Théodora et Didyme
Théodora et Didyme sont deux saints chrétiens dont le martyre est censé avoir eu lieu à Alexandrie vers 304 sous le règne de Dioclétien. Leur légende, probablement entièrement fictive[1], apparaît et se répand dès la première moitié du IVe siècle. En 377 Ambroise de Milan l'enrichit, et la déplace par méprise à Antioche. Elle inspire ensuite de nombreux auteurs jusqu'au XVIIIe siècle, en particulier Corneille avec sa pièce Théodore, vierge et martyre et Haendel avec son oratorio Theodora[2].
La légende
La légende combine plusieurs thèmes à succès, comme la vierge au lupanar et le travestissement[2]. Théodora, jeune fille noble d'Alexandrie qui souhaite rester vierge par foi chrétienne, est condamnée par le gouverneur de la ville à la prostitution pour ne pas avoir voulu sacrifier aux Dieux de Rome. Elle est sauvée par le jeune chrétien Didyme qui, déguisé en soldat, obtient d'être le premier à accéder à la jeune femme, ce qui lui permet de laisser s'échapper celle-ci en échangeant ses vêtements avec les siens. Didyme, une fois confondu, est condamné à la décapitation par le gouverneur, et son corps à être brûlé. Cette version, connue par un manuscrit grec du Xe siècle, est celle reprise dans les Acta Sanctorum[3]. Elle repose sur une Passion grecque, qui circule probablement dès les premières décennies du IVe siècle car Eusèbe d'Émèse l'utilise dans une homélie à Antioche vers 340[4]. Elle est connue également par deux traductions latines qui pourraient toutes deux dater de l'antiquité tardive[5], et qui restent assez proches de la version grecque qui nous est parvenue[6].
Ambroise de Milan reprend et enrichit la légende en 377 dans son De virginibus[7]. Il déplace par méprise l'action à Antioche[8]. Didyme devient un jeune officier romain converti. Mais surtout Ambroise fait également de la jeune vierge une martyre : Théodora, apprenant le procès de son sauveur, le rejoint pour prendre sa place, et le gouverneur de la ville les condamne tous deux à la décapitation. Les deux protagonistes d'Ambroise sont anonymes, mais la tradition hagiographique se chargera de les identifier en recoupant les deux récits, et c'est essentiellement la version d'Ambroise qui assure leur postérité[9].
Contexte historique, et influences
La date supposée de la légende (304) est compatible avec celles de la persécution de Dioclétien (303-313), la dernière grande persécution de chrétiens dans l'Empire romain. Le manuscrit grec nomme bien Eustrate le préfet d'Égypte qui condamne Theodora, mais c'est la seule mention que l'on connaisse de ce magistrat[6]. L'une des traductions latine l'appelle Proculus, mais c'est probablement une corruption du titre de proconsul lors des recopies successives[10].
La légende est probablement purement fictive[1], et résulte certainement de la christianisation de couples héroïques païens[11]. Ainsi Ambroise compare-t-il Théodora et Didyme à Damon et Pythias, ce que l'on peut lire comme un aveu de sa source[12] pour la fin de la légende qu'il a refaçonnée.
Postérité
Théodora et Didyme inspirent directement d'autres récits hagiographiques, comme la légende très similaire d'Antonina et Alexandre (en)[4]. Au Moyen Âge, le récit d'Ambroise est repris par Jacques de Voragine dans la Légende dorée[13].
Le thème est à l'origine d'une abondante tradition théâtrale à partir du XVIe siècle en Italie, avec la Sacra Rappresentazione di santa Theodora (première édition connue : 1554) où Didyme est renommé Euryale[14]. Le Tasse s'en inspire pour le chapitre 2 de la Jérusalem délivrée : Theodora et Didyme, devenus Sophronie et Olinde, sont condamnés par le roi musulman de la ville pour un vol dont chacun s'accuse, Sophronie pour sauver les chrétiens de Jérusalem, Olinde pour sauver Sophronie. Tous deux sont menés au bûcher. Mais la guerrière musulmane Clorinde intercède et ils sont graciés in extremis. La scène du lupanar a disparu, mais l'amour d'Olinde est plus charnel que celui de Didyme, et l'histoire s'achève sur leurs noces plutôt que leur martyre[15].
Au XVIIe siècle le thème est repris par le ferrarais Agostino Faustini (1613), le florentin Girolamo Bartolommei (1632), le lucquois Fra Giovanni Gottardi (1640)[16] et à Rome par le cardinal Rospigliosi, futur Clément IX (représentations en 1635 et 1636)[17]. Ces « tragédies chrétiennes », dans la veine théorisée par les jésuites romains[16], sont aussi marquées par l'influence du Tasse[18]. Comme Olinde, Didyme brûle souvent pour Theodora d'un amour plus charnel, ou bien se voit doublé d'un soupirant païen à qui cet aspect est dévolu[19]. Ainsi Faustini, dont la pièce reprend des éléments de la légende de Sainte Agnès, introduit-il un rival de Didyme qui est fils du préfet d'Égypte[19].
Martyrologie
Les saints Théodora et Didyme sont (ou ont été) fêtés le dans le calendrier latin, et le ou le dans le calendrier grec[2]. Ils ne figurent plus dans l'édition 2001 du Martyrologe romain[20].
Notes et références
- (en) Howard E. Smither, A History of the Oratorio : Vol. 2 : the Oratorio in the Baroque Era : Protestant Germany and England, The University of North Carolina Press, , 415 p. (ISBN 978-0-8078-1294-5, lire en ligne), p. 332-338, p. 333, note 58.
- Lanéry 2004, p. 5.
- Acta Sanctorum, avril, tome III, voir Guérin 1876 pour une adaptation en français.
- Lanéry 2004, p. 6.
- Ces deux traductions sont étudiées par Lanéry 2004. L'une, connue par des manuscrits dont le plus ancien remonte au IXe siècle, pourrait avoir été effectuée en Italie au Ve siècle voire à la fin du IVe siècle (Lanéry 2004, p. 20-22). L'autre, dont aucun manuscrit antérieur au XIe siècle ne nous est parvenu, reste difficile à dater (Lanéry 2004, p. 22-23).
- Lanéry 2004, p. 24.
- Ambroise 1645 pour une adaptation en français du texte d'Ambroise.
- Lanéry 2004, p. 5, note 3.
- Lanéry 2004, p. 10 et 32.
- Ceci suppose une erreur de traduction du terme grec moins précis, et une méconnaissance du contexte historique par le traducteur, car l'Égypte n'est pas gouvernée alors par un proconsul mais par un préfet équestre : Lanéry 2004, p. 29.
- Fumaroli 1990, p. 231
- Fumaroli 1990, p. 228 et 231, Fumaroli cite également Héro et Léandre, Nisus et Euryale.
- Lanéry 2004, p. 10, les héros restent anonymes, comme chez Ambroise.
- Fumaroli 1990, p. 227-228.
- Fumaroli 1990, p. 230.
- Fumaroli 1990, p. 228-229.
- Les représentations de la Santa Teodora de Rospigliosi chez les Barberini connaissent un grand retentissement à travers l'Europe et suscitent des recensions admiratives, mais la pièce n'est pas publiée, voir Fumaroli 1990, p. 243.
- Fumaroli 1990, p. 231.
- Fumaroli 1990, p. 232.
- Martyrologium Romanum, Libreria Editrice Vaticana, 2001, (ISBN 88-209-7210-7)
Bibliographie
- Paul Guérin, « Sainte Théodora et Saint Didyme, martyrs (28 avril) », dans Les petits Bollandistes : vies des saints. T. V, Du 24 avril au 18 mai, d'après les Bollandistes, le père Giry, Surius..., Paris, Bloud et Barral, (lire en ligne), adaptation en français du texte des Acta Sanctorum, avec un résumé de la variante d'Ambroise de Milan ;
- S. Ambroise evesque de Milan (trad. du latin par François-Adam Leurin), Le livre des vierges [« De virginibus »], Paris, A. Taupin, (lire en ligne), p. 119-143, livre II, adaptation (« traduit par paraphrase ») du texte d'Ambroise ;
- Marc Fumaroli, « Théodore, vierge et martyre : ses sources italiennes et les raisons de son échec à Paris », dans Héros et orateurs. Rhétorique et dramaturgie cornéliennes, Genève, Droz, , p. 223-259 ;
- Cécile Lanéry, « La Passion de Théodora et Didyme: Édition des traductions latines BHL 8072 et 8073 », Analecta Bollandiana, vol. 122, t. 1, , p. 5-50 (DOI 10.1484/J.ABOL.4.00162).