Théorie microbienne
La thĂ©orie microbienne, Ă©galement appelĂ©e « thĂ©orie pathogĂ©nique » ou « thĂ©orie des germes », est une thĂ©orie proposant que de nombreuses maladies sont causĂ©es par des micro-organismes. Bien que trĂšs controversĂ©e lors de sa formulation initiale, cette thĂ©orie a Ă©tĂ© validĂ©e Ă la fin du XIXe siĂšcle et constitue dĂ©sormais un Ă©lĂ©ment fondamental de la mĂ©decine moderne et de la microbiologie clinique. Elle a conduit Ă dâimportantes innovations comme la pratique de lâhygiĂšne prĂ©ventive et lâinvention des antibiotiques.
Histoire
Auparavant, on considĂ©rait que lâapparition de la maladie Ă©tait due non Ă des micro-organismes qui se dĂ©veloppent par la reproduction[1], mais Ă la gĂ©nĂ©ration spontanĂ©e. Un des premiers anciens textes de mĂ©decine, le texte sacrĂ© hindou de lâAtharva-VĂ©da, identifie les agents pathogĂšnes vivants tels que le yatudhÄnya, le kimÄ«di, le krimi et le duráčama comme causes de la maladie. Les atharvÄns luttent contre la maladie en cherchant Ă les tuer avec une variĂ©tĂ© de mĂ©dicaments. Lâune des premiĂšres rĂ©fĂ©rences occidentales Ă cette derniĂšre thĂ©orie dite « thĂ©orie des miasmes » apparait dans le Rerum rusticarum publiĂ© par Varron en 36 av. J.-C., oĂč il met en garde contre lâimplantation dâune ferme Ă proximitĂ© de marais :
« ... Et parce quâil y a certaines crĂ©atures minuscules que les yeux ne peuvent voir, qui flottent dans lâair et pĂ©nĂštrent dans lâorganisme par la bouche et le nez et causent de graves maladies[2]. »
La piste ouverte par la muscardine
En 1546, Girolamo Fracastoro a proposĂ© que les maladies Ă©pidĂ©miques Ă©taient causĂ©es par des entitĂ©s transmissibles semblables Ă des semences et susceptibles de transmettre les infections par contact direct ou indirect ou mĂȘme sans contact sur de longues distances. Câest Ă son compatriote Agostino Bassi quâon donne souvent le crĂ©dit dâavoir formulĂ© pour la premiĂšre fois la thĂ©orie microbienne, sur la base de ses observations sur lâĂ©pidĂ©mie meurtriĂšre de la maladie muscardine des vers Ă soie. En 1835, il a expressĂ©ment attribuĂ© la mort des insectes Ă des agents vivants contagieux visibles Ă lâĆil nu sous forme de masses poudreuses de spores. Ce champignon microscopique a ensuite Ă©tĂ© nommĂ© Beauveria bassiana en son honneur.
Contribution de la microbiologie et de la parasitologie
Les micro-organismes ont dâabord Ă©tĂ© observĂ©s directement par le savant nĂ©erlandais Antoni van Leeuwenhoek, considĂ©rĂ© comme le pĂšre de la microbiologie. Sâappuyant sur les travaux de Leeuwenhoek, le mĂ©decin Nicolas Andry de Boisregard, considĂ©rĂ© comme le pĂšre de la parasitologie, a fait valoir en 1700 que les micro-organismes quâil appelait « vers[3] » Ă©taient responsables de la variole et dâautres maladies[4].
En 1847, lâobstĂ©tricien hongrois Ignace Semmelweis remarqua lâincidence dramatiquement Ă©levĂ©e de morts dues Ă la fiĂšvre puerpĂ©rale chez les femmes ayant accouchĂ© avec lâaide des mĂ©decins et Ă©tudiants en mĂ©decine Ă lâHĂŽpital gĂ©nĂ©ral de Vienne oĂč il travaillait, alors que les accouchements pratiquĂ©s par des sages-femmes Ă©taient relativement sĂ»rs. Semmelweis fit le lien, Ă la suite dâune enquĂȘte entre la fiĂšvre puerpĂ©rale et les examens par des mĂ©decins des femmes en couches, et se rendit compte que ces mĂ©decins venaient gĂ©nĂ©ralement juste de pratiquer des autopsies. Il affirma en consĂ©quence que la fiĂšvre puerpĂ©rale Ă©tait une maladie contagieuse dans le dĂ©veloppement duquel Ă©taient impliquĂ©es les substances provenant des autopsies. Bien quâil ait rĂ©ussi Ă ramener la mortalitĂ© Ă lâaccouchement de 18 % Ă 2,2 % dans son hĂŽpital en obligeant les mĂ©decins Ă se laver les mains avec de lâeau de chaux chlorĂ©e avant dâexaminer les femmes enceintes, les thĂ©ories et la personne de Semmelweis furent nĂ©anmoins lâobjet de violentes attaques de la plupart de lâĂ©tablissement mĂ©dical viennois.
Contribution de lâempirisme
Au XVIIe siĂšcle, le mĂ©decin italien Francesco Redi fournit les premiĂšres preuves contre la gĂ©nĂ©ration spontanĂ©e grĂące Ă une expĂ©rience menĂ©e en 1668 au cours de laquelle il plaça un pain de viande et un Ćuf dans trois bocaux diffĂ©rents. Il laissa lâun des bocaux ouverts, le deuxiĂšme Ă©tait hermĂ©tiquement fermĂ© tandis que le troisiĂšme Ă©tait simplement recouvert de gaze. Au bout de quelques jours, Redi put observer que le pain de viande dans le bocal ouvert Ă©tait couvert dâasticots, et le bocal couvert de gaze avait des asticots sur la surface de la toile. En revanche, lâintĂ©rieur et lâextĂ©rieur du bocal hermĂ©tique Ă©taient entiĂšrement dĂ©pourvus dâasticots. Redi remarqua Ă©galement quâon ne trouvait les asticots que sur des surfaces accessibles aux mouches. Il en conclut que la thĂ©orie de la gĂ©nĂ©ration spontanĂ©e nâĂ©tait pas plausible.
Contribution de lâĂ©pidĂ©miologie
Le mĂ©decin britannique John Snow a contribuĂ© Ă la formation de la thĂ©orie microbienne lorsquâil a remontĂ© la source de lâĂ©pidĂ©mie londonienne de cholĂ©ra de 1854 Ă Soho. Lâanalyse statistique des cas touchĂ©s a dĂ©montrĂ© que lâĂ©pidĂ©mie nâĂ©tait pas compatible avec la thĂ©orie des miasmes, qui prĂ©valait Ă lâĂ©poque. Dans ce qui constitue un exemple prĂ©coce dâusage de lâĂ©pidĂ©miologie, de la mĂ©decine de santĂ© publique et lâapplication pratique de la thĂ©orie microbienne pour enrayer un risque phytosanitaire [5], Snow a mis en cause, non les miasmes, mais lâeau potable, comme vecteur de lâĂ©pidĂ©mie cholĂ©rique aprĂšs avoir constatĂ© que les cas Ă©taient survenus dans les domiciles dont les habitants sâĂ©taient approvisionnĂ©s en eau Ă la pompe de Broad Street, qui constituait le centre gĂ©ographique de lâĂ©pidĂ©mie Ă la suite de la contamination par les eaux usĂ©es de la source qui lâalimentait.
En 1854 également, Filippo Pacini isole le bacille du choléra (Vibrio cholerae), mais sa découverte est peu remarquée avant que Robert Koch ne la refasse une trentaine d'années plus tard[6].
Contribution de la microbiologie
Entre 1860 et 1864, le pionnier de la microbiologie Louis Pasteur dĂ©montra que la fermentation et la croissance des micro-organismes dans les bouillons de culture nâĂ©tait pas due Ă la gĂ©nĂ©ration spontanĂ©e. Il exposa des bouillons fraichement bouillis Ă lâair dans des rĂ©cipients contenant un filtre destinĂ© Ă arrĂȘter toutes les particules passant Ă travers le milieu de croissance, et mĂȘme sans filtre du tout, et juste un long tube tortueux laissant passer lâair en empĂȘchant le passage des particules de poussiĂšre de lâair. Comme rien ne se dĂ©veloppait dans ces bouillons, il fallait nĂ©cessairement que les organismes vivants se dĂ©veloppant dans ces bouillons provinssent de lâextĂ©rieur, sous forme de spores sur la poussiĂšre, plutĂŽt que dâĂȘtre autogĂ©nĂ©rĂ©s par le bouillon de culture lui-mĂȘme.
Dans les annĂ©es 1870, Joseph Lister joua un rĂŽle important dans le dĂ©veloppement dâapplications pratiques de la thĂ©orie microbienne dans les techniques chirurgicales.
En 1890, Robert Koch publia ce qu'on a appelĂ© depuis les postulats de Koch (ou de Henle-Koch), servant Ă dĂ©terminer si une maladie donnĂ©e est causĂ©e par un microbe donnĂ©[1], encore en usage Ă lâheure actuelle.
Références
- (en) Madigan M, Martinko J (editors)., Brock Biology of Microorganisms, Upper Saddle River, Prentice Hall, , 11e Ă©d. (ISBN 978-0-13-144329-7, LCCN 2004026995).
- Varro On Agriculture 1, xii Loeb.
- Ceci lui valut le surnom de Dr Vermineux.
- (en) « The History of the Germ Theory », The British Medical Journal, vol. 1, no 1415,â , p. 312.
- (en) Steven Johnson, The Ghost Map (The Story of London's Most Terrifying Epidemic and How It Changed Science, Cities, and the Modern World), Riverhead Books, New York, 2006, p. 299.
- Pour une chronologie de la théorie des germes, voir le site The Germ Theory Calendar, de William C. Campbell.