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Abus sexuels dans la communauté Saint-Jean

Les abus sexuels dans la communauté Saint-Jean désignent les sévices sexuels commis au sein de cette institution par certains de ses clercs et agents pastoraux.

Le fondateur de la communauté Saint-Jean, Marie-Dominique Philippe, fait l'objet d'accusations de dérive sectaire et d'abus sexuels. Plusieurs membres de la communauté Saint-Jean sont reconnus coupables d'agressions sexuelles dont des viols sur adultes, mineurs ou personnes fragiles. Ces derniers justifient bien souvent leurs actes, contraires à l'ordre moral commun, en invoquant le concept de l'« amour d'amitié ». Celui-ci est banni en 2016 après l'intervention du Vatican ; José Rodríguez Carballo évoque des « actes pédophiles pour quelques-uns, conduites gravement contraire à la chasteté pour d'autres plus nombreux, actes homosexuels, imprudences graves et abus de jeunes femmes vis-à-vis desquelles ils étaient en situation de responsabilité ».

Contexte

La communauté Saint-Jean regroupe trois congrégations religieuses : les frères de Saint-Jean, les sœurs apostoliques de Saint-Jean et les sœurs contemplatives de Saint-Jean, ainsi que des oblats (laïcs qui suivent cette spiritualité). Ces communautés, bien que séparées et indépendantes dans leur fonctionnement, partagent une histoire et une spiritualité communes. Elles furent fondées par Marie-Dominique Philippe (1912-2006) en 1975 pour les frères, 1982 pour les sœurs contemplatives et 1984 pour les sœurs apostoliques.

L'Eau vive

Thomas Marie Philippe en 1986.

En 1946, le prêtre catholique Thomas Philippe fonde un centre international de spiritualité et de culture chrétienne à Soisy-sur-Seine. L'Eau vive connaît un rapide succès. Toutefois en 1951, deux femmes, une laïque et une novice, portent plaintes pour abus sexuels dans le cadre d'un accompagnement spirituel. Quatre membres de la famille Philippe sont alors sanctionnés par le Saint-Office dont le frère de Thomas Philippe, Marie-Dominique Philippe lui-même fondateur de la communauté Saint-Jean quelques années plus tard[1] - [2]. Ce dernier fait l'objet, en 1956, d'une enquête sub secreto, pour complicité avec son frère Thomas Philippe et est condamné en 1957 à l'interdiction de confesser, de séjourner et de prêcher dans des couvents féminins et enfin d'enseigner la spiritualité. Cette sanction est levée en 1959[3].

L'« amour d'amitié »

Le concept de l'« amour d'amitié » entretient l'ambiguïté entre les relations spirituelle et charnelle, il est au centre du fonctionnement de la communauté Saint-Jean. Dès 1996, l'évêque Raymond Séguy reçoit des témoignages d'agissements abusifs au sein de la communauté. En 2000, il adresse une monition canonique en évoquant notamment les problèmes de chasteté et met en garde les frères de Saint-Jean concernant les « théories mystico-gélatineuses sur l'amour d'amité »[4]. Seize ans plus tard, en 2016, ce concept est banni après l'intervention du Vatican[5].

François Xavier Cazali, nouveau prieur général de la communauté Saint-Jean élu en 2019, considère que 80% des abus sexuels se produisent lors de la relation d’accompagnement spirituel. Certains agresseurs sexuels tentent d'expliquer leurs comportements en utilisant « l’expression spirituelle de l’amour d’amitié qui unit le père spirituel à la personne qu’il dirige »[6].

L'« amour d'amitié », vécu par certaines « âmes contemplatives » élues, se traduit par des gestes de « tendresse » illimités tant qu'il n'y a pas de pénétration. Et quand il existe un dérapage, il faut considérer la pensée, si celle-ci est pure, le péché n'existe pas. L'important c'est de montrer à la personne qu'elle est aimée de Dieu à travers la tendresse ainsi donnée. Le partenaire peut « se servir de son ami selon son bon plaisir […] et tout lui demander. » Ces « âmes contemplatives » se trouvent de fait au-dessus de la loi commune mais cette relation « amour d'amitié » doit rester secrète car incomprise des non initiés[7].

La journaliste Céline Hoyeau a rencontré un membre de la communauté Saint-Jean abusé par son professeur Marie-Dominique Goutierre[alpha 1], responsable des études de philosophie. Ce dernier l'a agressé sexuellement pendant trois ans avant qu'il s'échappe de son emprise. Marie Dominique Goutierre obtenait des fellations en utilisant le concept d'« amour d'amitié » et s'autojustifiait en ces termes : « Ce qui autorise ces gestes, c’est l’amour qui nous unit, et c’est pourquoi personne ne peut comprendre ce que nous vivons ». Quand la victime demande de l'aide à Marie-Dominique Philippe celui-ci ne condamne pas les agressions sexuelles et entretien la confusion entre la sexualité, l'amour et l'amitié[8] - [9].

Pour Stéphane Joulain, père blanc et psychothérapeute, l'agresseur sexuel cherche « à réconcilier l'abus et sa foi »[10]. La philosophe Aline Lizotte rappelle que Marie-Dominique Philippe se présente comme « un grand métaphysicien, un nouveau commentateur d’Aristote », par ailleurs ses études s'appuient sur une très grande érudition. Son concept d'« amour d’amitié » est « une valeur universelle qui purifie tout, qui sacralise tout, qui excuse tout, qui est le fondement même de la valeur de la personne, qui correspond à son appétit spirituel, qui est le fondement de son unité ». Elle cite cette phrase de Marie-Dominique Philippe « Aristote parle de l’amitié selon la vertu pour bien signifier que l’amitié dépasse la vertu. L’amitié […] est au-delà de la vertu, elle en est comme la fleur ». Or Aline Lizotte rappelle que pour Aristote l'amitié entre deux personnes ne peut pas exister comme un au-delà de la vertu. Marie-Dominique Philippe donne à son concept un statut de causalité universelle. S'appuyant sur cet « amour d'amitié » des membres de la communauté Saint-Jean ont transgressé l'ordre moral commun : « Tout était excusable, sinon louable, pourvu que l’amour vienne renforcer l’amitié spirituelle »[11].

En 2015, l'ancien évêque de Viviers, François Blondel est nommé commissaire pontifical par la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique pour établir un rapport sur les déviances dans la communauté Saint-Jean pendant 40 ans. Il envoie son rapport au Saint-Siège un an plus tard. En juillet 2016, José Rodríguez Carballo, Secrétaire de la Congrégation pour la Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique au Vatican, vient remettre la synthèse de cette étude. José Rodríguez Carballo remet en cause le concept de l'« amour d'amitié » en insistant sur « le scandale dans la conduite d'un nombre conséquent de frères ». Ainsi il évoque des « actes pédophiles pour quelques-uns, conduites gravement contraire à la chasteté pour d'autres plus nombreux, actes homosexuels, imprudences graves et abus de jeunes femmes vis-à-vis desquelles ils étaient en situation de responsabilité »[12].

En 2021, un rapport pour la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église en France mentionne que la communauté Saint-Jean a relevé dans 11 dossiers d’agresseurs des mentions d’amour-amitié[13].

Implications de la hiérarchie

Selon Laurence Poujade, membre des Sœurs apostoliques de Saint-Jean de 1992 à 2002, le cardinal Jean Jérôme Hamer préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique connaissait dès les années 1980 les comportements abusifs de Marie-Dominique Philippe[14].

En 1996, l'ouvrage Les Naufragés de l'esprit critique notamment les évêques de France qui ont couvert des dérives sectaires aboutissant à des « fraternités-terreurs »[15].

En octobre 2004, les évêques Joseph Madec et Gaston Poulain défendent la communauté Saint-Jean mise en cause par des témoignages de victimes. Ces dernières « ternisse[nt] ainsi l’image de jeunes religieuses et religieux qui, avec leurs richesses et leurs fragilités, donnent généreusement leur vie pour l’amour du Christ et des hommes »[14].

En juin 2016, une lettre du Vatican signée par l'archevêque José Rodríguez Carballo et le cardinal Braz de Aviz évoque les décennies d'abus couverts par la communauté Saint-Jean et fustige la loi du silence instituée comme règle dans la communauté[14] :

« Lorsque des fautes étaient connues, elles étaient traitées avec une indulgence suspecte et les conséquences graves que ces conduites avaient eues sur celles et ceux qui en avaient été victimes n'étaient absolument pas prises en compte. »

En 2019, le pape François déclare : « Le pape Benoît XVI a eu le courage de dissoudre une congrégation féminine qui avait un certain niveau de problème parce que cet esclavage des femmes s’était installé, esclavage des femmes de la part des clercs et du fondateur. Parfois le fondateur prend la liberté, vide cette liberté à des sœurs et peut alors se produire ce genre de choses ». La congrégation évoquée par le pape est l’Institut des sœurs de Saint Jean et Saint Dominique[16].

Condamnations

Condamnations pénales

Depuis 1998, plusieurs prêtres et frères de la communauté Saint-Jean ont été condamnés par des tribunaux français ou étrangers pour agressions sexuelles et/ou viols sur des majeurs ou des enfants :

  • En septembre 1998, un premier frère du prieurĂ© de Murat (Cantal) est condamnĂ© Ă  24 mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel d'Aurillac pour agression sexuelle sur un jeune garçon de 15 ans[17] - [18] - [19] - [20].
  • Le 2 juillet 2010, Denis Borel prĂŞtre de Saint-Jean, du prieurĂ© de Marchegg (Autriche), est condamnĂ© par un tribunal de Vienne Ă  six mois de prison avec sursis et 2 000 euros d'amende après les plaintes de deux jeunes femmes. Il est renvoyĂ© en France oĂą son comportement ne s'amĂ©liore pas. Une procĂ©dure canonique est engagĂ©e mais son supĂ©rieur Thomas Joachim intervient considĂ©rant que ces agressions sexuelles Ă©taient dues Ă  un burn-out[21] - [22].
  • En 2012, Robert San Augustin Gomez (Luigi-Gonzaga pour la communautĂ© Saint-Jean), de nationalitĂ© mexicaine, est condamnĂ© Ă  deux reprises, d’abord le 14 fĂ©vrier 2012 par le tribunal correctionnel d’AngoulĂŞme Ă  18 mois de prison avec sursis pour plusieurs agressions sexuelles commises en mars et septembre 2009 sur un garçon de 12 ans, Ă  Cognac et Richemont en Charente[23] ; puis de nouveau condamnĂ© le 12 novembre 2012 par le tribunal correctionnel de Mâcon Ă  25 mois de prison ferme pour l'agression sexuelle d'un lycĂ©en de 17 ans, commise en mai 2011 Ă  Cluny. Ă€ l'issue du dernier procès, l'Ă©vĂŞque d'AngoulĂŞme Claude Dagens appelle la communautĂ© de Saint-Jean Ă  une introspection[24] - [25].
  • Jean-Dominique Lefèvre est condamnĂ© le 28 mai 2015 par la cour d’assises de Chalon-sur-SaĂ´ne Ă  8 ans de prison ferme, pour des faits d'agressions sexuelles et de viols sur cinq fillettes et une adulte fragile psychologiquement (qui s’est ensuite suicidĂ©e), commis entre 1991 et 1999 en France et en Roumanie[26] - [27]. Ce mĂŞme frère est une nouvelle fois condamnĂ© le 24 novembre 2015 par le tribunal correctionnel du Puy-en-Velay Ă  quatorze mois de prison ferme pour attouchements sexuels sur une fillette de 6 ans en 1991, Ă  la Chaise-Dieu[28].
  • RĂ©gis Peillon (Jean-François Peillon ou Jean-François RĂ©gis pour la communautĂ© Saint-Jean), doit quitter Abidjan en 2008 après avoir reconnu des actes de voyeurisme sur 10 Ă  15 jeunes garçons africains, il indique avoir « vĂ©rifiĂ© » si leurs organes sexuels sont bien dĂ©veloppĂ©s. En 2010, il avoue des actes pĂ©dophiles sur ces enfants au frère Jean-Polycarpe qui ne prĂ©vient pas les autoritĂ©s civiles. Il ne sera jamais inquiĂ©tĂ© pour ces agressions en CĂ´te d'Ivoire, les justices ivoirienne et française ne sont pas informĂ©es par les responsables de la communautĂ© Saint-Jean[14] - [29]. Revenu en France, il rĂ©cidive sur un adolescent en 2009 Ă  Murat dans le Cantal et sur un adulte en septembre 2014 Ă  Rimont dans la SaĂ´ne-et-Loire, en l'occurrence un autre frère de Saint-Jean[30] - [31]. Ă€ la suite de cette dernière agression, il est renvoyĂ© en 2014 de la communautĂ© et relevĂ© de ses vĹ“ux en 2015[32]. Ă€ la demande de ses supĂ©rieurs, il se dĂ©nonce Ă  la justice en 2015. Il est condamnĂ© le 29 avril 2016 par le tribunal correctionnel de Chalon-sur-SaĂ´ne Ă  un an de prison, avec sursis, pour agressions sexuelles[29].
  • Christophe-RĂ©mi Mazas, prĂŞtre Ă  Avignon, est poursuivi en 2019 pour agression sexuelle commise en 1999 envers un enfant. La prescription s'applique compte tenu de l'anciennetĂ© des faits. Mais, lors de l'enquĂŞte, la police dĂ©couvre sur son matĂ©riel informatique des images pĂ©dopornographiques. Il est condamnĂ© Ă  6 mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel d'Avignon en octobre 2019[33].

Par ailleurs le 28 juin 2012, un frère de Saint-Jean, devant passer devant une cour d’assises pour actes de pédophilie, se suicide dans sa voiture près d’Orléans[34].

En outre, le journal La Croix, dans son édition du 30 avril 2019, a révélé que trois autres frères de Saint-Jean faisaient l'objet en 2019 d'une mise en examen pour abus sexuels[35] .

Condamnations canoniques

Les jugements canoniques ne sont pas publics et les condamnations sont donc souvent difficiles à établir, même si elles peuvent dans certains cas être confirmées publiquement par les autorités ecclésiastiques.

En 1957, Marie-Dominique Philippe est condamné par Rome pour avoir couvert les abus sexuels commis par son frère Thomas Philippe[35] - [alpha 2].

Le 28 juin 2000, Raymond Séguy, évêque du diocèse d’Autun, Chalon et Mâcon dont dépend la communauté Saint-Jean, adresse à celle-ci une monition canonique. Dans ce texte « préventivement punitif », l’évêque lance de sévères avertissements à la communauté Saint-Jean après avoir notamment constaté « des signes graves d'un certain essoufflement, désarroi, fatigues physiques ou morales, épuisements, conduites non conformes à la vie chrétienne ou religieuse, demandes de dispenses de vie commune, d'ex-claustrations, de sortie, de retour à l'état laïc, voire de nullités de professions ou d'ordinations pour contrainte morale, etc. » Évoquant la chasteté, il met en garde les membres de la communauté concernant les « théories mystico-gélatineuses sur l'amour d'amité »[36] - [37]. Toutefois Raymond Séguy n'a jamais informé la justice de ces abus. En 1997, il répondait aux parents d'une victime : « Je ne vais tout de même pas passer mon temps à répondre à votre matraquage épistolaire concernant une affaire qui ne me regarde que très indirectement. »[38].

Principaux cas connus de condamnations canoniques rendues publiques dans les médias :

  • En dĂ©cembre 2017, le quotidien La Nouvelle RĂ©publique rĂ©vèle le cas de plusieurs agressions sexuelles qui auraient Ă©tĂ© commises dans les annĂ©es 2000 sur quatre femmes par Marie-Olivier Rabany un prĂŞtre de Saint-Jean, au prieurĂ© de Saint-Quentin-sur-Indrois (Indre-et-Loire)[39] - [40]. Toutefois, bien que ce prĂŞtre ait reconnu des « gestes inappropriĂ©s », la procĂ©dure est finalement classĂ©e sans suite par le procureur « dans la mesure oĂą les quatre victimes Ă©taient majeures et qu’il a Ă©tĂ© estimĂ© qu’il y avait eu influence mais pas contrainte »[41]. L'Église, quant Ă  elle, a dans un premier temps condamnĂ© ce frère de Saint-Jean Ă  se retirer de toute vie apostolique, avec l’interdiction « pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e » d’exercer comme prĂŞtre[41]. Il a Ă©tĂ© dĂ©finitivement renvoyĂ© de l'Ă©tat clĂ©rical en janvier 2020, perdant son statut de prĂŞtre[42].
  • Marie-Dominique Goutierre, ancien maĂ®tre des Ă©tudes considĂ©rĂ© comme le « fils spirituel » de Marie-Dominique Philippe, est renvoyĂ© de l’état clĂ©rical par un dĂ©cret du 29 avril 2021 de la CongrĂ©gation pour la doctrine de la foi[43]. Il est l'objet de plusieurs plaintes pour agressions sexuelles de la part de frères et de sĹ“urs de sa communautĂ© Saint-Jean et d’une laĂŻque sur une durĂ©e de 20 ans Ă  partir des annĂ©es 1990. La dite CongrĂ©gation pour la doctrine de la foi indique qu'il absolvait ses victimes en confession après leurs rapports sexuels[44] - [45].
  • BenoĂ®t-Emmanuel Peltereau-Villeneuve, ancien prieur Ă  Genève, est renvoyĂ© de l’état clĂ©rical par un dĂ©cret du 15 dĂ©cembre 2022 du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, Ă  la suite de plusieurs signalements pour des agressions sexuelles. La communautĂ© Saint-Jean a connaissance de quatre victimes dont deux religieuses, et indique en outre qu'une enquĂŞte judiciaire serait en cours[46] - [47] - [48]. En 2008, la communautĂ© Saint-Jean de Genève, en Suisse, est secouĂ©e par une sĂ©rie de rĂ©vĂ©lations d'affaires de mĹ“urs l'impliquant. Deux femmes tĂ©moignent dans la presse des agressions sexuelles qu'elles auraient subies[49]. Les plaintes dĂ©posĂ©es par les deux femmes ne pourront finalement aboutir en justice en raison de la prescription des faits[50]. Par la suite, la Cour europĂ©enne des droits de l’Homme a condamnĂ© en 2014 la ConfĂ©dĂ©ration suisse Ă  dĂ©dommager le frère au motif que dans son ordonnance de classement, le procureur n'avait pas Ă  Ă©tablir la rĂ©alitĂ© des faits, ce par quoi il n'avait pas respectĂ© la prĂ©somption d'innocence et causĂ© un tort moral au religieux, cette ordonnance ayant Ă©tĂ© rendue publique[51]. Dans une autre procĂ©dure, le tribunal des prud’hommes condamne l’évĂŞchĂ© de Lausanne-Genève-Fribourg pour la gestion de l’affaire et le licenciement abusif et constate le manque de soutien apportĂ© au frère[52].
  • Le père Marie-Alain d’Avout[alpha 3], un ancien Ă©tudiant de Marie-Dominique Philippe dans les annĂ©es 1970 et un des co-fondateurs des Frères de Saint-Jean, a Ă©tĂ© renvoyĂ© de l’état clĂ©rical en mars 2022 pour « des violences sexuelles commises Ă  l’encontre de religieuses ». L'ancienne religieuse Laurence Poujade a accusĂ© le prĂŞtre de violence et d'une tentative de viol en 1996, cependant elle n'a pas Ă©tĂ© informĂ© de cette sanction. En effet, sa plainte a fait l'objet d'un non-lieu et les Frères de Saint-Jean ne considèrent donc pas Laurence Poujade comme une des victimes de Marie-Alain d’Avout[53].
  • Un autre proche de Marie-Dominique Philippe, le père Philippe-Marie Mossu[alpha 3], ancien vicaire gĂ©nĂ©ral de la communautĂ© Saint-Jean, a Ă©tĂ© sanctionnĂ© pour des « gestes dĂ©placĂ©s ». Il a Ă©tĂ© suspendu pour cinq ans en 2022 de ses fonctions de prĂŞtre[53].

EnquĂŞtes

Marie-Dominique Philippe

En 2013, le prieur général de la communauté Saint-Jean, le frère Thomas Joachim, révèle officiellement et publiquement l'existence de « témoignages convergents et crédibles disant que Marie-Dominique Philippe a parfois posé des gestes contraires à la chasteté, sans union sexuelle, à l'égard de femmes adultes qu'il accompagnait »[54] - [alpha 4]. Marie-Dominique Philippe a agressé sexuellement, au moins, une quinzaine de femmes à partir des années 1970 essentiellement des religieuses lors d'une confession ou d'un accompagnement spirituel[55].

Cette nouvelle « affaire »[56] ébranle considérablement la communauté Saint-Jean et annule[57] les premières démarches entamées par les Petits Gris en vue d'une béatification du père Philippe[58].

Par ailleurs, le chapitre général des frères de Saint-Jean tenu en avril 2013 est l’occasion d'adopter une motion intitulée « Épreuves et Espérance », admettant l’existence de graves abus sexuels de la part de frères ayant autorité de formation ainsi que d’autres frères. Le paragraphe no 9 de cette motion reconnaît que « des manquements à la chasteté avec des justifications doctrinales ont malheureusement concerné des frères. De tels manquements ont eu lieu entre des frères et des personnes adultes, notamment des personnes qu’ils accompagnaient ; et, dans le passé, entre des frères ayant autorité de formation et de jeunes frères[59]. »

En juin 2016, une ancienne religieuse carmélite révèle de nouvelles informations : elle affirme avoir été abusée sexuellement dans les années 1970 par le père Marie-Dominique Philippe. Son témoignage est publié par l'AVREF sur son site internet[60].

Signalement

En juin 2019, Jean-Pierre Cattenoz, archevêque d’Avignon, signale au procureur des faits concernant Samuel Rouvillois, frère de Saint-Jean, affecté au prieuré de Saint Ruf d’Avignon. La communauté Saint-Jean précise qu’il s’agit de cas d’accompagnement de femmes majeures, et n'être informée d'aucune plainte pour abus sexuels[61].

Exfiltrations de prĂŞtres

Lors de l'émission Cash Investigation située au Cameroun, diffusée le , en partenariat avec Mediapart, l'évêque Joseph Atanga doit s'expliquer sur une affaire de pédophilie au sein de l'une des paroisses de son diocèse (Bertoua), par un prêtre de la communauté Saint-Jean. En accord avec le prieur général de la communauté, Thomas Joachim, il aurait tenté de couvrir les responsables en exfiltrant les prêtres concernés, en leur évitant ainsi un procès[62] - [63] - [64].

EnquĂŞte interne

En juin 2023, la congrégation rend public une enquête interne. Parmi les 871 frères, dont 390 prêtres, qui ont participé à la vie de la communauté Saint-Jean depuis 1975, les auteurs du rapport signalent 72 membres ayant commis des violences sexuelles, 52 de ces agresseurs sont des prêtres. Les victimes, majeures ou mineures, sont essentiellement des femmes laïques et des religieuses[65].

TĂ©moignages

En 1998 des parents de religieux catholiques se sont retrouvés et ont partagé la même inquiétude sur le sort de leurs enfants, spécialement dans la Communauté Saint-Jean, craignant des dérives sectaires, d'emprise mentale et d'abus. Ils se sont constitués en une « Association vie religieuse et familles », dont l'acronyme est Avref[66] - [67].

À 16 ans, en 1989, Sophie Ducrey rencontre la communauté Saint-Jean. Ayant de fortes aspirations spirituelles, elle se confie à un prêtre de Saint-Jean, Benoît-Emmanuel Peltereau-Villeneuve, qui va devenir son accompagnateur[48]. Elle témoigne[68] dans son livre publié en 2019, Étouffée : Récit d’un abus spirituel et sexuel, de l’emprise psychologique dans laquelle elle est tombée, ainsi que des abus sexuels subis à partir de sa majorité[69].

Nathalie Gauche est une victime d’agressions sexuelles par un prêtre de la communauté de Saint-Jean. Son agresseur a fait l'objet de trois plaintes similaires à la sienne. Nathalie Gauche témoigne, en 2019, auprès de la CIASE et de la commission SOS Abus des frères de Saint-Jean. Elle n'est pas informée de l'avancée de la procédure mais reçoit un appel téléphonique, en juin 2022, pour lui indiquer que son agresseur a été « réduit à l’état laïc ». Elle réussit toutefois à « arracher » un écrit, le prêtre est suspendu des obligations cléricales mais conserve sa qualité cléricale. Nathalie Gauche se compare « aux âmes déchiquetées de l’Église » ayant perdu « toute dignité spirituelle, chrétienne et humaine »[70].

Bilan statistique des abus sexuels

Deux bilans des abus sexuels commis au sein de la communauté Saint-Jean ont été rendus publics en 2022 et 2023.

Un bilan a été réalisé par la Commission SOS abus, mise en place en 2015 par la communauté Saint-Jean. Dans son dernier rapport rendu en octobre 2022, elle établit un nombre de 157 cas d’abus sexuels, correspondant à 151 victimes et 58 auteurs d’abus sexuels. Ayant pour objet les abus commis par des frères de Saint-Jean, ce rapport ne prend toutefois pas en compte les abus commis par le père Marie-Dominique Philippe, ni ceux commis par des sœurs de Saint-Jean (apostoliques et contemplatives).

Un bilan plus approfondi a été établi en juin 2023 par la Commission interdisciplinaire des Frères de Saint-Jean, créée en 2019. Cette commission a bénéficié du travail de la Commission SOS abus, mais a procédé à un dépouillement plus systématique des archives, notamment en ce qui concerne les personnes majeures, et elle a inclus les abus commis par des sœurs de Saint-Jean et par le père M.-D. Philippe. Elle a ainsi eu connaissance de 209 cas d’abus sexuel, qui correspondent à 167 victimes et 79 auteurs d’abus sexuels identifiés, à savoir : Marie-Dominique Philippe, 72 frères et 6 sœurs. Selon la Commission interdisciplinaire, « il est malheureusement certain que le nombre d’abus réels est supérieur à ceux dont la commission a eu connaissance »[71].

Toujours selon la Commission interdisciplinaire des Frères de Saint-Jean, sur les 871 frères ayant fait profession dans la Congrégation Saint-Jean depuis sa fondation, les 72 frères ayant commis des abus sexuels représentent 8,26 % de toute la communauté. Sur 390 frères prêtres, 52 ont commis des abus sexuels, soit 13,33 % des frères prêtres[72].

Sur les 72 frères qui ont commis des abus sexuels :

  • 40 frères (56 % du total) ont abusĂ© d'une seule personne.
  • 14 frères (19 %) ont abusĂ© de 2 personnes.
  • 7 frères (10 %) ont abusĂ© de 3 personnes.
  • 11 frères (15 %) ont abusĂ© de 4 personnes ou plus.

La répartition des 167 victimes de frères de Saint-Jean par sexe et par âge, en tenant compte de l’état religieux, est la suivante[73] :

  • 30 religieuses (18 % du total).
  • 69 femmes laĂŻques (41 %).
  • 14 jeunes filles âgĂ©es de 15 Ă  18 ans (9 %).
  • 15 filles âgĂ©es de moins de 15 ans (9 %).
  • 17 frères (10 %).
  • 7 hommes laĂŻcs (4 %).
  • 5 jeunes hommes âgĂ©s de 15 Ă  18 ans (3 %).
  • 10 garçons de moins de 15 ans (6 %).

Parmi les 72 frères ayant commis des abus :

  • 9 dont (12 % du total) 5 prĂŞtres ont commis des abus sur des mineurs de moins de 15 ans.
  • 12 (17 %) dont 7 prĂŞtres ont commis des abus sur des mineurs âgĂ©s de 15 Ă  18 ans .
  • 51 (71 %) dont 40 prĂŞtres ont commis des abus sur des personnes majeures uniquement[74].

Sur les 72 frères ayant commis des abus (chiffres à la date de juin 2023, le total étant supérieur à 72 puisqu’un même frère peut être concerné par différents points)[75] :

  • 35 sont sortis ou ont demandĂ© Ă  sortir de la CongrĂ©gation, soit presque la moitiĂ© (dont 3 sont dĂ©cĂ©dĂ©s).
  • 37 sont encore dans la CongrĂ©gation en 2023 (dont quelques-uns pourraient ĂŞtre renvoyĂ©s Ă  l’issue d’une procĂ©dure).
  • 6 ont Ă©tĂ© condamnĂ©s par un tribunal Ă©tatique. 10 enquĂŞtes sont encore en cours, et au moins 12 plaintes ont Ă©tĂ© classĂ©es sans suite par le parquet.
  • 18 ont Ă©tĂ© reconnus coupables lors d’une procĂ©dure canonique. 6 prĂŞtres ont Ă©tĂ© renvoyĂ©s de l’état clĂ©rical. 12 ont reçu une peine temporaire.
  • La procĂ©dure canonique prĂ©voit la possibilitĂ© pour tout clerc de demander Ă  quitter l’état clĂ©rical et la vie religieuse, et cela met alors un terme Ă  la procĂ©dure. 7 frères sont concernĂ©s.
  • 7 procĂ©dures canoniques sont encore en cours en 2023.
  • 4 frères ont Ă©tĂ© renvoyĂ©s de la CongrĂ©gation.
  • 21 ont fait l’objet d’une sanction disciplinaire (le plus souvent interne Ă  la CongrĂ©gation, mais parfois imposĂ©e par un Ă©vĂŞque).

Notes et références

Notes

  1. Marie-Dominique Goutierre est renvoyé de l’état clérical par un décret du 29 avril 2021 de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
  2. En 1956, à la suite d'une enquête canonique, Thomas Philippe est interdit de l'exercice de tout ministère sacerdotal et en particulier d'accompagnement spirituel.
  3. Marie-Alain d'Avout et Philippe-Marie Mossu font partie des premiers frères de Saint-Jean. Leur prise d'habit a eu lieu en 1978 à l'abbaye de Lérins, lorsque la communauté était encore une oblature de l'abbaye. Voir Cavalin 2023, Annexes.
  4. Le porte-parole de la communauté, Renaud-Marie, précise en outre que les cas se comptent entre cinq et dix, sans « union sexuelle » consommée, et n’ont pas donné lieu à des poursuites de nature judiciaire.

Références

  1. Céline Hoyeau, « Les Philippe, une famille marquée par l’emprise spirituelle », sur La Croix, (consulté le ).
  2. Céline Hoyeau, « Enquête sur les frères Philippe : des années d’abus en toute impunité », sur La Croix, (consulté le ).
  3. Hoyeau 2021, p. 308 et 309.
  4. AVREF 2021, p. 30.
  5. Gastaldi, Martinière et Périsse 2017, p. 232 et 235.
  6. « Les Frères de Saint-Jean face au choc des abus sexuel », sur Cathobel, (consulté le ).
  7. Hoyeau 2021, p. 288, 289 et 290.
  8. Céline Hoyeau, « Les frères de Saint-Jean veulent la vérité sur leur histoire. », sur La Croix, (consulté le )
  9. Hoyeau 2021, p. 291.
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Ă€ voir

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article..

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  • Tangi Cavalin, L'affaire : Les dominicains face au scandale des frères Philippe, Cerf, Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article.
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