Ahmad al-Alawi
Ahmed Ibn Mustapha Al Alaoui (en arabe : ŰłÙŰŻÙ ŰŁŰÙ ŰŻ ŰšÙ Ù Ű”Ű·ÙÙ Ű§ÙŰčÙۧÙÙ), nĂ© en 1869 Ă Mostaganem, en AlgĂ©rie française, et mort Ă Mostaganem en 1934 fut un maĂźtre soufi (cheikh tarĂźqa)[1] - [2] - [3]. Il fonda l'une des plus importantes confrĂ©ries soufies du XXe siĂšcle, la tarĂźqa 'Alawiyya, une branche de l'ordre Chadhiliyya.
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Naissance | |
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DĂ©cĂšs |
(à 64 ans) Mostaganem (Algérie française) |
Nom dans la langue maternelle |
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Activité |
Biographie
Selon son acte de naissance, Ahmed Ibn Mustapha Al Alaoui est nĂ© le Ă Mostaganem et dĂ©cĂ©dĂ© le Ă Mostaganem, ville de lâouest de lâAlgĂ©rie française[4].
Issu dâune famille noble dont lâun des ancĂȘtres Ă©tait un cadi originaire dâAlger, il fut principalement Ă©duquĂ© par son pĂšre. Le jeune Ahmad maĂźtrisait assez mal lâĂ©criture et nâeut le temps dâapprendre par cĆur que quelques sourates du Coran. Ce type de transmission familiale, surtout basĂ© sur lâacquisition des « nobles caractĂšres » (makĂąrim al-akhlĂąq), ne doit pourtant pas ĂȘtre sous-estimĂ©, car câest bien cette Ă©ducation de base fondamentale qui lui permettra ultĂ©rieurement dâaccĂ©der au savoir aussi bien exotĂ©rique qu'Ă©sotĂ©rique.
La situation financiĂšre de sa famille Ă©tant prĂ©occupante, il commença Ă travailler assez jeune dans lâartisanat de la chaussure. Son pĂšre mourut alors quâil nâavait que 16 ans.
Câest de cette Ă©poque que datent Ă la fois son rattachement au soufisme, dans une branche de la Chadhiliyya, les AĂŻssawas, et ses dĂ©buts dans lâapprentissage de la science religieuse : Ahmad al-AlawĂź utilisait tout le temps que son activitĂ© professionnelle et ses responsabilitĂ©s familiales lui laissaient pour sâadonner Ă la lecture, passant souvent des nuits entiĂšres plongĂ© dans les livres.
AprĂšs la mort du maĂźtre aissawĂź, il sâĂ©loigna petit Ă petit du groupe auquel il Ă©tait affiliĂ©, lui reprochant son activitĂ© plus orientĂ©e sur les phĂ©nomĂšnes surnaturels que sur la recherche de la vĂ©ritable spiritualitĂ©.
Câest alors quâil rencontre un maĂźtre de la tarĂźqa Derkaouiyya, une autre branche de la Chadhiliyya, Muhammad Ibn al-HabĂźb al-BuzĂźdĂź, dont lâenseignement le sĂ©duit immĂ©diatement. Ahmad al-âAlawĂź dĂ©laisse alors, momentanĂ©ment comme le lui recommande son maĂźtre, les cours de sciences exotĂ©riques auxquels il aime assister et sâengage dans la pratique de lâinvocation, qui lâamĂšne Ă en recueillir assez vite les fruits, Ă savoir lâaccĂšs Ă la connaissance spirituelle telle que lâenvisage le soufisme, câest-Ă -dire un mode de connaissance qui dĂ©passe la raison et la conscience individuelle.
Devenu rapidement lâun des plus proches disciples du cheikh BĂ»zĂźdĂź quâil sert pendant seize annĂ©es, il hĂ©rite, Ă la mort de celui-ci en 1909, de sa fonction de maĂźtre spirituel, sans rencontrer quasiment aucune opposition, ce qui est plutĂŽt rare dans les confrĂ©ries soufies.
Cinq ans plus tard, en 1914, il fonde un nouvel ordre, indĂ©pendant des DarqĂąwĂą, la tarĂźqa 'Alawiyya[5], ce dernier mot, basĂ© sur son nom de famille, Ă©tant une allusion Ă la fois Ă la « hauteur » de cette nouvelle voie (sens de la racine arabe concernĂ©e) et au patronage dâÊżAlÄ«, gendre et cousin du prophĂšte Mohammed mais Ă©galement pĂŽle des soufis pour tous les ShĂądhilĂźs. Cette prise dâindĂ©pendance est en fait une façon de rĂ©former la mĂ©thode spirituelle hĂ©ritĂ©e du soufisme shĂądhilĂź et darqĂąwĂź, afin de lâadapter au nouvel environnement, Ă la fois hostile et plein dâopportunitĂ©s nouvelles, qui est celui de l'AlgĂ©rie française du dĂ©but du XXe siĂšcle.
TrĂšs nombreuses sont les autoritĂ©s musulmanes qui tĂ©moignent alors par Ă©crit de lâorthodoxie et de la haute spiritualitĂ© du cheikh : la lettre de lâancien cadi et mufti de La Mecque et de MĂ©dine, Muhammad Ibn al-MakkĂź, publiĂ©e dans Cheikh al-âAlawĂź : documents et tĂ©moignages (cf. Bibliographie) est Ă cet Ă©gard un tĂ©moignage particuliĂšrement marquant mais qui nâest pas isolĂ© puisquâil existe tout un recueil de lettres et dâattestations publiĂ© Ă ce sujet : al-shahĂą'id wa l-fatĂąwĂą.
Son Ćuvre
Les caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©rales de sa mĂ©thode spirituelle, de sa voie (tarĂźqa), sont celles du soufisme classique, qui insiste sur le respect des obligations gĂ©nĂ©rales de lâislam, un degrĂ© variable de renoncement, lâexcellence du caractĂšre, le bon comportement Ă lâĂ©gard de tous, la frĂ©quentation et la visite du maĂźtre spirituel et des frĂšres, la rĂ©citation rĂ©guliĂšre des litanies et la participation aux rĂ©unions pĂ©riodiques, et enfin la concentration dans le cadre de lâinvocation de formules coraniques ou de noms divins.
Tout orientĂ© sur lâintĂ©rioritĂ©, qui est le message que martĂšle inlassablement al-ArabĂź al-DarqĂąwĂź, soufi marocain de la fin du XVIIIe siĂšcle qui est lâun des principaux maĂźtres de la chaĂźne spirituelle (silsila) qui relie de façon ininterrompue Ahmad al-âAlawĂź au ProphĂšte, cet enseignement conduit Ă un recentrage sur lui-mĂȘme de lâaspirant et un retour Ă Dieu (tawba), qui modĂšre tout activisme extĂ©rieur.
La conscience de son propre nĂ©ant (faqr), le polissage du caractĂšre, dans un sens qui nâest a priori pas dâordre moral, et lâamour des condisciples sont trois thĂšmes particuliĂšrement saillants de la voie chadhili.
Enfin, lâune des spĂ©cificitĂ©s de sa mĂ©thode consiste Ă faire pratiquer Ă ses disciples une retraite complĂšte pendant laquelle ils ne doivent sâadonner quâĂ lâinvocation du nom « singulier » de Dieu (ism al-mufrad) dans une solitude totale. Cette mĂ©thode nâĂ©tait pas en soi fondamentalement nouvelle - câest mĂȘme une constante de la Chadhiliyya -, mais il est vrai que la façon assez systĂ©matique de la mettre en Ćuvre, bien significative dâun certain cĂŽtĂ© « contemporain » dâAhmad al-âAlawĂź, a fortement marquĂ© les esprits de son temps.
Quâil sâagisse des milieux qui l'ont reçu, comme Ă FĂšs oĂč les plus hautes autoritĂ©s religieuses lâont accueilli, ou des gens qui lui ont rendu visite, parmi lesquels de nombreux soufis et savants dĂ©jà « initiĂ©s », il semble bien que ce soit cette mĂ©thode radicale et son efficacitĂ© qui lui ait valu une telle notoriĂ©tĂ© dans les milieux soufis maghrĂ©bins.
Il est impossible de rĂ©sumer en quelques mots ce quâest le soufisme.
Dans lâun de ses ouvrages, oĂč il prend la dĂ©fense du soufisme et rĂ©pond Ă lâun de ses adversaires, Ahmad al-âAlawĂź explique ainsi la nĂ©cessitĂ© du maĂźtre, tout en prĂ©sentant lâobjectif de la voie soufie :
« Lâenseignant lui-mĂȘme te dirait que ce maĂźtre spirituel dont on parle dans le soufisme est celui qui guide vers la connaissance Ă©lective de Dieu ; celui dont la frĂ©quentation profite au disciple, qui lâĂ©duque par ses qualitĂ©s et illumine son intĂ©rieur par ses propres lumiĂšres ; celui, enfin, qui amĂšne le disciple Ă Dieu par un simple regard. Ce maĂźtre-lĂ sort le disciple des tĂ©nĂšbres de lâassociationnisme pour lâamener Ă la lumiĂšre de la foi ; de lĂ , il le conduit vers le secret de la certitude, puis Ă la contemplation directe ; et de lĂ , il lâamĂšne alors au stade oĂč toute rĂ©alitĂ© limitative a disparu. Ă ce moment, Dieu est son ouĂŻe, sa vue, sa main et son pied, conformĂ©ment aux termes du SahĂźh de BoukhĂąrĂź. Câest une proximitĂ© extrĂȘme, une station dans laquelle le serviteur disparaĂźt de la proximitĂ© dans lâimmense proximitĂ© : les soufis appellent cela « lâenveloppement », « lâextinction », « lâanĂ©antissement » ou « la disparition », entre autres termes de leur lexique. Câest cela le fruit du soufisme, un fruit dont tu ne sais rien. Lorsquâon lâa interrogĂ© Ă ce sujet, lâimam Junayd a ainsi dĂ©fini le soufisme : « Le soufisme, câest que Dieu te fasse mourir Ă toi-mĂȘme et vivre par Lui. » »
Le docteur Marcel Carret, le mĂ©decin français qui le suivit dans les derniĂšres annĂ©es de sa vie jusquâĂ sa mort, Ă©tait agnostique. Il a laissĂ© un tĂ©moignage trĂšs intĂ©ressant de ses relations avec Ahmad al-âAlawĂź, qui constitue une source sĂ»re et parfaitement neutre, pour connaĂźtre dâune part lâattitude du cheikh et son discours vis-Ă -vis des non-musulmans et, dâautre part, le fonctionnement quotidien de la zaouĂŻa de Mostaganem (ce tĂ©moignage a Ă©tĂ© repris par Martin Lings dans sa biographie du cheikh, cf. bibliographie infra).
Or, concernant cette question de la nature du soufisme, le docteur Carret rapporte la conversation quâil a eue Ă ce sujet avec Ahmad al-âAlawĂź. Le docteur lui ayant exposĂ© sa vision des croyances, estimant que « toutes se valent », le cheikh rĂ©pond ceci : « Non, toutes ne se valent pas. » â Je me tus, attendant une explication, continue le docteur. Elle vint : « Toutes se valent, reprit-il, si lâon ne considĂšre que lâapaisement. Mais il y a des degrĂ©s. Certains sâapaisent avec peu de chose, dâautres sont satisfaits avec la religion, quelques-uns rĂ©clament davantage. Il leur faut non seulement lâapaisement, mais la grande paix, celle qui donne la plĂ©nitude de lâesprit. » â Alors, les religions ? « Pour ceux-lĂ , les religions ne sont quâun point de dĂ©part. » â Il y a donc quelque chose au-dessus des religions ? « Au-dessus de la religion, il y a la doctrine. » â Jâavais dĂ©jĂ entendu ce mot : la doctrine. Mais lorsque je lui avais demandĂ© ce quâil entendait par lĂ , il avait refusĂ© de rĂ©pondre. Timidement, je hasardais de nouveau : quelle doctrine ? « Les moyens dâarriver jusquâĂ Dieu », fut sa rĂ©ponse.
Ahmad al-âAlawĂź manifestait de lâintĂ©rĂȘt pour tous types de sciences et toutes sortes de cultures a priori Ă©trangĂšres Ă sa propre perspective : Ă cet Ă©gard, lâarticle dâAugustin Berque (pĂšre du grand islamologue Jacques Berque) citĂ© en bibliographie, qui avait bien connu le cheikh et suivi sa production littĂ©raire, est particuliĂšrement probant mĂȘme sâil contient de nombreuses inexactitudes.
Sâil Ă©tait un dĂ©fenseur intransigeant de la tradition musulmane face Ă un colonialisme de plus en plus envahissant et assimilationniste, il Ă©tait Ă©galement capable dâune ouverture dâesprit peu banale avec ses interlocuteurs Ă©trangers, non seulement chrĂ©tiens mais mĂȘme agnostiques : le tĂ©moignage quâa laissĂ© le docteur Marcel Carret est Ă ce sujet Ă©loquent, de mĂȘme que le sont plusieurs passages de ses propres Ă©crits. Le docteur Carret rapporte ceci :
« Il dĂ©clarait que Dieu avait inspirĂ© trois grands prophĂštes (selon Martin Lings, ce chiffre nâest pas limitatif) : le premier avait Ă©tĂ© MoĂŻse, le deuxiĂšme JĂ©sus et le troisiĂšme Mohammed. Il en concluait logiquement que la religion musulmane Ă©tait la meilleure puisquâelle Ă©tait basĂ©e sur le dernier message de Dieu, mais que la religion juive et la religion chrĂ©tienne nâen Ă©taient pas moins des religions rĂ©vĂ©lĂ©es. Sa conception de la religion musulmane Ă©tait Ă©galement trĂšs large. Il nâen retenait que lâessentiel. [...] Ce que jâapprĂ©ciais particuliĂšrement en lui Ă©tait lâabsence complĂšte de tout prosĂ©lytisme. Il Ă©mettait ses idĂ©es lorsque je le questionnais, mais paraissait fort peu se soucier que jâen fisse mon profit ou non. Non seulement il ne tenta jamais le moindre essai de conversion, mais pendant fort longtemps il parut totalement indiffĂ©rent Ă ce que je pouvais penser en matiĂšre de religion. »
Câest certainement cette qualitĂ© (que curieusement certains milieux issus de sa confrĂ©rie refusent aujourdâhui de voir), en plus dâun « magnĂ©tisme » difficile Ă dĂ©finir, mais dont ont tĂ©moignĂ© de nombreux Occidentaux, qui a fait de sa voie spirituelle la premiĂšre installĂ©e en Occident et largement prĂ©sente encore aujourdâhui. Parmi les noms les plus connus de « rattachĂ©s » de la premiĂšre heure, on peut citer ceux de Frithjof Schuon (qui sâĂ©loignera cependant peu aprĂšs la mort du cheikh de la mĂ©thode spirituelle proprement alawĂź), EugĂšne Taillard, le libraire TapiĂ© Ă Oran ou encore le peintre Henri Gustave Jossot.
Autre preuve dâouverture : RenĂ© GuĂ©non Ă©tait en contact avec le cheikh al-âAlawĂź, auquel il adressa certains de ses correspondants intĂ©ressĂ©s par le soufisme. Or la perspective guĂ©nonienne sortait Ă©videmment du cadre de pensĂ©e habituel du soufisme confrĂ©rique, et cela, Ahmad al-âAlawĂź, par le biais de ses disciples français dont certains comme EugĂšne Taillard Ă©taient des lecteurs assidus de GuĂ©non, ne pouvait lâignorer.
Ă partir des annĂ©es 1920, sa notoriĂ©tĂ© va croissante et les diverses activitĂ©s de la confrĂ©rie se dĂ©veloppent. Cette diversitĂ© est dâailleurs parfois difficile Ă comprendre, si lâon ne prend pas en compte le caractĂšre fondamentalement pragmatique du soufisme shĂądhilĂź, dont lâun des principes est que la contemplation la plus haute, pour un maĂźtre vĂ©ritablement enracinĂ© dans la connaissance spirituelle et qui est spĂ©cialement appelĂ© Ă jouer un rĂŽle extĂ©rieur quâil nâa pas cherchĂ©, nâest en rien incompatible avec lâaction la plus concrĂšte Ă tous les niveaux, ce que rĂ©sume ainsi Ahmad al-AlawĂź dans lâune de ses maximes : « Celui qui se dĂ©sintĂ©resse du voile perd la prĂ©sence (divine) », le voile Ă©tant la CrĂ©ation, en tant que manifestation des Noms et Attributs divins.
Ahmad al-âAlawĂź a installĂ© des zaouĂŻas dans toute lâAlgĂ©rie ainsi quâau Maroc, en Tunisie, en Libye, en Palestine, en Syrie, au YĂ©men, en France (dĂšs les annĂ©es 1920), en Angleterre et dans bien dâautres pays occidentaux, Ă©crit de nombreux livres traitant aussi bien de soufisme, Ă diffĂ©rents niveaux, que de droit musulman, de poĂ©sie, de philosophie, de sciences et dâastronomie. Il a correspondu avec toutes sortes de savants, dâintellectuels ou mĂȘme dâhommes politiques (par exemple lâEmir Abdelkrim al-KhattĂąbĂź, qui Ă©tait lâun de ses disciples), promu toutes sortes dâactions de dĂ©fense des intĂ©rĂȘts des musulmans dans son pays ou ailleurs (il est notamment lâun des inspirateurs du projet de lâhĂŽpital franco-musulman et de la mosquĂ©e de Paris, quâil inaugurera dâailleurs lui-mĂȘme en 1926). Il dĂ©fend le soufisme non seulement contre les modernistes mais Ă©galement contre les milieux religieux issus du mouvement rĂ©formiste, ou Ă lâautre extrĂ©mitĂ© du spectre, contre les tendances « maraboutiques » de certains secteurs du soufisme populaire. Il lutte Ă©galement pour prĂ©server lâislam, ses pratiques et ses mĆurs face au colonialisme[6].
Pour tout cet aspect polĂ©mique et critique de son Ćuvre, câest souvent le vecteur du journalisme quâil utilise, puisquâil est le fondateur, lâinspirateur et parfois mĂȘme directement lâun des rĂ©dacteurs de deux revues distribuĂ©es dans plusieurs pays : al-Balagh al-jazĂą'irĂź et Lisan al-Din.
Il ne faut pas non plus oublier lâaction caritative et sociale qui va gĂ©nĂ©ralement de pair avec la vie des confrĂ©ries numĂ©riquement importantes.
Sa production littéraire
Si ses ouvrages les plus marquants sont ceux qui mettent en Ă©vidence Ă la fois sa connaissance de la thĂ©orie du soufisme et de tous ses auteurs phare (notamment son commentaire des aphorismes d'AbĂ» Madyan), et la profondeur de ses commentaires Ă©sotĂ©riques (tel son commentaire spirituel des significations cachĂ©es dâun ouvrage classique de fiqh : le Murshid al-MuâĂźn dâIbn âĂshĂźr), Ahmad al-âAlawĂź a Ă©galement abondamment Ă©crit sur des sujets relevant du dogme ou du culte musulman, Ă des fins dâinstruction des disciples (notamment dans sa RisĂąla l-âalawiyya et dans son MabĂądĂź al-taâyĂźd).
Il a rĂ©alisĂ© un commentaire partiel de la sourate La Vache, selon quatre points de vue superposĂ©s. Deux ouvrages relativement dĂ©taillĂ©s lui ont permis de dĂ©fendre le soufisme contre les rĂ©formistes, et notamment le Qawl l-maârĂ»f (Lettre ouverte Ă ceux qui critiquent le soufisme ). Son MiftĂąh al-shuhĂ»d[7] est une sorte de traitĂ© de cosmologie et dâastronomie mĂȘlant connaissances modernes et point de vue traditionnel.
Enfin, son DĂźwĂąn, ensemble de poĂ©sies spirituelles auquel les disciples ont recours pour les sĂ©ances de samĂąâ, reprĂ©sente, avec ses MunĂąjĂą ("apartĂ©s") et ses aphorismes ("Sa Sagesse"), lâaspect le plus intime de sa production littĂ©raire.
Par ailleurs, il est l'auteur de nombreux articles parus dans ses revues, et de plusieurs petits traités touchant aux sujets les plus divers. Certains de ses écrits n'ont jamais été édités (notamment ses Réponses à l'Occident[8]).
L'extension et l'évolution de la confrérie
Câest le quâAhmad al-âAlawĂź sâĂ©teint[9]. La succession est relativement difficile, dâabord en raison de lâextension quâa prise la confrĂ©rie qui compte alors, aux dires dâun disciple occidental, Probst-Biraben, prĂšs de 200 000 disciples. Il va sans dire que dans ces circonstances les modes dâaffiliation sont nĂ©cessairement trĂšs variables, et câest dâailleurs une autre explication possible des schismes survenus juste aprĂšs sa mort, dâautant quâil a autorisĂ© plusieurs moqaddems Ă transmettre sa voie, dont certains sont par ailleurs des savants ou des notables disposant dâune autoritĂ© religieuse reconnue. Certains sont issus du rĂ©formisme et n'ont connu le cheikh que tardivement, Ă l'Ă©poque oĂč il est devenu extĂ©rieurement un notable religieux incontournable.
Ă Mostaganem, le conseil des disciples les plus importants dĂ©signe Adda Bentounes comme nouveau maĂźtre. Mais sa jeunesse â il nâa alors que 36 ans â reprĂ©sente son principal handicap pour ĂȘtre acceptĂ© comme successeur, dans une sociĂ©tĂ© traditionnelle oĂč lâanciennetĂ© est souvent considĂ©rĂ©e comme un gage de rĂ©alisation spirituelle. Ce dernier a pourtant Ă©tĂ© Ă©duquĂ© et pris en charge pratiquement dĂšs le berceau par Ahmad al-âAlawĂź, comme il le dit lui-mĂȘme dans plusieurs poĂšmes, jusquâĂ devenir rapidement lâhomme de confiance du cheikh, qui « lâaffectionne tout particuliĂšrement », selon le tĂ©moignage du docteur Marcel Carret. DĂšs sa jeunesse, il en fait son chauffeur, son secrĂ©taire (ce que la correspondance du cheikh montre abondamment) et lâun de ses meilleurs musammiâ (spĂ©cialiste du chant spirituel). Puis il le marie Ă sa niĂšce (que le cheikh Ă©levait comme sa fille, nâayant lui-mĂȘme jamais eu dâenfant) et le nomme peu de temps avant sa mort moqaddem de la zaouĂŻa de Mostaganem comme en tĂ©moigne le Docteur Carret (qui voyait assez rĂ©guliĂšrement le cheikh al-'AlawĂź sur la fin de sa vie, compte tenu de son Ă©tat de santĂ©) : Entre-temps, Sidi Mohammed, son neveu, qui faisait fonction de moqaddem, Ă©tait mort, et avait Ă©tĂ© remplacĂ© par un autre de ses neveux (par alliance) qu'il affectionnait particuliĂšrement, Sidi Adda Ibn TounĂšs. Ce fut Sidi Adda qui l'accompagna Ă La Mecque et c'est lui qui dirige actuellement la zaouĂŻa. Cf. M. Lings, Un saint soufi du XXe siĂšcle, Seuil, 1990, p. 33. Enfin, il lâinstitue, comme le dit son testament, « au rang de fils du fondateur » et, ce qui achĂšvera de braquer les hĂ©ritiers thĂ©oriques du cheikh, lui confie par testament aprĂšs sa mort, la gestion de tous les biens fonciers acquis au fil des ans pour le fonctionnement de la zaouĂŻa et des institutions caritatives et Ă©ducatives qui lui sont rattachĂ©es, biens qui sont transformĂ©s en habous, fondation pieuse[10].
Dâautres moqaddems, notamment Muhammad al-MadanĂź en Tunisie et Muhammad Ibn al-HĂąshimĂź (originaire de Tlemcen) en Syrie joueront un rĂŽle majeur dans la diffusion de la ShĂądhiliyyĂą dans ces deux pays. On peut noter d'ailleurs, s'agissant de ces deux derniĂšres personnalitĂ©s, que si leur voie est devenue de facto indĂ©pendante de la zaouĂŻa de Mostaganem aprĂšs la mort d'Ahmad al-'AlawĂź, ces deux maĂźtres ne remettaient pas en cause la dĂ©signation comme successeur du cheikh Adda BentounĂšs, contrairement Ă d'autres. C'est ce qu'affirme la thĂšse de Salah Khelifa (voir la bibliographie ci-dessous) pour le cheikh MadanĂź. Muhammad Ibn al-HĂąshimĂź Ă©crivait quant Ă lui le en postface de la seconde Ă©dition de l'ouvrage le plus connu d'Ahmad al-'AlawĂź, Al-minah al-qudusiyya, que cette rĂ©Ă©dition avait Ă©tĂ© faite « avec l'autorisation du successeur de l'auteur, son hĂ©ritier dans les secrets et les connaissances, notre maĂźtre, le pĂŽle seigneurial [...] Sidi Hajj Adda BentounĂšs ».
Ă partir de 1934, la âAlawiyya se ramifie et sâĂ©tend, changeant parfois mĂȘme de nom dans certains pays, et ses adeptes sont encore aujourdâhui relativement nombreux. La diversitĂ© des groupes et personnes qui ont Ă©tĂ© influencĂ©s dâune façon ou dâune autre par lâhomme et son Ćuvre est la consĂ©quence des multiples facettes de ce personnage et des diffĂ©rents types dâaffiliation, plus ou moins intimes, quâil a suscitĂ©s.
Notes et références
- Le Grand Livre du jeûne, Par Jean-Claude Noyé, Albin Michel, 2007 [books.google.fr/books?id=tXuEN4idGR4C&pg=PA217&hl=fr&sa=X&ei=W9c-VJW6IsmoPOapgagF&ved=0CDcQ6AEwAg#v=onepage&q=Algérien Ahmad al-Alawi&f=false p. 217]
- Et si l'ensemble des religions était d'origine monothéiste?, Par Frédéric Truong, p. 158
- L'islam bĂ©ninois Ă la croisĂ©e des chemins: histoire, politique et dĂ©veloppement Couverture Galilou Abdoulaye Köppe, 2007 â p. 139
- La date communément fournie de 1869 est erronée. L'acte daté du 14 octobre 1874 indique qu'Ahmed Benalioua, nom courant du cheikh, a pour pÚre Mustapha Benalioua, cordonnier, et pour mÚre Fatima Bensbia. Cf. Chabry, Les contours de la sainteté dans la figure de l'algérien Ahmad Alawß, DiplÎme de l'EHESS, 2012, p. 19, qui renvoie à l'état-civil de Mostaganem.
- Selon Chabry, il nâexiste aucune source Ă©crite, interne ou externe, qui mentionne avant la mort dâAlawĂź une tarĂźqa « al-âAlawiyyah ad-DarqĂąwĂźyyah ash-ShĂądhiliyyah », contrairement Ă ce quâaffirme Lings (cf. Un saint soufi, p. 95). Dans les ShahĂąâid wa l-fatĂąwĂź, publiĂ©s en 1925, lâexpression « tarĂźqa Alawiyya » et ses variantes (nisba, tĂąâifa) apparaissent 66 fois, lâexpression « tarĂźqa ShĂądhiliyya Alawiyya » nây figurant quâune seule fois. Le tout premier ouvrage historique sur la confrĂ©rie, Ă©crit par QĂądirĂź vers le milieu des annĂ©es 1910 et dĂ©jĂ introuvable en 1925, contient pratiquement lâappellation courte dans son titre mĂȘme : Najm al-thurya fĂź l-maâathir al-âalĂąwiyya. Dans le second ouvrage du mĂȘme auteur, lâIrshĂąd al-rĂąghibĂźna, publiĂ© en 1920, la confrĂ©rie est appelĂ©e six fois « tarĂźqa Alawiyya » et une fois « nisba Alawiyya ». Lâexpression « tarĂźqa ShĂądhiliyya Alawiyya » est employĂ©e une seule fois au dĂ©but, afin de la situer. AlawĂź lui-mĂȘme nâappelle pas autrement sa confrĂ©rie. Les seuls cas oĂč apparaĂźt lâappellation dĂ©veloppĂ©e « tarĂźqa ShĂądhiliyya Alawiyya » sâexpliquent par le contexte dâun pays Ă©tranger, comme la Tunisie ou la Syrie (cf. Chabry, ibid., p. 24).
- Voir: "Men of a Single Book: Fundamentalism in Islam, Christianity, and modern thought", de Mateus Soares de Azevedo (World Wisdom, 2010, p. 32).
- Traduction partielle de Miftùh al-shuhûd sur lacaravane.weebly.com.
- Seule l'introduction de cet écrit a été publiée (dans la Rawda l-saniyya du cheikh Adda BentounÚs). Pour une traduction en français, voir lacaravane.weebly.com.
- Et non le 11 juillet comme plusieurs auteurs lâavancent. Il nây a jamais eu de doute sur la date du dĂ©cĂšs dâAlawĂź, qui apparaĂźt en deuxiĂšme page de lâarticle de 1936 dâA. Berque (p. 692). Khelifa remarque quâil y a toujours eu une Ă©pitaphe sur la tombe du maĂźtre mentionnant la date de sa mort (cf. Chabry, ibid., p. 25).
- Les deux ouvrages universitaires cités en bibliographie (S. Khelifa et G. Boughanem) donnent tout le détail des trois "testaments" successifs d'Alawß qui régissent le fonctionnement de ce habous.
Annexes
Bibliographie
- Ahmad al-AlawĂź, Lettre ouverte Ă celui qui critique le soufisme, Ăditions La Caravane, St-Gaudens, 2001, (ISBN 978-2-9516476-0-2).
- Ahmad al-AlawĂź, Sagesse cĂ©leste - TraitĂ© de soufisme, Ăditions La Caravane, Cugnaux, 2007, (ISBN 978-2-9516476-2-6).
- Ahmad al-Alawi, Extraits du Diwan, Ăditions Les Amis de l'Islam, 1984.
- Ahmad al-Alawi, Sa Sagesse, Ăditions Les Amis de l'Islam.
- Ahmad al-Alawi, Recherches philosophiques, Ăditions Les Amis de l'Islam, 1984.
- Ahmad al-Alawi, L'arbre aux secrets, Albouraq, Paris, 2004.
- Ahmad al-Alawi, Lettre ouverte Ă ceux qui critiquent le soufisme, Entrelacs, Paris, 2011.
- Ahmad al-Alawi, De la Révélation, Entrelacs, Paris, 2011.
- Ahmad al-Alawi, Les trĂšs-saintes inspirations ou lâĂ©veil de la conscience (al-Minah al-QuddĂ»siyya), Albouraq, Paris, 2015.
- Adda BentounĂšs, L'invocation dans le soufisme, Paris, ILV-Ădition, 2011 (EpuisĂ©. Le mĂȘme texte est disponible sur lacaravane.weebly.com).
- Augustin Berque, Un mystique moderniste : le Cheikh Ben Aliwa, Revue africaine, Alger, 1936, pp. 691-777.
- Ghezala Boughanem, Al-tarßqa al-'alawiyya fß l-jazù'ir wa makùnatuhù l-dßniyya wa l-ijtimù'iyya 1909 - 1934, Mémoire de magistÚre, Université de Constantine, 2008.
- Johan Cartigny, Le Cheikh al-Alawi : documents et tĂ©moignages, Drancy, France, Ăditions Les Amis de l'Islam, (OCLC 22709995).
- Marcel Carret, Le Cheikh El-Alaoui : souvenirs, Imprimerie Alawiyya, Mostaganem, 1987.
- Manuel Chabry, Les contours de la sainteté dans la figure de l'Algérien Ahmad Alawß, DiplÎme de l'EHESS, Paris, 2012.
- Manuel Chabry, Le PÎle : histoire de la confrérie soufie Alawiyya (1894-1952), Lulu.com, 2022.
- Ăric Geoffroy, Cheikh Ahmad al-âAlĂąwĂź, vivificateur de la voie soufie, Albouraq, Paris, 2021.
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