dit « Ă  qui toute Ă©loquence, toute sincĂ©ritĂ© Ă©chappe. Â», mettant sur le mĂŞme plan par la reprise de l’adjectif « toute Â» l’éloquence et la sincĂ©ritĂ©. L’éloquence serait le produit et la preuve d’une conception sincère et rĂ©flĂ©chie d’un idĂ©al du beau.

Une conception d’un art de la simple émotion, dont l’écriture est le vecteur et l’incarnation.

On voit que cette simplicité adoptée face à la peinture qui est décrite est réfléchie, volontaire et (ce qui porte à l’interroger) travaillée. En effet Mirbeau ne se borne pas à affirmer la beauté de cette simplicité artistique, il la met en œuvre dans son travail d’écrivain pour que ses écrits sur l’art deviennent des écrits d’art.

•La simplicitĂ© de la reprĂ©sentation : Le texte dans ses descriptions de tableau finit par faire corps avec ce qu’il dĂ©crit, par aboutir Ă  l’effet mĂŞme dont il provient. « Pour nous dĂ©crire le drame de la terre et pour nous Ă©mouvoir, M. Pissaro n’a pas besoin de gestes violents, ni d’arabesques compliquĂ©es (…)… Un coteau, sans une silhouette, sous un ciel, sans un nuage, et cela suffit… Â» [11]. Cette phrase est caractĂ©ristique de la technique de description de tableau d’Octave Mirbeau, et l’on y observe ce phĂ©nomène de conjoncture de la parole avec son sujet. En effet la deuxième phrase semble illustrer le propos de la première dans sa faction, elle ne comporte pour produire son effet « ni geste violent Â», « ni arabesques compliquĂ©es Â». La description Ă  proprement parler du tableau y est doublement binaire puisqu’elle est divisĂ©e en deux parties « un coteau, sans une silhouette Â» et « sous un ciel, sans un nuage Â», elles-mĂŞmes symĂ©triquement divisĂ©es en deux autour de la prĂ©position privative pivot « sans Â» ; le tout s’enchaĂ®nant sans accroc, semblant se fondre dans une unitĂ© parfaite avec la dernière proposition « et cela suffit… Â» grâce Ă  la douceur de l’allitĂ©ration en « s Â». Les points de suspensions qui contiennent la phrase ajoutent Ă  cette douceur en Ă©lidant l’abrupt du commencement ou de la fin. La simplicitĂ© est aussi mise en exergue par le fait que la description se rĂ©sume Ă  la prĂ©sence de deux Ă©lĂ©ments, qui ne sont prĂ©cisĂ©s que nĂ©gativement.

•La simplicitĂ© de l’émotion : Toujours sur Pissaro, le critique Ă©crit : « Et de tout cela, il vous vient une impression intense et poignante de grandeur, et aussi une impression très douce de charme. Â», cette fois-ci c’est l’impression elle-mĂŞme qui s’énonce dans une grande simplicitĂ©, qu’encore une fois la binaritĂ© et la symĂ©trie de la construction mettent en valeur. On sent ici une parole qui pèse ses mots et qui n’utilise que le mot juste, sans recherche d’effet, et dans laquelle, les mots utilisĂ©s en toute simplicitĂ© semblent prendre tout leur poids et atteindre Ă  leur signification la plus essentielle. Et l’écriture, comme le tableau n’a rien Ă  ajouter aux Ă©lĂ©ments dont elle dispose. Cela n’empĂŞche pas l’émotion qui en dĂ©coule d’être sophistiquĂ©e, en mĂŞme temps que naturelle, puisqu’ici la douceur s’allie comme naturellement dans la simplicitĂ© de l’expression au puissant et au poignant.

• L’écriture, incarnation d’un naturel travaillĂ©: L’expression doit ĂŞtre simple et naturelle, mais bien sĂ»r travaillĂ©e comme le montrera ce dernier exemple tirĂ© de l’article sur Renoir : « rien n’est abandonnĂ© au hasard, au laisser-aller de l’inspiration Â» [12] : ici Mirbeau Ă©nonce le fait que la simplicitĂ© dont il parle n’est pas synonyme d’inspiration libre. On retrouve dans la phrase la parataxe habituelle Ă  son Ă©criture qui donne un aspect de simplicitĂ© au discours. De plus la phrase semble rĂ©pondre Ă  l’inspiration d’une pensĂ©e qui avance, puisque l’expression « au hasard Â» fait l’objet d’un retour de l’écriture sur elle-mĂŞme venant prĂ©ciser l’idĂ©e. Ainsi la deuxième expression semble venir après et peut-ĂŞtre surgir de la première. Or on peut supposer que dans un premier Ă©lan, Mirbeau aurait pu d’abord Ă©crire « laissĂ© au hasard Â», plus courant que « abandonnĂ© Â», et qu’il aurait fait ensuite retour sur ce terme lorsqu’il se serait rendu compte de la rĂ©pĂ©tition qui se faisait avec « laisser-aller Â». On verrait alors dans ce travail Ă  rebours (supposĂ©) de l’inspiration, mais qui conserve l’allure du naturel, une illustration de ce que Mirbeau recherche en peinture.

Citations

  • « Un peintre qui n'a Ă©tĂ© qu'un peintre ne sera jamais que la moitiĂ© d'un artiste. » ()
  • « On peut dire de lui [Claude Monet] qu'il a vĂ©ritablement inventĂ© la mer, car il est le seul qui l'ait comprise ainsi et rendue, avec ses changeants aspects, ses rythmes Ă©normes, son mouvement, ses reflets infinis et sans cesse renouvelĂ©s… » ()
  • « Chaque fois que j'apprends qu'un artiste que j'aime, qu'un Ă©crivain que j'admire viennent d'ĂŞtre dĂ©corĂ©s, j'Ă©prouve un sentiment pĂ©nible, et je me dis aussitĂ´t : Quel dommage ! » ()
  • « Le critique est, en gĂ©nĂ©ral, un monsieur qui, n'ayant pu crĂ©er un tableau, une statue, un livre, une pièce, une partition, n'importa quoi de classable, se dĂ©cide, enfin, pour faire quelque chose, Ă  juger pĂ©riodiquement l'une de ces productions de l'art, et mĂŞme tout Ă  la fois. Ă©tant d'une ignorance notoirement universelle, le critique est apte Ă  toutes besognes et n'a point de prĂ©fĂ©rences particulières. » ()
  • « Tout l'effort des collectivitĂ©s tend Ă  faire disparaĂ®tre de l'humanitĂ© l'homme de gĂ©nie, parce qu'elles ne permettent pas qu'un homme puisse dĂ©passer de la tĂŞte un autre homme, et qu'elles ont dĂ©cidĂ© que toute supĂ©rioritĂ©, dans n'importe quel ordre, est, sinon un crime, du moins une monstruositĂ©, quelque chose d'absolument anti-social, un ferment d'anarchie. Honte et mort Ă  celui dont la taille est trop haute ! » ()
  • « La vĂ©ritĂ©, c'est qu'il n'est pas d'art plus sain… il n'est pas d'art plus rĂ©ellement, plus rĂ©alistement peintre que l'art de van Gogh… Van Gogh n'a qu'un amour : la nature ; qu'un guide : la nature… Il a mĂŞme l'instinctive horreur de tous ces vagues intellectualismes oĂą se complaisent les impuissants. » ()
  • « Nous voulons qu'on nous mente, qu'on nous mente en tout, qu'on nous mente sans cesse, par le livre, le théâtre, par le discours, par le dessin, par le marbre et par le bronze. Et c'est ce mensonge universel que nous appelons idĂ©al ! » ()
  • « Quand je suis triste, rien ne me dĂ©ride comme de penser Ă  l'art officiel, Ă  ses pompes, Ă  ses Ĺ“uvres. c'est un des sujets les plus merveilleusement comiques qu'il y ait dans le monde. Et il est inĂ©puisable. » ()

Bibliographie

  • Octave Mirbeau, Combats esthĂ©tiques, Ă©ditĂ©s, prĂ©facĂ©s et annotĂ©s par Pierre Michel & Jean-François Nivet, Paris, Nouvelles Éditions SĂ©guier, 1993 (ISBN 9782840490104 et 9782840490111)
  • Laure Himy, « La Description de tableaux dans les Combats esthĂ©tiques de Mirbeau », in Octave Mirbeau : passions et anathèmes, Presses de l’UniversitĂ© de Caen, 2007, p. 259-268.
  • Denys Riout, « Mirbeau critique d'art Â», i, Un moderne : Octave Mirbeau, J. & S. Ă©diteurs - EurĂ©dit, Paris - Cazaubon, 2004, p. 253-264.

Liens externes

Notes et références

  1. Francis DĂ©mier dans La France du XIXème siècle parle de l'art officiel comme Ă©tant « dominĂ© par l’acadĂ©mie des beaux-arts, qui conseille l’État et fait rĂ©gner un goĂ»t officiel fait de rĂ©fĂ©rences Ă  l’antique et de mĂ©pris pour le monde moderne Â»
  2. Chaque année un salon avait lieu où étaient exposés les tableaux sélectionnés par l'académie des beaux-arts, haut-lieu de l'art officiel, il était incontournable pour les artistes voulant se faire connaitre du public. Il est très critiqué par Mirabeau en tant que symbole de l'académisme.
  3. Guillaume Apollinaire dira de lui qu'il Ă©tait « Le seul prophère de ce temps Â».
  4. La préface de Pierre Michel et Jean-François Nivet nous apprend qu'il les a admirés dans les différents musées européens qu'il a visité au cours de ses voyages.
  5. Le Figaro,  " sur les commissions " 1890
  6. Notion dĂ©veloppĂ©e en France notamment par Oswald Ducrot : conteste l'unicitĂ© du sujet parlant, il distingue le sujet parlant, producteur empirique de l'Ă©noncĂ© et le locuteur, instance qui prend la responsabilitĂ© de l'acte de langage. le locuteur peut mettre en scène un Ă©nonciateur (instance purement abstraite, Ă©quivalent du personnage focalisateur) dont il cite le point de vue en s'en distanciant ou non.
  7. La France en 1884 sur "Claude Monet"
  8. Albert Pierre : Histoire gĂ©nĂ©rale de la presse française
  9. La France, « Bastien-Lepage Â», 1884
  10. La France, « Claude Monet Â», 1884
  11. L’art dans les deux mondes, « Pissaro Â» janvier 1991
  12. La France , « Renoir Â», 1884
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