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Casemate d'intervalle de la ligne Maginot

Une casemate d'intervalle de la ligne Maginot est une fortification interdisant de ses tirs une portion de la ligne Maginot le long des frontières orientales de la France. Ces constructions ont été mises en chantier au début des années 1930 et ont servi pendant la Seconde Guerre mondiale. Le même système se retrouve dans le système de fortifications tchécoslovaques.

Une casemate typique de la ligne Maginot : la dalle de béton protège par deux visières d'une part l'entrée (à gauche), d'autre part les créneaux de tir (à droite). Casemate de Rountzenheim Sud (C 50, secteur fortifié de Haguenau).

Fonction

Ces casemates (synonyme de « blockhaus Â») servent à protéger, sous du béton et de l'acier, de l'armement d'infanterie (essentiellement des mitrailleuses). Les intervalles désignent les espaces entre deux ouvrages le long de la ligne de feu, espaces que les casemates sont censées occuper et défendre.

Principe de la ligne de feu

Les lignes de défense de la première moitié du XXe siècle sont avant tout basées sur un barrage de tirs croisés de mitrailleuses. Dans le cas de la ligne Maginot, cette ligne s'appelle la « ligne principale de résistance » (doublé parfois par une seconde ligne, dite CEZF[N 1]), matérialisée par l'obstacle que forment deux réseaux de barbelés et de rails antichars, presque en continu de la mer du Nord à la Suisse :

  • le réseau de fil de fer barbelé est large de 12,50 mètres, soit six rangs de piquets en forme de queues de cochon d'un mètre de haut qui soutiennent les fils en formant des vagues, avec des ardillons plantés dans le sol et dépassant de 20 cm. Le rôle du réseau est de freiner l'infanterie assaillante pour que les mitrailleuses puisse la faucher.
  • Le réseau de rails est composé de sections de rail de trois mètres enterrées à la verticale sur six rangs de profondeur, dépassant de 60 cm à 1,30 m au-dessus du sol. Son rôle est d'arrêter les véhicules assaillants le temps que les canons antichars les détruisent.

Les mitrailleuses assurant les tirs en flanquement (tirs croisés venant des flancs) sont installées environ tous les 1 200 mètres, ce qui correspond à la portée utile des mitrailleuses.

Modèles de casemates

Casemate CORF simple, celle du Ravin-de-Crusnes (C 23, secteur fortifié de la Crusnes).

Le long de la ligne Maginot, les mitrailleuses sont protégées en les intégrant dans des casemates d'infanterie. Leur armement principal, composé de jumelages de mitrailleuses (l'une tire pendant que l'autre refroidit), est complété à partir de 1934 avec des canons antichars (de 47 mm, de 37 mm ou de 25 mm[N 2]). S'y rajoute des FM (fusil mitrailleur) pour la protection rapprochée, que ce soit dans un créneau ou sous une cloche (appelée cloche GFM : guetteur fusil-mitrailleur).

Ces casemates sont dites d'intervalle pour les différencier des casemates des ouvrages, qui s'intègrent elles aussi dans la ligne. Ces dernières sont soit des blocs servant de casemates d'infanterie (avec un armement identique aux casemates d'intervalle), soit des blocs-tourelle équipés d'une tourelle de mitrailleuses ou pour armes mixtes. Les casemates d'intervalle se déclinent en plusieurs modèles selon le terrain, leur armement et la date de construction[1] :

Les casemates simples sont en général disposées en couple sur le terrain, la première flanquant vers un côté, la seconde de l'autre côté. Dans quelques cas, une galerie de liaison relie les deux casemates[N 6].

Historique

Dans les années 1920, les officiers chargés d'établir les premières ébauches des fortifications à construire s'opposaient entre deux principes, d'une part de faire une ligne discontinue avec de gros forts armés d'artillerie et d'autre part de faire une ligne continue avec de petites casemates armées de mitrailleuses. Si finalement c'est le premier principe qui a été retenu, le besoin de faire des économies a entrainé l'apparition d'intervalles importants entre les forts, d'où le besoin de combler ces vides.

L'idée de combler les vides par de petits ouvrages et surtout par des casemates assurant la continuité de la ligne est retenue par la Commission d'organisation des régions fortifiées par sa note du . Ces « casemates d'intervalle Â» sont définis par la notice du , modifiée par celle du (qui rajoute des visières au-dessus des créneaux et de la porte), avec des variantes notamment celles du pour les berges du Rhin, du pour les casemates cuirassées et du pour les Vosges du Nord[2].

Les premières sont mises en chantier dès le début de l'année 1930 (celles de Kœnigsmacker, Hummersberg, Veckring, Kanfen, Drachenbronn et Breitenacker). 143 casemates CORF, dont 53 le long du Rhin, sont commencées durant cette année-là[3]. À partir de 1936, les régions militaires et la Section technique du génie prennent le relai avec d'autres modèles réalisées par la main-d'œuvre militaire (STG, RFM, RFL, FCR ou RM).

Caractéristiques

Créneau JM/AC

Appelés JM/AC 47 ou JM/AC 37 selon le calibre, les créneaux doubles sont l'armement principal de la presque totalité des casemates d'infanterie (que ce soit les casemates d'intervalle comme les casemates des ouvrages, mis à part les casemates cuirassées). Les casemates simples sont équipées avec un créneau mixte pour jumelage de mitrailleuses et canon antichar de 47 mm ou de 37 mm (dit JM/AC 47 ou JM/AC 37). Les casemates doubles en ont deux, à raison d'un créneau mixte par chambre de tir.

Ce type de créneau est dit mixte, car le même poste de tir peut recevoir deux armes différentes, soit le jumelage de mitrailleuses soit le canon antichar, permutables entre eux à volonté. La dotation en munitions est de 600 obus par canon antichar et de 40 000 cartouches de 7,50 mm par jumelage de mitrailleuses (la dotation pour les mitrailleuses est plus importante dans un ouvrage : 140 000 cartouches)[4].

  • Créneaux d'une casemate CORF, avec dans celui de gauche une pièce de 47 mm en position.
    Créneaux d'une casemate CORF, avec dans celui de gauche une pièce de 47 mm en position.
  • Créneaux (ici ceux d'un ouvrage monobloc).
    Créneaux (ici ceux d'un ouvrage monobloc).
  • Chambre de tir avec le jumelage de mitrailleuses en position et le canon de 47 mm en retrait.
    Chambre de tir avec le jumelage de mitrailleuses en position et le canon de 47 mm en retrait.
  • Mise en place d'un canon dans son créneau.
    Mise en place d'un canon dans son créneau.

Équipements

La façade arrière de la casemate CORF de Grand-Lot (C 36, secteur fortifié de Thionville) : la porte d'entrée, son créneau FM et les deux niches à projecteur.

Les casemates sont conçues pour être indépendantes, avec à l'intérieur tout ce qu'il faut pour que l'équipage tienne pendant plusieurs semaines. Presque toutes sont organisées sur deux étages : à l'étage supérieur se trouvent la porte d'entrée blindée et étanche, la salle des filtres à air, la ou les chambre(s) de tir et les stocks de munitions ; à l'étage inférieur[N 7] on trouve la salle des moteurs (le groupe électrogène de chevaux, le ventilateur et la réservoir de gazole), les réservoirs d'eau (potable et de refroidissement), parfois un puits, la réserve de vivres, la chambre pour les hommes de troupe, la chambre de l'officier, les latrines et le poste téléphonique. Les casemates n'ont pas de cuisine, mais disposent d'un réchaud à pétrole[1].

Pour le combat de nuit, des projecteurs sont installés sur les faces arrière des blocs d'infanterie pour éclairer les réseaux de rails et de barbelés. Il s'agit d'une lampe à incandescence de 35 cm de diamètre et de 250 watts de puissance (portée utile d'environ 100 m) montée le plus souvent dans une niche blindée (épaisse de 40 à 100 mm d'acier, d'un poids total de 1 350 kg) le tout sur un mât, ou pour les blocs « nouveaux fronts » dans une niche en béton sur la façade arrière[5].

Protection

Casemate CORF d'Auenheim Sud (C 52, secteur fortifié de Haguenau) : la visière au-dessus des deux créneaux de tir, la cloche GFM (en haut à gauche) et la niche du projecteur (à droite).

Pour la majorité des casemates la dalle de couverture fait 2,5 mètres d'épaisseur de béton armé[N 8], les murs exposés aux coups font 2,75 m d'épaisseur (avec en plus un remblai de pierrailles et de terre d'au moins quatre mètres d'épaisseur), tandis que les murs arrière font 1,75 mètre, les murs intérieurs un mètre, le radier (plancher) en fait 1,25. Pour les casemates installées sur la berge du Rhin, la dalle fait 2 mètres et les murs exposés sont à 2,25[N 9] - [6].

Le résultat est une casemate qui fait en général 7,5 mètres de haut avec comme dimensions au sol de 25 Ã  30 m de longueur sur 18 de largeur.

Les ouvertures sont protégés par des cuirassements : des trémies à rotule obturent les créneaux, des cloches (modèles GFM, JM, AM et VDP) protègent les dessus, des portes blindées étanches ferment les entrées et dans quelques cas particuliers on y trouve une tourelle à éclipse[N 4]. L'intérieur des pièces des casemates a un revêtement en tôle pour les plafonds et murs exposés aux coups, pour éviter la formation de ménisques (projections de béton à l'intérieur, aussi dangereux qu'un obus).

Équipages

La garnison d'une casemate (on parle d'« Ã©quipage Â» par analogie avec celui d'un navire) varie selon l'armement à servir et donc selon le modèle de la casemate. L'équipage est divisé en trois équipes qui assurent le service en rotation entre celle de veille (guet aux cloches et dans la chambre de tir), celle de piquet (de corvées) et celle de repos (dans les couchettes) par période de six heures. En cas d'alerte, l'équipe de piquet renforce l'équipe de veille ; l'équipe de repos n'est appelée que lorsque le combat rapproché est engagé pour armer les créneaux pour FM et les goulottes lance-grenades.

Il faut huit hommes pour servir une chambre de tir à deux jumelages de mitrailleuses (un chef de chambre de tir, deux caporaux-tireurs, deux chargeurs, deux pourvoyeurs et un mécanicien d'armement), deux hommes pour une cloche pour guetteur fusil-mitrailleur (un guetteur/tireur au sommet, un pourvoyeur au pied de la cloche), cinq hommes pour une cloche pour jumelage de mitrailleuses (un caporal-tireur et un chargeur dans la chambre de tir, deux pourvoyeurs et un mécanicien d'armement au pied de la cloche) et cinq hommes pour une cloche d'arme mixte (un sous-officier tireur, un chargeur et un observateur dans la chambre de tir, un caporal et un servant au pied de la cloche)[7].

Répartition de l'équipage d'une casemate CORF simple (16 hommes)
PostesOfficierSous-officiersHommes de troupe
PC010
Une chambre de tir035
Une cloche GFM002
Moteur CLM[N 10]001
Disponibles[N 11]004
Répartition de l'équipage d'une casemate CORF double (2 officiers et 29 hommes)
PostesOfficierSous-officiersHommes de troupe
PC100
Deux chambres de tir0610
Deux cloches GFM004
Moteur CLM001
Disponibles008
Répartition de l'équipage d'une casemate CORF cuirassée (un officier et 19 hommes)
PostesOfficierSous-officiersHommes de troupe
PC100
Deux cloches JM038
Une cloche GFM002
Moteur CLM001
Disponibles005

Nombre de casemates

Par secteur, sans compter les casemates des ouvrages, les blockhaus MOM (FCR et RM), les tourelles STG, les abris CORF et les constructions inachevées :

Notes et références

Notes

  1. La ligne CEZF (du nom de la Commission d'étude des zones fortifiées), composée de casemates STG, ne fut pas réalisée sur les fronts puissants de Lorraine, mais fut commencée à partir de 1939 dans les secteurs les plus faibles : Nord (devant Cassel et Cambrai), Ardennes (Rethel-Mézières), Montmédy (Omont-Stonne, Belval-Brandeville et Damvillers-Boismont), Faulquemont (en arrière de Faulquemont), Sarre (au nord de Morhange et ouest de Sarre-Union), Haguenau (Lobsann-Rittershoffen) et Jura (devant Morteau et Pontarlier). la majorité des casemates sont encore en chantier lors de l'été 1940.
  2. Le canon antichar de 25 mm est monté qu'en arme mixte (en général sous cloche d'arme mixte) dans les casemates des « nouveaux fronts ».
  3. Les casemates cuirassées sont réparties à raison de deux dans le secteur de Thionville (Petersberg Est et Entrange), six dans le secteur de la Crusnes (Jalaumont Est, Chénières Ouest, Bourène Ouest, Crusnes Est, Nouveau-Crusnes Ouest et Route-d'Ottange Centre) et sept dans le secteur de Faulquemont (Bisterberg Nord, Bambiderstroff Sud, Einseling Nord, Einseling Sud, Quatre-Vents Nord, Bois-de-Laudrefang Nord et Bois-de-Laudrefang Sud).
  4. Les casemates de Tallandier, Héronfontaine, Rocq, Marpent Nord et Marpent Sud du secteur fortifié de Maubeuge sont équipées avec une tourelle pour une arme mixte et un mortier.
  5. Les casemates d'artillerie STG sont implantés dans les secteurs les moins bien défendus : il y a les trois casemates du fort de Maulde dans le secteur fortifié de l'Escaut, les deux casemates de Nouzonville et de Flize dans le secteur défensif des Ardennes, les neuf du secteur fortifié de Montmédy, les trois du secteur fortifié de Faulquemont et les sept du secteur défensif d'Altkirch.
  6. Les couples de casemates de Hummersberg, Veckring, Petit-Réderching, Drachenbronn, Breitenacker, Bremmelbach et Routzenheim ont une galerie entre leurs deux blocs.
  7. Les casemates le long du Rhin sont parfois à un seul niveau, à cause de la proximité de la nappe phréatique de la plaine d'Alsace. Présentation de la nappe phréatique de la plaine d'Alsace, proposant aussi une carte avec indication de la profondeur de la nappe.
  8. Une épaisseur de 2,5 mètres de béton armé est théoriquement capable de résister à deux coups superposés de 300 mm.
  9. Il fut estimé que l'assaillant n'utiliserait pas d'artillerie lourde contre les casemates de berge du Rhin car un bombardement risquerait de percer la digue du fleuve et d'inonder une partie de la plaine d'Alsace.
  10. La CLM désigne la Compagnie lilloise des moteurs, qui fournit un petit groupe électrogène à chaque casemate.
  11. Les hommes disponibles désignent ceux destinés aux remplacement des pertes, au service des armes de défense rapprochée et à la marche à bras de la ventilation (si le groupe électrogène est hors-service).

Références

  1. Jean-Yves Mary et Alain Hohnadel, op. cit., t. 2, p. 4-11.
  2. Jean-Yves Mary et Alain Hohnadel, op. cit., t. 2, p. 4-7.
  3. Jean-Yves Mary et Alain Hohnadel, op. cit., t. 1, p. 26-27.
  4. Jean-Yves Mary et Alain Hohnadel, op. cit., t. 2, p. 11.
  5. Jean-Yves Mary et Alain Hohnadel, op. cit., t. 2, p. 120.
  6. Jean-Yves Mary et Alain Hohnadel, op. cit., t. 2, p. 63.
  7. Jean-Yves Mary et Alain Hohnadel, op. cit., t. 3, p. 14.

Voir aussi

Bibliographie

  • Philippe Truttmann (ill. Frédéric Lisch), La Muraille de France ou la ligne Maginot : la fortification française de 1940, sa place dans l'évolution des systèmes fortifiés d'Europe occidentale de 1880 à 1945, Thionville, Éditions G. Klopp, (réimpr. 2009), 447 p. (ISBN 2-911992-61-X).
  • Jean-Yves Mary, Alain Hohnadel, Jacques Sicard et François Vauviller (ill. Pierre-Albert Leroux), Hommes et ouvrages de la ligne Maginot, t. 1, Paris, éditions Histoire & collections, coll. « L'Encyclopédie de l'Armée française » (no 2), (réimpr. 2001 et 2005), 182 p. (ISBN 2-908182-88-2).
    • Hommes et ouvrages de la ligne Maginot, t. 2 : Les formes techniques de la fortification Nord-Est, Paris, Histoire et collections, , 222 p. (ISBN 2-908182-97-1).
    • Hommes et ouvrages de la ligne Maginot, t. 3 : Le destin tragique de la ligne Maginot, Paris, Histoire et collections, , 246 p. (ISBN 2-913903-88-6).
    • Hommes et ouvrages de la ligne Maginot, t. 4 : la fortification alpine, Paris, Histoire & collections, , 182 p. (ISBN 978-2-915239-46-1).
    • Hommes et ouvrages de la ligne Maginot, t. 5 : Tous les ouvrages du Sud-Est, victoire dans les Alpes, la Corse, la ligne Mareth, la reconquête, le destin, Paris, Histoire & collections, , 182 p. (ISBN 978-2-35250-127-5).

Articles connexes

Liens externes

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