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Taxe sur les Ă©trangers

La taxe sur les étrangers de 1697 est un impôt instauré par la déclaration royale du , signée par Louis XIV à Marly. Elle taxe les étrangers et leurs descendants et héritiers, installés dans le royaume depuis .

Taxe sur les Ă©trangers de 1697
Présentation
Pays France
Type déclaration royale
Adoption et entrée en vigueur
Publication 1697
Entrée en vigueur 1697

Elle s'inscrit dans un contexte où la monarchie se fait gloire d'accueillir des étrangers, notamment italiens et jacobites et où le débat sur le droit d'aubaine, qui frappe les étrangers, est réactivé. Pour financer la guerre, la monarchie invente des expédients fiscaux, qui visent surtout des privilégiés. Dans ce contexte, la taxe sur les étrangers n'est pas xénophobe, mais vise, parmi d'autres, les bénéficaires d'un privilège taxable.

La taxe sur les Ă©trangers est mise en Ĺ“uvre par des traitants, qui imposent environ 9 000 Ă©trangers de 1697 Ă  1707, sous la responsabilitĂ© du contrĂ´leur gĂ©nĂ©ral des finances et des directeurs des finances.

Les taxés sont des immigrés ou leurs héritiers. Ils ne représentent qu'une petite part des étrangers établis en France. Ils viennent surtout des pays voisins. Beaucoup d'entre eux essayent d'échapper à la taxe, en obtenant des modérations (abattements) individuelles, des abonnements collectifs ou des exemptions globales. Finalement, la taxe rapporte beaucoup moins qu'escompté par les traitants. Elle est surtout une étape juridique dans la définition et le regard porté sur les étrangers.

Du droit d'aubaine Ă  la taxe

La déclaration du 22 juillet 1697

Première page de la déclaration royale de 1697 instituant une taxe sur les étrangers

Le , Louis XIV rend publique sa décision de taxer tous les étrangers installés dans le royaume depuis 1600, ainsi que leurs descendants et héritiers. Cette déclaration est complétée par un arrêt rendu à Marly une semaine après, le . Le préambule de la déclaration du justifie cette taxe par l'existence de précédents, depuis longtemps tombés en désuétude, le chevage et le formariage et par la persistance, à l'époque de la déclaration, du droit d'aubaine. L'arrêt du ne s'embarrasse pas de ces justifications par le passé, mais énonce qu'il s'agit tout simplement de financer la guerre[DS 1].

La déclaration pose le principe d'une compensation financière due au roi en échange de la permission donnée à des étrangers de s'installer en France. Au XVIe siècle, les lettres de naturalité (forme de naturalisation pratiquée sous l'Ancien Régime[1]) prévoyaient le versement par le naturalisé d'une somme d'argent. L'arrêt du s’appuie sur cette ancienne pratique pour justifier la taxe. Il rappelle également les précédents des taxes sur les étrangers décidées en 1639, 1646, 1656, mais finalement peu appliquées[DS 1].

La déclaration du énonce une série de dix mesures définissant une nouvelle taxe qui s'applique aux étrangers et à leurs descendants et héritiers, installés dans le royaume depuis 1600. Elle instaure une confirmation de privilège, payante, pour les familles d'origine étrangère. Cette taxe de 1697 les exempte du droit d'aubaine. Si elles peuvent prouver qu'elles ont payé la taxe sur les étrangers de 1639, de 1646 ou de 1656, elles sont exemptées. Les étrangers s'installant en France après la déclaration et les bâtards (dont les conditions juridiques sont proches de celles des étrangers) sont également assujettis à cette taxe. Les dérogations liées au lieu de résidence sont supprimées, seule subsiste la dérogation liée au service dans les armées du roi, indispensable parce que les mercenaires étrangers sont alors très nombreux. Après paiement de la taxe, les étrangers ont le même statut que les Français. Sont exemptés les marchands de passage et les ressortissants d'États exemptés du droit d'aubaine. La monarchie confie la perception de cette taxe à un traitant[DS 1].

Les étrangers, le droit d'aubaine et les expédients

Cette taxe est décidée alors que le discours officiel de la monarchie est plutôt favorable à l'accueil des étrangers. C'est même un des éléments répétés de la propagande royale, censé prouver l'excellence du royaume. Ce discours est mis à mal, il est vrai, par la révocation de l'Édit de Nantes. De fait, la France accueille de nombreux réfugiés, italiens et jacobites, et s'en fait gloire. Elle attire également des étrangers par utilitarisme économique : spécialistes de certains métiers, notamment dans les manufactures, marchands, marins et mercenaires[DS 2].

Le droit d'aubaine permet de distinguer Français et étrangers. Au moins théoriquement, parce qu'en pratique les situations sont diverses. Plusieurs groupes d'étrangers ne sont pas soumis au droit d'aubaine : les Avignonnais, les Suisses et Genevois, les Écossais, les habitants des Pays-Bas espagnols et des Provinces-Unies. De même, les Lorrains ne sont pas considérés comme aubains dans les Trois-Évêchés. La taxe sur les étrangers est décidée à un moment où le débat sur les exemptions au droit d'aubaine est réactivé. Pour la monarchie, il s'agit de lutter contre des isolats jugés contraires à l'absolutisme, par exemple la ville de Metz, qui essaye de se soustraire au paiement de la taxe[DS 3].

La taxe sur les étrangers de 1697 fait partie des expédients fiscaux créés par la monarchie pour financer la guerre. C'est par ces expédients que le contrôleur général des finances Louis Phélypeaux de Pontchartrain réussit à financer la guerre de la Ligue d'Augsbourg, la plus longue du règne. En 1695, est ainsi créée la capitation tandis que dans les mêmes années des taxes sur les officiers et les bénéficiaires de privilèges se multiplient. En ce sens, la taxe sur les étrangers n'est pas une mesure xénophobe, mais vise simplement ceux qui ont obtenu un privilège spécifique, la naturalisation. Les étrangers ne sont pas plus visés que les autres groupes de privilégiés qui sont aussi taxés. Cette taxe semble être dans l'air du temps et on n'a aucune preuve que Pontchartrain en soit l'inventeur direct[DS 4].

Encaisser la taxe

Les traitants Ă  l'Ĺ“uvre

Une semaine seulement après la promulgation de la taxe, le , le traitĂ© est adjugĂ© Ă  Nicolas Damour, pour 360 000 livres seulement, ce qui est un montant très bas, avec une remise de 60 000 livres. Le traitĂ© prĂ©voit un premier versement de 50 000 livres puis huit paiements d'un montant Ă©gal tous les deux mois pour solder le reste, soit 250 000 livres. On prĂ©voit que l'affaire sera close en , date qui sera bien sĂ»r largement dĂ©passĂ©e. Nicolas Damour reste adjucataire de cette taxe jusqu'au . Lui succèdent alors François Ferrand, dont le marchĂ©, de 1 262 000 livres, comprend aussi d'autres taxes, puis, en , Simon Miger, pour 2 500 000 livres et des taxes encore plus nombreuses. Ces trois adjudicataires ne sont que les hommes de paille de compagnies d'associĂ©s, regroupant au total vingt-six financiers. Ils emploient des commis locaux, qui dĂ©cident des taxes des familles d'Ă©trangers[DS 4]. La constitution de compagnies financières autour d'un homme, qui remporte l'adjudication de la taxe, n'est pas originale. On la retrouve dans les milieux de la gabelle[2].

En 1697 et 1707, environ 9 000 Ă©trangers sont taxĂ©s en vertu de la dĂ©claration royale du 22 juillet 1697. Ce n'est qu'une petite part de la population initialement visĂ©e par la dĂ©claration royale. Plus de 80 % des taxĂ©s l'ont Ă©tĂ© au dĂ©but, dans les annĂ©es 1697-1703, l'annĂ©e record Ă©tant l'annĂ©e 1700, avec plus de 2 000 taxĂ©s. C'est donc l'Ă©quipe de Nicolas Damour qui a encaissĂ© l'essentiel des recettes. Les listes de taxables Ă©tablies par les commis sont transmises pour validation au Conseil royal des finances et deviennent ensuite de vĂ©ritables rĂ´les d'imposition exĂ©cutoires. Au total, 61 rĂ´les sont validĂ©s de 1697 Ă  1707. Le contribuable doit payer dans les deux Ă  trois mois le montant principal de la taxe, plus 10% pour les traitants. L'ensemble est sous la responsabilitĂ© du contrĂ´leur gĂ©nĂ©ral des finances Michel Chamillart, qui a succĂ©dĂ© Ă  Pontchartrain, mais les deux hommes qui gèrent ces questions sont les deux directeurs des finances, RouillĂ© du Coudray et Fleuriau d'Armenonville[DS 4].

La population des imposés

Les taxĂ©s sont pour les deux tiers des Ă©trangers immigrĂ©s. D'autres sont leurs hĂ©ritiers, des Français nĂ©s en France. Les taxĂ©s ne sont pas tous des hommes : les femmes reprĂ©sentent 10% de l'ensemble. Elles sont le plus souvent taxĂ©es Ă  cause de leur mari Ă©tranger. Les Ă©trangers inscrits dans les rĂ´les d'imposition ne reprĂ©sentent finalement qu'une petite part des Ă©trangers Ă©tablis en France. Ils sont le plus souvent marchands, pour un tiers, ou artisans, pour un autre tiers, ces deux catĂ©gories Ă©tant surreprĂ©sentĂ©es par rapport Ă  leur poids dans la sociĂ©tĂ© française. Les clercs reprĂ©sentent 7% du total et les nobles 2%. La taxe moyenne est de 1 190 livres et la mĂ©diane est de 300 livres. Au sommet de la hiĂ©rarchie, les nobles payent une taxe mĂ©diane de 3 000 livres[DS 5].

Les catégories géographiques utilisées par les commis pour désigner les étrangers montrent un certain flou. Néanmoins, on constate que, sans surprise, les étrangers imposés sont issus des pays voisins de la France, selon des cercles concentriques. Les plus nombreux proviennent des États de Savoie et des Pays-Bas espagnols. Ensuite, d'autres sont venus de Rhénanie, d'Espagne, des Provinces-Unies, de Grande-Bretagne, du reste de l'Allemagne et de l'Italie[DS 6]. Pour les deux tiers d'entre eux, ils sont installés dans la généralité de Paris, dans la généralité de Metz et en Provence. On en trouve également, moins nombreux, dans le Sud-Ouest et en Bourgogne[DS 7].

Un Ă©chec financier mais une Ă©tape juridique

Échapper à la taxe

Dès sa création, la taxe sur les étrangers suscite des protestations. Certains groupes de contribuables essayent de négocier une modération ou une exemption. Les provinces récemment conquises (Roussillon, Alsace, Franche-Comté, Artois) et parfois les étrangers proches (comme les Avignonnais ou les Lorrains dans les Trois-Evêchés) sont exemptés de la taxe. Ailleurs, les autorités locales défendent l'utilité de certains étrangers pour demander leur exemption, comme les étrangers de Lyon et les Portugais de Bordeaux, exemptés en échange d'une somme globale[DS 8].

Dès 1698, les États de Languedoc protestent contre la taxe des Ă©trangers, arguant qu'elle ne pouvait s'y appliquer, le Languedoc Ă©tant exemptĂ© de droit d'aubaine. Le roi reste d'abord sourd Ă  cette demande, puis accorde une exemption de vingt ans seulement en 1706. Finalement, le diffĂ©rend est soldĂ© par un versement de 10 000 livres en 1709 et un Ă©dit royal reconnaĂ®t l'exemption du Languedoc de cette taxe[3].

D'autres imposés tentent des démarches individuelles auprès de l'intendant de la généralité pour obtenir une modération ou une décharge de la taxe. Ce n'est qu'une étape de procédure avant que l'affaire soit transmise au Conseil du roi, mais l'avis de l'intendant est le plus souvent suivi par le Conseil. Les intendants sont souvent hostiles à cette taxe et contrarient les traitants. C'est surtout dans les premières années, en 1697, 1698 et 1699 que des modérations ont été accordées, souvent des abattements de plus de 80%[DS 9]. En Conseil du roi, ce sont surtout les plus riches qui parviennent à se faire entendre, en utilisant des arguments juridiques : contester le fait d'être l'héritier d'un étranger, affirmer qu'on dispose d'un privilège ou que l'on est français, etc[DS 10].

Un Ă©chec financier

La nĂ©gociation du traitĂ© sur la taxe sur les Ă©trangers montre que le ContrĂ´le gĂ©nĂ©ral des finances estime dès le dĂ©but qu'elle ne rapportera que quelques centaines de milliers de livres. Les traitants en attendent des millions, les rĂ´les d'imposition faisant Ă©tat d'environ 10 millions. PrĂ©lèvement particulièrement lourd pour les quelque 9 000 contribuables concernĂ©s, Ă  qui on demande beaucoup plus que lors des taxations prĂ©cĂ©dentes. Comme beaucoup de contribuables s'y refusent, la monarchie dresse une liste des rĂ©calcitrants dès 1699. Toutefois, elle n'est pas encline Ă  les poursuivre. L'hostilitĂ© des intendants, les modĂ©rations, les abonnements collectifs et les exemptions globales expliquent un rĂ©sultat financier très loin des espĂ©rances des traitants. En fait, la taxe sur les Ă©trangers semble n'avoir rapportĂ© que 550 000 livres, montant dĂ©risoire par rapport aux dĂ©penses de l'État, qui renonce Ă  cette taxe dès 1703[DS 11].

La taxe de 1697 rapporte peu et est rapidement abandonnée, mais c'est à la fois, en ce qui concerne la monarchie administrative, un essai nouveau de définition et d'établissement de listes d'étrangers et l'élaboration d'un outil répressif contre la fraude fiscale[4]. Avoir payé la taxe est un argument pour prouver son intégration. Ainsi, au début du XVIIIe siècle, Diego Nunes Pereira, juif portugais de Bordeaux, affirme qu'il est désormais un naturel français, puisqu'il s'est acquitté de la taxe[5].

L'abandon du droit d'aubaine

En 1709, la monarchie, financièrement aux abois, essaye à nouveau, sans plus de succès, de taxer, de manière déguisée, les étrangers. Ensuite, au cours du XVIIIe siècle, le droit d'aubaine, de plus en plus contesté, est peu à peu abandonné grâce à des signatures de conventions réciproques avec de nombreux États européens. La taxe de 1697 change le statut légal des étrangers en affirmant le droit pour l'État de les taxer et en participant à la définition du national. Elle contribue aussi à la délimitation du territoire national et ouvre un débat d'opinion sur ces questions[DS 12]. Le statut des étrangers ne change plus après cette taxe jusqu'à la Révolution française. Le lien à l'État est plus fort, mais l'étranger doit acheter sa naturalisation ou prouver son enracinement[6].

Références

  • Jean-François Dubost et Peter Sahlins, Et si on faisait payer les Ă©trangers ?. Louis XIV, les immigrĂ©s et quelques autres, Paris, Flammarion, , 475 p. (ISBN 9782082118064).
  • Autres rĂ©fĂ©rences
  1. Peter Sahlins, « La nationalité avant la lettre: Les pratiques de naturalisation en France sous l'Ancien Régime », Annales. Histoire, Sciences sociales, vol. 55, no 5,‎ , p. 1081–1108 (ISSN 0395-2649 et 1953-8146, lire en ligne, consulté le ).
  2. Daniel Dessert, L'argent du sel, le sel de l'argent, Paris, Fayard, , 301 p. (ISBN 978-2-213-66276-3).
  3. John Cantarel, « La fiscalité pesant sur l’étranger au royaume, en Languedoc et en Roussillon aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans Gilbert Larguier (dir.), Les communautés et l'argent. Fiscalité et finances municipales en Languedoc, Roussillon et Andorre, XVe-XVIIIe siècle, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, (ISBN 978-2-35412-005-4, lire en ligne), p. 203–214.
  4. Jean-Pierre Gutton, Établir l’identité: L’identification des Français du Moyen Âge à nos jours, Lyon, Presses universitaires de Lyon, , 215 p. (ISBN 978-2-7297-0829-0 et 978-2-7297-1110-8, lire en ligne), p. 77-79.
  5. Evelyne Oliel-Grausz, « Résolution des litiges commerciaux et circulations transnationales au début du XVIIIe siècle : l’affaire Pimenta-Nunes Pereira », Archives juives, vol. 47, no 2,‎ , p. 77 (ISSN 0003-9837 et 1965-0531, lire en ligne, consulté le ).
  6. Daniel Roche, « L’étranger insaisissable (XVIIe – XVIIIe siècles) », Mélanges de l'École française de Rome, vol. 114, no 2,‎ , p. 837–874 (lire en ligne, consulté le ).

Voir aussi

Bibliographie

Liens internes

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