Theodor Ahrenberg
Theodor âTetoâ Ahrenberg, nĂ© le Ă Göteborg en SuĂšde et mort le en Suisse, Ă©tait un collectionneur dâart. Son importante collection comprenait des Ćuvres dâartistes aussi influents et divers que Pablo Picasso, Henri Matisse, Marc Chagall, Le Corbusier, Olle BĂŠrtling, Sam Francis, Mark Tobey, Christo, Lucio Fontana, Tadeusz Kantor, Enrico Baj, Jean Tinguely ou Niki de Saint Phalle. Parmi les chefs-dâĆuvre de sa collection se trouvaient deux versions dâApollo de Matisse (1953), Nu dans un rocking chair de Picasso (1956) et Les mariĂ©s sous le baldaquin de Chagall (1949).
Biographie
PremiÚres années et carriÚre
Theodor Ahrenberg, fils de Ossian Ahrenberg, armateur et propriĂ©taire de Th. Ahrenberg Rederi (La compagnie maritime Th. Ahrenberg), et de NaĂ«ma Ahrenberg (nĂ©e Wijkander), a grandi Ă Göteborg, dans la demeure familiale au 14, Viktor Rydbergsgatan. Ă cause de rĂ©sultats scolaires relativement moyens, Theodor Ahrenberg est retirĂ© de son Ă©cole, la Högre Samskola, par son pĂšre, et commence Ă travailler dans le transport de marchandises Ă Stettin, Hambourg et Newcastle. Theodor Ahrenberg dĂ©crira plus tard cette expĂ©rience comme une prĂ©paration importante pour sa carriĂšre de collectionneur : « Il fallait ĂȘtre clairvoyant, prudent, et audacieux, tout en mĂȘme temps⊠Et il fallait rĂ©ussir, tout simplement. Câest ce qui faisait le charme de ce mĂ©tier et dans mon cas, on pourrait dire que ces qualitĂ©s de rĂ©flexion et cette audace⊠mâont marquĂ©, et quâelles mâont guidĂ© plus tard dans le monde de lâart. »[1] En 1939-40 Theodor Ahrenberg sâengage comme volontaire parmi les forces suĂ©doises pour combattre la Finlande dans la guerre contre la Russie. Il reçoit les honneurs militaires.
Il retourne Ă Götenborg, puis Ă la suite du dĂ©clin de la compagnie maritime Th.Ahrenberg, il sâinstalle Ă Stockholm pour poursuivre sa carriĂšre. Il travaille dâabord Ă lâinventaire des barils pour NynĂ€s Petroleum, puis occupe un poste plus qualifiĂ© Ă la Commission du commerce et de lâindustrie, avant de se lancer dans une carriĂšre de directeur exĂ©cutif Ă la FĂ©dĂ©ration Ă©conomique du gaz et du coke (GOKEF).
La collection d'art commence
Lors de ses voyages dâaffaires Ă travers lâEurope pour la GOFEK, Ă la fin des annĂ©es 1940, Theodor Ahrenberg dĂ©couvre sa passion pour lâart moderne et commence Ă collectionner, avec une prĂ©dilection pour les estampes, notamment celles de Picasso. DĂšs cette Ă©poque, il rĂ©unit lâune des plus vastes collections privĂ©es europĂ©ennes consacrĂ©es Ă lâart occidental du XXe siĂšcle.
Au dĂ©but des annĂ©es 1950, AgnĂšs Widlund (1910-2005), crĂ©atrice et directrice de la galerie Samlaren, sise 1, Birger Jarlsgatan, Ă Stockholm, commence Ă conseiller Theodor Ahrenberg pour sa collection. GrĂące aux conseils de Widlund, la collection sâĂ©largit aux Ćuvres de Matisse, Chagall, Le Corbusier, Georges Braque et Georges Rouault. Widlund organise pour Theodor Ahrenberg des visites dans les ateliers dâartistes, notamment Picasso, Matisse, Chagall et Le Corbusier, inaugurant cette passion poursuivie toute sa vie par Theodor Ahrenberg pour la rencontre avec les artistes, et pour lâacquisition de leurs Ćuvres en direct.
Relation avec lâĂ©tablissement dâart suĂ©dois
Theodor Ahrenberg devient une figure centrale dans les cercles dâart suĂ©dois et europĂ©ens et est titulaire de nombreux titres dont celui de secrĂ©taire de lâAssociation Tessin. Il est en outre membre du bureau de nombreuses associations dâart dont les amis du Nationalmuseum, les amis du Moderna Museet ou Aspect. Il se consacre Ă lâamĂ©lioration des conditions de vie des Ă©tudiants en art et des jeunes artistes, notamment Ă travers son discours controversĂ© intitulĂ© âLa pauvretĂ© de lâart dans lâĂtat-providenceâ, quâil tient lors dâune rĂ©union publique de lâassociation Aspect Ă lâAcadĂ©mie des Beaux-Arts de Stockholm, le . Dans cette tribune, il rĂ©clame Ă lâĂtat plus de moyens pour les artistes et les institutions artistiques et critique le directeur du Nationalmuseum de Stockholm Carl Nordenfalk (1907â92) pour son approche trop timorĂ©e du financement. Ce faisant Theodor Ahrenberg entre en conflit avec les institutions conservatrices de SuĂšde, en particulier dans les domaines de la finance.
Le Musée Ahrenberg par Le Corbusier
Ces diffĂ©rends, notamment avec Nordenfalk, qui rejeta la proposition faite par Ahrenberg en , de mettre sa collection en dĂ©pĂŽt au Nationalmuseum ou dans une autre institution suĂ©doise, poussent Theodor Ahrenberg Ă concevoir son propre lieu dâexposition Ă Stockholm, le Palais Ahrenberg ou MusĂ©e Ahrenberg. En 1961, Le Corbusier, dont Ahrenberg Ă©tait proche, accepte de concevoir le projet. Les plans sont rendus publics en 1962, mais le musĂ©e n'a jamais Ă©tĂ© construit[2]. Le Corbusier sâinspire pour ce projet dâun dessin quâil avait rĂ©alisĂ© deux ans auparavant pour un projet similaire Ă Tokyo et qui sera finalement rĂ©alisĂ© en 1964 pour le Centre Heidi Weber Ă Zurich, plus connu sous le nom de « Centre Le Corbusier ». Une maquette du musĂ©e Ahrenberg, basĂ© sur les plans originaux de Le Corbusier, y est conservĂ©e depuis 2005.
Perte de la collection et déménagement en Suisse
Le musĂ©e Ahrenberg n'a toutefois jamais Ă©tĂ© construit car l'Ătat suĂ©dois a engagĂ© des poursuites contre Theodor Ahrenberg. Dans des conditions controversĂ©es, la collection Ahrenberg est confisquĂ©e par l'Ătat et dispersĂ©e dĂšs 1963 dans plusieurs ventes aux enchĂšres. Theodor Ahrenberg et sa femme Ulla (nĂ©e Frisell en 1931) et leurs quatre enfants s'installĂšrent ensuite dans la maison Le Rocher Ă Chexbres, Suisse au nord du lac LĂ©man, oĂč ils commencent Ă reconstruire leur collection. Il crĂ©e au Rocher un atelier particulier oĂč il invite de jeunes artistes de l'avant-garde europĂ©enne d'aprĂšs-guerre Ă vivre et Ă travailler, souvent pendant plusieurs mois dâaffilĂ©e. Theodor Ahrenberg est dĂ©cĂ©dĂ© le Ă l'Ăąge de 77 ans Ă Vevey.
La premiĂšre collection
La premiĂšre collection Ahrenberg est en son temps lâune des plus vastes collections privĂ©es de lâart occidental du XXe siĂšcle, avec environ un millier dâĆuvres emblĂ©matiques du modernisme[3].
Theodor Ahrenberg collectionnait des Ćuvres d'artistes renommĂ©s, dont Henri Matisse (1869-1954), Pablo Picasso (1881-1973), Georges Braque (1882-1963), Marc Chagall (1887-1985), Le Corbusier (1887-1965), Fernand LĂ©ger (1881-1955), Alberto Giacometti (1901-1966), Henry Moore (1898-1986), Mark Tobey (1890-1976), mais aussi des Ćuvres dâartistes moins Ă©tablis. Selon Ulla Ahrenberg, la collection Ă son apogĂ©e comportait Ă elle seule des centaines dâĆuvres de Picasso et presque toutes les sculptures de Matisse[3] - [4].
Theodor Ahrenberg a Ă©galement soutenu avec passion ses compatriotes scandinaves parfois controversĂ©s Carl Kylberg, Olle BĂŠrtling, Einar Hylander, Ăyvind Fahlström, Richard Mortensen, Robert Jacobsen ou Carl Fredrik ReuterswĂ€rd. Sa collection a en outre mis lâaccent sur les artistes dâEurope de lâEst dont la pratique artistique Ă©tait entravĂ©e par la police dâĂtat, Ă lâombre du Rideau de fer, en particulier Tadeusz Kantor (1915-1990). Le soutien ouvert de Theodor Ahrenberg Ă ces artistes, nâa fait quâaggraver la tension entre lui et le milieu de lâart suĂ©dois, trĂšs conservateur Ă lâĂ©poque[5].
La valeur de la collection est aujourdâhui estimĂ©e Ă plus d'un milliard d'euros[3].
La seconde collection
La seconde collection Ahrenberg comprend essentiellement des Ćuvres dâartistes invitĂ©s Ă lâatelier du Rocher. Il sâagit principalement de Sam Francis, Christo, Lucio Fontana, Jean Tinguely, Niki de Saint Phalle, Arman, Robert Rauschenberg, Mark Tobey, Enrico Baj, Yaacov Agam et Heinrich Richter. Le caractĂšre de la seconde collection est trĂšs diffĂ©rent de celui de la premiĂšre, qui Ă©tait marquĂ©e par le goĂ»t prononcĂ© dâAhrenberg pour le modernisme. Pour le critique dâart Folke Edward, la nouvelle collection « se rĂ©vĂšle ludique, expĂ©rimentale et personnelle ; elle est subjective et spontanĂ©e, sans volontĂ© prĂ©conçue de prĂ©senter un aperçu objectif ou qualitatif ». Au fil du temps, la deuxiĂšme collection Ahrenberg a atteint environ 6 000 objets, parmi lesquels des curiositĂ©s et des Ćuvres expĂ©rimentales (des assiettes, des bols, des tirelires, des cendriers ou des Ă©tiquettes de vin), toutes dĂ©corĂ©es avec originalitĂ© et fantaisie par les artistes invitĂ©s au Rocher, notamment, Albert Chubac, Lars Gynning, GĂ©rard âImofâ Imhof, Julio Zapata, Roberto Crippa, ou Alexander Kobzdej.
AprĂšs la mort de Theodor Ahrenberg en 1989, Ulla Ahrenberg a poursuivi son rĂŽle de gardienne et dâarchiviste de la collection. Leur fils, Staffan Ahrenberg, talentueux producteur et entrepreneur, poursuit la mĂȘme passion de collectionneur que son pĂšre. Sa propre collection comporte des Ćuvres dâartistes europĂ©ens et amĂ©ricains comme Richard Serra, Robert Longo, Wolfgang Tillmans, Cildo Meireles, Jenny Holzer, Martin Kippenberger ou AdriĂĄn Villar Rojas. En Staffan Ahrenberg a relancĂ© Ă Paris la cĂ©lĂšbre revue dâart et de littĂ©rature Cahiers dâArt.
En paraĂźt la premiĂšre monographie illustrĂ©e sur la vie de Theodor Ahrenberg et ses collections, en anglais, chez Thames & Hudson, Londres, sous le titre : Living with Picasso, Matisse and Christo: Theodor Ahrenberg and His Collections, et en suĂ©dois, chez Arvinius + Orfeus Publishing, Stockholm, sous le titre Ett liv med Matisse, Picasso och Christo â Theodor Ahrenberg och hans samlingar.
Principales expositions
- 1954 Nationalmuseum, Stockholm, âModern UtlĂ€ndsk Konst ur Svenska Privatsamlingarâ (Foreign Modern Art from Swedish Private Collections)
- 1957 Nationalmuseum, Stockholm
- 1957 SkÄnska Konstmuseum, Lund
- 1957 Konsthallen Helsingfors, Helsinki
- 1958 Musée des Beaux-Arts, LiÚge
- 1959 Kunsthaus ZĂŒrich
- 1960 Göteborgs Konstförening, Konsthallen, Gothenburg
- 1961 Frederiksberg Radhus, Copenhagen
- 1967 Salle communale de Chexbres, âaspectsâ
- 1977 Kunstverein fĂŒr die Rheinlande und Westfalen, DĂŒsseldorf âDer Sammler Theodor Ahrenberg und das Atelier in Chexbres. 15 Jahre mit Kunst und KĂŒnstlern. 1960â1975â
- 1987 Kunsthalle Schirn Frankfurt/Main, âLe Corbusier secret. Zeichnungen und Collagen aus der Sammlung Ahrenbergâ (puis au MusĂ©e cantonal des beaux-arts de Lausanne ; Nordjyllands Kunstmuseum, Aalborg, Danemark ; Lunds Konsthall, Lund ; Museum of Finnish Architecture, Helsinki ; Pori Art Museum, Pori; et Neue Galerie, Linz)
- 1993 Göteborgs Konstmuseet (Gothenburg), âAhrenberg Collectionâ (puis Ă Ăstergötlands LĂ€nsmuseum, Linköping; Museum St. Ingbert, St. Ingbert; et MusĂ©e Fondation Deutsch, Belmont-sur-Lausanne)
- 1998 MusĂ©e des Beaux-Arts de Mons, Belgium, âHej Teto! Collection Ahrenbergâ
- 1999 Palais BĂ©nĂ©dictine (FĂ©camp, RĂ©gion Haute-Normandie), âCollection Ahrenberg â 50 ans dâhistoire de lâartâ
Publications
- Monte Packham, Carrie Pilto, et al. Living with Picasso, Matisse and Christo: Theodor Ahrenberg and His Collections, Thames & Hudson, Londres, 2018
- Ahrenberg, Theodor, Jag har ju ÀndÄ en Picasso. Memoarer av Teto Ahrenberg, utmanaren, konstsamlaren, mecenaten, Ulla Ahrenberg and Folke Edwards (eds.), Walhström & Widstrand, Stockholm, 1993
- Ahrenberg, Theodor and Ulla: Le Corbusier Secret. Dessins et collages de la collection Ahrenberg, Lausanne, Vevey, 1987
- aspects, 5 ans dâactivitĂ©s Ă lâatelier du Rocher Chexbres (exh. cat.), Salle communale de Chexbres, 1967
- Billeter, Erika (ed.), Dessins et collages de la collection Ahrenberg, Kunsthalle Schirn, Frankfurt/Main, 1987
- Catalogue of Forty-Nine Bronzes by Matisse. The Property of Mr. and Mrs Theodor Ahrenberg of Stockholm, Sotheby & Co., Londres, 1960
- Collection Ahrenberg. 50 ans dâhistoire de lâart (exh. cat.), Palais BĂ©nĂ©dictine, FĂ©camp, 1999
- Edwards, Folke, and Lindqvist, Gunnar, Ahrenberg Collection (exh. cat.), Göteborgs Konstmuseum, Gothenburg, et Ăstergötlands LĂ€nsmuseum, Linköping, 1993
- Galérie Denise René, Mes anneés 50, Galérie Denise René, Paris, 1988
- Hering, Karl-Heinz (ed.), Der Sammler Theodor Ahrenberg und das Atelier in Chexbres. 15 Jahre mit Kunst und KĂŒnstlern 1960â1975 (exh. cat.), Kunstverein fĂŒr die Rheinlande und Westfalen, DĂŒsseldorf, 1977
- Hering, Karl-Heinz (ed.), Heinrich Richter. GemĂ€lde, Aquarelle, Zeichnungen 1961â1978 (exh. cat.), Kunstverein fĂŒr die Rheinlande und Westfalen, DĂŒsseldorf, 1978
- Hering, Karl-Heinz (ed.), Heinrich Richter. Illustrationen zur Blechtrommel von GĂŒnter Grass. Zeichnungen zu Les Neuf Muses (Die MĂ€dchen von Chexbres) (exh. cat.), Kunstverein fĂŒr die Rheinlande und Westfalen, DĂŒsseldorf, 1969
- Hej Teto! Collection Ahrenberg (exh. cat.), Musée des Beaux-Arts de Mons, Belgique, 1998
- Paletten, no. 3, 1959
- Richter, Heinrich, Les Neuf Muses, Editions Forces Vives, Paris et GenĂšve, 1968
- Richter, Tilo: âDabei sein in der KĂŒche der Kunst. Theodor Ahrenberg im PortrĂ€tâ, Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, , page 57
Films
- Friberg, J. P. Morgan (dir.), In the Name of Art. A Portrait of Theodor âTetoâ Ahrenberg, Collector and Patron Devoted to Artists and their Art, Göteborgs Konstmuseum, Göteborg, et Ăstergötlands LĂ€nsmuseum, Linköping, 1990
- Törnvall, Clara (dir.), Konstsamlaren och katastrofen (The Art Collector and the Tragedy), SVT Play, 2017
Notes et références
- (sv) Theodor Ahrenberg et Ulla Ahrenberg et Folke Edwards (eds.), Jag har ju ÀndÄ en Picasso. Memoarer av Teto Ahrenberg, utmanaren, konstsamlaren, mecenaten, Walhström & Widstrand, , p. 29
- « Pavillon d'exposition, palais Ahrenberg, Stockholm, Sweden, 1962 », sur Fondation Le Corbusier (consulté le )
- (de) Tilo Richter, « Dabei sein in der KĂŒche der Kunst », sur Frankfurter Allgemeine Zeitung,
- Wolfgang BĂŒscher, « Dann nahmen sie Teto mit â Wie Picassos Freund seine weltberĂŒhmte Sammlung verlor », Blau,â , p. 48-55
- (sv) Carin StĂ„hlberg, « Fel man pĂ„ fel plats vid fel tid », Dagens Nyheter,â (lire en ligne)