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Vente des peintures du musée de l'Ermitage

La vente de peintures du musée de l'Ermitage est effectuée en 1930-1931 par le Gouvernement soviétique et entraîne le départ de 250 toiles issues de la collection du musée d'État de l'Ermitage, depuis Leningrad, vers des acheteurs occidentaux (collectionneurs privés et galeries). Transaction relativement discrète et peu documentée, elle permet, entre autres, de former en 1937 le noyau de la National Gallery of Art de Washington, D.C.. Cette série de transactions prend place au sein d'un vaste processus de liquidation de biens nationalisés enclenché depuis la révolution de 1917 et qui prend fin en 1938.

En 2008, le Gouvernement russe laisse entendre son intention de contester la légitimité de ces transactions[1].

Une histoire révélée tardivement

L’Annonciation de Jan van Eyck (1434), acquise pour le musée de l'Ermitage par Nicolas Ier de Russie en 1850, est revendue en à Andrew Mellon.

L'histoire de ces transactions, longtemps méconnue, a été étudiée dans les années 2000 et donne lieu à la publications de deux ouvrages fondamentaux : d'abord, en 2009, une équipe de chercheurs essentiellement américains dirigée par Anne Odom et Wendy R. Salmond produit une première étude[2], puis en 2013, une équipe internationale produit une seconde étude, sous la direction de Nicholas Iljine (en), Natalia Semenova et Amir Gross Kabiri, en lien avec le Centre M.T. Abraham pour les Arts visuels[3].

Ces travaux couvrent une période plus vaste, allant de 1918 à 1938, durant laquelle le régime soviétique nationalise les biens de l'aristocratie et cherche à en liquider une partie.

Contexte et processus des ventes

Dès 1920, les rĂ©serves d'or et de devises du Gouvernement russe dĂ©posĂ©es Ă  la Banque d'État (Gosbank) commencent Ă  s'effondrer : on passe de 1,1 milliard de roubles-or Ă  0,1 milliard en 1922, pour finir Ă  0,09 fin 1925[4].

La Nouvelle politique économique prend fin en 1928 avec la « crise des grains » : à court de trésorerie, Staline, pour financer l'industrialisation massive du pays prévue par le premier plan quinquennal (1929-1933), fait accélérer le processus de liquidation des biens nationalisés, notamment les collections impériales, lesquelles avaient alimenté depuis 1924 les nouvelles salles du musée des beaux-arts Pouchkine.

Deux musées d'État, l'Ermitage et le Musée Russe sont sommés en d'établir un inventaire de leurs collections et d'en sélectionner une partie pour une valeur estimée par les consultants recrutés par Moscou à 30 millions de roubles-or (cours d'avant 1917), somme planifiée au titre des bénéfices d'exportations. Une agence, l'Antikvariat, ouvre ses bureaux à Leningrad durant l'été 1928, chargée de gérer et d'exporter les biens issus de la confiscation et la nationalisation des ressources artistiques et objets d'antiquité du pays, c'est-à-dire des objets de valeur du Trésor public, de l'Église et de la famille du tsar, des musées, des propriétés de la noblesse, des collections privées ou simplement des économies personnelles des simples citoyens[4].

PlacĂ©e sous le contrĂ´le du Narkompros, l'Antikvariat rĂ©ceptionne l'inventaire, soit 250 toiles, lequel fait partie d'une plus vaste liste Ă©numĂ©rant près de 3 000 objets. Outre ces peintures de maĂ®tres, on trouve par exemple des gravures ainsi qu'une partie du trĂ©sor en or des Scythes, de l'argenterie, et des tableaux de petits formats. Pratiquement dirigĂ©e par Georges Szamuely (1899-1937) et A. M. Ginzburg, l'Antikvariat, passĂ©e sous le contrĂ´le du Vneštorg (Commissariat du peuple au commerce extĂ©rieur) et en lien avec le directeur de la Gosbank, Gueorgui Piatakov, se met en quĂŞte d'acheteurs durant l'annĂ©e 1929 ; Ă  la fin de cette annĂ©e, la crise financière amĂ©ricaine restreint sensiblement les candidats. Le premier marchand contactĂ© avait Ă©tĂ© le parisien Germain Seligmann, dès l'automne 1927, mais les autoritĂ©s tardèrent Ă  lui montrer les rĂ©serves contenant les pièces maĂ®tresses ; Seligmann repartit les mains vides. Puis, lorsqu'il fut recontactĂ© en 1928, ce fut le Gouvernement français qui mit son vĂ©to, invoquant le respect dĂ» aux nombreuses familles russes rĂ©fugiĂ©es en France : ainsi Paris fut dĂ©laissĂ© au profit de Berlin et Vienne. Cependant, l'Antikvariat continua ses recherches de contact sur Paris en y envoyant A. M. Ginzburg[4].

Les premières vĂ©ritables transactions adviennent en : installĂ© Ă  Paris et relativement discret, sĂ©duit par l'offre dont il avait pris connaissance par Joseph Duveen quelques annĂ©es plus tĂ´t (Ă  propos entre autres de la collection du prince FĂ©lix Ioussoupov, une vente qui Ă©choua), le millionnaire et collectionneur Calouste Gulbenkian acquiert un Watteau et un Rembrandt. En 1929, Gulbenkian s'Ă©tait dĂ©jĂ  portĂ© acquĂ©reur via Ginzburg de nombreux objets, dont deux tableaux d'Hubert Robert, pour 300 000 dollars : ce fut lĂ  une vente test, qui permit d'accrĂ©diter le millionnaire comme Ă©tant le « bon contact, l'ami sĂ»r », suivie par une deuxième vente, incluant le Portrait d'HĂ©lène Fourment de Rubens et un portrait de VigĂ©e-Lebrun, pour un montant de près d'un million de dollars. PropriĂ©taire de l'Iraq Petroleum Company, Gulbenkian, de son cĂ´tĂ©, espère en mĂŞme temps obtenir de gros contrats avec Moscou pour exporter le pĂ©trole soviĂ©tique. Toutefois, Piatakov, déçu par la tournure que prenait la nĂ©gociation qualifiĂ©e de « marchandage », cherche Ă  contacter d'autres acteurs occidentaux du marchĂ© de l'art : dur en affaires, Gulbenkian ne proposait par exemple pour l'achat de 18 toiles de maĂ®tres une valeur globale de 10 millions de roubles, somme jugĂ©e ridicule par Moscou[4].

C'est lĂ  qu'intervient le jeune galeriste berlinois Franz Catzenstein-Matthiesen (1900-1963)[5]. Quelques mois plus tĂ´t, il avait Ă©tĂ© consultĂ© par l'Antikvariat pour Ă©tablir une liste de peintures prĂ©sentes dans les collections nationales Ă  « ne vendre sous aucun prĂ©texte » : en , surpris, il dĂ©couvre que deux toiles qu'il avait inventoriĂ©es se trouvent Ă  Paris entre les mains de Gulbenkian, lequel lui demande d'ĂŞtre, secrètement, son agent auprès de l'Antikvariat (laquelle ne veut plus nĂ©gocier uniquement avec ce dernier). Au lieu de ça, Matthiesen forme un consortium de galeries avec la Colnaghi de Londres et l'amĂ©ricaine Knoedler (qui disposait d'une filiale Ă  Paris), dans le but de reprendre Ă  leurs comptes les achats ; dès , le consortium acquiert une toile d'Antoine van Dyck. L'un des plus gros clients de Knoedler est le milliardaire Andrew Mellon. Fin 1931, les trois galeries lui avaient vendu 21 toiles pour un total de 6,65 millions de dollars[6]. Durant toute cette pĂ©riode, une vĂ©ritable compĂ©tition Ă  l'achat prend place entre Gulbenkian et Mellon. Le consortium parvient plus tard Ă  vendre des toiles au Metropolitan Museum of Art (New York), et cette transaction, secrète, est rĂ©vĂ©lĂ©e par le New York Times le . Au nombre des autres acheteurs, on compte le Rijksmuseum Amsterdam, le Philadelphia Museum of Art ou encore Georges Wildenstein (ce dernier avait Ă©tĂ© fourni en tableaux par Gulbenkian)[4].

Les différentes opérations de vente de peintures s'arrêtent à la fin de l'année 1933 : sous-directeur de l'Ermitage, Joseph Orbeli (en) (1887-1961) écrit à Staline qu'il convient de suspendre le processus, ce qui fut fait, Orbeli devenant, dans la foulée, le nouveau directeur, à la place de Boris Legran (en) (1884-1936).

Pendant la première moitié des années 1930, l'URSS continua d'exporter des objets d'antiquité et des œuvres d'art par tonnes entières. Mais les rentrées de devises qui résultèrent de cette campagne s'avérèrent insignifiantes, alors que le préjudice porté aux musées russes, et en particulier à l'Ermitage, fut énorme. Côté chiffre, la vente des peintures seules rapporta 20 millions de dollars, somme comprise dans un ensemble chiffré à 150 millions de dollars enregistrés au bénéfice de l'industrialisation. Pour gagner la bataille de l'or, l'URSS organisa alors l'exploitation des mines situées en Sibérie, et mit en branle le système du goulag : dès 1935, l'or soviétique déboula sur le marché international[4].

Origines et destins des toiles

Plusieurs de ces peintures étaient dans les collections de l'Ermitage depuis la création du musée par l'impératrice Catherine II de Russie, laquelle s'était entre autres portée acquéreuse à la fin des années 1770, par le biais de Denis Diderot, de la fameuse collection Pierre Crozat et de ses descendants.

250 peintures majeures ont été vendues à des intermédiaires privés occidentaux, à savoir des chefs-d'œuvre de Jan van Eyck, Titien, Rembrandt, Pierre Paul Rubens ou Raphaël.

Sur ce, 21 des toiles acquises par Andrew Mellon ont été données en 1937 au Gouvernement des États-Unis et sont devenues le cœur de la National Gallery of Art de Washington DC.

Autres Ĺ“uvres

Outre les 250 toiles de l'Ermitage, on peut citer la vente du Codex Sinaiticus en 1933, extrait du fonds de la Bibliothèque nationale russe et acquis par le British Museum pour la somme de ÂŁ 100 000, somme levĂ©e via une souscription publique ; ou encore la vente de la toile de Van Gogh, Le CafĂ© de nuit, confisquĂ©e dès 1918 au collectionneur russe Ivan Morozov (1871-1921), et dĂ©sormais exposĂ©e Ă  la Yale University Art Gallery.

Références

  1. « Russian will review art sales », Bloomberg News, 9 décembre 2008.
  2. Anne Odom et Wendy R. Salmond (direction), Treasures into Tractors: The Selling of Russia's Cultural Heritage, 1918-1938, Washington D.C., Hillwood Museum, 2009 (ISBN 9781931485074).
  3. Nicholas Iljine, Natalia Semenova et Amir G. Kabiri (direction), Selling Russia's Treasures: The Soviet Trade in Nationalized Art, 1917-1938, Paris-Moscou, The M.T. Abraham Foundation / MTA Publishing / Abbeville Press, 2013 (ISBN 9780789211545).
  4. [PDF] Elena A. Osokina, « De l'or pour l'industrialisation. La vente d'objets d'art par l'URSS en France pendant la période des plans quinquennaux de Staline — La naissance de l'Antikvariat », in: Cahiers du Monde russe, 41/1, janvier-mars 2000, pp. 5-40, traduit du russe par Yvette Lambert – sur OpenEdition.
  5. (en) Bernhard Schulz, « Berlin / Händler und Hehler », in: Jüdische Allgemeine, 14 avril 2011 — en ligne.
  6. (en) John Walker, The National Gallery, Washington, Londres, Thames & Hudson, 1964, pp. 24-26.

Annexes

Bibliographie

  • Robert C. Williams, « Russian Art and American Money, 1900-40 », Harvard University Press, 1980, (ISBN 0674781228 et 9780674781221).
  • Henri Mercillon, 1928-1932, Quand l'URSS bradait son patrimoine, « Connaissance des Arts », juin 1990., p. 135 et suivantes.
  • Nicholas Iljine et Natalia Semenova (direction), Prodannye Sokrovishcha Rossii, Moscou, Russkiy Avantgard, 2000 — traduit et revu par le Centre M.T. Abraham pour les Arts visuels en 2013.
  • [article] N. Serapina, « Ermitazh kotory my poteryali », in: Neva, 3, 1999.

Liens externes

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