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Terra Amata

Terra Amata (en français « Terre aimĂ©e Â») est un site prĂ©historique de plein air situĂ© sur les pentes du mont Boron, Ă  Nice (Alpes-Maritimes), Ă  26 m au-dessus du niveau actuel de la mer. DatĂ© d'environ 380 000 ans avant le prĂ©sent (AP), il a livrĂ© des outils lithiques de type acheulĂ©en, ainsi que l'un des plus anciens foyers incontestables d'Europe. Le site de Terra Amata est l'un des rares sites en Europe concourant Ă  dater le dĂ©but de la domestication du feu autour de 400 000 ans avant le prĂ©sent.

Terra Amata
Image illustrative de l’article Terra Amata
Reconstitution d'une hutte de Terra Amata
telle qu'elle a été proposée originellement
par Henry de Lumley.
Localisation
Pays Drapeau de la France France
RĂ©gion Provence-Alpes-CĂ´te d'Azur
DĂ©partement Alpes-Maritimes
CoordonnĂ©es 43° 41′ 52″ nord, 7° 17′ 22″ est
Altitude 26 m
GĂ©olocalisation sur la carte : France
(Voir situation sur carte : France)
Terra Amata
Terra Amata
Histoire
Époque 380 000 ans AP

Historique

Premières découvertes

En 1859, à l'occasion du percement de la route de Villefranche (aujourd'hui boulevard Carnot), sur la propriété d'un certain Michel Milon, à quelques hectomètres du site de Terra Amata, les terrassiers découvrirent fortuitement[1] :

  • une mâchoire de rhinocĂ©ros,
  • un squelette complet d'Ă©lĂ©phant antique (Palaeoloxodon antiquus),
  • des coquilles de mollusques terrestres.

DĂ©couverte du site

En 1965, des travaux de terrassement effectués à côté de l'impasse Terra Amata pour l'édification d'un immeuble (Le Palais Carnot) sont interrompus pendant le mois d'août. Cette interruption permit à Henry de Lumley de procéder au relevé de la stratigraphie ainsi qu'à quelques prélèvements. À cette occasion une riche industrie paléolithique, des ossements de mammifères quaternaires, des os brûlés et des charbons de bois furent mis au jour. Le directeur des antiquités préhistoriques de la région Provence – Corse confie alors à François-Charles-Ernest Octobon ainsi qu'au jeune Henry de Lumley l'ouverture d'un chantier de fouilles de sauvetage[1].

Les fouilles débutèrent le . D'abord prévues pour durer un mois, ces fouilles, de prolongation en prolongation, durèrent jusqu'au .

Description

À Terra Amata, des Hommes ont érigé des habitations légères de forme ovale en utilisant de simples piquets. Ils ont choisi pour site une crique en bord de mer, orientée au sud, à l’abri des vents d’est, et à proximité d’une petite source. C’est le campement idéal pour une tribu de chasseurs-cueilleurs, puisqu’il leur suffit de collecter sur la plage des galets en roche dure (calcaire, calcaire silicifié, silex) pour servir à la fabrication de leurs outils. Leurs habitations sont au nombre de vingt-et-une. Longues de neuf à seize mètres de long sur quatre à sept mètres de large, les plus récentes occupent une dune sur laquelle les Hommes posent des pierres et creusent des trous pour ficher des piquets. Quand ils arrivent, les occupants construisent d’abord une hutte temporaire, vraisemblablement au moyen de branchages, avec pour soutènement des poteaux ou des piquets. Ces piquets, alignés à la périphérie de l’habitat et taillés en biseau à la base, sont souvent regroupés par deux. Des blocs de pierre fixent au sol les parois de la hutte et délimitent ainsi la zone d’habitation. Le sol de ces huttes est localement empierré de galets ou recouvert de peaux. On y trouve également un atelier de taille, délimité par des éclats, avec en son centre, une zone libre où l’artisan s’assoit, soit par terre, soit sur un bloc de bois. À l’intérieur des habitations, les Hommes installent leurs couches sur des peaux étendues ainsi que des foyers pour la cuisson des aliments.

Les foyers sont implantés au centre des cabanes. Ce sont de simples trous creusés dans le sable et abrités sur un côté par un muret de pierres agglomérées avec du sable, dans une petite fosse dissymétrique de trente centimètres de diamètre et de quinze centimètres de profondeur. Cela laisse penser que la maitrise du feu est déjà acquise depuis longtemps. Ces foyers sont entretenus avec des branches d’arbres et surtout des herbes marines, provenant essentiellement de vasières côtières du delta du Paillon, et parfois des mattes de feuilles de posidonies (des plantes à fleurs marines de la Méditerranée). Les feux sont aussi alimentés par des branches de sapin charriées par le Paillon depuis l’arrière-pays. Les charbons de bois montrent que les conifères (pin et sapin) prédominent nettement sur les feuillus (hêtre, merisier, arbousier et nerprun), alors que ces derniers sont censés être majoritaires dans l’environnement. Les feux sont très importants si l’on se réfère à la grande quantité de charbons de bois et de cendres répandus sur les aires d’habitation et dans la dune littorale qui les surmonte. De plus, ces Hommes transforment de la goethite, des granules d’hydroxyde de fer de couleur jaune, en les chauffant par le feu pour en faire des crayons, grâce auxquels ils peignent leur peau en rouge. Ces foyers peuvent monter jusqu'à 200 à 400 degrés Celsius, le plus souvent autour de 350 degrés.

Les chasseurs de cerfs et d’éléphants qui sont établis à Terra Amata sont des nomades : ils se déplacent au rythme des saisons et en fonction de l’abondance du gibier. Après une halte de quelques jours, ils quittent le campement et partent pour d’autres lieux de chasse, parcourant parfois de grandes distances. Si le foyer et la murette qui l’entoure n’ont pas été recouverts par le sable, ils érigent alors la nouvelle hutte sur l’emplacement de l’ancienne. Ce sont donc probablement les mêmes Hommes qui ont campé à plusieurs reprises en ce lieu. Le produit de leur chasse est composé d’éléphants et de cerfs, occasionnellement de sangliers, d’aurochs et de tahrs (des caprins). Les animaux cuits et les outils lithiques fabriqués sont identifiables par les traces laissées dans les foyers[2] - [3].

DĂ©bat

Les interprétations des données archéologiques de Terra Amata sont très différentes selon que l’on se réfère aux travaux d'Henry de Lumley[4] - [5] - [6] ou à ceux de Paola Villa, qui a consacré une partie de son doctorat à ce site[7].

Selon Henry de Lumley, les niveaux archĂ©ologiques (ensembles C1a et C1b) correspondent Ă  plusieurs « sols d’habitats » superposĂ©s de l’« AcheulĂ©en ancien » sur une plage fossile. Ils dateraient de 380 000 ans avant le prĂ©sent. La rĂ©partition des vestiges archĂ©ologiques et des Ă©lĂ©ments naturels traduirait la prĂ©sence de huttes amĂ©nagĂ©es sur la plage.

L’industrie lithique mise au jour, en calcaire silicifié et en silex, se subdivise en deux séries :

  • l’industrie de la « plage », marquĂ©e par l’emploi prĂ©fĂ©rentiel de galets comme supports d’outils. Ces outils comportent de nombreux galets taillĂ©s, quelques bifaces partiels atypiques et des pics triĂ©driques unifaces Ă  base rĂ©servĂ©e, dits depuis « pics de Terra-Amata » ;
  • l’industrie de la « dune », au petit outillage sur Ă©clat plus abondant (racloirs, denticulĂ©s, etc.)[8].

Selon Henry de Lumley, les deux séries présentent malgré tout de nombreuses analogies et sont présentées globalement.

Plus rĂ©cemment, Paola Villa a proposĂ©, notamment en rĂ©alisant des remontages et appariements entre niveaux diffĂ©rents, que le degrĂ© de prĂ©servation du site de Terra Amata avait Ă©tĂ© surestimĂ©, que les hypothèses faisant intervenir des huttes Ă©taient discutables et que les niveaux archĂ©ologiques ne pouvaient pas ĂŞtre considĂ©rĂ©s comme des unitĂ©s indĂ©pendantes. Elle propose Ă©galement de revoir Ă  la baisse l’anciennetĂ© des sĂ©ries acheulĂ©ennes, qui dateraient d’environ 230 000 ans avant le prĂ©sent[7] - [9] - [10] - [11].

Datation

Datation par thermoluminescence

En 1975 et 1976, une première tentative de datation par thermoluminescence appliquĂ©e Ă  des silex brĂ»lĂ©s a Ă©tĂ© entreprise[12]. Jusqu'alors cette mĂ©thode de datation n'avait pas Ă©tĂ© utilisĂ©e sur des objets aussi anciens. Sur dix pièces archĂ©ologiques deux ont pu ĂŞtre datĂ©es. Pour l'une la date proposĂ©e est 214 000 ans et pour l'autre 244 000 ans avant le prĂ©sent. A. G. Wintle et M. J. Aitken proposèrent, en 1977, 230 000 ± 40 000 ans avant le prĂ©sent.

Datation par résonance de spin électronique (RSE)

En 1983 et 1984, Yuji Yokayama, Christophe Falguères et Jean-Pierre Quaegebeur[13] ont datĂ© par rĂ©sonance de spin Ă©lectronique des grains de quartz du cordon littoral de Terra Amata. Cette mĂ©thode repose sur le fait que les grains de quartz ont Ă©tĂ© « remis Ă  zĂ©ro Â» par les rayons UV du Soleil lorsqu'ils Ă©taient en surface. On mesure donc la date de leur enfouissement. La date obtenue est de 380 000 ± 80 000 ans avant le prĂ©sent.

Étude technologique des industries acheuléennes de Terra Amata

Les industries découvertes, tant dans le cordon littoral C1 que dans la dune C1b de Terra Amata, sont riches en galets aménagés et pauvres en bifaces. Elles se caractérisent également par la présence de pics et de quelques hachereaux dont les produits de débitage n'ont jamais été obtenus par la technique Levallois[14]. Or cette technique de débitage est systématiquement présente, en plus ou moins grande proportion, dans les assemblages lithiques trouvés sur les sites postérieurs à 300 000 ans avant le présent. Il s'agit là d'une preuve d'ancienneté en contradiction avec les dates absolues obtenues par la thermoluminescence. En revanche, elle renforce la crédibilité de la datation obtenue par la résonance de spin électronique.

Données issues de la biostratigraphie

La présence d'un Dicerorhinus hemitoechus (rhinocéros de prairie) archaïque, celle d'un Hemitragus bonali (tahr), d'un Sus scrofa (sanglier) aux molaires de très grande taille militent pour une attribution du site au milieu du Pléistocène moyen. La présence d'un cerf (Cervus elephas) portant des bois à couronne et de petite taille indique une ancienneté postérieure au stade isotopique 12 (environ 450 000 ans) et antérieure au stade isotopique 8 (environ 250 000 ans). Les caractéristiques morphologiques très primitives des dents du rhinocéros de prairie permettent de placer le site à une période antérieure à celle du site d'Orgnac 3 daté quant à lui de 330 000 à 300 000 ans[15].

Conclusion

La date de 230 000 ans obtenue par la thermoluminescence parait sous-estimĂ©e par rapport aux donnĂ©es de la typologie des industries lithiques ainsi qu'Ă  celles de la biostratigraphie. La date de 380 000 ans donnĂ©e par la rĂ©sonance de spin Ă©lectronique parait plus vraisemblable.

Musée de Terra Amata

Une partie des dépôts a été préservée afin d'être présentée dans le cadre d'un musée de site, le Musée de paléontologie humaine de Terra-Amata.

L'année 2016 a marqué le 50e anniversaire de la fouille de Terra Amata[1]. Pour célébrer cet anniversaire, le Musée a fermé ses portes pour travaux durant 4 mois afin de se transformer pour offrir une muséographie réactualisée, intégrant les dernières découvertes et proposant aux visiteurs un parcours interactif et ludique. Cette scénographie renouvelée a été confiée au plasticien Kristof Everart et le graphisme à Marcel Bataillard.

Depuis les années 1990, les enjeux en matière de numérisation du patrimoine et de valorisation des collections muséales par les techniques multimédias n’ont cessé de prendre de l’ampleur. Un nouveau parcours est désormais proposé aux visiteurs, intégrant la présentation des dernières découvertes du Musée. Cette nouvelle présentation expose la vie des premiers Niçois au sein de leur environnement, ainsi que l'une des grandes révolutions de l’humanité, la domestication du feu, à l'aide des nouvelles technologies et dispositifs numériques mis en œuvre au sein du Musée.

Références

  1. Sous la direction de Henri de Lumley, Terra Amata, Nice, Alpes-Maritimes, France, tome 1, Paris, CNRS, , 488 p. (ISBN 978-2-271-06939-9), p. 29-31
  2. Gabriel Camps, Introduction à la Préhistoire, À la recherche du paradis perdu, Paris, Librairie académique Perrin, , p. 105 et 157-158
  3. Henry de Lumley, La Domestication du feu aux temps paléolithiques, Paris, Éditions Odile Jacob, , p. 12-13 et 79-86
  4. Lumley, H. de (1966) - « Les fouilles de Terra Amata à Nice (A.-M.). Premiers résultats », Bulletin du Musée d'Anthropologie préhistorique de Monaco, no 13, pp. 29-51.
  5. Lumley, H. de (1976a) - « Les civilisations du Paléolithique inférieur en Provence », in: La Préhistoire française - t. I : Les civilisations paléolithiques et mésolithiques, Lumley, H. de, Ed., Ed. du CNRS, pp. 819-851
  6. Lumley, H.de, Lumley, M-A. de, Miskovsky, J-C. et Renault-Miskovsky, J. (1976) - « Le site de Terra-Amata - Impasse Terra Amata, Nice, Alpes-Maritimes », in: Sites paléolithiques de la région de Nice et Grottes de Grimaldi - Livret-guide de l'excursion B1 - IXe Congrès de l'UISPP, Nice, Lumley, H. de et Barral, L., Eds., pp. 15-49
  7. Villa, P. (1983) - Terra Amata and the Middle Pleistocene archaeological record of Southern France, University of California Press, Anthropology 13, 303 p.
  8. Fournier, R-A. (1973) - Les outils sur galets du site mindelien de Terra-Amata (Nice, Alpes-Maritimes), Université de Provence, Thèse de Doctorat, 221 p.
  9. Villa, P. (1976) - « Sols et niveaux d'habitat du Paléolithique inférieur en Europe et au Proche-Orient », in: L'évolution de l'Acheuléen en Europe, Combier, J., (Éd.), IXe Congrès de l'UISPP, coll. X, pp. 139-155.
  10. Villa, P. (1977) - « Sols et niveaux d'habitat du Paléolithique inférieur en Europe et au Proche-Orient », Quaternaria, XIX, pp. 107-134.
  11. Villa, P. (1982) - « Conjoinable pieces and site formation processes », American Antiquity, vol. 47, no 2, pp. 276-290
  12. Wintle Ann G. et Aitken Martin J. (1977) : « Thermoluminescence dating of burn flint : Application to a lower Paleolithic site, Terra Amata » Archaeometry, vol. 19, fasc. 2, pp. 111-130
  13. Yokoyama Y., Falguères C. et Quaegebeur J.P. (1986) : « E.S.R. Dating of quartz from Quartenary sediments : First attempt », Nuclear Tracks, vol. 10, no 4-6, pp. 921-928
  14. Terra Amata Nice, Alpes Maritimes, France, tome 1, sous la direction de Henri de Lumley (2009), page 481
  15. Valensi, Patricia : « Évolution des peuplements de grands mammifères en Europe méditerranéenne occidentale durant le Pléistocène moyen et supérieur. Un exemple régional : les Alpes du sud françaises et italiennes », Quaternaire, 20, (4), 2009, pp. 551-567

Bibliographie

  • Sous la direction de Henry de Lumley, Terra Amata, Nice, Alpes-Maritimes, France, vol. I : Cadre gĂ©ographique-Historique-Contexte gĂ©ologique-Stratigraphie-SĂ©dimentologie-Datation, Paris, CNRS, , 488 p. (ISBN 978-2-271-06939-9)
  • Sous la direction de Henry de Lumley - PrĂ©face de Christian Estrosi, Terra Amata, Nice, Alpes-Maritimes, France, vol. II : Palynologie-Anthracologie-Faunes-Mollusques-PalĂ©oenvironnements-PalĂ©oanthropologie, Paris, CNRS, , 536 p. (ISBN 978-2-271-07191-0)
  • Sous la direction de Henry de Lumley, Terra Amata, Nice, Alpes-Maritimes, vol. III : Individualisation des unitĂ©s archĂ©ostratigraphiques et description des sols d'occupation acheulĂ©ens, CNRS, , 477 p. (ISBN 978-2-271-07489-8), p. 477
  • Sous la direction de Henry de Lumley, Terra Amata, Nice, Alpes-Maritimes, vol. IV, Fascicule 1 : Les industries acheulĂ©ennes, Paris, CNRS, , 806 p. (ISBN 978-2-271-08084-4), p. 806
  • Sous la direction de Henry de Lumley, Terra Amata, Nice, Alpes-Maritimes, vol. V : Comportement et mode de vie des chasseurs acheulĂ©ens de Terra amata, Paris, CNRS, , 536 p. (ISBN 978-2-271-09072-0), p. 536

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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