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Bugul-noz

Le Bugul-noz ([by.dʒyl.’noːs] en breton vannetais) ou bugel-noz (« enfant de la nuit » ou « berger de la nuit ») est une créature nocturne du légendaire breton, proche du lutin et du loup-garou, qui se présente sous la forme d'un berger métamorphe portant un large chapeau. Surtout attaché au Vannetais, qui forme l'actuel Morbihan, il est mentionné depuis le XVIIe siècle, et peut-être issu des créatures du type « appeleur ».

La tradition populaire parle de la crainte qu'il inspire et des moyens de s'en protéger. Il aurait pour fonction, selon Walter Evans-Wentz et Pierre Dubois, de prévenir les bergers attardés de l'arrivée des hordes nocturnes, et de les pousser à regagner leur foyer. Les mères bretonnes effrayaient jadis leurs enfants en l'évoquant.

Étymologie et terminologie

Joseph Loth en a étudié l'étymologie dans son Dictionnaire breton-français du dialecte de Vannes, en 1894[1]. Le nom a changé de sens en breton vannetais, puisque bugel, qui désigne l'enfant, y est le même mot que bugul, le berger, dont le sens est différent dans les autres dialectes[2] - [3] - [Note 1].

On trouve la forme « bugel-noz » en 1633, et celle de bugul-noz en breton vannetais à partir de 1732[4]. L'orthographe est assez variable, le nom étant surtout présent sous la forme « bugul-noz »[Note 2], mais on trouve aussi les formes « Bugul Noz »[Note 3] et « Bugul-nôz »[Note 4].

Origine et confusions

Pour Yves Le Gallo, le bugul-noz tient un rôle d'« épouvantail »[5]. Les parents désireux de ne pas voir leurs enfants courir le soir les menaçaient en disant que si le bugul-noz les aperçoit en dehors de la maison, il les emportera dans son immense chapeau rond[6].

D'après Walter Evans-Wentz[7] et Albert Moxhet[8], il est peut-être issu de Yannig an Aod (ou Yann-An-Ôd), « Jean du rivage », un « appeleur » qui pousse les pêcheurs à rentrer au port dès la nuit tombé.

Un bulletin de la Société archéologique du Morbihan, paru en 1858, affirme qu'il est issu des dusino latins[9]. Paul Sébillot note une confusion entre le bugul-noz et le loup-garou à son époque, un même nom désignant le lycanthrope qui rejoint les siens durant la nuit et le pâtre nocturne d'apparence humaine[10]. En 1914, le chanoine J. Buléon mène une enquête sur le Bugul-Noz et le Garo (loup-garou), qui paraît dans la Revue Morbihannaise de février ; il suppose qu'il y a eu confusion entre plusieurs types de récits, qui se sont fondus les uns dans les autres[11]. Comme le souligne Gaël Milin, Buléon regrette que les conteurs aient amalgamé des créatures jadis distinctes[12]. Le prêtre et folkloriste breton François Cadic note en 1922 que le bugul-noz, les kannerezed-noz et les hopper-noz ont été assimilés à des revenants, suppôts du Diable[13].

Description

Selon certaines descriptions, le bugul-noz est un loup-garou.

D'après les récits collectés par la Société archéologique du Morbihan en 1858, le bugul-noz est un « lutin malfaisant » qui effraie les humains par ses apparitions, et revêt parfois une peau de loup pour courir nuitamment[9].

« Quand les ombres sont descendues, et que l'oiseau de nuit quitte sa retraite, éloignez-vous : vous y entendriez, comme des voix plaintives, les gémissements des pâtres enlevés par le Bugul-Noz, ce Croquemitaine breton ! »

Guide du voyageur : Carnac et ses alentours[14]

Les Bretons qui rentrent tard du labour sont susceptibles de le rencontrer, et redoutent ce moment[7]. Esprit de la nuit, le bugul-noz voit l'apogée de son pouvoir à minuit[8]. Il fréquente les bois et les chemins, caché par un chapeau[8] « plus large qu'une roue de charrette »[15] et un ample manteau blanc traînant à terre d'après Vérusmor[16]. Comme dans le cauchemar, il grandit au fur et à mesure que l'on s'approche de lui[8]. Il possède le don de métamorphose[17] afin de surprendre ses victimes[15], et peut se changer, par exemple, en cheval[18]. Il est parfois accompagné de korrigans poussant leur chant de marche[19]. Anatole Le Braz cite une tradition à Riantec, qui veut que lorsqu'on l'entend siffler derrière soi, il faille bien se garder de siffler aussi[20]. Il n'est pas toujours malfaisant; car il aurait protégé des gens contre les démons, en les cachant sous son manteau[16].

Dans d'autres histoires, il est un loup-garou qui emporte les enfants en les cachant dans son chapeau[21]. Paul Sébillot livre une version selon laquelle un cultivateur s'aperçoit que son frère est « bugul-noz » et sort tous les soirs sous forme de loup. Sur les conseils d'un prêtre, il va le rejoindre une nuit et le pique avec une fourche à deux pointes[22]. Selon les auteurs plus récentes François Le Divenah et Thierry Jigourel, le bugul-noz est parfois lié à la mer, où il officierait « armé jusqu'aux dents »[23]. Selon les collectes de Milin, il craint l'aubépine, dont le pouvoir met fin aux enchantements[24]. Ce serait un homme maudit, qui accomplit une pénitence[15]. Selon les collectes de Sébillot, le bugul-noz serait un païen archaïque, allergique au signe de la Rédemption[16]. D'après Buffet, un moyen de s'en protéger consiste à « se retrancher rapidement derrière une porte de chrétien, dont les barres horizontales et verticales forment comme une croix », ou alors à rester dans un champ labouré, précédemment semé avec des grains bénis[25].

L'anthropologue américain Walter Evans-Wentz qualifie le Bugul-boz d'« homme-fée » et suggère, tout comme Pierre Dubois, qu'il emmenait paître son troupeau d'ombres à la nuit tombée pour signifier au berger qu'il est temps de rentrer, et ne serait pas maléfique, mais presserait les hommes à quitter les territoires qu'il hante avec les esprits de la nuit[26] - [27].

Collectages et évolution des croyances

Le bugul-noz est surtout connu dans le Vannetais[25]. Joseph Frison a collecté un témoignage disant que la créature aurait habité avec sa conjointe du côté d'Hennebont, mais aurait depuis disparu[28].

La plupart des informations le concernant sont issues de différents collectages effectués en Bretagne. Joseph Frison en rassemble plusieurs pour la Revue des traditions populaires : Le petit boudeur en avril 1908, Le berger de nuit en juillet 1910, Le Bugul-nôz en novembre de la même année, et La délivrance du Bugul-nôz en février 1911[28]. Il apprend d'un domestique d'une vingtaine d'années qu'une de ces créatures était jadis réputée pour hanter l'église de Cléguer[28]. La croyance populaire est cependant déjà en voie de disparition : un paysan de Lorient affirme avoir entendu parler du bugul-noz mais ne plus s'en souvenir, ajoutant qu'il s'agit peut-être d'un oiseau chanteur, mais que ce nom n'est plus guère utilisé[28].

Yves Le Diberder recueille de nouvelles anecdotes dans le Kemenet-Héboé, le Porhoët, et dans la presqu'île de Rhuys en 1912[29]. Pour éclaircir une croyance selon laquelle les excommuniés deviennent des loup-garous, l'abbé Cadoux enquête en 1914 sur le Garou et le Bugul-Noz à Bubry[12]. Walter Evans-Wentz (1878 - 1965) s'est intéressé au Bugul-noz, mais il n'est pas parvenu à trouver de description du troupeau qui l'accompagne, ni ce que présage sa rencontre, même s'il a noté que les Bretons préfèrent l'éviter[27].

Impact culturel

Le Bugul-noz a donné son nom à un trail, couru entre Sarzeau et le stade de Quistinic[30] - [31]. Une version de sa légende est affichée sur le chemin de randonnée de Pont Augan, à Quistinic.

Cette créature est incluse dans l'ouvrage de Faery Wicca d'Edain Mc Coy, qui le décrit comme le dernier de son espèce, ajoutant qu'il est incroyablement laid, ce qui lui cause beaucoup de peine, incite les animaux de la forêt à l'éviter, et explique qu'il pousse lui-même des cris pour avertir les gens de son approche et ne pas les effrayer. Elle ajoute qu'il n'est pas malveillant, mais demeure toujours seul à cause de son effroyable apparence[32].

Un monstre du jeu vidéo Final Fantasy XI porte également ce nom[33].

Notes

  1. En Bretagne, l'enfant est traditionnellement celui qui garde les animaux, d'où la confusion fréquente entre les sens de « berger » et d'« enfant ».
  2. Forme utilisée dans la plupart des ouvrages de recherche.
  3. Forme utilisée par Pierre Dubois.
  4. Forme utilisée par Yves Le Diberder.

Références

  1. Joseph Loth et Pierre de Châlons, Dictionnaire breton-français du dialecte de Vannes, Bibliothèque bretonne armoricaine, J. Plihon et L. Hervé, 1894, cité par Le Diberder, Oiry et Laurent 2000, p. 39.
  2. Le Diberder, Oiry et Laurent 2000, p. 39.
  3. Yann Brekilien, Les mythes traditionnels de Bretagne, Paris, Éditions du Rocher, , 194 p. (ISBN 2-268-02946-8 et 9782268029467), p. 181.
  4. Faculté des lettres de Rennes, Université de Rennes. Faculté des lettres et sciences humaines, Université de Haute Bretagne, Université de Bretagne occidentale, « Les quatre vers moyen-bretons du registre des baptêmes d'Edern », Annales de Bretagne, Plihon, vol. 77, no 4, , p. 621 (lire en ligne).
  5. Yves Le Gallo, Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, vol. 1 à 3, Champion, (ISBN 2852038455 et 9782852038455), p. 166.
  6. Enquêtes du Musée de la vie wallonne, vol. 11, Liège, Belgique, Musée de la vie wallonne, , chap. 121 à 124, p. 42.
  7. Evans-Wentz 1977, p. 168.
  8. Moxhet 1989, p. 66.
  9. Bulletin de la Société archéologique du Morbihan, La Société, 1858, p. 64 [lire en ligne].
  10. Paul-Yves Sébillot, Le Folklore de la Bretagne, G.-P. Maisonneuve et Larose, , p. 139.
  11. Jerôme Buléon (abbé.), « Folklore morbihannais : Bugul Nôz et Garo », Revue morbihannaise, vol. 18, t. XVIII, , p. 42.
  12. Milin 1993.
  13. François Cadic, Nouveaux contes et légendes de Bretagne, vol. 1, Maison du peuple breton, , p. 7.
  14. Carnac et ses alentours (guide du voyageur). Douze gravures et une carte, E. Grouhel, 1878, p. 28.
  15. Amis de Jean-Michel Guilcher, Tradition et histoire dans la culture populaire: rencontres autour de l'œuvre de Jean-Michel Guilcher, Grenoble, Musée dauphinois, 20-21 janvier 1989, volume 11 de Documents d'ethnologie régionale, Centre alpin et rhodanien d'ethnologie, 1990, (ISBN 2859240039 et 9782859240035), p. 118.
  16. Paul-Yves Sébillot, Le Folklore de la Bretagne, G.-P. Maisonneuve et Larose, 1968, p. 133.
  17. Le Diberder, Oiry et Laurent 2000, p. 40.
  18. Anne Martineau, « La grande tribu des lutins », dans Le nain et le chevalier: Essai sur les nains français du moyen âge, Presses Paris Sorbonne, coll. « Traditions et croyances », (ISBN 9782840502746), p. 91.
  19. Mercure de France, volume 95, 1976, p. 66.
  20. Anatole Le Braz, La légende de la mort chez les Bretons armoricains, vol. 2, Laffitte Reprints, , p. 223.
  21. {{Article}} : paramètre « titre » manquant, Topique, revue freudienne, no 13, EPI, , p. 107.
  22. Paul-Yves Sébillot, Mythologie et folklore de Bretagne, Rennes, Terre de brume, (ISBN 2908021439 et 9782908021431), p. 205.
  23. François Le Divenah et Thierry Jigourel, Bretagne, terre d'enchantement, Petit Futé, (ISBN 2847682090 et 9782847682090), p. 66.
  24. Gaël Milin, Le roi Marc aux oreilles de cheval, vol. 197 de Publications romanes et françaises, Librairie Droz, , 362 p. (ISBN 2-600-02886-2 et 9782600028868, présentation en ligne), p. 271-272.
  25. Buffet 1947, p. 178.
  26. Dubois 1992, p. 72.
  27. Evans-Wentz 1977, p. 167.
  28. Le Diberder 1912, p. 559.
  29. Le Diberder 1912, p. 559-560.
  30. « Trail du Bugul Noz à Quistinic Caillibot tient son succès », sur www.letelegramme.fr, Le Télégramme, (consulté le ).
  31. « Le Bugul Noz revient à D. Pasquio et L. Klein », Trails Endurance Mag, (consulté le ).
  32. (en) Edain McCoy, A witch's guide to faery folk: reclaiming our working relationship with invisible helpers, Llewellyn Worldwide, coll. « Llewellyn's new age series », (ISBN 0875427332 et 9780875427331), p. 193.
  33. « Bugul Noz », sur FFXI encyclopedia (consulté le ).

Bibliographie

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  • [Buffet 1947] Henri-François Buffet, En Bretagne morbihannaise : coutumes et traditions du Vannetais bretonnant au XIXe siècle, B. Arthaud, , 286 p. (présentation en ligne)
  • [Dubois 1992] Pierre Dubois (ill. Roland et Claudine Sabatier), La grande encyclopédie des lutins, Paris, Hoëbeke, , 191 p. (ISBN 978-2-84230-325-9). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • [Evans-Wentz 1977] (en) Walter. Y. Evans-Wentz, The Fairy-Faith in Celtic Countries, Forgotten Books, (1re éd. 1911) (ISBN 1-60506-192-1 et 9781605061924). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • [Le Diberder 1912] Yves Le Diberder, « Bugul-Nôz et Loup-Garou », Annales de Bretagne, vol. 28, nos 28-4, , p. 559-584 (lire en ligne)
  • [Milin 1993] Gaël Milin, Les chiens de Dieu: la représentation du loup-garou en Occident, XIe-XXe siècles, vol. 13, Centre de recherche bretonne et celtique, Université de Bretagne occidentale, coll. « Cahiers de Bretagne occidentale », , 196 p. (lire en ligne).
  • [Moxhet 1989] Albert Moxhet, Ardenne et Bretagne: les sœurs lointaines, Mythes, légendes, traditions, Éditions Mardaga, , 130 p. (ISBN 978-2-87009-407-5, présentation en ligne)

Contes mettant en scène un Bugul-noz

  • Yves Le Diberder, Michel Oiry et Donatien Laurent, Contes de sirènes, Rennes, Terre de Brume éditions, coll. « Bibliothèque celte », , 208 p. (ISBN 2-84362-073-2 et 9782843620737)
  • Yves Le Diberder, Michel Oiry et Pierre Cadre, Contes de korrigans : Bugul-noz, Groah & autres contes merveilleux, Terre de brume, coll. « Bibliothèque celte », , 287 p. (ISBN 2-86847-537-X et 9782868475374)
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