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StĂšles. La Grande Famine en Chine, 1958-1961

StĂšles. La Grande Famine en Chine, 1958-1961 est un livre de l'historien et ancien journaliste chinois Yang Jisheng[1].

StĂšles. La Grande Famine en Chine, 1958-1961
Auteur Yang Jisheng.
Pays Chine
Genre essai
Titre 汓籑 (Mu Bei)
Éditeur Cosmos Books (Tian Di Tu Shu)
Lieu de parution Hong Kong
Date de parution 2008
ISBN 978-988-211-909-3
Traducteur Louis Vincenolles et Sylvie Gentil
Éditeur Seuil
Date de parution 2012
ISBN 978-2-02-103015-0

Origine de l'ouvrage

Yang Jisheng, nĂ© en 1940, membre du Parti communiste chinois, fit consciencieusement son mĂ©tier de journaliste officiel, jusqu'Ă  ce que les manifestations de la place Tian'anmen en 1989 lui rĂ©vĂšlent la nature du pouvoir. À partir de 1990, il enquĂȘte sur la grande famine chinoise du dĂ©but des annĂ©es 1960[2].

GrĂące Ă  son statut de journaliste Ă  l'Agence Chine nouvelle, Yang Jisheng peut consulter des archives interdites d'accĂšs dans l'ensemble des provinces chinoises. Toutefois, « le plus difficile a Ă©tĂ© d’accĂ©der aux archives du Parti, gardĂ©es comme des forteresses ». Yang Jisheng y rĂ©ussit en prĂ©textant une recherche sur « l’évolution des politiques rurales ». Il recopie manuellement des centaines de micro-fiches. Il a aussi eu la possibilitĂ© d’effectuer de nombreuses interviews dans tout le pays[3].

L'ouvrage est interdit en Chine mais a pu ĂȘtre publiĂ© Ă  Hong Kong. Louis Vincenolles, traducteur de l'ouvrage, indique que les autoritĂ©s de PĂ©kin n'ont pas essayĂ© d'empĂȘcher cette publication Ă  Hong Kong, cette pĂ©riode de l'histoire chinoise Ă©tant imputable Ă  Mao Zedong et non Ă  Deng Xiaoping, ce dernier s'Ă©tant opposĂ© au Grand bond[4]. Par ailleurs, Pierre Haski prĂ©cise que si l'ouvrage est introuvable officiellement en rĂ©publique populaire de Chine, il y circule sous le manteau[5]. Cet ouvrage est une rĂ©vĂ©lation pour les Chinois, auxquels on enseigne une histoire biaisĂ©e, voire apocryphe.

Yang Jisheng explique les raisons de ce titre :

« J'appelle ce livre StĂšle. C'est une pierre tombale pour mon pĂšre qui est mort de faim en 1959, pour les 36 millions de Chinois qui sont aussi morts de faim, pour le systĂšme qui a causĂ© leur mort, et peut-ĂȘtre pour moi-mĂȘme pour avoir Ă©crit ce livre[6]. »

Présentation

Afin d'accélérer la transition vers le communisme, Mao Zedong engage de 1958 au début 1960, le Grand Bond en avant qui « provoque un gigantesque désastre économique ». Pour approvisionner les villes, « les paysans sont affamés »[1].

La collectivisation détruit la société rurale jusqu'à la famille. Personne n'ose, au sein des instances du parti, informer Mao que la collectivisation à outrance, décidée par le Grand Timonier, ne fonctionne pas. Ceux qui ont le courage de protester sont traités de « contre-révolutionnaires ».

Au pire moment de la crise, Mao Zedong refusa de limiter les exportations de cĂ©rĂ©ales qui finançaient le dĂ©veloppement de l’industrie en faisant ce commentaire : « Distribuer les ressources de façon Ă©galitaire ne fera que ruiner le Grand Bond en avant. Quand il n’y a pas assez de nourriture, des gens meurent de faim. Il vaut mieux laisser mourir la moitiĂ© de la population, afin que l’autre moitiĂ© puisse manger suffisamment. » Quand Liu Shaoqi, aprĂšs avoir visitĂ© sa rĂ©gion natale et compris la catastrophe, tenta de redresser la situation, il dut s'opposer Ă  Mao. Ce dernier accusa Liu d’avoir « lĂąchĂ© pied devant l’ennemi de classe ». Liu Shaoqi, rĂ©torqua : « Tant de morts de faim ! L’histoire retiendra nos deux noms et le cannibalisme sera dans les livres. » Cinq ans plus tard, Mao dĂ©clencha la RĂ©volution culturelle pour Ă©liminer les opposants politiques et reprendre le pouvoir[7].

FondĂ© sur de nombreuses sources – enquĂȘtes, interviews, archives –, l'ouvrage Ă©voque dans le dĂ©tail les provinces les plus touchĂ©es Henan, Gansu, Sichuan et Anhui et les localitĂ©s oĂč se sont produites de vĂ©ritables hĂ©catombes avec 20 % de mortalitĂ© dans certains cas[8].

AprĂšs 13 ans d'Ă©tudes sur la Grande Famine, Yang Jisheng indique que le nombre de personnes ayant perdu la vie de façon « anormale » pour l'ensemble de la Chine est de 36 millions et que le dĂ©ficit des naissances durant cette mĂȘme pĂ©riode est estimĂ© Ă  40 millions[3].

Accueil critique

Le sinologue Simon Leys considÚre que l'ouvrage permet « de mesurer dans toute son horreur l'ampleur du crime maoïste dont l'évidence n'échappe plus maintenant qu'à un ou deux philosophes à la mode »[9]. Jean-Luc Domenach précise que cet épisode de l'histoire chinoise n'a jamais été décrit avec tant de vérité. Le cannibalisme, par exemple : « Les enfants ont raconté que les talons et les paumes avaient le meilleur goût. »[8].

Gilles HeurĂ© indique dans TĂ©lĂ©rama que ces StĂšles sont dressĂ©es en « hommage aux 36 millions de morts » de la Grande Famine. Cet ouvrage est non seulement l'analyse statistique « d'une des plus grandes tragĂ©dies du XXe siĂšcle », mais une description « prĂ©cise et implacable », construite grĂące Ă  la consultation d'archives, avec le complĂ©ment d'une centaine d'entretiens. Selon HeurĂ©, les descriptions du cannibalisme sont « terrifiantes »[10].

L'universitaire et historien Jacques de Saint Victor considĂšre que le travail de Yang Jisheng permet de dĂ©couvrir « la plus effroyable famine du siĂšcle dernier ». L'ouvrage est parfois d'une lecture pĂ©nible, « les scĂšnes de cannibalisme entre parents et enfants sont effroyables », mais l'intĂ©rĂȘt du livre de Yang Jisheng est de comprendre le fonctionnement d'« une dictature incapable de sortir de la folie de ses dirigeants »[4].

Julie Clarini, journaliste du Monde, indique que Yang Jisheng est le premier Chinois Ă  Ă©crire une monographie sur cette question. Il a entrepris une importante enquĂȘte durant treize annĂ©es en effectuant un mĂ©ticuleux travail avec l'aide d'archivistes dans chaque ville chinoise oĂč il s'est rendu. L'ouvrage Ă©vite tout lyrisme[11].

Selon Philippe Grangereau, journaliste de LibĂ©ration, ce livre est une rĂ©vĂ©lation pour les Chinois qui reçoivent toujours un enseignement « biaisĂ© ou carrĂ©ment apocryphe » sur ce sujet. Les manuels scolaires du secondaire dissimulent les vĂ©ritables raisons de la Grande Famine en invoquant « les difficultĂ©s Ă©conomiques les plus graves qu’ait connues le pays », attribuables Ă  des « erreurs de gauche »[2].

Le sinologue et journaliste Philippe Paquet indique que l'ouvrage est interdit en Chine car si la direction communiste actuelle a répudié les excÚs du communisme, elle n'accepte pas de dresser un tableau trop sombre de cette période. Yang s'emploie à restituer le contexte du Grand bond, rappelant que l'ambition de Mao était de brûler les étapes pour atteindre le niveau de développement de la Grande-Bretagne. Il analyse aussi les conséquences de cette « catastrophe » en dressant le bilan systématique, quasiment village par village, des « atrocités » auxquelles le Grand bond a donné lieu. Ici des centaines de cadavres cachés dans les maisons pour que les survivants continuent à percevoir la nourriture des bons de rationnement. Là des « opportunistes de droite » qu'on torture et tue. Les cas de cannibalisme sont innombrables et l'horreur sans limite. Ce document est particuliÚrement détaillé et s'appuie sur des références précises[12].

Lucien Bianco compare la famine en Chine entre 1958 et 1962 avec celle de 1932 et 1933 en Ukraine et en Russie mĂ©ridionale bien que plus modeste avec six millions de morts. En URSS comme en Chine, une stratĂ©gie identique de dĂ©veloppement opĂšre des transferts excessifs de l’agriculture vers l’industrie lourde. Sous l’impulsion du chef, cette stratĂ©gie s’accĂ©lĂšre : Mao impose le Grand Bond et Staline impose le Grand Tournant. Pour les deux dictateurs, auxquels des responsables nationaux pour la Chine ou rĂ©gionaux en Ukraine n’ont pu rĂ©sister, « met en cause la matrice lĂ©ninienne » commune aux deux pouvoirs : « si mal inspirĂ© fĂ»t-il, le pouvoir d’un seul s’est imposĂ© Ă  tous »[13].

Pour Denis Sénié, journaliste de La Voix du Nord, Yang met au jour un « cauchemar ». Des millions de morts et des Chinois conduits au cannibalisme dans un pays ravagé par la faim[14]. Laurent Ballouhey du Monde diplomatique qualifie l'ouvrage « d'exceptionnel » sur le Grand Bond en avant[15].

Le dissident chinois Xu Youyu compare aussi l'ouvrage à L'Archipel du Goulag d'Alexandre Soljenitsyne [16], qui traite du systÚme carcéral et de travail forcé mis en place dans l'Union soviétique.

RĂ©compense

Le livre a reçu le prix Hayek du Manhattan Institute for Policy Research[17].

Publications

Le livre est d'abord paru Ă  Hong Kong en 2008 dans une version de 1 200 pages. Yang Jisheng a ensuite lui-mĂȘme dirigĂ© une version allĂ©gĂ©e destinĂ©e Ă  l'Occident[18].

  • StĂšles. La Grande Famine en Chine, 1958-1961, Seuil, 660 p., 2012.
  • 汓籑 ïŒïŒäž­ćœ‹ć…­ććčŽä»Łć€§é„‘è’çŽ€ćŻŠ (Mu Bei - - Zhong Guo Liu Shi Nian Dai Da Ji Huang Ji Shi - StĂšle funĂ©raire, chronique de la grande famine dans la Chine des annĂ©es 1960[19]) Hong Kong: Cosmos Books (Tian Di Tu Shu), deux volumes, 2008, 1096 p. (ISBN 978-988-211-909-3) (zh)

Articles connexes

Lien externe

Références

  1. StĂšles : la grande famine en Chine 1958-1961" de Jisheng Yang chez Seuil (Paris, France), 20minutes.fr, 30 septembre 2012.
  2. Philippe Grangereau Dans l’empire de la faim LibĂ©ration, 29 septembre 2012.
  3. Xu Youyu, « Une stĂšle pour les 36 millions de victimes de la Grande famine », Perspectives chinoises [En ligne], 2009/1 | janvier-mars 2009, mis en ligne le 01 avril 2011, consultĂ© le 09 octobre 2012. URL : http://perspectiveschinoises.revues.org/5202
  4. Jacques de Saint Victor, Les horreurs de Mao Le Figaro, 12 septembre 2012
  5. Pierre Haski, L’enquĂȘte implacable d’un Chinois sur les 36 millions de morts de Mao, Aujourd'hui la Chine et Rue89, 24 septembre 2012.
  6. Anne Applebaum, When China Starved Washington Post, 12 août 2008.
  7. Alain Roux, Le Grand Bond en avant... vers la famine en Chine L'Humanité, 15 Avril, 2013
  8. Jean-Luc Domenach, 36 millions de morts de faim Revue L'Histoire, 30 août 2012
  9. Pierre Boncenne, Le Parapluie de Simon Leys, 2015, page 47
  10. Gilles Heuré, StÚles. La grande famine en Chine (1958-1961), Télérama,
  11. Julie Clarini, Le maoïsme inculqué par la faim. "StÚles", de Yang Jisheng Le Monde, 14 septembre 2012.
  12. Philippe Paquet, revue L'Histoire, octobre-décembre 2012.
  13. Lucien Bianco Chine-URSS Les origines des grandes famines 10 janvier 2013
  14. Denis SĂ©niĂ© La famine d'État du Grand Bond en avant a trouvĂ© son mĂ©morial officieux : « StĂšles » La Voix du Nord, 9 mai 2013
  15. StĂšles. La Grande Famine en Chine, 1958-1961 Le Monde diplomatique, fĂ©vrier 2013
  16. Xu Youyu, Une stĂšle pour les 36 millions de victimes de la Grande Famine Perspectives chinoises, 1 avril 2009
  17. Reading Hayek in Beijing, Wall Street Journal.
  18. Adrien Gombeaud, Famine et düner de gala dans la Chine de Mao Les Échos, 16 octobre 2012
  19. Lucien Bianco, De la famine chinoise aux famines communistes Perspectives chinoises,
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