Chris Ealham
Chris Ealham, nĂ© en 1965, est un historien britannique spĂ©cialiste dâhistoire urbaine et du mouvement anarchiste espagnol et catalan.
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Saint Louis University Madrid Campus (en) (depuis ) Université de Lancaster (- Université de Cardiff (- |
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Biographie
Influence de la culture punk
NĂ© dans le Kent (Angleterre) en 1965, Chris Ealham grandit dans une famille modeste, entourĂ© de frĂšres qui connaissent le chĂŽmage ainsi que les grandes grĂšves des annĂ©es quatre-vingt en Angleterre. Alors quâil est en Ă©chec scolaire, il connaĂźt une rĂ©vĂ©lation Ă lâĂąge de treize ans lorsquâil dĂ©couvre la culture punk : « Cela a complĂštement changĂ© ma vie. Câest la clĂ© de ma formation culturelle et intellectuelle. Jâai dĂ©couvert les grandes idĂ©es qui finissent en « isme » : surrĂ©alisme, anarchisme, situationnisme, marxisme... Et cela mâa ouvert de nouvelles perspectives, trĂšs diffĂ©rentes de celles que je recevais Ă lâĂ©cole »[1]. Il dĂ©couvre notamment le groupe anarcho-punk Crass, dont les paroles critiquent ouvertement le militarisme, la sociĂ©tĂ© de consommation et la loi, dans une critique globale de lâordre Ă©tabli. Cette sensibilisation aux luttes sociales et politiques contre le capitalisme et lâestablishment Ă©veillent sa curiositĂ© intellectuelle, si bien que son attitude Ă lâĂ©cole change et quâun de ses professeurs confie Ă la mĂšre dâEalham que ce dernier devrait aller Ă lâuniversitĂ©, une premiĂšre dans sa famille.
De la musique punk au militantisme libertaire
Ealham dĂ©couvre dans la foulĂ©e lâorganisation Rock Against Racism, qui en 1978 organise Ă Londres avec lâAnti-Nazi League une manifestation contre le fascisme : 100 000 personnes marchent de Trafalgar Square jusquâau quartier East End (un bastion du Front national britannique), et assistent Ă un concert en plein air au Victoria Park, oĂč se produisirent notamment The Clash, Steel Pulse, Tom Robinson Band ou encore X-Ray Spex. « Ce fut un moment important pour moi et je me suis pleinement engagĂ© dans lâantifascisme »[2], dĂ©clare Ealham.
Ealham a quatorze ans lorsque Margaret Thatcher devient Premier ministre du Royaume-Uni en 1979. Pour stabiliser le capitalisme dans un contexte de grave crise Ă©conomique, elle met en place une sĂ©rie de rĂ©formes radicales, conservatrices et libĂ©rales ; la prĂ©caritĂ© sâest accrue et le chĂŽmage a considĂ©rablement augmentĂ©. « En consĂ©quence, lâatmosphĂšre est devenue propice aux groupes fascistes, qui Ă©taient dĂ©jĂ assez organisĂ©s et qui ont essayĂ© de rallier les classes populaires Ă leur idĂ©ologie. JâĂ©tais juste un enfant, mais ma premiĂšre Ă©ducation politique est venue du mouvement punk »[2]. Avec une dizaine dâamis, au dĂ©part unis par leur goĂ»t pour la musique punk, ils publient ce qui est au dĂ©part un fanzine du groupe Crass, mais qui se mue rapidement en un magazine dĂ©nonçant les mesures sociales du gouvernement Thatcher, Ă une Ă©poque oĂč il nây a quasiment aucune opposition au Parlement, le Parti travailliste Ă©tant alors considĂ©rablement affaibli. Les rĂ©formes radicales de Thatcher rencontrent cependant des rĂ©sistances qui se manifestent sous la forme de grĂšves voire dâĂ©meutes, et lâextrĂȘme gauche anarchiste rallie de plus de plus de jeunes comme Ealham, qui se revendique dĂšs lors comme libertaire.
Formation universitaire
Il est le premier de sa famille Ă aller Ă lâuniversitĂ©, et lâun des rares de son lycĂ©e Ă y ĂȘtre allĂ© : « C'Ă©tait quelque chose d'exceptionnel dans mon Ă©cole â la grande majoritĂ© de mes pairs est allĂ©e directement dans les usines, l'armĂ©e ou les files d'attente pour le chĂŽmage â et dans mon entourage familial, j'ai Ă©tĂ© le premier Ă mettre les pieds Ă l'universitĂ©, grĂące Ă l'Ătat-providence britannique et son systĂšme de bourses, qui a couvert mes frais de scolaritĂ© et mes dĂ©penses »[2].
Il frĂ©quente la Queen Mary University of London, oĂč il se passionne pour lâhistoire de la gauche rĂ©volutionnaire pendant le cycle insurrectionnel de lâentre-deux guerres en Europe. InfluencĂ© par les lectures de Anarchism de George Woodcock et Hommage Ă la Catalogne de George Orwell, il est trĂšs attirĂ© par lâexception du cas espagnol, lâEspagne Ă©tant le pays qui selon lui a connu la rĂ©volution la plus profonde de lâhistoire de lâhumanitĂ© dans le domaine participatif[1]. Il hĂ©site quelque temps Ă travailler sur le communisme allemand dans le contexte de montĂ©e du nazisme, mais il reconnaĂźt que la perspective dâapprendre lâallemand de zĂ©ro le rebute, contrairement Ă lâapprentissage de lâespagnol et du catalan[2]. Par ailleurs, les cours de lâhistorien Paul Preston sur le dĂ©veloppement de lâanarchisme espagnol sont dĂ©cisifs : il se tourne alors dĂ©finitivement vers lâanalyse de lâanarchisme et des mouvements libertaires catalans durant lâentre-deux-guerres.
Il soutient sa thĂšse de doctorat en 1995 Ă la Queen Mary University of London, intitulĂ©e Maintenir lâordre pendant la rĂ©cession : chĂŽmage, manifestations sociales et ordre public dans la Barcelone rĂ©publicaine (1930-1936), sous la direction de Paul Preston. Ce dernier a influencĂ© plusieurs gĂ©nĂ©rations de chercheurs britanniques, dont Ealham, qui se sont spĂ©cialisĂ©s dans l'histoire de la guerre civile espagnole ; Ealham sâinscrit dans une tradition de recherche britannique sur lâEspagne qui remonte Ă la dictature franquiste, lorsque les intellectuels espagnols nâavaient pas accĂšs aux archives de leur pays et ne pouvaient pas effectuer de recherches remettant en cause le rĂ©gime. La transition vers la dĂ©mocratie et le libre accĂšs subsĂ©quent aux archives ont naturellement replacĂ© les universitĂ©s espagnoles dans une position de premier plan dans l'Ă©tude de ce sujet crucial ; nĂ©anmoins, la contribution de l'Ă©cole britannique reste importante, et Chris Ealham en est la preuve[3].
CarriĂšre universitaire
Ancien maĂźtre de confĂ©rence Ă lâUniversitĂ© de Cardiff (1994-2004) et Ă lâUniversitĂ© de Lancaster (2004-2007)[4], Chris Ealham enseigne depuis 2008 Ă la Saint Louis University Madrid Campus (en)[5].
Travaux de recherche
Participant actif aux dĂ©bats souvent hargneux sur lâhistoriographie espagnole de la guerre civile, Chris Ealham affirme, dans la lignĂ©e de Paul Preston, que les historiens populistes ont opĂ©rĂ© un rĂ©visionnisme franquiste dans les Ă©tudes sur la Guerre civile espagnole[6].
Une « histoire par le bas »
Le travail de Chris Ealham se caractĂ©rise par la tentative de reconstruire la mentalitĂ© des acteurs quâil Ă©tudie, de leurs visions du monde et de leur perception dâeux-mĂȘmes. Il affirme la nĂ©cessitĂ© dâanalyser le passĂ© dans une perspective anthropologique et, dans le cas de lâanarchisme, de lâanalyser de lâintĂ©rieur. Pour cela, il a interviewĂ© dâanciens militants anarchistes espagnols et catalans, a utilisĂ© des autobiographies de militants pour entrer dans leur monde et essayer de saisir le sens de leurs actions. En cela, Ealham affirme sâinscrire dans la tradition de lâĂ©cole britannique dâhistoire sociale, citant comme exemple Edward Palmer Thompson[7] - [8] , historien britannique promoteur de « lâhistoire par le bas » (history from below). Partant du principe que lâanarchisme « part du bas »[1], câest-Ă -dire de la rue, du peuple et des masses, Chris Ealham cherche dans son travail Ă comprendre les impulsions populaires de lâintĂ©rieur, en essayant de saisir leur expĂ©rience personnelle de lâanarchisme catalan : « Avec mon obsession de lâhistoire par le bas, jâai rejetĂ© lâobsession empirique des statistiques, pour mâappuyer davantage sur la texture de la vie quotidienne »[2].
Une histoire interdisciplinaire
Ealham considĂšre que recourir Ă lâinterdisciplinaritĂ© pour Ă©tudier lâanarchisme revient Ă reconnaĂźtre que ce mouvement libertaire est multiforme, avec des dimensions culturelles, Ă©conomiques, politiques, protestataires et symboliques[2] : « Pour explorer lâanarchisme en profondeur, il est nĂ©cessaire dâopĂ©rer Ă diffĂ©rents niveaux en intĂ©grant des Ă©lĂ©ments de diffĂ©rentes disciplines. Il nây a pas dâautre moyen »[1]. Ses recherches innovent donc en proposant une approche pluridisciplinaire, Ă la croisĂ©e de lâhistoire ouvriĂšre, la gĂ©ographie urbaine et la psychologie sociale. Chris Ealham mobilise ainsi lâhistoire, lâanthropologie, la gĂ©ographie et la psychologie.
La spatialité de l'histoire
Mentionnant « les absences spatiales de certaines histoires sociales »[9] et cherchant Ă rectifier « la myopie spatiale des analyses de lâhistoire espagnole »[2], Chris Ealham se distingue particuliĂšrement par son recours Ă la gĂ©ographie urbaine : « J'ai rĂ©alisĂ© l'importance spatiale du mouvement, le rĂŽle jouĂ© par l'espace public et la gĂ©ographie urbaine, et comment ils influencent les mouvements sociaux, alors qu'ils luttent non seulement pour augmenter leur pouvoir social mais aussi pour conquĂ©rir les espaces »[2], dĂ©clare-t-il. Aussi, Ă©tudiant lâutilisation et lâorganisation de lâespace urbain par la lutte ouvriĂšre et anarchiste en Catalogne, ses travaux se concentrent donc sur une analyse spatiale de lâhistoire ouvriĂšre en Espagne contemporaine, et sur lâĂ©tude dâun urbanisme insurrectionnel et rĂ©volutionnaire, particuliĂšrement dans la ville de Barcelone[10]. Pour Ealham, il est nĂ©cessaire de concentrer le travail historique dans le tissu gĂ©ographique et urbain dâune rĂ©alitĂ© spĂ©cifique, soulignant que la lutte anarchiste a toujours tentĂ© de contrĂŽler les villes et les quartiers, crĂ©ant des conflits territoriaux avec le pouvoir des autoritĂ©s locales[1]. Ealham dĂ©nonce ainsi la tendance quâont certains historiens Ă dĂ©laisser lâaspect gĂ©ographique et urbain alors quâils Ă©tudient les luttes sociales : « Les historiens oublient souvent que le passĂ© existe davantage dans lâespace que dans le temps »[2].
José Peirats Valls
Chris Ealham est l'auteur d'une biographie du militant anarchiste et historien de l'anarchisme JosĂ© Peirats Valls. Selon Ealham, les intellectuels ouvriers dans le mouvement anarchiste se sont non seulement battus pour un monde meilleur, mais aussi pour amĂ©liorer les connaissances des ouvriers nâayant pas Ă©tĂ© Ă lâĂ©cole et Ă©liminer lâanalphabĂ©tisme ; en effet, avant et aprĂšs la RĂ©publique, lâouvrier moyen commençait Ă travailler Ă lâusine dĂšs lâĂąge de sept ou huit ans. Câest grĂące Ă un rĂ©seau dâĂ©coles construites par le mouvement anarcho-syndical que des militants ont pu avoir accĂšs Ă la culture, comme Peirats[1]. Ealham sâintĂ©resse Ă lui en tant que militant anarchiste, mais aussi en tant quâhistorien du mouvement ouvrier, car Peirats Valls est lâun des premiers Ă avoir affirmĂ© le rĂŽle fondamental jouĂ© par les anarchistes dans la RĂ©volution espagnole.
Publications
- En français
- Chris Ealham, Barcelone contre ses habitants, 1835-1937 : les quartiers ouvriers de la rĂ©volution, Toulouse, Collectif des MĂ©tiers de lâĂdition, 2014.
- Chris Ealham, Les Anarchistes dans la ville : Révolution et contre-révolution à Barcelone, 1898-1937, Marseille, Agone, coll. « Mémoires sociales », 2020[11].
- En anglais
- Chris Ealham, Class, Culture and Conflict in Barcelona, 1898-1937, London, Routledge, 2005[12].
- Chris Ealham & Michael Richards (Ă©d.), The Splintering of Spain: New Historical Perspectives on the Spanish Civil War, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
- Chris Ealham, Anarchism and the City: Revolution and counter-revolution in Barcelona, 1898-1937, Oakland (CA), AK Press, 2010.
- Chris Ealham, Living anarchism: José Peirats and the Spanish anarcho-syndicalist movement, Oakland (CA), AK Press, 2015.
Pour une bibliographie complĂšte, voir ici.
Références
- (ca) Jordi de Miguel Capell, « Chris Ealham, historiador âEncara fa por la paraula âanarquismeâ: els pĂ nics morals segueixen influintâ », La Directa, no 407,â 3 mai 2016,, p.12 (lire en ligne).
- (ca) Txema Bofill, « Chris Ealham, historiador de lâaltre Barcelona, la dels barris i desposseĂŻts », En Contra,â (lire en ligne, consultĂ© le ).
- (ca) Francisco J. Romero Salvadó, « Investigando el laberinto español en el Reino Unido » [PDF], Studia Historica: Historia Contemporånea, no 32, p. 451-462.
- (en) « Chris Ealham », PM Press.
- (en) « Chris Ealham, Ph.D. », Saint Louis University Madrid.
- (ca) Juliån Vadillo Muñoz, « Recensiones : Chris Ealham » [PDF], Hispania Nova, Revista de Historia Contemporånea, no 15, 2017, p. 539-541.
- (ca) Guillem MartĂnez, « Chris Ealham, hispanista : "No creo que Podemos ofrezca gran cosa nueva" », Contexto y AcciĂłn, 15 juin 2016, consultĂ© le 29 avril 2020.
- (ca) Santiago Gorostiza, « Ealham, Chris. Anarchism and the city: revolution and counter-revolution in Barcelona (1898-1937) » [PDF], Documents dâAnĂ lisi GeogrĂ fica, vol. 58/2, 2012, p. 327-329.
- Chris Ealham, Les Anarchistes dans la ville : Révolution et contre-révolution à Barcelone, 1898-1937, Marseille, Agone, coll. « Mémoires sociales », 2020.
- « Chris Ealham, Barcelone contre ses habitants », Laboratoire Urbanisme insurrectionnel, décembre 2014, consulté le 29 avril 2020.
- Voir la présentation de l'ouvrage sur le site de l'éditeur (en ligne).
- Cet ouvrage est disponible en ligne, (en) [PDF] Academia.edu.