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Trialisme

Le trialisme renvoie à une série de projets de réforme élaborés à partir des années 1880 par les hommes politiques slaves d’Autriche-Hongrie et fidèles aux Habsbourg, plus particulièrement d’origine tchèque et croate. Il vise à créer un troisième pôle à majorité slave au sein de la double monarchie, fournissant ainsi une solution, aux yeux de ses promoteurs, aux restrictions imposées à l’autonomie des minorités slaves par le compromis austro-hongrois de 1867.

Projets de réforme de l'Autriche-Hongrie à partir du dualisme austro-hongrois (en haut à gauche) jusqu'aux états unis de Grande Autriche (en bas à droite) en passant par le « trialisme » de l'archiduc héritier François-Ferdinand[1] et de Heinrich Hanau (de), et des options à quatre, cinq, six ou sept royaumes[2].

Contexte

Le trialisme s’insère dans le contexte de l’adhésion aux valeurs slavophiles définies par l’érudit slovène Jernej Kopitar (1780–1844) qui, au début du XIXe siècle, avait organisé un cénacle d’érudits, surtout serbo-croates, pour recueillir les « antiquités slaves ». Kopitar et ses émules furent les fondateurs de l’histoire de la littérature slave, qui dans leur esprit permettait de structurer une renaissance culturelle slave dans la monarchie des Habsbourg[3]. Chez les Tchèques, le trialisme, initialement modéré, visait à faire évoluer la « double monarchie » austro-hongroise vers une monarchie tripartite dont la troisième entité aurait été un royaume de Bohême-Moravie[4] ; chez les Croates, il visait à créer un royaume triunitaire de Croatie-Slavonie-Dalmatie en réunissant le royaume de Croatie-Slavonie (rattaché à la Hongrie) et le royaume de Dalmatie (rattaché à l’Autriche)[5]. Au-delà de ces projets, ce qui était revendiqué à travers le trialisme, c’était une forme de démocratisation par la « fédéralisation » de l’Autriche-Hongrie[6].

Histoire

Dès la mise en place du régime dualiste en 1867, ce système apparaît instable aux yeux de ses voisins en raison des discriminations et des frustrations qu’il engendrait. Côté austro-hongrois, les réformateurs cherchèrent à modifier ce régime dans le but de stabiliser l’Empire des Habsbourg sur le plan intérieur, et, pour certains, tel Franz Conrad von Hötzendorf, de renforcer sa cohésion en vue de son expansion sur le plan extérieur.

L’indĂ©pendance de la principautĂ© de Serbie en 1882 incite les principaux responsables de la « double monarchie Â» Ă  rĂ©flĂ©chir sur des projets de rĂ©forme encourageant une expansion balkanique, via les territoires occupĂ©s de Bosnie-HerzĂ©govine et du Sandjak de Novi-Bazar, en direction de Thessalonique[7]. Face aux mouvements slaves du Sud qui se dĂ©veloppent en Serbie, les responsables austro-hongrois hĂ©sitent entre plusieurs options[8] : certains, regroupĂ©s autour de Conrad von Hötzendorf, se montrent partisans d’une politique agressive Ă  l’encontre de la Serbie alors en pleine expansion Ă©conomique et politique[9], tandis que d’autres, autour du prince-hĂ©ritier, souhaitent rĂ©soudre les problèmes posĂ©s l’attractivitĂ© de la Serbie en crĂ©ant une entitĂ© Sud-Slave au sein de l’Empire, centrĂ©e sur les Croates catholiques[10]. Cette politique devait encourager les populations slaves catholiques Ă  soutenir la double monarchie[1].

Ces divers projets aspirent Ă  contrecarrer les influences centrifuges au sein de la « double monarchie Â» mais tous sont rejetĂ©s, ce qui conduit Ă  un affaiblissement toujours plus accentuĂ© de l’Empire[11]. En effet, les dirigeants austro-hongrois, dans leur grande majoritĂ© issus de l’aristocratie, acceptèrent une forme de trialisme en 1908 lorsque fut intĂ©grĂ© Ă  l’Empire le condominium de Bosnie-HerzĂ©govine, mais s’opposèrent Ă  toute rĂ©forme modifiant l’Autriche et la Hongrie, menant une politique de discrimination positive en faveur des Allemands et des Hongrois de l’Empire, au grand dam des autres populations.

Projets de réforme

La Bosnie-Herzégovine, vitrine méridionale de la double monarchie

Les clauses du Traité de Berlin garantit à la double monarchie des droits d’occupation, sous suzeraineté ottomane, sur les Sandjaks de Bosnie et d’Herzégovine.

Après une rapide conquête et quelques troubles, l’administration austro-hongroise assure la paix dans les provinces[12], encourage le développement de l’agriculture et de l’industrie[13].

Rapidement, en 1881, l’accord germano-austro-russe donne à la double monarchie la faculté d’annexer les Sandjaks au moment opportun[14]. En 1908, à la faveur de la révolution jeune turque, les austro-hongrois annexent formellement les provinces occupées, autorisant la mise en place à terme d’un troisième pôle au sein de la monarchie danubienne[15].

Les différentes options

Rendu public en 1905, le projet tripartite de Heinrich Hanau (de) ajoutait ainsi un « royaume Sud-Slave » à l’Autriche et réunissait la Galicie, la Bucovine et la Hongrie en une même entité[16], regroupant ainsi tous les Ukrainiens et les Roumains de l’Empire (conformément à leurs revendications), mais réduisant à environ 36 % la proportion des Magyars dans cette entité, ce qui était inacceptable aux yeux de la noblesse hongroise qui avait pour objectif la formation d’un État-nation strictement hongrois, catholique ou protestant et unitaire sur le territoire des Pays de la Couronne de saint Étienne (où les Magyars étaient 47 % de la population et que cette « magyarisation » devait rendre largement majoritaires)[17]. Quant à l’aristocratie autrichienne, elle craignait par-dessus tout le nationalisme polonais et l’influence du panslavisme russe chez les ukrainiens de Galicie[11].

L’un des projets tripartites élaborés par l’archiduc-héritier apparaît comme le plus radical : il vise à transformer la double monarchie en une fédération d’une quinzaine d’États autonomes et en majorité slaves, les États unis de Grande Autriche[18]. Les partisans de cette solution ont intégré les projets de renaissance de l’autonomie du royaume de Bohême[11].

Les promoteurs du trialisme

Les tenants d'une solution trialiste sont avant tout des partisans des réformes intérieures de la double monarchie ; ils estiment la double monarchie incapable de survivre à long terme sans de profondes réformes[19]. La réorganisation de la monarchie danubienne dualiste en une monarchie trialiste compte de nombreux partisans au sein des ministères communs, comme parmi les hommes politiques. Ces tenants des réformes intérieures reçoivent rapidement le soutien de l’archiduc-héritier François-Ferdinand, aspirant à mettre en œuvre des réformes intérieures de grande ampleur destinées à assurer la survie de la monarchie danubienne[1].

Outre des Tchèques comme František Palacký ou František Ladislav Rieger et des Croates comme Franjo Rački, les partisans du trialisme comptèrent certains théoriciens sociaux-démocrates autrichiens tels Viktor Adler, Otto Bauer ou Heinrich Hanau (de). Vers 1890, les idées politiques plus radicales des Jeunes Tchèques et des Slaves du Sud réclamant un royaume Sud-Slave englobant aussi la Bosnie-Herzégovine, marginalisèrent l’austroslavisme modéré qui avait prévalu jusqu’alors[5].

À la suite de la crise hongroise de 1905[N 1], de nombreux hommes politiques autrichiens s’étaient déclarés favorables à la mise en place d'un troisième pôle au sein de la monarchie danubienne, à l’image d’Alois Lexa von Aehrenthal, ministre commun des affaires étrangères à partir de 1906[10].

Des cercles proches de l’héritier du trône

Peuplés de personnalités hostiles à la trop grande influence du royaume de Hongrie sur la gestion de la double monarchie, les milieux trialistes d’Autriche, réformateurs, s’appuient sur un important réseau d’intellectuels autrichiens, slaves ou non[1]. De plus, les promoteurs de cette solution se regroupent parmi les cercles favorables à l’héritier des trônes impérial et royal, François-Ferdinand d'Autriche[7], ce dernier ayant acquis la conviction que le système forgé en 1867 est contraire aux intérêts à long terme de la monarchie danubienne.

C’est en effet vers François-Ferdinand que se tournent les milieux politiques slaves du Sud pour exposer leur vision d’une monarchie danubienne rénovée, comme le font les fondateurs du Parti populaire slovène (en) en 1909[20].

De plus, ces solutions rencontrent également le soutien de Charles, alors pressenti comme devant être l’héritier du trône après l’accession de François-Ferdinand aux trônes impérial et royal[11].

En 1914, l’assassinat de François-Ferdinand incite ceux qui soutenaient les solutions de refondation de la monarchie danubienne à se tourner vers le nouvel héritier, le futur empereur-roi Charles. Celui-ci, au pouvoir à partir de la fin de l’année 1916, souhaite mettre en application de vastes projets de réforme de la monarchie danubienne, notamment en 1918, lorsque la débâcle pousse Charles à proposer, bien trop tard, en , des projets de refonte de la double monarchie[N 2] - [21].

Les Slaves du Sud austro-hongrois

Les reprĂ©sentants des populations slaves du Sud au sein des diffĂ©rentes institutions parlementaires autrichiennes et hongroises, censĂ©s composer les principaux soutiens pour les tenants du trialisme, sont divisĂ©s sur la question. Certains lient leur soutien aux Habsbourg Ă  la mise en Ĺ“uvre de rĂ©formes au sein de la « double monarchie Â», transformant le dualisme en trialisme ou en fĂ©dĂ©ralisme.

Ainsi, en Croatie, les principaux soutiens de la mise en œuvre d’une réorganisation trialiste de la double monarchie sont les membres du parti du droit, reprenant les thèses de Josip Frank et de ses prédécesseurs[22].

En Autriche, les représentants slaves du sud, après avoir appelé cette réorganisation de l’empire austro-hongrois autour de trois pôles, constatent l’échec de leurs positions réformistes et se positionnent alors en majorité en faveur de l’union yougoslave, sans les Habsbourg[23].

Débuts de réalisation

Rapidement après la mise en place du système dualiste, les partisans d’une réforme plus équitable de l’empire des Habsbourg se montrent actifs. Tandis que les Hongrois mettent en place leur propre système dualiste avec le compromis croato-hongrois de 1868-73, les Autrichiens mettent en place un système qui se dirige au fil des années vers le fédéralisme, chaque région autrichienne disposant d’une diète et d’une relative autonomie interne.

Les Croates en Hongrie

Dès 1868, les responsables politiques hongrois ont accepté que le royaume de Croatie, lié au royaume de Hongrie par un régime d’union personnelle, bénéficie d’une autonomie partielle, sous l’autorité d'un ban nommé par le roi de Hongrie, comme cela avait été le cas au Moyen Âge (1102)[24].

La Bosnie-Herzégovine 1908-1918

Annexés en droit en 1908, de fait depuis 1878, les sandjaks ottomans de Bosnie et d’Herzégovine connaissent une évolution spécifique : dotée d’une constitution en 1910, la province connaît cependant une agitation renouvelée par l’alliance entre les Serbes et les Croates à la diète locale[19].

Les projets trialistes dans le conflit

En 1914, le dĂ©clenchement du conflit austro-serbe incite les responsables austro-hongrois Ă  rĂ©flĂ©chir sur les moyens de rĂ©duire durablement le « foyer d'agitation serbe Â». Au cours du conflit, la « double monarchie Â» occupe militairement une partie du territoire du royaume de Serbie, la question du sort de ces territoires se pose alors pour les responsables autrichiens, Hongrois et Austro-hongrois[8]. Rapidement, les responsables austro-hongrois se montrent ainsi divisĂ©s sur le sort de la Serbie après sa conquĂŞte par la double monarchie. Ainsi, les dirigeants hongrois se montrent hostiles Ă  de vastes annexions en Serbie, tandis que d’autres, notamment Ă  Vienne, se montrent favorables Ă  un partage de la Serbie et Ă  l’annexion du Nord du pays[25].

À partir de 1917, les Slaves du Sud de la double monarchie, Croates et Slovènes, tentent de négocier la réorganisation de la monarchie, ajoutant un royaume Slave du Sud au sein de la monarchie des Habsbourg, élaborant notamment des plans de Grande Croatie, catholique, liée aux Habsbourg[26] - [27].

Enfin, en 1918, lors de la dernière phase du conflit, l’empereur tente de mettre en place de vastes rĂ©formes dans la « double monarchie Â», rapidement limitĂ©es Ă  la partie autrichienne en raison de l’opposition des Hongrois Ă  tout changement dans leur partie. L’Empire d’Autriche aurait ainsi Ă©tĂ© refondĂ© sur la base d’une fĂ©dĂ©ration d’États autonomes mais les rĂ©formes du dernier empereur sont ignorĂ©es par les dĂ©putĂ©s de la diète, qui estiment que les projets de recomposition des territoires de la « double monarchie Â» crĂ©aient autant de problèmes supplĂ©mentaires qu’ils Ă©taient censĂ©s en rĂ©soudre[28]. L’échec du trialisme et l’impossibilitĂ© de rĂ©former et fĂ©dĂ©raliser l’Autriche-Hongrie dĂ©bouchent, Ă  l’issue de la première Guerre mondiale, sur la dislocation de cet empire[29].

Notes et références

Notes

  1. En 1905, le parlement de Budapest avait refusé les crédits militaires de la double monarchie.
  2. Le 29 septembre 1918, la Bulgarie, acceptant sa défaite, signe l'armistice de Thessalonique, permettant aux unités franco-serbes de reconquérir la Serbie en quelques semaines, menaçant l’intégrité du territoire austro-hongrois.

Références

  1. Clark 2013, p. 120.
  2. Bernard Michel, Nations et nationalismes en Europe Centrale : XIXe – XXe siècle, éd. Aubier 1996, (ISBN 978-2700722574 et 2700722574).
  3. D’après Ingrid Merchiers: Cultural Nationalism in the South Slav Habsburg Lands in the Early Nineteenth Century. The scholarly network of Jernej Kopitar (1780–1844). Sagner, Munich 2007, (ISBN 978-3-87690-985-1) (OCLC 122260292), pp. 131 et suiv.
  4. Kamusella Tomasz, Silesia and Central European Nationalisms: The Emergence of National and Ethnic Groups in Prussian Silesia and Austrian Silesia, 1848-1918, Purdue University Press 2006, (ISBN 978-1557533715 et 1557533717), p. 101-102.
  5. Miloš 2015, p. à préciser.
  6. Gyula Csurgai, La Nation et ses territoires en Europe centrale : une approche gĂ©opolitique, Ă©d. Peter Lang, Berne 2005, (ISBN 978-3039100866 et 3039100866), p. 77 ; Bernard Michel, Nations et nationalismes en Europe Centrale : XIXe – XXe siècle, Ă©d. Aubier 1996, (ISBN 978-2700722574 et 2700722574), et LĂ©on Rousset, article Autriche-Hongrie dans l'« Atlas de gĂ©ographie moderne Â» de Fr. Schrader, F. Prudent, E. Anthoine, Hachette 1892, chap. 28, ASIN B004R0AYZK.
  7. Lacroix-Riz 1996, p. 8.
  8. Fischer 1970, p. 58.
  9. Bled 2014, p. 23.
  10. Clark 2013, p. 99.
  11. Bogdan 2010, p. 19.
  12. Clark 2013, p. 89.
  13. Clark 2013, p. 91.
  14. Clark 2013, p. 98.
  15. Clark 2013, p. 100.
  16. → File:Trialisticki zemljevid Bec 1905 Henrik Hanau.jpg
  17. Bogdan 2010, p. à préciser.
  18. Clark 2013, p. 121.
  19. Renouvin 1934, p. 99.
  20. Repe 2015, p. 146.
  21. Bled 2014, p. 404.
  22. Miloš 2015, p. 120.
  23. Miloš 2015, p. 121.
  24. Renouvin 1934, p. 97.
  25. Fischer 1970, p. 323.
  26. Miloš 2015, p. 126.
  27. Repe 2015, p. 149.
  28. Bled 2014, p. 395.
  29. Miloš 2015, p. 127.

Voir aussi

Bibliographie

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  • Henri Bogdan, « L'Autriche-Hongrie et la question nationale », Confluences mĂ©diterranĂ©ennes, vol. 2, no 73,‎ , p. 13-20 (DOI 10.3917/come.073.0013, lire en ligne)
  • Christopher Clark, Les somnambules : ÉtĂ© 1914 : comment l'Europe a marchĂ© vers la guerre, Paris 2013, Flammarion, , 668 p. (ISBN 978-2-0812-1648-8) Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Fritz Fischer (trad. Geneviève Migeon et Henri Thiès), Les Buts de guerre de l’Allemagne impĂ©riale (1914-1918) [« Griff nach der Weltmacht »], Paris, Éditions de TrĂ©vise, , 654 p. (BNF 35255571) Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Paul Kennedy et Pierre Lellouche (prĂ©sentation) (trad. Marie-Aude Cochez et Jean-Louis Lebrave), Naissance et dĂ©clin des grandes puissances : Transformations Ă©conomiques et conflits militaires entre 1500 et 2000, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque » (no 63), (rĂ©impr. 2004) (1re Ă©d. 1989), 415 p. (ISBN 978-2-228-88401-3, OCLC 24930730).
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  • Pierre Renouvin, La Crise europĂ©enne et la Première Guerre mondiale, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Peuples et civilisations » (no 19), (rĂ©impr. 1939, 1948, 1969 et 1972) (1re Ă©d. 1934), 779 p. (BNF 33152114) Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • BoĹľo Repe, « Les Slovènes et la Première Guerre mondiale », Les cahiers Irice, vol. 1, no 13,‎ , p. 145-154 (DOI 10.3917/lci.013.0145, lire en ligne) Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article

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