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Biphobie

La biphobie (mot-valise formé sur le modÚle du mot homophobie[note 1]) est une discrimination qui désigne les manifestations de mépris, rejet, et haine envers des personnes ou des pratiques bisexuelles ou apparentées. L'une des manifestations de la biphobie consiste à considérer que la bisexualité n'existe pas réellement. La biphobie se rencontre indifféremment venant de personnes hétérosexuelles ou homosexuelles[1].

Exemples types d'expressions discriminantes utilisĂ©es contre les personnes bisexuelles (en anglais). Traductions en commençant en bas Ă  gauche, et en parcourant l'image dans le sens horaire: -"T'es attirĂ©e par tout le monde..." -"Techniquement, tu es Ă  moitiĂ© hĂ©tĂ©rosexuelle." -"Tu vas surement tromper ton/ta conjoint(e)." -"ArrĂȘte d'ĂȘtre aussi dĂ©sespĂ©rĂ©e." -"Tu es juste troublĂ©e." -"Choisis simplement un genre enfin !" -"Tu veux juste de l'attention." -"Tu passes tout simplement par une phase." -"La bisexualitĂ© n'est pas scientifiquement possible..." -"Joueuse. (Dans le sens d'une personne volage)" -"Hmph. Une membre typique de la gĂ©nĂ©ration Y."

Négation de l'existence de la bisexualité

Une des manifestations de la biphobie consiste Ă  considĂ©rer que la bisexualitĂ© n'existe pas[1] - [2] - [3] - [4] - [5], c'est-Ă -dire considĂ©rer qu'on ne peut ĂȘtre qu'hĂ©tĂ©rosexuel ou homosexuel. La revendication de personnes Ă  se dĂ©finir comme bisexuelles est alors considĂ©rĂ©e comme un phĂ©nomĂšne de mode[6] - [7]. D'aprĂšs des Ă©tudes amĂ©ricaines et françaises, prĂšs de 15 % des personnes estiment que la bisexualitĂ© est une orientation sexuelle « non lĂ©gitime[8]. »

L'orientation sexuelle « vĂ©ritable » est alors censĂ©e ĂȘtre l'homosexualitĂ©, que l'individu bisexuel est supposĂ© refouler ou ne pas assumer ouvertement[9]. À titre d'illustration, une telle conception a par exemple Ă©tĂ© vĂ©hiculĂ©e Ă  la suite de l'annonce de l'homosexualitĂ© du chanteur Mika, qui s'Ă©tait longtemps prĂ©sentĂ© comme « bisexuel », qui a donnĂ© lieu Ă  des commentaires dĂ©valorisant comme « On le savait, il ne s’assumait pas vraiment. »[5].

La définition élargie de la biphobie conduit à des controverses au sein de la communauté LGBT, certains récusant par exemple le concept d'« homosexualité de circonstance », qui se manifeste en l'absence de partenaire de sexe opposé, par exemple en milieu carcéral. Ils l'accusent de renforcer l'homophobie et la biphobie en autorisant les personnes ayant eu des rapports sexuels dans un environnement monosexué à continuer à se définir comme hétérosexuelles[10].

Préjugés généraux

Parmi les exemples de biphobie se trouvent les conceptions selon lesquelles les bisexuels sont autant attirĂ©s par les hommes que par les femmes, ou qu'un couple de personnes de mĂȘme sexe est composĂ© de personnes homosexuelles, et qu'un couple de personnes de sexes diffĂ©rents est constituĂ© de personnes hĂ©tĂ©rosexuelles[11].

Robyn Ochs dĂ©crit longuement dans ses travaux sur la bisexualitĂ© la prĂ©valence des stĂ©rĂ©otypes courants concernant les personnes bisexuelles[E 1], souvent considĂ©rĂ©es et dĂ©crites comme sexuellement prolixtes, polygames, pratiquant Ă©changisme, par nature instable et hĂ©sitantes dans leur orientation sexuelle et portĂ©es sur l'infidĂ©litĂ©[12] ou mĂȘme accusĂ©es de rĂ©pandre les maladies sexuellement transmissibles, notamment le SIDA[1].

Une Ă©tude faite en 2002 prĂ©tend que les hommes s'identifiant en tant que bisexuels rĂ©agissent diffĂ©remment face Ă  un matĂ©riel pornographique ne comprenant que des hommes et face au mĂȘme type de matĂ©riel ne comprenant que des femmes. Ils montreraient quatre fois plus de rĂ©actions devant l'un ou l'autre des matĂ©riaux. Cependant, la bisexualitĂ© n'implique pas une attirance Ă©gale pour les deux sexes[13] - [14]. L'Ă©tude, et l'article du New York Times qui en parla en 2005[15], furent dĂ©noncĂ©s comme dĂ©fectueux et biphobes[16]. Lynn Conway critiqua l'auteur de l'Ă©tude, J. Michael Bailey, citant son protocole controversĂ© et montrant que l'Ă©tude n'a pas Ă©tĂ© scientifiquement rĂ©pĂ©tĂ©e ni confirmĂ©e par des chercheurs indĂ©pendants[17].

Cette Ă©tude de 2002 est contredite par une seconde dirigĂ©e par le mĂȘme Bailey. Cette seconde Ă©tude elle aussi basĂ©e sur l'observation des rĂ©actions biologiques des sujets masculins face Ă  des stimuli sexuels, met en Ă©vidence une spĂ©cificitĂ© des bisexuels observĂ©s par rapport aux hommes hĂ©tĂ©rosexuels et homosexuels sujets de cette mĂȘme Ă©tude, et conclut sur l'impossibilitĂ© de choisir entre le rĂ©sultat des deux Ă©tudes[18].

La bisexualitĂ© des femmes est souvent associĂ©e dans les mĂ©dias Ă  l'hypersexualitĂ©, que ce soit en soulignant l'attractivitĂ© des personnes dans les articles rapportant leurs coming-out ou en cĂ©lĂ©brant la journĂ©e de la bisexualitĂ© par des « listes des bisexuelles les plus sexy[E 2]. » La bisexualitĂ© fĂ©minine est de plus souvent regardĂ©e que comme n'Ă©tant qu'un moyen de susciter l'intĂ©rĂȘt des hommes hĂ©tĂ©rosexuels, plutĂŽt qu'une vĂ©ritable orientation Ă  part entiĂšre[19] ce qui fait de la biphobie une double discrimination avec le sexisme.

Photographie noir et blanc de Simone de Beauvoir.
La philosophe Simone de Beauvoir a tenu cachées ses liaisons avec des femmes au profit de sa relation médiatique avec Jean-Paul Sartre. L'historienne Marie-Jo Bonnet, spécialiste du lesbianisme, lui a reproché cette dissimulation comme un refus de penser l'homosexualité, particuliÚrement féminine[20].

« Double discrimination » et biphobie dans les communautés homosexuelles

La bisexualitĂ© peut ĂȘtre Ă  la fois dĂ©nigrĂ©e par les communautĂ©s homosexuelles et hĂ©tĂ©rosexuelles[1], SOS Homophobie parlant Ă  ce propos de « double peine »[5]. Par exemple, une personne bisexuelle en couple avec un homme ou une femme peut ĂȘtre suspectĂ©e de vouloir quitter la prĂ©sente relation pour aller avec quelqu'un de « l'autre sexe »[1]. Une des raisons de la biphobie chez les homosexuels peut ĂȘtre la conscience de leurs propres attirances hĂ©tĂ©rosexuelles, et donc la nĂ©cessitĂ© de faire un nouveau « coming-out », bisexuel, cette fois[1].

Parmi les homosexuels biphobes, la critique est que les bisexuels maintiennent leurs « privilÚges » au sein de la communauté hétérosexuelle en collaborant avec elle, tandis qu'ils profitent également du mode de vie LGBT[4]. Cette critique s'applique à la personne bisexuelle en couple hétérosexuel, n'ayant donc pas à subir l'homophobie au quotidien et pouvant se marier et avoir des enfants facilement, mais ayant des aventures homosexuelles cachées.

Selon eux, l'existence d'une biphobie ne pourrait exister et s'apparenterait Ă  une forme de victimisation de la part des concernĂ©s. Ils soutiennent la thĂšse que l'on ne pourrait souffrir de ces propres privilĂšges (c'est-Ă -dire qu'ĂȘtre dans une relation hĂ©tĂ©rosexuelle reste bien un privilĂšge avant tout et non une oppression dans les faits). De mĂȘme, l'homophobie et la fĂ©tichisation des lesbiennes est Ă©galement un facteur Ă  prendre en compte dans le rejet des personnes bi, les minoritĂ©s gays et lesbiennes cherchent avant tout Ă  se protĂ©ger et Ă  se centrer sur leur propres vĂ©cus et/ou discriminations, qui diffĂšrent radicalement des bisexuelles. Ainsi, selon leur point de vue, la communautĂ© homosexuelle reste indĂ©pendante du groupe bisexuel et cherche Ă  se protĂ©ger des agressions homophobes, en se centrant sur leur propre communautĂ©, qui n'intĂšgre pas la norme hĂ©tĂ©rosexuelle. L'invisibilitĂ© des personnes bisexuelles est donc remise en question et doit ĂȘtre nuancĂ©e, car malgrĂ© tout, ils peuvent s'identifier aux reprĂ©sentations hĂ©tĂ©rosexuelles (relation homme/femme) dans laquelle s'intĂšgre leur sexualitĂ©, ce qui n'est pas le cas des personnes homosexuelles qui en sont rejetĂ©s catĂ©goriquement.

Selon la dĂ©finition Ă©largie de la biphobie, qui comprend l'occultation de la bisexualitĂ©, une partie des bisexuels eux-mĂȘmes seraient biphobes en ne se reconnaissant pas dans l'identitĂ© "bisexuelle", puisque deux Ă©tudes de 1992 et 1996 montrent que l'identitĂ© perçue (ou dĂ©clarĂ©e) ne concorde pas en gĂ©nĂ©ral avec le comportement sexuel rĂ©el, avec respectivement 31,4 % et 38 % seulement des personnes des Ă©chantillons Ă©tudiĂ©s de pratiquants bisexuels se considĂ©rant eux-mĂȘmes comme bisexuels[21].

Étude sur la biphobie

Il n'existe de maniÚre générale que peu d'articles scientifiques publiés sur le thÚme de la bisexualité et de la biphobie[22].

En 2013, pour la premiÚre fois en France, l'association SOS Homophobie publie dans son rapport annuel une rubrique sur la biphobie avec des statistiques issues des signalements reçus[23].

Les rĂ©sultats d'une enquĂȘte rĂ©alisĂ©e en France en 2018 par l'association Bi'Cause avec le Mag, FiertĂ©s, les Actupiennes et SOS Homophobie mettent en Ă©vidence une invisibilisation des personnes bisexuelles ou pansexuelles, qui craignent de rĂ©vĂ©ler leur orientation sexuelle Ă  leur entourage, au travail ou aux membres du milieu mĂ©dical[24].

Une Ă©tude de 2019 met en Ă©vidence une plus forte tendances des personnes bisexuelles Ă  la dĂ©pression, l'anxiĂ©tĂ© et aux problĂšmes de santĂ© psychique que les personnes homosexuelles ou hĂ©tĂ©rosexuelles, l'invisibilitĂ©, le fait d'ĂȘtre "out" et l'occultation Ă©tant liĂ©s[25].

Notes et références

Notes

  1. Biphobie est un mot-valise formé sur le modÚle de homophobie (voir (en) Claude J. Summers, « BiNet USA », glbtq.com - An Encyclopedia of Gay, Lesbian, Bisexual, Transgender, and Queer Culture)

Références

  • (en) Shiri Eisner, Bi Notes for a Bisexual Revolution, (ISBN 9781580054744)
  1. Eisner 2013, p. 60-61,73,82
  2. Eisner 2013, p. 158-174
  • Autres rĂ©fĂ©rences
  1. (en) Meg Barker, Christina Richards, Rebecca Jones, Helen Bowes-Catton, Tracey Plowman, Jen Yockney et Marcus Morgan, The Bisexuality report : Bisexual inclusion in the LGBT equality and diversity, Centre for Citizenship, Identities and Governance and Faculty of Health and Social Care
  2. (en) Dworkin, SH; Treating the bisexual client; Journal of Clinical Psychology 57 (5): 671-80, 2001. PMID 11304706
  3. (en) Robyn Ochs, Biphobia: It Goes More Than Two Ways
  4. (en) Gerald P. Mallon, Social Work Practice with Lesbian, Gay, Bisexual, and Transgender People, p. 75
  5. SOS Homophobie, Rapport sur l'homophobie 2013, p. 41
  6. Voir notamment sur le site de Radio-Canada, traitant de la bisexualité féminine, lequel commence par s'interroger sur ce sujet
  7. Stéphane Rose, To be bi, or not to bi, Le Figaro Madame, 8 avril 2011
  8. (en) Marine Le Breton, « La bisexualité, plutÎt bien acceptée mais pas toujours bien comprise », The Huffington Post, 7 novembre 2013
  9. (en) Weiss, Jillian T., GL vs. BT: The Archaeology of Biphobia and Transphobia Within the U.S. Gay and Lesbian Community, Journal of Bisexuality (Haworth Press 2004)
  10. (en) Tina Gianoulis, « Situational Homosexuality » [PDF], sur glbtq.com (An Encyclopedia of Gay, Lesbian, Bisexual, Transgender, and Queer Culture), (consulté le )
  11. Brett Genny Beemyn, « Bisexuality », sur : glbtq: An Encyclopedia of Gay, Lesbian, Bisexual, Transgender, and Queer Culture, glbtq, Inc. 1130 West Adams Chicago, IL, 60607, p. 2 (2004)
  12. (en) Eliason MJ (1997) The prevalence and nature of biphobia in heterosexual undergraduate students; Archives of Sexual Behavior 26 (3): 317-26. PMID 9146816
  13. (en) Fred Klein, The Bisexual Option, p. 20
  14. (en) Sex and Society: Abstinence - Gender identity, Marshall Cavendish Corporation, 2009, p. 100
  15. (en) Straight, Gay or Lying? Bisexuality Revisited New York Times, July 5, 2005
  16. (en)Dawn Wolfe Gutterman « Bisexual study, New York Times article cause furor », Pride source, 14 juillet 2005
  17. (en) http://ai.eecs.umich.edu/people/conway/TS/Bailey/Bisexuality/Bisexuality-NYT%207-05-05.html
  18. (en)Rosenthal, Silva, Safron et Bailey, « Sexual arousal patterns of bisexual men revisited » Université Northwestern, 2011
  19. (en) Bisexuality and biphobia, Stonewall UK (en)
  20. « Un procÚs fait à Beauvoir », sur Le Devoir (consulté le )
  21. Gaston Gobin, Joseph Josy Lévy, Germain Trottier, « Vulnérabilités et Prévention VIH/SIDA : Enjeux Contemporains », Presses Université Laval, 2002, (ISBN 9782763779201) p. 144
  22. (en) Michele J. Eliason « The Prevalence and Nature of Biphobia in Heterosexual Undergraduate Students », Archives of sexual behavior, Vol. 26, No. 3 1997 (en ligne)
  23. Rapport sur l'homophobie 2013, SOS Homophobie
  24. Christophe Martet, « Biphobie et panphobie : la dure réalité des chiffres et des faits », sur Komitid, (consulté le ).
  25. (en) Julia Taylor, Jennifer Power, Elizabeth Smith et Mark Rathbone, « Bisexual mental health: Findings from the ‘Who I Am’ study », Australian Journal of General Practice,‎ (lire en ligne)

Bibliographie

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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