La Jérusalem délivrée
La Jérusalem délivrée (La Gerusalemme liberata) est un poème épique publié en 1581 en italien par Le Tasse, retraçant un récit largement fictionnel de la première croisade, au cours de laquelle les chevaliers chrétiens menés par Godefroy de Bouillon combattent les musulmans (Sarrasins) afin de lever le siège de Jérusalem en 1099. Le poème est composé de stances de huit vers, groupées en vingt chants de longueur variable.
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Gerusalemme liberata |
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« Canto l'arme pietose e 'l capitano… » |
Contexte
L'œuvre s'inscrit dans la tradition du roman de chevalerie à la Renaissance, et des poèmes épiques italiens. Le Tasse emprunte fréquemment des éléments de l'intrigue et des personnages de l'Orlando furioso de L'Arioste. Le poème contient également des éléments inspirés des contes épiques d'Homère et de Virgile (en particulier dans les sections de leurs œuvres décrivant les sièges et les tactiques de guerre). Il est dédicacé à Alphonse II d'Este[1], protecteur du poète.
Analyse
Le choix du sujet du Tasse — un véritable conflit historique entre chrétiens et musulmans (bien que largement saupoudré d'éléments fantastiques) — possédait un arrière-plan historique, et créait des impératifs dans la narration (le sujet ne pouvait aboutir qu'à la conclusion historique, et ne pouvait s'étendre ad libitum, le conflit ayant été limité dans le temps), absents d'autres récits épiques contemporains. Cependant, comme d'autres œuvres de la même époque traitant de conflits entre chrétiens et musulmans, le poème suscitait de profondes résonances dans l'esprit du lectorat, l'empire turc effectuant des avancées significatives en Europe de l'Est.
Un des traits les plus caractéristiques du poème du Tasse est le tourment émotionnel enduré par ses personnages, partagés entre leurs sentiments et leurs devoirs, et leur représentation de l'amour en conflit avec les valeurs martiales comme l'honneur est une source de grande passion lyrique dans le poème.
L’action de l’épopée tourne autour d’Armide, la belle sorcière, dépêchée par le sénat des Enfers pour répandre la discorde dans le camp chrétien. Elle est convertie à la vraie foi par amour pour un paladin en croisade, et quitte la scène avec aux lèvres une phrase de la Vierge Marie. La courageuse Chlorinde prend l’armure comme la Marfisa de Boiardo, combattant en duel contre son amant et recevant le baptême de ses mains au moment où elle meurt ; Herminie cherche refuge dans la hutte des bergers.
Ces belles païennes, si touchantes dans la peine, si romantiques dans leurs aventures, aux émotions tellement tendres, rivent l’attention du lecteur, alors que les récits de bataille, de cérémonies religieuses, les conseils de guerre et les plans de campagne peuvent être passés sans grand inconvénient. La grande invention artistique du Tasse est la poésie des sentiments : car c'est l'expression des sentiments, et non le lyrisme du poème, qui fait de la Jérusalem un chef-d'œuvre immortel. Chose nouvelle au XVIe siècle, cette expression se trouvait en phase avec une réhabilitation du rôle de la femme et la faveur croissante de la musique en tant qu'art de cour. Un sentiment amoureux noble, raffiné, au naturel teinté de mélancolie, d'une grâce exquise dans ses aspirations pathétiques, imprègne toutes les scènes de la Jérusalem. La métrique du poème, caractérisée par des rimes douces et une cadence régulière, languissante, souligne le caractère de ces séduisantes héroïnes dont les noms devinrent parfaitement familiers aux familles aristocratiques des XVIIe et XVIIIe siècles.
Postérité
La Gerusalemme liberata constitue la trame générale de nombreuses œuvres musicales, comme Il combattimento di Tancredi e Clorinda de Monteverdi, Armida al campo d'Egitto de Vivaldi, Armide de Lully ou de Gluck, Rinaldo de Haendel, La Forêt enchantée de Geminiani, Armida de Haydn, Rossini ou Dvořák, Rinaldo de Brahms…
Un grand nombre de peintres ont illustré des épisodes de La Jérusalem délivrée : notamment Giambattista Tiepolo[2], Nicolas Poussin[3], Charles Antoine Coypel[4], François Boucher[5], Antoine van Dyck[6], Jean-Honoré Fragonard[7], Annibale Carrache[8], Le Dominiquin[9], Paolo Domenico Finoglia[10], Lorenzo Lippi[11]…
Le cabinet des miroirs du palais vénitien de la famille Corner était décoré d'une série de fresques illustrant ce roman[12].
La Jérusalem délivrée (La Gerusalemme liberata) est un film italien d'Enrico Guazzoni réalisé en 1911. Un autre film de cape et d'épée, La Muraille de feu (La Gerusalemme liberata), de Carlo Ludovico Bragaglia, est sorti en 1957.
Dominium Mundi, roman fleuve de François Baranger, est une transposition très documentée de la Jérusalem délivrée du Tasse dans un futur lointain et aux confins de la galaxie, publiée en 2013 et 2014 chez Critic puis chez Pocket.
Résumé
Le poème raconte la désunion et les échecs des chrétiens et leur victoire finale. Les passages les plus connus sont les suivants :
Sophronie, une chrétienne de Jérusalem, s'accuse d'un crime pour empêcher le massacre des chrétiens par un roi musulman. Pour la sauver, son amant Olinde s'accuse à son tour, et chaque amant plaide pour sauver l'autre.
Clorinde, une guerrière, se joint aux musulmans, mais le chevalier chrétien Tancrède tombe amoureux d'elle. Pendant une bataille de nuit où elle met le feu à la tour de siège des chrétiens, elle est tuée en combat singulier par son amant, qui ne l'avait pas identifiée. Avant de mourir, elle se convertit au christianisme. Le personnage de Clorinde est inspiré en partie par Camille dans l'Énéide de Virgile et par Bradamante de l'Arioste ; les circonstances de sa naissance (dans le Caucase de parents africains) sont inspirées par le personnage principal (Chariclée) d'un roman grec Théagène et Chariclée d'Héliodore d'Émèse.
Une autre femme de la région, la princesse Herminie d'Antioche, tombe aussi amoureuse de Tancrède et trahit son peuple pour l'aider, mais elle devient jalouse quand elle apprend que Tancrède aime Clorinde. Elle retourne chez les Musulmans, puis vole l'armure de Clorinde et se joint à un groupe de bergers.
La magicienne Armide (imitée de Circé dans Homère et de la magicienne Alcina dans l'Arioste) entre dans le camp des chrétiens pour demander leur aide ; son charme divise les chevaliers les uns contre les autres et un groupe part avec elle, pour finalement être transformé en animaux par sa magie.
Armide essaie de tuer le plus grand des chevaliers chrétiens Renaud (son nom apparaît dans l'Orlando furioso (III, 30) de l'Arioste ; il est le fils de Berthold et fut le fondateur de la maison d'Este), mais elle tombe amoureuse de lui et l'amène dans une île magique où il a la tête tournée par ses caresses et devient paresseux. Deux chevaliers chrétiens cherchent la forteresse cachée, bravent les dangers qui la gardent et, en donnant à Rinaldo un miroir de diamant, l'obligent à se voir dans son état efféminé et amoureux et à retourner à la guerre, laissant Armide le cœur brisé. Armide est affligée par cette perte et désire mourir, mais comme c'est une magicienne, elle est immortelle. Ce passage rappelle une histoire similaire dans l'Arioste : la magicienne Alcina prend au piège le chevalier Ruggiero, mais le sort est rompu par un anneau magique que la bonne magicienne Melissa lui apporte ; parmi d'autres antécédents on peut citer la tentative de Circé de garder Ulysse sur son île, et la fée Morgane emportant Ogier le Danois dans une île lointaine.
Traductions françaises
- Jérusalem délivrée, poème héroïque du Tasse, traduit par Jean-Baptiste de Mirabaud, Paris, J. Barois fils, 1735
- Jérusalem délivrée, traduit par Charles-François Lebrun (1739-1824), 2 tomes, Paris, Musier Fils, 1774 - texte sur gallica : Tome I, chants I à X, Tome II, chants XI à XX ; dernière réédition, Paris, Flammarion, coll. « Garnier-Flammarion » no 986, 1997 (ISBN 2-08-070986-0)
- Jérusalem délivrée, traduit par L. P. M. F. Baour-Lormian, Paris, Maradan, l'an IVe de la République, 1796
- Jérusalem délivrée, traduction nouvelle en vers français, strophe pour strophe, pas un vers de plus, pas un vers de moins, par Louis Bourlier, de Laval, 1838[13]
- La Jérusalem délivrée, traduit par Auguste Desplaces, Paris, Charpentier, 1845, texte sur books.google
- La Jérusalem délivrée, traduit par Hippolyte Taunay avec le texte italien en regard, Paris, Hachette, 1846
- La Jérusalem délivrée, traduit par Louis Duchemin, Paris, Dentu, 1856
- La Jérusalem délivrée, traduit par Jean-Michel Gardair, Paris, Bordas, coll. « Classiques Garnier », 1989 ; réédition revue et corrigée, Paris, LGF, coll. « Le Livre de poche. Bibliothèque classique » no 717, 1996 (ISBN 2-253-90717-0)
- Jérusalem libérée, traduit par Michel Orcel, Paris, Gallimard, coll. « Folio » no 3690, 2002 (ISBN 2-07-040976-7)
- Gerusalemme liberata, introduction, traduction et notes par Gérard Genot, édition bilingue, Paris, Les Belles lettres, coll. « Bibliothèque italienne » no 25, 2008 (ISBN 978-2-251-73026-4)
Notes et références
- Ô magnanime Alphonse, ô mon asile et mon port, chant I, 4, p. 40, La Jérusalem délivrée, Le Tasse, GF Flammarion, note de bas de page 1 par Françoise Graziani
- Rinaldo et Armida par Tiepolo.
- Renaud et Armide par Poussin.
- Le Sommeil de Renaud par Coypel.
- Renaud et Armide par Boucher.
- Renaud et Armide par van Dyck.
- Renaud et Armide par Fragonard.
- Renaud et Armide par Carrache.
- Renaud et Armide par Le Dominiquin.
- Tancrède affronte Clorinde par Finoglia.
- Renaud et Armide par Lippi.
- Notice de Chicago
- In-12 de XIV-335 p., plus 2 ff. pour des pièces détachées et les errata, imprimé par Guiraudet et Jouaust.