Ăsope
Ăsope (en grec ancien ÎጎÏÏÏÎżÏ / AĂsĂŽpos, VIIe ââVIe siĂšcle av. J.-C.) est un Ă©crivain grec d'origine phrygienne, Ă qui lâon a attribuĂ© la paternitĂ© de la fable.
Naissance | |
---|---|
DĂ©cĂšs | |
Nom dans la langue maternelle |
ÎጎÏÏÏÎżÏ |
Ăpoque | |
Activités | |
Période d'activité |
VIe siĂšcle av. J.-C. |
Statut |
Biographie
Conjectures et faits historiques
Il n'existe rien de certain sur la vie d'Ăsope. Le tĂ©moignage le plus ancien est celui d'HĂ©rodote, selon lequel Ăsope avait Ă©tĂ© esclave de Ladmon, avec Rhodopis[1]. Cette information est reprise plus tard par HĂ©raclide du Pont, qui le prĂ©sente comme originaire de Thrace, prĂšs de la mer Noire, une thĂšse que semble confirmer un certain Eugeiton[2] qui affirme quâĂsope Ă©tait de MĂ©ssembrie, ville des Cicones, sur la cĂŽte de Thrace.
Selon Ămile Chambry, « si cet Eugeiton doit ĂȘtre identifiĂ© avec un certain EugĂ©ion, quâon a conjecturĂ© ĂȘtre la source dâHĂ©rodote, son tĂ©moignage aurait du poids, et le fabuliste pourrait ĂȘtre tenu pour un Thrace. Mais la tradition la plus rĂ©pandue faisait dâĂsope un Phrygien : PhĂšdre, Dion Chrysostome, Lucien, Aulu-Gelle, Maxime de Tyr, Aelius Aristide, HimĂ©rios, StobĂ©e, et Suidas rapportant le mot prĂȘtĂ© Ă CrĂ©sus, « ÎŒáŸ¶Î»Î»ÎżÎœ ᜠΊÏÏΟ » : « Le Phrygien a parlĂ© mieux que tous les autres. », sâaccordent Ă lui assigner la Phrygie pour patrie. Quelques-uns prĂ©cisaient mĂȘme la ville de Phrygie oĂč il Ă©tait nĂ© : câĂ©tait, dâaprĂšs la Souda et Constantin PorphyrogĂ©nĂšte, Cotyaion ; câĂ©tait Amorion, dâaprĂšs la vie lĂ©gendaire dâĂsope »[3].
Selon Chambry encore, « si lâon a cherchĂ© la patrie dâĂsope hors de la GrĂšce, en Phrygie, câest que le nom ÎጎÏÏÏÎżÏ ne semble pas ĂȘtre un nom grec ; on a cru y voir un nom phrygien, quâon rapprochait du nom du fleuve phrygien ÎጎÏηÏÎżÏ, et peut-ĂȘtre du guerrier troyen ÎጎÏηÏÎżÏ dont il est question chez HomĂšre[4] ; on lâa rapprochĂ© aussi du mot áŒȘÏÎżÏÎżÏ quâon lit sur un vase de SigĂ©e[5]. Une Vie dâĂsope le fait Lydien, sans doute parce que, dâaprĂšs la tradition qui apparaĂźt pour la premiĂšre fois dans HĂ©raclide, il fut esclave du Lydien Xanthos. En somme, toutes ces traditions ne reposant que sur des conjectures, il serait vain de sâarrĂȘter Ă lâune d'entre elles : mieux vaut se rĂ©signer Ă ignorer ce quâon ne peut savoir[6]. »
Quant Ă l'Ă©poque oĂč il a vĂ©cu, il rĂšgne la mĂȘme incertitude. Si l'on suit HĂ©rodote, qui en fait un contemporain de Rhodopis, il aurait vĂ©cu entre -570 et -526. PhĂšdre le place entre 612 et 527[7] avant JĂ©sus-Christ.
Selon une thÚse de M. L. West, c'est à Samos que se serait formée sa légende[8].
Vie légendaire
Maxime Planude, Ă©rudit byzantin du XIIIe siĂšcle, a popularisĂ© une Vie dâĂsope Ă partir d'un matĂ©riau datant probablement du Ier siĂšcle. Ce texte rassemble des traditions diverses, certaines anciennes, d'autres de l'Ă©poque romaine. Lâemprunt le plus important est celui fait Ă Babylone, transposant pour Ăsope un rĂ©cit de la vie d'Ahiqar, qui circulait en Syrie Ă cette Ă©poque[9]. Jean de La Fontaine a lui-mĂȘme adaptĂ© ce rĂ©cit et l'a placĂ© en tĂȘte de son recueil de fables sous le titre La Vie d'Ăsope le Phrygien.
Selon ce récit,
« Ăsope Ă©tait le plus laid de ses contemporains ; il avait la tĂȘte en pointe, le nez camard, le cou trĂšs court, les lĂšvres saillantes, le teint noir, dâoĂč son nom qui signifie nĂšgre ; ventru, cagneux, voĂ»tĂ©, il surpassait en laideur le Thersite dâHomĂšre ; mais, chose pire encore, il Ă©tait lent Ă sâexprimer et sa parole Ă©tait confuse et inarticulĂ©e[10]. »
Selon la lĂ©gende, Ăsope, ayant rĂȘvĂ© une nuit que la Fortune lui dĂ©liait la langue, s'Ă©veille guĂ©ri de son bĂ©gaiement. AchetĂ© par un marchand d'esclaves, il arrive dans la demeure d'un philosophe de Samos, Xanthos (dont le nom signifie « Blond »), auprĂšs duquel il rivalise d'astuces et de bons mots, et contre lequel il livre un combat incessant.
Finalement affranchi, il se rend alors auprĂšs du roi CrĂ©sus pour tenter de sauvegarder l'indĂ©pendance de Samos. Il rĂ©ussit dans son ambassade en contant au roi une fable. Il se met ensuite au service du « roi de Babylone », qui prend grand plaisir aux Ă©nigmes du fabuliste. Il rĂ©sout aussi avec brio les Ă©nigmes qu'aurait posĂ©es Ă son maĂźtre le roi d'Ăgypte.
Voyageant en GrĂšce, il s'arrĂȘte Ă Delphes, oĂč, toujours selon la lĂ©gende, il se serait moquĂ© des habitants du lieu parce que ceux-ci, au lieu de cultiver la terre, vivaient des offrandes faites au dieu. Pour se venger, les Delphiens l'auraient accusĂ© d'avoir volĂ© des objets sacrĂ©s et condamnĂ© Ă mort. Pour se dĂ©fendre, Ăsope leur raconte deux fables, La Grenouille et le Rat et L'Aigle et l'Escarbot, mais rien n'y fait et il meurt prĂ©cipitĂ© du haut des roches des PhĂ©driades[11].
Un personnage littéraire
On a souvent mis en doute la réalité historique de la prodigieuse destinée de cet ancien esclave bÚgue et difforme qui réussit à se faire affranchir et en vient à conseiller les rois grùce à son habileté à résoudre des énigmes.
« Tout le rĂ©cit de la vie d'Ăsope est parcouru par la thĂ©matique du rire, de la bonne blague au moyen de laquelle le faible, l'exploitĂ©, prend le dessus sur les maĂźtres, les puissants. En ce sens, Ăsope est un prĂ©curseur de l'antihĂ©ros, laid, mĂ©prisĂ©, sans pouvoir initial, mais qui parvient Ă se tirer d'affaire par son habiletĂ© Ă dĂ©chiffrer les Ă©nigmes[12] ».
Ăsope Ă©tait dĂ©jĂ trĂšs populaire Ă lâĂ©poque classique, comme le montre le fait que Socrate lui-mĂȘme aurait consacrĂ© ses derniers moments de prison avant sa mort Ă mettre en vers des fables de cet auteur. Le philosophe sâen serait expliquĂ© au philosophe CĂ©bĂšs de la façon suivante : « Un poĂšte doit prendre pour matiĂšre des mythes [...] Aussi ai-je choisi des mythes Ă portĂ©e de main, ces fables dâĂsope que je savais par cĆur, au hasard de la rencontre[13]. »
Le poĂšte DiogĂšne LaĂ«rce attribue mĂȘme une fable Ă Socrate, laquelle commençait ainsi : « Un jour, Ăsope dit aux habitants de Corinthe qu'on ne doit pas soumettre la vertu au jugement du populaire. » Or, il s'agit lĂ d'un prĂ©cepte aujourd'hui typiquement associĂ© au philosophe plutĂŽt qu'au fabuliste. Socrate se servait sans doute du nom d'Ăsope pour faire passer ses prĂ©ceptes au moyen d'apologues[14].
Les fables
Le produit d'une tradition orale
Les fables dites d'Ăsope sont de brefs rĂ©cits en prose sans prĂ©tention littĂ©raire. Il est presque certain qu'il ne les Ă©crivait pas[15]. La fable existait avant Ăsope, mais celui-ci est devenu tellement populaire par ses bons mots qu'on en a fait le « pĂšre de la fable » : « le grec ne possĂ©dant pas de terme spĂ©cifique pour dĂ©signer la fable, le nom d'Ăsope a servi de catalyseur, et ce d'autant plus facilement que toute science, toute technique, tout genre littĂ©raire devait chez eux ĂȘtre rattachĂ© Ă un « inventeur ». Ainsi s'explique, en partie, qu'Ăsope soit si vite devenu la figure emblĂ©matique de la fable[16]. »
Le premier recueil de fables attribuĂ©es Ă Ăsope a Ă©tĂ© compilĂ© par le philosophe DĂ©mĂ©trios de PhalĂšre vers 325 av. J.-C., un ouvrage qui a Ă©tĂ© perdu. Celui-ci a toutefois donnĂ© naissance Ă dâinnombrables versions dont l'une a Ă©tĂ© conservĂ©e sous la forme dâun ensemble de manuscrits datant probablement du Ier siĂšcle, collection appelĂ©e Augustana. Câest Ă celle-ci que lâon se rĂ©fĂšre lorsquâon parle aujourdâhui des « fables d'Ăsope ». Elle compte plus de 500 fables, toutes en prose, parmi lesquelles figurent les plus populaires, telles Le Corbeau et le Renard, Le LiĂšvre et la Tortue, Le BĂ»cheron et la Mort, Le Vent et le Soleil, etc. Il est probable que le nom d'Ăsope a servi Ă regrouper toutes sortes de rĂ©cits qui circulaient jusque-lĂ de façon orale et qui prĂ©sentaient des caractĂ©ristiques communes[17]. Dans son Ă©dition critique, Chambry a retenu 358 fables.
Une des premiÚres traductions françaises est celle faite par le Suisse Isaac Nicolas Nevelet en 1610, qui compte 199 fables[18]. C'est le recueil qu'a utilisé La Fontaine.
Les continuateurs
Ăsope aurait inspirĂ© notamment :
- PhĂšdre (Ier siĂšcles ; source directe des fabulistes du XVIIe) ;
- Babrius, de dates incertaines, redécouvert seulement au XIXe ;
- Avianus (IVe voire Ve siĂšcles) ;
- Marie de France (XIIe - XIIIe siĂšcles) ;
- moult fabliaux satiriques de la mĂȘme Ă©poque, dont certains issus du Roman de Renart ;
- Djalùl ad-Dßn Rûmß (XIIIe siÚcle) ;
- Benserade (XVIIe siĂšcle, contemporain des deux suivants) ;
- Jean de La Fontaine (XVIIe) ;
- Charles Perrault (contemporain des deux précédents, mais jusqu'au tout début du XVIIIe siÚcle) ;
- Ivan Krylov (1769-1844).
- LĂ©on TolstoĂŻ (1828-1910).
Il est fort peu probable en revanche que les paraboles attribuĂ©es Ă JĂ©sus de Nazareth (s'il a existĂ©, un contemporain de PhĂšdre) par les chrĂ©tiens et d'abord les Ă©vangĂ©listes â de surcroĂźt jamais animaliĂšres... â aient pu lui ĂȘtre inspirĂ©es par Ăsope.
Postérité
- Jean de La Fontaine a Ă©crit une biographie d'Ăsope, inspirĂ©e de celle de Maxime Planude, qu'il a placĂ©e en tĂȘte de son premier recueil de fables, sous le titre La Vie dâĂsope le Phrygien. Il lui rend hommage dans Ă Monseigneur le Dauphin et le cite notamment dans Le Soleil et les Grenouilles. Nombre de ses fables reprennent des thĂšmes traitĂ©s par Ăsope.
- Le nom d'Ăsope est attachĂ© Ă un palindrome en langue française : « Ăsope reste ici et se repose ».
- La douziĂšme Ă©tude du compositeur Charles-Valentin Alkan s'intitule Le Festin dâĂsope (opus 39 n°12).
- (12608) Ăsope est un astĂ©roĂŻde nommĂ© en son honneur.
- Eiichiro Oda, mangaka de One Piece, s'est inspirĂ© d'Ăsope pour crĂ©er Usopp, un personnage fabulateur de l'Ă©quipage.
- Dans la sĂ©rie animĂ©e RWBY, les Ace-Ops sont inspirĂ©s de personnages des contes d'Ăsope.
Notes et références
- Hérodote, Histoires [détail des éditions] [lire en ligne], II, 134. Cité par Chambry 1927, p. IX.
- cité par Suidas.
- Chambry 1927, p. XV.
- Z 21.
- C. J. G., I, 8.
- Chambry 1927, p. XV-XVI.
- Chambry 1927, p. XVI.
- West 1984.
- Jouanno 2006.
- Chambry 1927, p. XIX.
- Chambry 1927, p. XI-XII.
- Canvat 1993, p. 8.
- Platon, Phédon, 61 b.
- Canvat 1993, p. 7.
- Chambry 1927, p. XXIII.
- Canvat 1993, p. 11.
- Canvat 1993, p. 10.
- Texte intégral sur Google Livres.
Voir aussi
Traductions du grec ancien des Fables et de la Vie
- Fables (trad. introduction et notes par Ămile Chambry), Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des universitĂ©s de France SĂ©rie grecque (Collection BudĂ©) », (1re Ă©d. 1927), LIV, 324 (ISBN 978-2-251-00117-3, lire en ligne)
- Fables (trad. introduction et notes par Ămile Chambry; illustrations de Scott Pennor's), Paris, Les Belles Lettres, coll. « SĂ©rie du Centenaire », , 256 p. (ISBN 978-2-251-45012-4, lire en ligne)
- Fables (trad. Claude Terreaux), Paris, Arléa, coll. « Retour aux grands textes », (1re éd. 1997), 174 p. (ISBN 2-869-59317-1)
- Fables (introduction, traduction et notes de Daniel Loayza; édition bilingue), Paris, Flammariont, coll. « GF », (1re éd. 1995), 302 p. (ISBN 978-2-081-35123-3)
- Les Fables d'Ăsope. Suivies d'un Essai sur le symbolisme des Fables (prĂ©sentation et traduction de Jacques LacarriĂšre), Paris, Albin Michel, coll. « Espaces libres » (no 129), (1re Ă©d. 2003), 368 p. (ISBN 978-2-226-32050-6)
- Fables PrĂ©cĂ©dĂ©es de La Vie d'Ăsope (trad. nouvelle de Julien Bardot. Ădition d'Antoine BiscĂ©rĂ©. Avec la collaboration de Patrick Dandrey), Paris, Folio, coll. « Folio Classique » (no 6696), , 448 p. (ISBN 978-2-070-45393-1)
- Vie d'Ăsope : livre du philosophe Xanthos et de son esclave Ăsope : du mode de vie d'Ăsope (Texte Ă©tabli et traduit par Corinne Jouanno), Paris, Les Belles Lettres, coll. « La roue Ă livres », , 264 p.
Ătudes
- Antoine BiscĂ©rĂ©, « Ăsope illustrĂ©. Inventaire raisonnĂ© des cycles iconographiques de la Vie dâĂsope (1476-1687) », Le Fablier. Revue des Amis de Jean de La Fontaine « La Fontaine, la fable et l'image. Actes du colloque international 6 & 7 dĂ©cembre 2012 », no 24,â , p. 13-71 (lire en ligne)
- Antoine BiscĂ©rĂ©, « Les fables dâĂsope, une Ćuvre sans auteur ? », Le Fablier, Revue des Amis de Jean de La Fontaine, vol. 20 « La Fontaine et quelques anciens »,â , p. 9-35 (lire en ligne)
- Karl Canvat et Christian Vandendorpe, La fable : Vade-mecum du professeur de français, Bruxelles-Paris, Didier Hatier, coll. « Séquences », , 104 p. (ISBN 978-2870888032)
- Jacques Dumont, « La religion d'Ăsope », Pallas. Revue d'Ă©tudes antiques, no 35 « Les religions antiques. Un inĂ©dit d'archĂ©ologie rĂ©gionale. La seconde mort des Gracques »,â , p. 7-24 (lire en ligne)
- Ariane Guieu-Coppolani, « Conseiller pour le meilleur et pour le pire : rĂ©flexions sur le conseil et la dĂ©libĂ©ration dans les fables grecques », Dialogues d'histoire ancienne, vol. SupplĂ©ment n° 17 « Conseillers et ambassadeurs dans lâAntiquitĂ© »,â , p. 75-95 (lire en ligne)
- Francisco RodrĂguez Adrados (Dir.), La fable. Huit exposĂ©s suivis de discussions, Vandoeuvres-GenĂšve, Fondation Hardt, coll. « Entretiens sur l'antiquitĂ© classique » (no t. 30), , 322 p.
- Bernard Teyssandier, « Ăsope, quel modĂšle pour le prince ? », Le Fablier, Revue des Amis de Jean de La Fontaine, vol. 20 « La Fontaine et quelques anciens »,â , p. 37-52 (lire en ligne)
Articles connexes
Liens externes
- Insecula
- (fr) Livres audio mp3 gratuits (version intĂ©grale) Fables - tome1 et Fables - tome 2 d'Ăsope.
- Ressources relatives aux beaux-arts :
- J. Paul Getty Museum
- Royal Academy of Arts
- (en) British Museum
- (en) National Gallery of Victoria
- (de + en + la) Sandrart.net
- (en) Union List of Artist Names