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SĂ©pulcre de saint Dominique

Le sĂ©pulcre de saint Dominique (arca di San Domenico en italien) mort le dans le couvent qu’il fonda Ă  Bologne, se trouve dans la basilique qui porte son nom dans cette ville (fig. 1), plus prĂ©cisĂ©ment dans une chapelle qui est dĂ©diĂ©e Ă  saint Dominique (fig. 2), ouverte sur le collatĂ©ral de droite[1].

  • Fig. 1.Basilique Saint-Dominique, Bologne.
    Fig. 1.Basilique Saint-Dominique, Bologne.
  • Fig. 2.Chapelle Saint-Dominique.
    Fig. 2.Chapelle Saint-Dominique.
SĂ©pulcre de saint Dominique
Artiste
Nicola Pisano; Arnolfo di Cambio; NiccolĂČ dell'Arca; Michelangelo; Alfonso Lombardi
Date
1264 (début)
Technique
sculpture sur marbre
Mouvement
Localisation
Basilique Saint-Dominique, Bologne (Italie)
Coordonnées
44° 29â€Č 22″ N, 11° 20â€Č 40″ E
GĂ©olocalisation sur la carte : Émilie-Romagne
(Voir situation sur carte : Émilie-Romagne)
GĂ©olocalisation sur la carte : Italie
(Voir situation sur carte : Italie)

Son aspect actuel est le fruit de plusieurs interventions effectuées entre les XIIIe et XVIIIe siÚcles.

C'est l'une des plus importantes Ɠuvres d'art de la ville, elle tĂ©moigne de la virtuositĂ© de Nicola Pisano, Arnolfo di Cambio, NiccolĂČ dell'Arca, Michelangelo Buonarroti et Alfonso Lombardi.

Histoire

1er sépulcre (1221)

À sa mort, la dĂ©pouille fut placĂ©e dans un cercueil en bois. Celui-ci fut soigneusement fermĂ© avec des clous en fer et dĂ©posĂ© dans une fosse que l'on avait creusĂ©e semble-t-il, derriĂšre le maĂźtre-autel, entre celui-ci et un second autel qui s'Ă©levait au fond du chƓur de la petite Ă©glise du couvent (chiesa di San NicolĂČ delle Vigne) qui se trouvait Ă  l'emplacement actuel de la basilique San Domenico. On entoura la tombe de forts murs en briques sur lesquels on plaça encore une grande pierre fixĂ©e par du ciment[2].

Le nombre des frĂšres ayant rapidement augmentĂ©, il fallut agrandir le couvent et l’église. Pour cela, on dut dĂ©molir le chƓur oĂč se trouvait la tombe du grand patriarche et celle-ci resta dĂšs lors exposĂ©e au soleil et Ă  la pluie, n’étant protĂ©gĂ©e que par les dĂ©bris de la dĂ©molition. Cet Ă©tat des choses Ă©tait en plein accord avec l’humilitĂ© des frĂšres, d’aucuns trouvĂšrent toutefois que cela Ă©tait bien peu respectueux du fondateur de l’ordre.

2e sĂ©pulcre (1233 – 1244 ?)

Une premiĂšre translation fut donc rĂ©alisĂ©e, avec l’accord du pape GrĂ©goire IX, au cours de la nuit du 23 au . Les reliques furent placĂ©es dans un nouveau cercueil de bois, portĂ© dans la chapelle oĂč s’élevait le nouveau tombeau de marbre sans ornement[3] (il s’agit de l’actuelle chapelle de sainte Catherine de Sienne qui s’ouvre sur le collatĂ©ral de droite[4]).

Le de l’annĂ©e suivante, 1234, saint Dominique fut canonisĂ© par GrĂ©goire IX. Des auteurs ont avancĂ© que le aurait eu lieu une nouvelle translation des restes du saint ; ce rĂ©cit n’est nullement confirmĂ© par les documents de l’époque et si quelque changement eut lieu, ce fut seulement la translation de la tombe entiĂšre d’un endroit Ă  un autre[3]. Ce nouveau tombeau aurait Ă©tĂ© une simple pierre en marbre blanc, de forme carrĂ©e, qui couvrait un sarcophage surĂ©levĂ© et sans sculpture[5]. Il n’est pas non plus possible de fixer avec certitude l’endroit oĂč se trouvait ce monument, tant on a modifiĂ© l’église depuis cette Ă©poque. Il est nĂ©anmoins trĂšs probable qu’il s’élevait devant le chƓur des religieux, dans le collatĂ©ral de gauche, tout prĂšs de l’autel qui servait pour les fidĂšles[3].

Le , l’ancienne Ă©glise San NicolĂČ delle Vigne, refaite et agrandie, fut consacrĂ©e Ă  nouveau par le pape Innocent IV, et prit dĂšs lors le titre de San Domenico.

3e sépulcre ; 1re intervention (1264 - 1267)

Le sarcophage que nous connaissons fut probablement commencĂ© en 1264[6] - [7]. Il fut trĂšs certainement voulu et mis en Ɠuvre par le bienheureux Giovanni da Vercelli, premier prieur du couvent dominicain de Bologne, Ă©lu la mĂȘme annĂ©e maĂźtre de l’ordre des PrĂȘcheurs[8]. Le travail fut confiĂ© au sculpteur et architecte Nicola Pisano. L’Ɠuvre Ă©tant achevĂ©e, les reliques de saint Dominique furent translatĂ©es dans un nouveau cercueil de cyprĂšs et dĂ©posĂ©es dans le sarcophage le , jour de la PentecĂŽte. Quant Ă  son emplacement, on suppose qu’il fut celui du tombeau antĂ©rieur, il fut entourĂ© d’une balustrade en marbre et resta ainsi jusqu’au [3].

Le les dominicains commencĂšrent la rĂ©alisation de l’actuelle chapelle dĂ©diĂ©e Ă  saint Dominique, dont les travaux ne s’achĂšveront qu’en 1413.

En , on ouvrit le sarcophage pour vĂ©rifier les reliques et sĂ©parer la tĂȘte du saint qui fut placĂ©e alors dans un reliquaire spĂ©cial rĂ©alisĂ© par Jacopo Roseto da Bologna (fig. 3)[3].

Fig. 3. Reliquaire de Jacopo Roseto

Le , le sarcophage fut transfĂ©rĂ© dans la nouvelle chapelle en cours de rĂ©alisation et placĂ© en position surĂ©levĂ©e, dans la zone occupĂ©e aujourd’hui par l’escalier d’accĂšs[9] ; c’est Ă  l’occasion de ce transfert que furent perdues les cariatides dont nous parlerons plus tard.

3e sĂ©pulcre ; 2e intervention (1469 – 1473)

PlacĂ© ainsi dans cette vaste chapelle, les Bolonais considĂ©rĂšrent que le sarcophage demandait Ă  ĂȘtre parachevĂ©.

Le contrat en date du par lequel les sĂ©nateurs et les Anciens de la ville, ensemble avec la communautĂ© dominicaine, chargĂšrent NiccolĂČ da Puglia[10] de la rĂ©alisation d’une cimaise, nous est parvenu. En cette occasion, en prĂ©sence de toutes les personnalitĂ©s impliquĂ©es, l’artiste prĂ©senta la maquette dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ©e de la partie architectonique et dĂ©corative de son projet, il s’engagea Ă  le rĂ©aliser en 2 ans 1⁄2 Ă  partie du . L’acte Ă©numĂšre les 21 statues devant composer l’Ɠuvre. En outre, NiccolĂČ s’oblige Ă  se rendre personnellement et immĂ©diatement Ă  Carrare pour choisir et acheter le marbre nĂ©cessaire. De fait, NiccolĂČ implanta promptement son chantier dans l’enceinte mĂȘme du couvent et se mit Ă  l’Ɠuvre. Il ne l’acheva que 4 annĂ©es plus tard ; plus prĂ©cisĂ©ment le , NiccolĂČ mit solennellement en place la cimaise sur le sarcophage de Nicola. Toutefois et malgrĂ© ce retard, la cimaise Ă©tait loin d’ĂȘtre complĂšte : des 21 statues prĂ©vues il en manquait 5, ainsi que la prĂ©delle. Sans que les raisons nous soient parvenues, NiccolĂČ interrompit lĂ  son travail[11]. Que NiccolĂČ soit revenu quelques annĂ©es avant sa mort, le , pour achever l’ouvrage est possible car des documents mentionnent qu’il aurait travaillĂ© Ă  la cimaise jusqu’à sa mort[12].

3e sépulcre ; derniÚres interventions

À la mort de NiccolĂČ on fut bien dĂ©sorientĂ©, celui-ci n’ayant formĂ© aucun Ă©lĂšve pour continuer son Ɠuvre.

On dĂ©cida de modifier l’idĂ©e premiĂšre ; d’abord on renonça, sur la face postĂ©rieure, au Christ ressuscitĂ©. On dĂ©cida Ă©galement que les statues de saint Thomas et de saint Vincent Ferrier seraient remplacĂ©es par celles de saint Procule et de saint Jean-Baptiste.

Parmi les statues manquantes se trouvait le saint PĂ©trone, patron de Bologne. Il n’est pas exclu que cette statue fut dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ©e et qu’elle ait subi des dommages ou mĂȘme qu’il fallĂ»t la refaire complĂštement. Il est Ă©galement possible, comme mentionnĂ© plus haut que NiccolĂČ soit revenu pour l’achever mais que son dĂ©cĂšs en interrompĂźt l’exĂ©cution.

C’est Ă  cette Ă©poque qu’intervint un jeune homme qui n’avait pas encore vingt ans : Michelangelo Buonarroti. Les Ă©lĂ©ments qui nous sont parvenus sont les suivants : on sait que l’artiste quitta Florence avant le , qu’il fit alors un sĂ©jour d’un peu plus d’un an Ă  Bologne, qu’il retourna Ă  Florence fin 1495[13]. Durant son sĂ©jour Ă  Bologne, Michelangelo rĂ©alisa trois statues pour complĂ©ter la cimaise.

MalgrĂ© l’intervention de Michelangelo, le sĂ©pulcre restait inachevĂ©, manquait toujours la prĂ©delle et une statue de saint Jean-Baptiste prĂ©vue Ă  la partie postĂ©rieure.

La prĂ©delle fut exĂ©cutĂ©e en 1532 par le sculpteur Alfonso Lombardi ; la date et la signature sont gravĂ©es dans la partie mĂ©diane de l’Ɠuvre.

La statue de saint Jean-Baptiste fut réalisée en 1536 ou 1537 par le sculpteur bolonais Girolamo Cortellini[14].

En 1768, l’atelier de J.-B. Boudard exĂ©cuta le bas-relief de l’autel[15].

Le sarcophage de Nicola Pisano

Dans la chronologie des autres Ɠuvres de Nicola, le sarcophage fut commencĂ© environ 4 ans aprĂšs l’achĂšvement de la chaire de Pise et un an avant le dĂ©but de l’exĂ©cution de celle de Sienne[6]. Lorsque la rĂ©alisation du sarcophage lui est confiĂ©e, Nicola et ses Ă©lĂšves, y compris son fils Giovanni, sont dĂ©jĂ  occupĂ©s Ă  des travaux de longue durĂ©e sur la cathĂ©drale et surtout le baptistĂšre de Pise. En 1265, quand se concrĂ©tise le contrat pour la chaire de Sienne, ni le chantier de Pise ni le sarcophage de Bologne ne sont achevĂ©s. Aussi, dans ce document qui nous est parvenu, Nicola se rĂ©serve-t-il le droit de retourner Ă  Pise quatre fois l’an par pĂ©riodes de 15 jours[16]. Il est donc tout Ă  fait probable que le sarcophage de saint Dominique fut rĂ©alisĂ© en grande partie dans l’atelier de Nicola Ă  Pise. Ceci explique pourquoi la tradition a toujours assignĂ© l’Ɠuvre Ă  Nicola, alors que le maĂźtre laissa la presque totalitĂ© de l’exĂ©cution aux soins de ses Ă©lĂšves ; elle devait dĂ©jĂ  ĂȘtre bien avancĂ©e lorsqu’en Nicola se transfĂ©ra Ă  Sienne avec la plus grande partie de ses Ă©lĂšves, n’en laissant qu’un minimum pour l’achever[17].

À cette Ă©poque, l’organisation du travail est encore celle de l’atelier mĂ©diĂ©val. Les tĂąches sont non seulement divisĂ©es par parties de l’ensemble mais les reliefs sont Ă©galement divisĂ©s par personnage et mĂȘme peut-ĂȘtre par parties de personnage. Cette rĂ©partition perdurera tout au cours du XIVe siĂšcle, spĂ©cialement en Italie. Pour le sarcophage, ce mode de collaboration rĂ©gira le travail de quatre des plus grands maĂźtres de l’époque, c’est un fait qui ne se reproduira plus dans une telle mesure et dans une telle forme dans l’histoire de l’art italien[18].

Nous verrons plus loin ce que nous pensons ĂȘtre le dĂ©roulement dĂ©taillĂ© des travaux du sarcophage mais l’on peut dĂ©jĂ  noter que :

  • la main de Guglielmo sur le sarcophage est certaine lorsque l’on compare ce qui lui est attribuĂ© sur le sarcophage avec la chaire de San Giovanni Fuorcivitas Ă  Pistoia (fig. 4 & 5), et il est peut-ĂȘtre seul Ă  la fin de l’exĂ©cution et Ă  l’assemblage du sarcophage, alors que Nicola et tous ses aides Ă©taient absorbĂ©s par le travail siennois[19]. Le , lors de la translation du corps de saint Dominique, il est le seul reprĂ©sentant de l’atelier ; Nicola et ses Ă©lĂšves sont tous trop occupĂ©s Ă  Sienne pour se dĂ©placer Ă  Bologne[20] ;
  • Arnolfo Ă©tait trĂšs jeune Ă  l’époque de la rĂ©alisation du sarcophage et devait ĂȘtre fortement influencĂ© par le maĂźtre[21]. On ne peut supposer qu’Arnolfo, l’un des plus importants Ă©lĂšves de Nicola, soit restĂ© longtemps Ă  Bologne. Il est attestĂ© par ailleurs qu’au mois de , aprĂšs plusieurs demandes restĂ©es sans effet, le commanditaire de la chaire de Sienne menace Nicola de sanction financiĂšre pour obtenir la prĂ©sence immĂ©diate d’Arnolfo sur le chantier, comme prĂ©vu au contrat[22] ;
  • Giovanni Pisano n’a certainement pas participĂ© Ă  la rĂ©alisation du sarcophage, trop occupĂ© Ă  Pise et ensuite Ă  Sienne[23] ;
  • Fig. 4. Chaire de Fra Guglielmo, Pistoia.
    Fig. 4. Chaire de Fra Guglielmo, Pistoia.
  • Fig; 5. Face antĂ©rieure de la chaire.
    Fig; 5. Face antérieure de la chaire.

Description de l’Ɠuvre

Le monument pensĂ© par Nicola pour la sĂ©pulture du saint est un grand sarcophage parallĂ©lĂ©pipĂ©dique en marbre, animĂ© sur l’ensemble de la pĂ©riphĂ©rie par des reliefs ininterrompus Ă©mergents d’un fond d’émail vitreux colorĂ© (fig. 6)[24], sĂ©parĂ©s de statues intercalĂ©es sans solution de continuitĂ©, terminĂ© en haut par une guirlande de feuilles et d’oiseaux de style gothique[25].

Fig. 6. Fond d'émail vitreux coloré.

Les reliefs cĂ©lĂšbrent et dĂ©crivent la vie et les miracles du saint avec une richesse dans les inventions narratives, une intensitĂ©, une vivacitĂ© et des caractĂ©ristiques naturalistes dont on ne peut trouver aucun prĂ©cĂ©dent dans l’art italien[26].

La beautĂ© et l’originalitĂ© de l’architecture sont souvent oubliĂ©es du fait des modifications subies. Le sarcophage reposait sur des bases figuratives qui lui furent ĂŽtĂ©es au XVe siĂšcle quand il fut dĂ©placĂ© dans la nouvelle chapelle, rapprochĂ© de l’autel, fixĂ© sur une base de maçonnerie plus solide et couronnĂ© de la grande cimaise dressĂ©e en 1469 par NiccolĂČ dell’Arca. Il faut dĂšs lors, pour retrouver son aspect primitif, faire abstraction de son couronnement postĂ©rieur et imaginer au-dessous du puissant soubassement polychrome, un espace scandĂ© par les cariatides perdues.

Il est incontestable que les cariatides devaient correspondre aux statuettes supĂ©rieures, comme sur le monument de saint Pierre de VĂ©rone dans Sant’Eustorgio Ă  Milan (fig. 7) et que les chapiteaux de soutien devaient correspondre aux saillies du coffre en marbre. Les cariatides Ă©taient certainement au nombre de six : quatre aux angles, deux au centre[27].

Fig. 7. Monument de saint Pierre de VĂ©rone.
Saint Dominique ressuscitant le jeune Napoléon Orsini tombé de cheval

Sur la face antĂ©rieure, un des deux reliefs reprĂ©sente le saint ressuscitant le jeune NapolĂ©on Orsini[28] tombĂ© de cheval et le mĂȘme saint rendant Ă  sa mĂšre son fils ressuscitĂ© (fig. 8). Ce mode de composition se retrouve sur les sarcophages romains et palĂ©ochrĂ©tiens, il appartient substantiellement Ă  Nicola, mais il semble qu’il ne dut donner ici que quelques suggestions, que l’idĂ©e mĂȘme de la composition ait Ă©tĂ© conduite et dĂ©veloppĂ©e par un autre artiste[29].

Si on isole les femmes qui se trouvent Ă  gauche (fig. 8a), il semble facilement reconnaissable dans ces raffinĂ©es et riches matrones, le sang aristocratique et antique que l’on retrouve dans les personnages des arts libĂ©raux de la chaire de Sienne, avec les mĂȘmes incisions minutieuses, le mĂȘme style dans les plis et les mains et la ressemblance des physionomies. Nettement distinguĂ© d’Arnolfo, de Nicola et de Giovanni, il semble lĂ©gitime de supposer que ce quatriĂšme et notable artiste qui eut un rĂŽle important pour Bologne et pour Sienne ne soit autre que Lapo, le collaborateur principal du maĂźtre et d’Arnolfo : en effet, Nicola devait avoir confiĂ© Ă  Lapo et Arnolfo, deux ans auparavant, la part la plus importante du travail du sarcophage. L’identification de la part de Lapo est prĂ©pondĂ©rante sur la face antĂ©rieure du sarcophage.

Le saint Dominique qui prie en invoquant le miracle (fig. 8b) nous transporte dans un monde poĂ©tique et mystique que l’on dirait opposĂ© au prĂ©cĂ©dent. On se trouve avant tout, devant une simplification nue du visage qui sort impĂ©rieux et essentiel d’un marbre sculptĂ© avec force ; un visage qui descend dans le drame duquel les autres semblent s’évader distraitement. Si l’on regarde ce visage de face (et non de profil comme sur la photo), apparaĂźt encore plus surprenant, la tension, la puissance contenue, la concentration qui s’en dĂ©gage. Une courbe unique ferme en un bloc compact le corps en priĂšre ; les mains, rudes, se rejoignent dans les lignes d’un triangle. On ne peut ĂȘtre plus Ă©loignĂ© de la finition douce et polie de Lapo : en fait, dans aucun autre personnage du sarcophage la prĂ©sence d’Arnolfo ne se prĂ©sentera d’une façon aussi claire[30].

Il semble bien que pourrait Ă©galement ĂȘtre de la main d’Arnolfo le personnage placĂ© au-dessus du saint (fig. 8c), ce frĂšre plutĂŽt gras, aux yeux grands ouverts et d’une vitalitĂ© puissante Ă©voque la sculpture Ă©trusque qui fut un Ă©lĂ©ment actif dans la formation et le dĂ©veloppement de l’art d’Arnolfo. Toutefois, la distinction entre Lapo et Arnolfo n’est pas toujours aussi nette que dans le personnage prĂ©cĂ©dent, tant le style des deux artistes comporte des points de rencontres et de convergences qui proviennent d’une Ă©ducation commune par beaucoup d’aspects[31]. En tout cas, il nous semble rencontrer dans la disposition plastique de ce frĂšre « enveloppĂ© », l’esprit artistique d’Arnolfo, mĂȘme s’il est moins Ă©vident que dans le personnage de saint Dominique. Si l’on Ă©largit la vision, on dĂ©couvre plus clairement le visage Ă©mergeant du clerc, vers lequel converge comme un sommet, l’ensemble de la composition du groupe de droite, qui se dĂ©tache ainsi de l’ordre plus fluide et dĂ©nouĂ© de tout le reste du relief. De fait, dans toute cette partie de droite, l’intervention d’Arnolfo semble prĂ©pondĂ©rante[32].

Une diagonale profonde descend du jeune avec un livre qui se penche pour observer, passe par le saint en priĂšre, jusqu’au jeune homme tombĂ© Ă  terre. Il est facile de s’apercevoir que dans cette partie du relief se trouve condensĂ©e une charge humaine et dramatique.

Le groupe de personnages (fig. 8d) rassemblĂ©s autour de celui indiquĂ© comme Ă©tant plus typiquement d’Arnolfo, ainsi que le saint en priĂšre, semblent ĂȘtre une zone oĂč l’Ɠuvre d’Arnolfo s’entremĂȘle avec celle d’un de ses proches collaborateurs que nous cernerons mieux plus loin, dans le relief de la CĂšne de saint Dominique. Afin de le distinguer de Nicola, Arnolfo, Lapo et Fra Guglielmo, nous l’appellerons « le 5e maĂźtre du sarcophage ». Il s’agit d’un sculpteur ayant en commun avec Arnolfo une formation plus directement liĂ©e Ă  la culture gothique, d’une tendance naturaliste. Le personnage du groupe dans lequel le « 5e maĂźtre » est le plus reconnaissable est celui de saint Dominique prĂ©sentant l’enfant ressuscitĂ© Ă  la mĂšre, tellement plus dĂ©licat et adouci que celui du saint en priĂšre.

L’espace d’intervention d’Arnolfo comprend aussi, Ă  la base du relief, la superbe scĂšne du jeune tombĂ© (fig. 8e), un des endroits de la plus haute poĂ©sie et de la plus Ă©levĂ©e expression de tout le sarcophage, que l’on doit certainement Ă  la directe exĂ©cution d’Arnolfo. Un de ses camarades soutient doucement le corps privĂ© de vie, l’autre maintient la tĂȘte surĂ©levĂ©e du sol, le bras inerte et pesant retombe Ă  terre. Sur la face immobile semble s’ĂȘtre figĂ© un sourire affleurant. Surprenant, aprĂšs avoir vu les prĂ©cĂ©dents personnages, de dĂ©couvrir en Arnolfo cet aspect d’une grĂące limpide, d’une eurythmie sereine, de dĂ©couvrir ses capacitĂ©s Ă  trouver des formes et des rythmes d’une puretĂ© hellĂ©nique.

ArrĂȘtons le regard sur quelques points bien prĂ©cis de ce premier relief qui dĂ©montrent combien il est nĂ©cessaire de rĂ©viser l’opinion excluant de tout le sarcophage l’intervention directe de Nicola, soit en assignant toute l’Ɠuvre Ă  Fra Guglielmo, soit en attribuant une trop grande part Ă  Arnolfo comme cela a Ă©tĂ© fait trop souvent. Ainsi par exemple, la tĂȘte de la matrone au milieu du plan supĂ©rieur du relief (fig. 8f), alors qu’il est superflu de noter qu’elle est assez Ă©loignĂ©e du style d’Arnolfo, se diffĂ©rencie aussi notablement des tĂȘtes de Lapo mĂȘme si dans ce cas elle apparait assez proche et qu’il soit intervenu dans son exĂ©cution, elle est nĂ©anmoins en totale adĂ©quation avec la maĂźtrise de Nicola. Également dans le plan supĂ©rieur du relief, apparaĂźt la marque incomparable du gĂ©nie de Nicola dans la tĂȘte de la vieille et dans celle du personnage viril qui se trouve Ă  son cĂŽtĂ© (fig. 8g) : morceau d’inspiration classique, Ă©laborĂ© ici par Nicola, croyons-nous sans intervention d’aucun aide, comme pour apposer ici sa signature et le tĂ©moignage de sa prĂ©sence Ă  cĂŽtĂ© des Ă©lĂšves Ă  qui il avait confiĂ© l’exĂ©cution de la presque totalitĂ© du relief[33].

  • Fig. 8. La rĂ©surrection de Napoleone Orsini (Nicola, Lapo et Arnolfo).
    Fig. 8. La résurrection de Napoleone Orsini (Nicola, Lapo et Arnolfo).
  • Fig. 8a. La rĂ©surrection de Napoleone Orsini, dĂ©tail (Lapo).
    Fig. 8a. La résurrection de Napoleone Orsini, détail (Lapo).
  • Fig. 8b. La rĂ©surrection de Napoleone Orsini, dĂ©tail (Arnolfo).
    Fig. 8b. La résurrection de Napoleone Orsini, détail (Arnolfo).
  • Fig. 8c. La rĂ©surrection de Napoleone Orsini, dĂ©tail (Arnolfo).
    Fig. 8c. La résurrection de Napoleone Orsini, détail (Arnolfo).
  • Fig. 8d. La rĂ©surrection de Napoleone Orsini, dĂ©tail (Arnolfo et 5e maĂźtre).
    Fig. 8d. La résurrection de Napoleone Orsini, détail (Arnolfo et 5e maßtre).
  • Fig. 8e. La rĂ©surrection de Napoleone Orsini, dĂ©tail (Arnolfo).
    Fig. 8e. La résurrection de Napoleone Orsini, détail (Arnolfo).
  • Fig. 8f. La rĂ©surrection de Napoleone Orsini, dĂ©tail (Nicola et Lapo).
    Fig. 8f. La résurrection de Napoleone Orsini, détail (Nicola et Lapo).
  • Fig. 8g. La rĂ©surrection de Napoleone Orsini, dĂ©tail (Nicola).
    Fig. 8g. La résurrection de Napoleone Orsini, détail (Nicola).
L’épreuve du feu

Le second relief de la face antĂ©rieure reprĂ©sente l’épreuve du feu qui Ă©pargne le livre sacrĂ© et brĂ»le les livres des hĂ©rĂ©tiques albigeois (fig. 9), oĂč l’on voit Ă  droite les sentiments tristes et corrompus des hĂ©rĂ©tiques, la joie et le triomphe des fidĂšles Ă  gauche. Il prĂ©sente dans l’ensemble des caractĂ©ristiques similaires au prĂ©cĂ©dent : composition du mĂȘme type que celui des sarcophages des premiers siĂšcles, avec la prĂ©pondĂ©rance du travail de Lapo dont l’exĂ©cution s’étend Ă  presque tout le relief. Plus rares sont les interventions d’Arnolfo, Nicola est quasiment absent de l’exĂ©cution. Le style de Lapo apparaĂźt avec le maximum de clartĂ© dans le groupe des trois hĂ©rĂ©tiques Ă  droite et spĂ©cialement dans le couple des deux jeunes, mais il s’étend Ă©galement aux deux personnages intercalĂ©s en haut (fig. 9a)[34]. Partout on trouve ce style minutieux des ivoires et la survivance encore plus Ă©vidente du maniĂ©risme Byzantin, dans les mains accablĂ©es, dans la modulation plastique des mouvements, dans le fastueux goĂ»t ornemental particuliĂšrement visible dans les magnifiques cnĂ©mides (fig. 9b).

Comme toujours dans l’Ɠuvre de Lapo, les rĂ©fĂ©rences aux idĂ©es de Nicola sont frĂ©quentes. Ici le personnage dans lequel se remarque le plus la prĂ©sence du maĂźtre est celui du vieil albigeois (fig. 9c) (Ă  droite du couple des deux jeunes dĂ©jĂ  citĂ©s) qui possĂšde une force dramatique supĂ©rieure Ă  celle des deux jeunes. De mĂȘme le personnage qui surplombe les deux jeunes albigeois (fig. 9d), bien qu’exĂ©cutĂ© comme les autres par Lapo, se distingue par une influence plus directe de Nicola[35].

De mĂȘme nous retrouvons ici l’authentique esprit et l’exĂ©cution directe de Nicola dans le personnage Ă  cĂŽtĂ© du jeune (fig. 9e).

La supposition que ce relief fut le premier exĂ©cutĂ© est suggĂ©rĂ©e par le fait que la personnalitĂ© d’Arnolfo y est moins prĂ©sente que celle de Nicola et de Lapo. Ici la collaboration directe d’Arnolfo se limite peut-ĂȘtre au magnifique personnage central de la rangĂ©e du haut (fig. 9f). Alors mĂȘme que le visage et les tissus sont traitĂ©s selon des critĂšres encore proches de Nicola, Arnolfo se manifeste, croyons-nous, par la claire disposition spatiale, dans la concise dĂ©finition plastique, dans l’élaboration ouverte et lumineuse de la poitrine. Ce personnage anticipe et annonce ceux du miracle de NapolĂ©on Orsini. On reconnaĂźt aussi Arnolfo dans le jeune qui attise le feu Ă  l’aide d’un soufflet Ă  la partie basse du relief, il est un prĂ©lude aux formes d’Arnolfo des ciboriums romains.

La partie gauche du relief (fig. 9g) est une zone plus confuse de collaboration dans laquelle il est quasi impossible d’isoler des styles biens dĂ©finis. À l’Ɠuvre de Lapo que nous avons pu discerner d’une façon cohĂ©rente dans la partie opposĂ©e, s’entremĂȘle ici la collaboration de culture gothique du « 5e maĂźtre »[36].

  • Fig. 9. L'Ă©preuve du feu (Nicola, Lapo et Arnolfo).
    Fig. 9. L'Ă©preuve du feu (Nicola, Lapo et Arnolfo).
  • Fig. 9a. L'Ă©preuve du feu, dĂ©tail (Lapo).
    Fig. 9a. L'épreuve du feu, détail (Lapo).
  • Fig. 9b. L'Ă©preuve du feu, dĂ©tail (Lapo).
    Fig. 9b. L'épreuve du feu, détail (Lapo).
  • Fig. 9c. L'Ă©preuve du feu, dĂ©tail (Nicola et Lapo).
    Fig. 9c. L'épreuve du feu, détail (Nicola et Lapo).
  • Fig. 9d. L'Ă©preuve du feu, dĂ©tail (Lapo).
    Fig. 9d. L'épreuve du feu, détail (Lapo).
  • Fig. 9e. L'Ă©preuve du feu, dĂ©tail (Nicola).
    Fig. 9e. L'épreuve du feu, détail (Nicola).
  • Fig. 9f. L'Ă©preuve du feu, dĂ©tail (Arnolfo).
    Fig. 9f. L'épreuve du feu, détail (Arnolfo).
  • Fig. 9g. L'Ă©preuve du feu, dĂ©tail (Lapo et 5e maĂźtre).
    Fig. 9g. L'épreuve du feu, détail (Lapo et 5e maßtre).

Face postérieure

Que l’esprit et la maniĂšre mĂȘme de la composition change radicalement dans les reliefs postĂ©rieurs est une chose qui apparaĂźt tout de suite avec Ă©vidence. La raison en est claire : les prĂ©cĂ©dents reliefs sont composĂ©s en partie selon Nicola et principalement par Lapo direct disciple de Nicola. Les compositions de ces nouveaux reliefs sont conçues exclusivement par le troisiĂšme maĂźtre qui jusque-lĂ  n’avait eu que des tĂąches quantitativement secondaires : Arnolfo di Cambio. Nicola et Lapo disparaissent[37].

Suivant avant tout les indications des styles et en second lieu les indices fournis par les documents se rapportant aux travaux de l’atelier pisan de Nicola au cours de ces annĂ©es, il est possible de reconstituer le dĂ©roulement des travaux du sarcophage.

Le , Nicola signe le contrat de la rĂ©alisation de la chaire de la cathĂ©drale de Sienne par lequel il s’engage ainsi que ses collaborateurs Arnolfo, Lapo et Giovanni son fils, Ă  se rendre sur place le . Parmi les travaux en cours Ă  la signature de la commande devaient certainement se trouver le sarcophage bolonais dont bien avant cette date Nicola, probablement dĂ©jĂ  occupĂ© par la dĂ©coration du baptistĂšre de Pise, avait confiĂ© l’exĂ©cution Ă  ses deux principaux Ă©lĂšves et collaborateurs : Ă  Lapo en premier lieu car il devait ĂȘtre plus ancien et au jeune Arnolfo ; Nicola se limitant lui-mĂȘme Ă  fournir quelques idĂ©es directrices et Ă  sculpter quelques personnages. Ainsi, le travail des reliefs de la face antĂ©rieure commença avec Lapo dans un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant, Ă  cĂŽtĂ© d’Arnolfo et de Nicola. Lorsque ce dernier signa le contrat siennois, peut-ĂȘtre pensait-il que le travail du sarcophage pouvait ĂȘtre achevĂ© en et donc il s’engageait Ă  amener avec lui ces deux disciples. Ce ne fut pas le cas et au moment de se rendre Ă  Sienne pour commencer la chaire, il partit seul avec Lapo Ă  qui il confia l’exĂ©cution des statues des arts libĂ©raux ainsi que toute la base de la chaire (dont la rĂ©alisation avait peut-ĂȘtre commencĂ© Ă  Pise) et Arnolfo, Ă  qui il avait confiĂ© la charge d’achever le sarcophage ne partit pas. Les religieux siennois protestĂšrent auprĂšs de Nicola afin de faire venir immĂ©diatement Arnolfo comme convenu dans le contrat. L’intimation n’eut pas d’effet immĂ©diat, Arnolfo se hĂąta d’achever le sarcophage de saint Dominique en utilisant largement l’aide de Fra Guglielmo, convers du couvent dominicain de Pise et d’un autre collaborateur inconnu. Le sarcophage fut assemblĂ© Ă  Bologne en . Dans les derniers mois il est possible que Fra Guglielmo travailla seul. Il est certain qu’Arnolfo se rendit Ă  Sienne avant juillet 1267 mais l’on ne connaĂźt pas la date exacte Ă  laquelle il commença Ă  y travailler.

Ainsi, pour les reliefs de la face postĂ©rieure restĂšrent seuls Arnolfo avec Fra Guglielmo comme aide (les reliefs des flancs reprĂ©sentent une pĂ©riode intermĂ©diaire). C’est Arnolfo lui-mĂȘme qui inventa alors la composition, selon des idĂ©es complĂštement diffĂ©rentes et nouvelles et Ă  partir de ce moment Arnolfo procĂšda rapidement Ă  l’élaboration de son style et se distancia nettement de la vision de Nicola[38].

Approbation de l’ordre

Dans le relief de l’approbation de l’ordre (fig. 10), apparait immĂ©diatement avec Ă©vidence l’extraordinaire effet produit par les stries des tissus, les plis des vĂȘtements, la couverture qui descend du lit du pape : il ne s’agit pas d’un effet pictural ou dĂ©coratif mais rythmique et constructif. Ces lignes rĂ©solues, ces sillons d’ombre qui fragmentent les zones de lumiĂšre, relient et coordonnent les divers plans de la composition.

Le rĂ©cit est divisĂ© en trois moments. À gauche, saint Dominique aux pieds d’Innocent III demande l’approbation de la rĂšgle (fig. 10a). On constate que le collaborateur a en partie affaibli le personnage du pape, de toute Ă©vidence conçu par Arnolfo dans une monumentale frontalitĂ©. Arnolfo a lui-mĂȘme sculptĂ© le personnage du saint agenouillĂ©. Au centre, entre deux fractures qui le sĂ©parent des autres, se trouve le saint qui soutient l’Église dĂ©cadente (fig. 10b), personnage rigidement construit dans une correspondance architecturale des forces, de la jambe figĂ©e en terre jusqu’au bras qui supporte le poids de l’Église. L’esprit d’Arnolfo apparaĂźt ici intact alors que le personnage du pape au-dessus, qui voit le saint en songe, porte d’une façon assez Ă©vidente les marques du modelĂ© de Guglielmo[39]. À droite, le pape approuve l’ordre des PrĂȘcheurs et bĂ©nit le saint (fig. 10c). La construction d’Arnolfo est clairement prĂ©sente dans le groupe des deux protagonistes de la scĂšne mais dĂ©cline dans l’exĂ©cution de la tĂȘte du pape et dans celles du frĂšre et des deux clercs du second plan. Ces reprĂ©sentations plus gĂ©nĂ©riques et estompĂ©es rompent l’unitĂ© sentimentale qui, dans l’idĂ©e d’Arnolfo devait se concentrer dans le cercle Ă©troit des personnages et des regards. Cette plus imprĂ©cise dĂ©finition des volumes fait penser que l’exĂ©cution de Guglielmo est largement intervenue ici.

  • Fig. 10. Approbation de l'ordre (Arnolfo et Fra Guglielmo).
    Fig. 10. Approbation de l'ordre (Arnolfo et Fra Guglielmo).
  • Fig. 10a. Approbation de l'ordre, dĂ©tail (Arnolfo et Fra Guglielmo).
    Fig. 10a. Approbation de l'ordre, détail (Arnolfo et Fra Guglielmo).
  • Fig. 10b. Approbation de l'ordre, dĂ©tail (Arnolfo et Fra Guglielmo).
    Fig. 10b. Approbation de l'ordre, détail (Arnolfo et Fra Guglielmo).
  • Fig. 10c. Approbation de l'ordre, dĂ©tail (Arnolfo et Fra Guglielmo).
    Fig. 10c. Approbation de l'ordre, détail (Arnolfo et Fra Guglielmo).
Vocation de Reginaldo

Dans l’autre relief (fig. 11) de la face postĂ©rieure le concept de la composition est le mĂȘme, trahi seulement dans l’épisode de droite par Fra Guglielmo[40].

Commençons par la partie gauche (fig. 11a) oĂč est figurĂ© le bienheureux Reginaldo remettant ses vƓux de religion dans les mains de saint Dominique, elle est de l’exĂ©cution d’Arnolfo. Une taille plus profonde sĂ©pare l’espace oĂč se dĂ©veloppe cette scĂšne de celle oĂč le bienheureux Reginaldo est surpris de fiĂšvre violente entre les bras d’un religieux (fig. 11b). Le motif de la Vierge Ă©vanouie de Nicola Ă  Pise acquiĂšrt une valeur toute diffĂ©rente dans le style d’Arnolfo, bien sĂ»r il se rappelle la lĂąche courbure du corps abandonnĂ© de la Vierge, mais ici le mouvement se verrouille dans une construction ferme d’une masse pesante, dans une architecture prĂ©cise des volumes, dans une tension Ă©quilibrĂ©e des forces ; Ă  la courbe du bras qui soutient le corps Ă  gauche, rĂ©pond Ă  droite celle du bras qui tombe, non encore privĂ© de vie mais rigidifiĂ© dans une contraction douloureuse. Plus Ă  droite, le bienheureux est miraculeusement guĂ©ri par la Vierge qui lui apparaĂźt accompagnĂ©e de deux saintes et lui montre l’habit dominicain (fig. 11c). Le jeune, couchĂ© sur un lit (fig. 11d), touchĂ© par la main miraculeuse, ouvre doucement les yeux Ă  la lumiĂšre[41]. On n’hĂ©site pas Ă  reconnaĂźtre dans ce personnage l’Ɠuvre directe d’Arnolfo. Les tissus sont traitĂ©s avec encore une grande influence de Nicola mais une diffĂ©rente fermetĂ© et vigueur plastique. Peut-ĂȘtre ce relief aurait-il pu ĂȘtre le chef-d’Ɠuvre du sarcophage si Arnolfo ne l’avait pas laissĂ© inachevĂ©. Il est Ă  noter l’élĂ©vation du style des motifs dĂ©coratifs, frises et broderies de goĂ»t archaĂŻque, arabesques sur les vĂȘtements, les tissus, les coussins. Cette Ă©vidence plastique dans la reprĂ©sentation des Ă©toffes ainsi ornĂ©es reviendra frĂ©quemment dans les Ɠuvres plus tardives d’Arnolfo (dans le monument du cardinal de Bray (fig. 12) : les anges et la tenture funĂšbre (fig. 13 & 14) ; dans le sĂ©pulcre d’Honorius IV (fig. 15) et plus particuliĂšrement dans celui de Boniface VIII (fig. 16) dans la grotte vaticane ; dans le ciborium de Sainte-CĂ©cile-du-Trastevere (fig. 17) et ainsi de suite), elle fait partie de son langage qui montre l’ampleur et la richesse de son style[42].

  • Fig. 11. Vocation de Reginaldo (Arnolfo et Fra Guglielmo).
    Fig. 11. Vocation de Reginaldo (Arnolfo et Fra Guglielmo).
  • Fig. 11a. Vocation de Reginaldo, dĂ©tail (Arnolfo).
    Fig. 11a. Vocation de Reginaldo, détail (Arnolfo).
  • Fig. 11b. Vocation de Reginaldo, dĂ©tail (Arnolfo et Fra Guglielmo).
    Fig. 11b. Vocation de Reginaldo, détail (Arnolfo et Fra Guglielmo).
  • Fig. 11c. Vocation de Reginaldo, dĂ©tail (Fra Guglielmo).
    Fig. 11c. Vocation de Reginaldo, détail (Fra Guglielmo).
  • Fig. 11d. Vocation de Reginaldo, dĂ©tail (Arnolfo).
    Fig. 11d. Vocation de Reginaldo, détail (Arnolfo).
  • Fig. 12. SĂ©pulcre du cardinal de Braye.
    Fig. 12. SĂ©pulcre du cardinal de Braye.
  • Fig. 13. SĂ©pulcre du cardinal de Braye, dĂ©tail.
    Fig. 13. Sépulcre du cardinal de Braye, détail.
  • Fig. 14. SĂ©pulcre du cardinal de Braye, dĂ©tail.
    Fig. 14. Sépulcre du cardinal de Braye, détail.
  • Fig. 15. SĂ©pulcre d'Honorius IV.
    Fig. 15. SĂ©pulcre d'Honorius IV.
  • Fig. 16. SĂ©pulcre de Boniface VIII.
    Fig. 16. SĂ©pulcre de Boniface VIII.
  • Fig. 17. Ciborium de sainte CĂ©cile in Trastevere.
    Fig. 17. Ciborium de sainte CĂ©cile in Trastevere.

Faces latérales

Les deux reliefs latĂ©raux se rapportent Ă  une pĂ©riode intermĂ©diaire de l’exĂ©cution du sarcophage.

L’apparition des apĂŽtres et la mission confiĂ©e aux prĂȘcheurs

Moins claire que dans les plaques prĂ©cĂ©dentes, on retrouve la personnalitĂ© d’Arnolfo dans le relief reprĂ©sentant saint Dominique recevant de saint Pierre le livre des Ă©vangiles et de saint Paul le bĂąton symbole du pĂšlerin apostolique et, dans un second plan, saint Dominique transmettant le livre aux confrĂšres continuateurs de sa mission (fig. 18). Cette plaque bien que rentrant dans ce groupe surtout « arnolfique » des sculptures du sarcophage porte encore la trace des maniĂšres de Nicola qui disparaĂźtront dans les deux reliefs de la face postĂ©rieure et dans celui du cĂŽtĂ© droit. Les deux personnages de saint Pierre et de saint Paul ont encore l’empreinte de Nicola, surtout dans le dĂ©veloppement des drapĂ©s qui se diffĂ©rencient de ceux purement du style d’Arnolfo que nous avons vus dans les reliefs de la face postĂ©rieure. Le personnage le plus proche du style d’Arnolfo est celui de saint Dominique agenouillĂ© (fig. 18a)[43]. Par contre la composition de la partie de droite (fig. 18b) se fait plus monotone dans les rĂ©pĂ©titions des comportements et des physionomies des jeunes frĂšres qui ont Ă©tĂ© laissĂ©s Ă  l’exĂ©cution de Fra Guglielmo.

  • Fig. 18. Apparition des apĂŽtres et mission aux prĂȘcheurs (Arnolfo et Fra Guglielmo).
    Fig. 18. Apparition des apĂŽtres et mission aux prĂȘcheurs (Arnolfo et Fra Guglielmo).
  • Fig. 18a. Apparition des apĂŽtres et mission aux prĂȘcheurs, dĂ©tail (Arnolfo er Fra Guglielmo).
    Fig. 18a. Apparition des apĂŽtres et mission aux prĂȘcheurs, dĂ©tail (Arnolfo er Fra Guglielmo).
  • Fig. 18b. Apparition des apĂŽtres et mission aux prĂȘcheurs, dĂ©tail (Arnolfo er Fra Guglielmo).
    Fig. 18b. Apparition des apĂŽtres et mission aux prĂȘcheurs, dĂ©tail (Arnolfo er Fra Guglielmo).
Le miracle des pains apportés à la table du saint

Un chef-d’Ɠuvre de composition sereine et Ă©quilibrĂ©e, certainement d’Arnolfo, organise le second relief latĂ©ral reprĂ©sentant deux anges Ă  l’aspect de jeunes hommes portant le pain de la Providence Ă  la table du saint (fig. 19). C’est le relief dans lequel la reprĂ©sentation de l’espace est la plus prĂ©cise. Sur les premiers plans s’insĂšrent les deux superbes jeunes hommes (fig. 19a), nettement dĂ©tachĂ©s et isolĂ©s dans l’atmosphĂšre qui les entoure. Ils semblent ĂȘtre les mĂȘmes que ceux du premier relief examinĂ© du jeune NapolĂ©on Orsini tombĂ© de cheval. Les jeunes hommes, les pains, la table ornĂ©e des motifs « arnolfiques » sont exprimĂ©s avec la mĂȘme admirable clartĂ© et cette partie de la scĂšne constitue Ă  elle seule un chef-d’Ɠuvre d’Arnolfo.

La sĂ©rie des frĂšres disposĂ©s autour de la table (fig. 19b) pose par contre un autre problĂšme. Ici en effet se prĂ©sente pour la premiĂšre fois avec une belle Ă©vidence, la prĂ©sence d’un autre collaborateur d’Arnolfo que nous avons dĂ©signĂ© faute de mieux le « 5e maĂźtre », dans les endroits de la face antĂ©rieure oĂč nous avons dĂ©jĂ  cru le rencontrer. Il s’agit d’un artiste diffĂ©rent par son style des quatre dĂ©jĂ  identifiĂ©s. Il semble plus proche d’Arnolfo que les autres par son orientation culturelle, Ă  telle enseigne que par moments les deux personnalitĂ©s convergent vers un point de rencontre oĂč il devient extrĂȘmement difficile de les distinguer. Les formes de ce sculpteur semblent quasiment s’identifier avec la limite extrĂȘme du gothique d’Arnolfo[44], mais en rĂ©alitĂ©, Arnolfo n’atteint jamais Ă  aucun moment cette spontanĂ©itĂ© expressive que nous voyons sur les visages souriants et fins de ces frĂšres qui reprĂ©sentent peut-ĂȘtre le point extrĂȘme dans tout le XIIIe siĂšcle italien de ce naturalisme gothique de provenance nordique. Il y a lĂ  une inspiration diffĂ©rente, un style diffĂ©rent, oscillant avec souplesse entre une Ă©lĂ©gance rythmique lĂ©gĂšre et une vive spontanĂ©itĂ© naturaliste : un Ă©cho plus direct de la culture artistique septentrionale et en particulier française. Il n’est pas Ă  exclure que le « 5e maĂźtre » ne fut pas toscan, peut-ĂȘtre un moine sculpteur d’un autre niveau que celui de Fra Guglielmo.

Le visage de saint Dominique (fig. 19c) reprĂ©sentĂ© au centre de ce relief a des traits tellement plus tendres et subtils que ceux des autres visages du mĂȘme relief par Arnolfo et d’autre part, une telle affinitĂ© avec le visage du saint qui prĂ©sentant le jeune ressuscitĂ© Ă  sa mĂšre et celui du saint qui assiste Ă  l’épreuve du feu, que cela confirme l’hypothĂšse que le « 5e maĂźtre » soit le mĂȘme qui se manifeste dans les parties plus gothiques et naturalistes des deux reliefs de la face antĂ©rieure du sarcophage[45], dans la pĂ©riode de travail encore dominĂ©e par Nicola et surtout par Lapo. Ici, dans la seule collaboration avec Arnolfo, son Ɠuvre s’accorde avec celle de son compagnon de travail dans une plus stricte homogĂ©nĂ©itĂ© de l’élĂ©ment naturaliste, de la mesure rythmique et spatiale qui se rencontrent et se fondent en un rĂ©sultat heureux.

  • Fig. 19. Le miracle des pains (Arnolfo et 5e maĂźtre).
    Fig. 19. Le miracle des pains (Arnolfo et 5e maĂźtre).
  • Fig. 19a. Le miracle des pains, dĂ©tail (Arnolfo).
    Fig. 19a. Le miracle des pains, détail (Arnolfo).
  • Fig. 19b. Le miracle des pains, dĂ©tail (5e maĂźtre).
    Fig. 19b. Le miracle des pains, détail (5e maßtre).
  • Fig. 19c. Le miracle des pains, dĂ©tail (5e maĂźtre).
    Fig. 19c. Le miracle des pains, détail (5e maßtre).

Statues intercalées

Il nous reste à voir les statues intercalées entre les reliefs (fig. 20 & 21).

Nous retrouvons Ă  nouveau dans les visages des deux saints docteurs (fig. 20 droite et 21 droite), parmi les quatre positionnĂ©s aux angles du sarcophage, les caractĂ©ristiques du saint Dominique de la CĂšne. En comparaison des frĂšres de la CĂšne, ces statues sont plus proches des modes constructives et de la rythmique d’Arnolfo mais, effilĂ©es dans un rythme dĂ©licieusement chantant, elles correspondent mieux Ă  la fluide et subtile Ă©lĂ©gance du « 5e maĂźtre ».

Cette autre statue d’angle (fig. 21 gauche), la plus mĂ©diocre du sarcophage, peut-ĂȘtre remaniĂ©e aprĂšs coup, surtout le visage, a Ă©tĂ© sculptĂ©e par un artiste, Fra Guglielmo, qui l’a faite plus basse que les autres ; il semble ne pas avoir compris la fonction assignĂ©e Ă  cette statue dans l’architecture d’ensemble.

À l’inverse, la statue du saint docteur (fig. 20 gauche) qui se trouve Ă  la limite gauche de la face antĂ©rieure est d’une grande qualitĂ©. La relation entre-elle et des personnages de la chaire de la cathĂ©drale de Sienne apparaĂźt immĂ©diatement : le mĂȘme imposant drapĂ© que l’on retrouve dans les plus belles statues de Nicola[46], surtout la Vierge Ă  l’enfant. S’il y eut au cours de l’exĂ©cution l’assistance d’un collaborateur, qui dans cette Ă©ventualitĂ© pourrait avoir Ă©tĂ© Arnolfo, il n’y a pas de signe visible d’une personnalitĂ© diffĂ©rente et l’Ɠuvre reste substantiellement la parfaite reprĂ©sentation du travail de Nicola Ă  l’époque entre Pise et Sienne.

Le problĂšme se reprĂ©sente d’une façon analogue pour la statue du RĂ©dempteur(fig. 10d) : quelque chose dans l’exĂ©cution retient d’avancer comme certain le nom de Nicola ; une certaine rigiditĂ©, une certaine schĂ©matisation gĂ©omĂ©trique qui ne semble pas s’accorder en tous points avec la fluiditĂ© hellĂ©nistique et dans laquelle l’inspiration classique est rĂ©solue en un nouveau chant plus libre. Mais presque tous les doutes et rĂ©serves disparaissent en observant la splendide tĂȘte qui nous transporte dans le monde poĂ©tique de Nicola. Si l’on observe dans son ensemble la face postĂ©rieure du sarcophage, il devient Ă©vident que cette statue du RĂ©dempteur, placĂ©e entre les deux plaques sculptĂ©es par Arnolfo, appartient Ă  une phase et posture stylistique certainement exĂ©cutĂ©e ensemble avec la Vierge de la face opposĂ©e, dans la premiĂšre phase des travaux du sarcophage.

Sans aucun doute la Vierge Ă  l’enfant au centre de la face antĂ©rieure (fig. 22) a Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e selon les idĂ©es de Nicola, mais contrairement aux deux prĂ©cĂ©dentes statues, l’expression directe du maĂźtre n’y est pas reconnaissable, Ă©cartĂ©e par la qualitĂ© mĂȘme plus que par le style de la sculpture. Nous croyons que le problĂšme assez embrouillĂ© de cette sculpture trouve sa rĂ©solution dans le domaine dĂ©jĂ  examinĂ© de la collaboration Lapo Arnolfo de la premiĂšre phase d’exĂ©cution du sarcophage rĂ©alisĂ©e sous la plus directe influence et en partie avec l’intervention de Nicola[47].

Nous pensons que cette lecture du monument peut convaincre non seulement de la complexitĂ© de son histoire mais aussi de la richesse des motivations poĂ©tiques qu’il comporte et induit Ă  le placer dans une position de prĂ©Ă©minence parmi les monuments de la plus haute importance de la sculpture pisane.

  • Fig. 20. Statues intercalaires (gauche : Nicola et Arnolfo, droite : 5e maĂźtre).
    Fig. 20. Statues intercalaires (gauche : Nicola et Arnolfo, droite : 5e maĂźtre).
  • Fig. 21. Statues intercalaires (gauche: Fra Guglielmo, droite: 5e maĂźtre).
    Fig. 21. Statues intercalaires (gauche: Fra Guglielmo, droite: 5e maĂźtre).
  • Fig. 10d. Le rĂ©dempteur (Nicola et Arnalfo).
    Fig. 10d. Le rédempteur (Nicola et Arnalfo).
  • Fig. 22. Vierge Ă  l'enfant (Arnolfo et Lapo).
    Fig. 22. Vierge Ă  l'enfant (Arnolfo et Lapo).

La cimaise de NiccolĂČ dell’Arca

Un regard superficiel de la partie dĂ©corative de la cimaise de NiccolĂČ (fig. 23) suffit Ă  dĂ©celer des affinitĂ©s avec l’art toscan. Plus dans le choix des motifs que dans leur rĂ©alisation formelle : on ne trouverait pas en Toscane cette charge opulente de l’ornementation, cette accentuation des reliefs, cette intensitĂ© des couleurs, des clairs-obscurs aussi contrastĂ©s[48], qui sont les caractĂ©ristiques stylistiques de la somptueuse dĂ©coration du Castel Nuovo de Naples lesquelles[49], chez NiccolĂČ, se rencontrent et se fondent avec le goĂ»t gothique d’un Sluter.

Abstraction faite de telles particularitĂ©s dĂ©coratives, la cimaise prise dans les ondulations rythmĂ©es de ses personnages Ă©lancĂ©s, s’élĂšve telle une Ă©manation aĂ©rienne et lĂ©gĂšre au-dessus du compact et terrestre sarcophage, jusqu’à l’Éternel sur son globe sommital et apparaĂźt lĂ  aussi Ă©troitement liĂ©e au goĂ»t de l’art gothique (fig. 24). Ce que suggĂšre l’Ɠuvre dans son ensemble confirme et Ă©claire l’examen des splendides statues disposĂ©es en un Ă©quilibre prĂ©caire sur des volutes, dont le summum de la plus haute poĂ©sie de l’ouvrage se trouve peut-ĂȘtre dans les quatre Ă©vangĂ©listes placĂ©s sur les volutes supĂ©rieures ; ils font partie des plus grands chefs-d’Ɠuvre de la sculpture du XVe siĂšcle italien[50].

  • Fig. 23. Putti et guirlande de la cimaise.
    Fig. 23. Putti et guirlande de la cimaise.
  • Fig. 24. Ensemble de la cimaise sur le sarcophage.
    Fig. 24. Ensemble de la cimaise sur le sarcophage.

Saint Jean l’évangĂ©liste

Saint Jean l'évangéliste.

Vis-Ă -vis des autres personnages plus proches et terrestres, il semble comme suspendu dans une plus lointaine atmosphĂšre fantastique. Saint Jean (fig. 25), en habits de pĂšlerin, paraĂźt figĂ© dans le temps en une posture majestueuse, pris dans la vague d’un chant lent et grave qui parcourt tout son corps d’un romantique abandon. Dans l’image plastique d’un flot continu, dans un dĂ©roulement ample et dĂ©nouĂ© : les cheveux tombent souples et ondulants, les vĂȘtements fluides enveloppent le corps et suivent dociles l’harmonieuse mouvance, dessinant comme une pose de danse, accentuĂ©e par la courbure de la jambe droite entre les deux lignes parallĂšles du manteau. Ce monde dĂ©libĂ©rĂ©ment fantastique trouvait son expression dans Sluter et plus gĂ©nĂ©ralement dans l’art franco-flamand, dans une forme potentiellement allusive, dans la prĂ©cision et Ă©vidente vie des choses. Un intense et profond clair-obscur anime et forme la masse modelĂ©e avec une extrĂȘme sensibilitĂ© et douceur. ParticuliĂšrement significatif est le traitement du marbre des Ă©lĂ©ments vestimentaires : la diffĂ©rence de couleur et de ton entre la saie laineuse et le manteau de peau rĂ©vĂšle clairement l’intention d’une vĂ©ritĂ© expressive qui semble hors du temps, une anticipation du XVII|e dans le cadre de la sculpture du XVe. Un motif similaire avec le mĂȘme rĂ©sultat stylistique se trouve dans quelques pleurants de Claus Sluter (fig. 26)[51], mĂȘme si cela ne se voit malheureusement pas sur la photo, le manteau y est traitĂ© de la mĂȘme maniĂšre. Mais c’est surtout l’esprit de la premiĂšre et plus grande manifestation de la sculpture bourguignonne : Le puits de MoĂŻse, qui se reflĂšte ici dans les Ă©vangĂ©listes de la cimaise ; esprit pĂ©nĂ©trĂ©, dans l’expression formelle de NiccolĂČ, par les Ă©lĂ©ments stylistiques qui dĂ©rivent de l’apport italien de sa formation[52].

  • Fig. 26. Pleurant de la tombe de Philippe le Hardi.
    Fig. 26. Pleurant de la tombe de Philippe le Hardi.

Saint Marc

Fig. 27. Saint Marc.

Ce style se ressent encore plus clairement dans le personnage de saint Marc (fig. 27), dans la grande distension des plans, de la lumiĂšre, dans l’amplification des volumes. Il acquiert ainsi la grandiose prĂ©sence d’un Ă©lĂ©gant motif gothique, comme un personnage sous une console ou saillant d’un Ă©coinçon, hardiment en suspens dans l’espace, sans poids, en un fragile Ă©quilibre. À cĂŽtĂ© de cette claire fonction constructive de la lumiĂšre, demeure toute l’intensitĂ© expressive bourguignonne. Nous ne rĂ©pĂšterons pas d’analogues observations pour les autres Ă©vangĂ©listes, quoique magnifiques ils n’ont pas la surprenante libertĂ©, l’inventivitĂ© des deux prĂ©cĂ©dents chefs-d'Ɠuvre[52].

Saint Luc

Plus solennel dans la mystique sĂ©vĂ©ritĂ© de son visage, dans la barbe coulante, saint Luc (fig. 28) est le plus simple des Ă©vangĂ©listes dans sa composition. D’une apparence plus massive et ferme, mais animĂ© intĂ©rieurement d’un mouvement cadencĂ©, selon lequel les plis du manteau descendent et se rencontrent en un jeu rythmique que l’on retrouve avec un accent gothique plus tranchĂ© dans les plus beaux pleurants de Sluter[52].

  • Fig. 28. Saint Luc
    Fig. 28. Saint Luc

Saint Matthieu

Fig. 29. Saint Matthieu.

Dans saint Matthieu (fig. 29), nous dĂ©couvrons une grande variĂ©tĂ© de dĂ©tails : la bourse de piĂšces, l’écharpe nouĂ©e en ceinture, le manteau recueilli sur le bras droit, les boutons mis en valeur comme nulle part ailleurs par un soin quasi flamand ; nous retrouvons, dans la masse des cheveux, dans le manteau pesant adossĂ© sur l’épaule, dans le doux Ă©croulement du vĂȘtement, un thĂšme d’une grandiose abondance, d’une extraordinaire richesse expressive[52].

Ces quatre Ă©vangĂ©listes, d’une si surprenante beautĂ© plastique, se trouvent ĂȘtre probablement, selon Cesare Gnudi (it), la plus haute rĂ©alisation de NiccolĂČ dell’Arca et appartiennent avec les saints François, Dominique et Florian, qui sont peut-ĂȘtre moins originaux, Ă  la pĂ©riode initiale des travaux, lorsqu’il n’était pas encore effleurĂ© par des voix nouvelles de provenances et de natures diffĂ©rentes, dans le continuel renouvellement des sensibilitĂ©s de l’artiste. Les Ă©vangĂ©listes reprĂ©sentent une Ă©poque de serein Ă©quilibre dans laquelle la plĂ©nitude de l’inspiration correspond Ă  une totale domination des moyens d’expression, durant laquelle la richesse d’imagination se rĂ©alise complĂštement dans des formes d’une originalitĂ© inconfondable ; Ă©poque de maturitĂ© qui prĂ©suppose une longue pĂ©riode de formation[53].

Le PĂšre Ă©ternel

Fig. 30. le PĂšre Ă©ternel.

Le personnage qui participe le plus de l’atmosphĂšre fantastique des Ă©vangĂ©listes est celui, en haut, du PĂšre Ă©ternel (fig. 30). Cependant, au pur lyrisme se substitue ici un ton rhĂ©torique plus Ă©levĂ©, plus sonore et dĂ©clamatoire. À l’accent plus dramatique correspond un clair-obscur plus contrastĂ©, une taille plus tourmentĂ©e et pĂ©nĂ©trante sur ce visage lĂ©onin. Difficile de dire si cette statue qui se rattache Ă  l’esprit et aux maniĂšres slutĂ©riennes des Ă©vangĂ©listes leur est contemporaine ou si elle a Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e quelques annĂ©es plus tard, au moment de la rĂ©alisation des derniĂšres statues de la cimaise, comme pourrait le laisser penser ce travail plus rapide et synthĂ©tique[53].

Saint Florian

Dans l’ornementation de l'habillement de saint Florian (fig. 31), se trouve toute l’élĂ©gance d’un courtisan du monde gothique international, mĂȘme si le manteau disposĂ© en une monumentale ampleur digne d’un Piero della Francesca contraste avec une minutieuse description du visage ; la mĂȘme rencontre entre zones dĂ©taillĂ©es et style monumental que l’on retrouve par exemple dans les miniatures de Jean Fouquet. Comme dĂ©jĂ  signalĂ©, il s’agit du rapprochement de l’empreinte italienne et de l’esprit nordique, gothique ou flamand. NicollĂČ ainsi que d’autres artistes nĂ©s ou opĂ©rant dans ces zones de croisement des deux cultures particuliĂšres, celle de l’Italie mĂ©ridionale et la française, en furent les catalyseurs[54].

  • Fig. 31. Saint Florian.
    Fig. 31. Saint Florian.

Saint Dominique

Le saint Dominique (fig. 32), peut-ĂȘtre la statue la plus froide et conventionnelle de la cimaise, rĂ©vĂšle une gĂ©omĂ©trie structurale habituellement estompĂ©e par l’imagination inventive. De mĂȘme, le visage idĂ©alisĂ© dans une abstraite reprĂ©sentation iconographique, s’adapte au caractĂšre plus maniĂ©rĂ© et conventionnel de la statue. Se remarquent les beaux dĂ©tails du livre, des mains et spĂ©cialement du lys dĂ©ployĂ© sur la poitrine[54].

  • Fig. 32. Saint Dominique.
    Fig. 32. Saint Dominique.

Saint François

Beaucoup plus rĂ©aliste et vivant, le saint François (fig. 33) rappelle, surtout par la sĂ©vĂšre fixitĂ© du visage, le saint Étienne de Fouquet (fig. 34), dans lequel l’élĂ©mentaire et claire structure ressemble Ă  celles des statues de Francesco Laurana dans le triomphe d’Alphonse d’Aragon du Castel Nuovo (fig. 35). Tout cela ramĂšne Ă  cette sensibilitĂ© d’expression que nous avons rencontrĂ©e dans les pleurants de Sluter ou les Ă©vangĂ©listes de NiccolĂČ, mais l’animation expressive est ici ramassĂ©e dans une composition plus simple. Demeurent toujours clairement les Ă©lĂ©ments stylistiques de provenance bourguignonne dans la dĂ©finition rĂ©aliste des dĂ©tails comme le livre, le cordon nouĂ©, la matiĂšre vive des vĂȘtements torturĂ©s sur la poitrine[55].

  • Fig. 33. Saint François.
    Fig. 33. Saint François.
  • Fig. 34. Saint Étienne de Fouquet.
    Fig. 34. Saint Étienne de Fouquet.
  • Fig. 35. Statues de Francesco Laurana; arc de triomphe d'Alphonse d'Aragon; Castel Nuovo.
    Fig. 35. Statues de Francesco Laurana; arc de triomphe d'Alphonse d'Aragon; Castel Nuovo.

Saint Agricole et saint Vital

Nous trouvons les mĂȘmes Ă©lĂ©ments stylistiques, Ă  cĂŽtĂ© de nouveaux motifs, dans les statues des saints Agricole (fig. 36) et Vital (fig. 37), l’élĂ©gant chevalier et le rude et musclĂ© homme du peuple qui se trouvent sur les volutes postĂ©rieures de la cimaise. Dans le corset de saint Agricole, Ă  stries rĂ©guliĂšres et parallĂšles, dans les larges manches, dans les jambes et les hauts-de-chausses moulants, nous retrouvons les mĂȘmes simplifications des plans et des volumes que dans les sculptures du Castel Nuovo Ă  Naples (fig. 38, se remarquent particuliĂšrement sur les visages du prince et des autres personnages de la frise). À noter les virtuoses illusions de certains dĂ©tails comme la courroie de cuir pendant aprĂšs la boucle de la ceinture, ou bien celle enroulĂ©e autour de l’épĂ©e. Le visage de saint Agricole dont on est certain qu’il prend les traits de Giovanni II Bentivoglio[56], dirigeant Ă  l’improviste un regard perçant dans une direction bien dĂ©terminĂ©e, avec Ă  la bouche un sourire Ă  peine effleurant, crĂ©e l’expression d’un instantanĂ© pris sur le vif, bien Ă©loignĂ© des postures hĂ©roĂŻques des portraits toscans. Il se trouve plutĂŽt dans ce visage vivant, quelque chose d’acerbe et de sarcastique qui fait penser, mĂȘme si l’on n’y peut trouver une influence de style, Ă  quelques traces qu’auraient laissĂ©es dans la fantaisie de NiccolĂČ, les hommes des fresques du Palazzo Schifanoia et du Polyptyque Griffoni[55].

Giovanni II Bentivoglio, nĂ© en 1443, devint le premier citoyen de Bologne en 1464, gonfalonier et prĂ©sident Ă  vie du sĂ©nat. C’est Ă  ce titre qu’il dĂ©crĂ©ta, avec le lĂ©gat du pape, l’exĂ©cution Ă  la charge de la ville, de la cimaise confiĂ©e Ă  NiccolĂČ. Il est donc tout Ă  fait naturel que NiccolĂČ en hommage Ă  ce seigneur ait attribuĂ© son portrait au visage de saint Agricole. NiccolĂČ dut maintenir d’étroites relations avec la famille Bentivoglio ; en effet lorsqu’en 1481 NiccolĂČ fait baptiser son fils Cesare, on constate qu’ Annibale II Bentivoglio (fils de Giovanni II) en est le parrain. Il est Ă  noter que le registre baptismal de l’église di San Giovanni Battista dei Celestini qui rend compte de cet acte, est le premier document officiel qui nous soit parvenu avec la mention « NiccolĂČ dell’Arca »[57].

La diversitĂ© de langage utilisĂ©e par l’artiste pour le saint Vital, qui a du ĂȘtre exĂ©cutĂ© au mĂȘme moment que le saint Agricole, comme semble l’indiquer la correspondance du rythme, nous fournit la preuve du goĂ»t de l’artiste Ă  suivre des voies diverses tout en les pliant Ă  ses propres exigences expressives, avec une prompte imagination intuitive qui est plus chez lui un guide qu’une conscience rigoureuse du style. La partie la plus en accord avec le style du saint Agricole est la cape qui tombe d’une Ă©paule, soutenue de la main droite et qui est disposĂ©e dans le dos en un Ă©ventail de plis cylindriques. Par contre, de façon tout Ă  fait diffĂ©rente, jusque-lĂ  jamais rencontrĂ©e dans l’Ɠuvre de NiccolĂČ, apparaĂźt sur le cĂŽtĂ© antĂ©rieur du personnage une empreinte florentine indĂ©niable dans l’articulation plastique de ce corps athlĂ©tique, dans les plis Ă©crasĂ©s et plus marquĂ©s de la tunique, dans l’attitude mĂȘme du personnage, sĂ»r et impĂ©rieux, sur le visage, dans le regard. Si l’on compare le portrait de Bentivoglio avec celui-ci[58], on constate une rĂ©alisation moins spontanĂ©e, une interprĂ©tation plus classique du visage.

Par les Ă©videntes influences florentines dans le saint Vital et l’écho ferrarais qui s’entend dans le saint Agricole, ces sculptures qui sont entre les plus tardives de la cimaise, montrent une rupture avec la parfaite unitĂ© de vision des Ă©vangĂ©listes[59] - [60].

  • Fig. 36. Saint Agricole.
    Fig. 36. Saint Agricole.
  • Fig. 37. Saint Vital.
    Fig. 37. Saint Vital.
  • Fig. 38. Le prince et ses gens; arc de triomphe; Castel Nuovo.
    Fig. 38. Le prince et ses gens; arc de triomphe; Castel Nuovo.

Christ au tombeau

Que NiccolĂČ n’ait pas pĂ©nĂ©trĂ© l’esprit formel toscan, mĂȘme s’il en a assimilĂ© quelques aspects extĂ©rieurs, est dĂ©montrĂ© par le fait que les trois sculptures du Christ au tombeau adorĂ© des anges (fig. 39 & 40), oĂč la rĂ©fĂ©rence aux modĂšles toscans est pourtant claire, ne sont joints que par des liens de proximitĂ© : ils ne participent pas Ă  une stricte cohĂ©sion formelle, mais vivent sĂ©parĂ©ment comme des fragments lyriques oĂč dans aucun desquels, ni dans l’ensemble du groupe, ne se dĂ©veloppe ni ne se conclut la phrase poĂ©tique[60].

Sur la pierre du tombeau sont posĂ©es, dans une grande Ă©vidence, les magnifiques mains du Christ, avec une intensitĂ© de concentration digne d’un peintre flamand. Des mains, les veines gonflĂ©es montent sur les lentes courbes des bras ; l’ensemble du nu est analysĂ© avec la mĂȘme sensibilitĂ© et Ă©motion, composĂ© dans une calme version d’une traditionnelle simplicitĂ© antique.

Dans l’ange Ă  la gauche du Christ (fig. 40), comme dans le saint Vital, se rĂ©vĂšle l’influence de l’art toscan, non seulement une affinitĂ© gĂ©nĂ©rale, mais Ă©galement dans des Ă©lĂ©ments de style plus prĂ©cis ; encore plus que dans le fameux ange porte- candĂ©labre. Comme dans le saint Vital, l’originalitĂ© de l’artiste reste assez dissimulĂ©e et brouillĂ©e, par consĂ©quent certaines parties sont sans couleur et ne parviennent pas Ă  cette vitalitĂ© qui d’habitude se rencontre dans chaque dĂ©tail. Les drapĂ©s demeurent plus indĂ©terminĂ©s, les mains inanimĂ©es, les ailes dĂ©pourvues de caractĂ©ristique prĂ©cise, les cheveux Ă  peine suggĂ©rĂ©s et esquissĂ©s. Seul dans le visage, dans les subtiles tailles des yeux et de la bouche, l’artiste semble retrouver toute l’intimitĂ© profonde de son expression poĂ©tique.

L’ange qui lui fait face (fig. 39) se rapporte au plus haut niveau de l’art de NiccolĂČ, que nous retrouvons ici enrichi de nouveaux Ă©lĂ©ments de culture et de goĂ»t, qui se pose et anime de la mĂȘme intensitĂ© vivante chaque dĂ©tail. On peut peut-ĂȘtre supposer ici l’influence de l’art de Desiderio da Settignano (fig. 41 & 42)[61], quelques aspects duquel devaient sans doute trouver une rĂ©sonance dans l’esprit de NiccolĂČ : ces frĂ©missements de vie trĂ©pidante qui affleurent, cette Ă©mouvante entr'ouverture des lĂšvres, cette formulation Ă©lĂ©gante et subtile, ce lĂ©ger passage de la lumiĂšre, dans cet ange qui avance vers le Christ mort avec la volante lĂ©gĂšretĂ© de la NikĂ© antique, tout enflammĂ© et brĂ»lant comme torche au vent, avec la chevelure flamboyante tirĂ©e en arriĂšre par l’impĂ©tueuse marche[62]. Il convient de remarquer tout particuliĂšrement dans la partie supĂ©rieure du personnage, en rĂ©ponse Ă  l’ange de droite, comment NiccolĂČ retrouva ici, dans la dĂ©termination des tissus, des cheveux, des ailes, la riche et continue variĂ©tĂ© des tons que nous admirons dans les quatre Ă©vangĂ©listes. Il suffit de comparer ces ailes tellement sensibles en tous points Ă  celles, plus gĂ©nĂ©riques et toscanes de l’autre ange pour constater combien est plus fortement affirmĂ©e ici l’originalitĂ© de l’artiste. Par contre, dans le dĂ©roulĂ© du drapĂ© en bas, dans les plis Ă©crasĂ©s du pan engagĂ© entre les jambes, apparaĂźt plus clairement une ascendance toscane, voire classique[63].

  • Fig. 39. Ange de droite.
    Fig. 39. Ange de droite.
  • Fig.40. Christ au tombeau et ange de gauche.
    Fig.40. Christ au tombeau et ange de gauche.
  • Fig. 41. Ange, tombe de Carlo Marsuppini, dĂ©tail.
    Fig. 41. Ange, tombe de Carlo Marsuppini, détail.
  • Fig. 42. Ange, tombe de Carlo Marsuppini, dĂ©tail.
    Fig. 42. Ange, tombe de Carlo Marsuppini, détail.

Ange porte-candĂ©labre (il s’agit de celui de gauche)

Fig. 43. Ange porte-candélabre.

D’une facture aussi originale et intense, mais d’un rythme plus fermĂ© et serein, se prĂ©sente l’ange porte-candĂ©labre (fig. 43) qui est la plus fameuse et cĂ©lĂšbre statue de la cimaise. Peut-ĂȘtre parce qu’elle est encore plus libĂ©rĂ©e que l’ange prĂ©cĂ©dent de toute influence toscane, il semble rentrer plus que toutes autres Ɠuvres de NiccolĂČ dans la sphĂšre du goĂ»t de la renaissance. De fait, l’organisation du personnage est d’une telle rigueur de composition, d’une telle solennitĂ© placide dans sa structure, qu’elle constitue un cas tout Ă  fait particulier dans l’ensemble de la production qui nous est connue de l’artiste. Sans aucun doute, cet ange reprĂ©sente, avec les Ă©vangĂ©listes et les Maries de la Lamentation sur le Christ mort (it), un des plus hauts sommets du parcours artistique de NiccolĂČ[63].

Les statues de Michelangelo Buonarroti (1494 – 1495)

Saint PĂ©trone

Les historiens s’accordent mal Ă  dĂ©finir la part de NiccolĂČ et celle de Michelangelo, les uns attribuent presque exclusivement l’Ɠuvre Ă  Michelangelo, les autres prĂ©tendent qu’il l’a simplement achevĂ©e.

Saint PĂ©trone Ă©tait Ă©vĂȘque et patron de Bologne (fig. 44). Il est reprĂ©sentĂ© tenant en ses bras une maquette de la ville ceinte de ses murailles. On y distingue les tours Garisenda et Asinelli.

Le drapĂ© animĂ© de nombreux plis fait alterner les zones d’ombre et de lumiĂšre, il rĂ©vĂšle l’influence de Jacopo della Quercia combinĂ©e Ă  celle de la peinture ferraraise.

  • Fig. 44.Saint PĂ©trone.
    Fig. 44.Saint PĂ©trone.

Saint Procule

Fra Ludovico, alors ĂągĂ© de 80 ans, narre dans ses mĂ©moires que le le frĂšre convers qui l’assistait fit tomber Ă  terre la statue qui se brisa en plusieurs morceaux. On la reconstitua aussi bien que possible.

Saint Procule de Bologne (fig. 45) Ă©tait un officier romain martyrisĂ© durant les persĂ©cutions de DioclĂ©tien. Il est reprĂ©sentĂ© avec la courte tunique des soldats, des chaussures montantes, un manteau posĂ© sur l’épaule. Il tenait dans la main droite une lance en mĂ©tal qui n’existe plus aujourd’hui.

Il s’agit d’une Ɠuvre d’une grand originalitĂ© qui anticipe le style hĂ©roĂŻque de Michelangelo, celui d’un David ou d’un MoĂŻse. Le visage du jeune soldat a une expression fiĂšre et renfrognĂ©e, peut-ĂȘtre inspirĂ©e de la statue du Colleone (fig. 46) que Michelangelo avait dĂ» voir Ă  Venise avant d’arriver Ă  Bologne.

  • Fig. 45. Saint Procule.
    Fig. 45. Saint Procule.
  • Fig. 46. Statue du Colleone Ă  Venise.
    Fig. 46. Statue du Colleone Ă  Venise.

Ange porte candélabre

Michelangelo rĂ©alisa un personnage solide et compact qui s’éloigne du gothique international de NiccolĂČ. L’ange (fig. 47) se tend en avant, crĂ©ant un ample et dynamique drapĂ© du vĂȘtement, complĂštement diffĂ©rent de l’éthĂ©rĂ© et de la rythmique ondulation des Ɠuvres mĂ©diĂ©vales.

  • Fig. 47. Ange porte-candĂ©labre.
    Fig. 47. Ange porte-candélabre.

La prĂ©delle d’Alfonso Lombardi (1532)

Sous le sarcophage de Nicola Pisano et ses collaborateurs se trouve la prédelle de marbre exécutée en bas-relief par Alfonso Lombardini. Elle est divisée en trois parties.

PremiĂšre partie

La premiĂšre partie, Ă  gauche, est elle-mĂȘme divisĂ©e en trois tableaux retraçant la naissance, l’enfance et la jeunesse de saint Dominique (fig. 48).

  • Fig. 48. Naissance, enfance, jeunesse de saint Dominique.
    Fig. 48. Naissance, enfance, jeunesse de saint Dominique.

La naissance

En haut, au second plan, se trouve Jeanne d’Aza, mĂšre de Dominique, assise sur son lit, des femmes l’entourent. En bas, au premier plan, une sage-femme tient le nouveau-nĂ© et s’apprĂȘte Ă  le laver dans un bassin.

L’enfance

Le second tableau reprĂ©sente le tout jeune Dominique couchĂ© sur le sol de sa chambre, au pied de son lit vide[64]. À ses cĂŽtĂ©s se trouve un chien tenant une torche dans sa gueule[65].

La jeunesse

Ce tableau reprĂ©sente sur la gauche, le jeune homme en train de vendre ses livres d’étudiant. Sur la droite, il est Ă  nouveau reprĂ©sentĂ© distribuant Ă  trois pauvres le fruit de cette vente[66]. Le chien au flambeau est Ă©galement prĂ©sent en bas Ă  gauche.

Partie centrale

La partie centrale de la prĂ©delle reprĂ©sente l’adoration des mages (fig. 49). Cette Ɠuvre peut paraĂźtre insolite dans le contexte de la vie de saint Dominique, toutefois elle se rĂ©fĂšre Ă  l'exhortation du saint faite Ă  ses frĂšres, de rechercher le Christ avec la mĂȘme humilitĂ© et la mĂȘme passion que celle des Rois mages lorsqu’ils vinrent rendre hommage au Roi du monde.

  • Fig. 49. Adoration des mages.
    Fig. 49. Adoration des mages.

3e Partie

Le dernier relief Ă  droite figure la mort de saint Dominique (fig. 50) sur la base de la vision qu’en eĂ»t Fra Guala, prieur du couvent de Brescia[67].

  • Fig. 50. Mort de saint Dominique.
    Fig. 50. Mort de saint Dominique.

Le saint Jean-Baptiste de Girolamo Cortellini (1536 ou 1537)

Cette statue a beaucoup souffert. D’aprĂšs Fra Ludovico[68], une premiĂšre statue fut brisĂ©e ; la seconde fut Ă  son tour malmenĂ©e, la jambe gauche a Ă©tĂ© brisĂ©e deux fois, l’agneau qui reposait sur le bras enlevĂ© (volĂ© ?) et refait par maĂźtre Pietro Francesco, la draperie endommagĂ©e. Le Bras dut Ă©galement ĂȘtre restaurĂ©.

Ce saint Jean-Baptiste (fig. 51) est considĂ©rĂ© par certains comme Ă©tant le chef- d’Ɠuvre de Cortellini, mais il s’agit d’une Ɠuvre gauche et froide Ă  laquelle nuit la proximitĂ© de celles de NiccolĂČ et de Michelangelo[69].

  • Fig.51. Saint Jean-Baptiste.
    Fig.51. Saint Jean-Baptiste.

Le bas-relief de Jean-Baptiste Boudard (1768)

L’antependium de l’autel est constituĂ© d’un bas-relief rĂ©alisĂ© par l’atelier parmesan de J.-B. Boudard en 1768 et reprĂ©sente l’ensevelissement de saint Dominique (fig. 52).

  • Fig. 52. Ensevelissement de saint Dominique.
    Fig. 52. Ensevelissement de saint Dominique.

Voir aussi

Bibliographie

  • Le tombeau de saint Dominique.FR. J.-J. Berthier. Librairie internationale de l'Ɠuvre de saint Paul. Paris, 1895.
  • Nicola Arnolfo Lapo - L'arca di S. Domenico in Bologna. Cesare Gnudi. Edizioni U. Firenze, 1948.
  • Nicola Pisano. Giusta Nicco Fasola. Casa editrice Fratelli Palombi. Roma, 1941.
  • NiccolĂČ dell'Arca. Cesare Gnudi. Giulio Einaudi, editore. Torino, 1942.
  • L'arca di S. Domenico in Bologna. Stefano Bottari. Casa editrice Prof. Riccardo PĂ tron. Bologna, 1964.

Notes et références

  1. Afin d’éviter toute ambiguĂŻtĂ© de langage, nous parlerons de sarcophage pour dĂ©signer la premiĂšre partie du monument rĂ©alisĂ©e par Nicola Pisano et ses collaborateurs et de cimaise pour dĂ©signer la partie supĂ©rieure exĂ©cutĂ©e par NiccolĂČ dell’Arca ; lorsque nous parlerons du sĂ©pulcre nous entendrons par lĂ  l’ensemble du monument funĂ©raire.
  2. (it) Giovambatista Melloni, Vita di S. Domenico fondatore dell'ordine de' predicatori, Naples, , Chap. XXXI.
  3. FR. J.-J. Berthier, Le tombeau de saint Dominique, Paris, , Chap. I.
  4. RP. Henri-Dominique Lacordaire, Vie de saint Dominique, Paris, , Chap. XVIII.
  5. Michele PiĂČ dit qu’elle Ă©tait une simple pierre, blanche mais belle, de forme grossiĂšre et carrĂ©e, selon l’usage du temps. Uom. Ill., p. 1 ; col. 119.
  6. (it) Cesare Gnudi, Nicola Arnolfo Lapo, l'Arca di S. Domenico in Bologna, Firence, , p. 11.
  7. (it) Giusta Nicco Fasola, Nicola Pisano, Rome, , p. 141.
  8. Le FR. J. J. Berthier avance l’hypothĂšse que Humbert de Romans, le prĂ©cĂ©dent MaĂźtre de l’ordre qui dĂ©missionna en 1263, ait dĂ©jĂ  conçu ce projet. Ibid.
  9. (it) Stefano Bottari, L' arca di S. Domenico in Bologna, Bologne, , p. 51.
  10. l’« egregius vir magister Nicolaus quondam Antonii de partibus Apulie ». C’est durant ou Ă  la suite de ce chef-d’Ɠuvre, mais de son vivant, que l’artiste fut surnommĂ© NiccolĂČ dell’Arca.
  11. Peut-ĂȘtre en raison de dĂ©saccords entre le sculpteur et les personnes chargĂ©es d’en suivre l’exĂ©cution.
  12. Stefano Bottari. Ibid, p. 56-61.
  13. (it) curata e commentata da P. Barocchi, La vita di Michelangelo nelle redazioni del 1550 e del 1568, Milano-Napoli, , p. 132 (note 110) et p. 136 (note 114) du tome II.
  14. Les auteurs ne s’accordent pas sur la date de rĂ©alisation (entre fin 1536 ou 1537 et 1539). J. J. Berthier citĂ© Fra Ludovico qui indique que le 19 juin 1537 il fit exĂ©cuter Ă  maĂźtre Andrea, sculpteur, un nouveau bras pour la statue.
  15. Stefano Bottari. Ibid, p. 83-85.
  16. Cesare Gnudi. Ibid, p. 85 (note 1).
  17. Cesare Gnudi. Ibid, p. 6 (note 6) et p. 12.
  18. Cesare Gnudi. Ibid, p. 45.
  19. Cesare Gnudi. Ibid, p. 12.
  20. Cesare Gnudi. Ibid, p. 16 (note 3).
  21. Cesare Gnudi. Ibid, p. 13.
  22. Archivi di Stato, Pergamene del Duomo di Siena. Doc. Du 11 mai 1266.
  23. Cesare Gnudi. Ibid, p. 52.
  24. Ce fond d’émail vitreux colorĂ© est un motif d’origine française provenant des autels gothiques. Giusta Nicco Fasola. Ibid, p. 142.
  25. Cesare Gnudi. Ibid, p. 57.
  26. Cesare Gnudi. Ibid, p. 58.
  27. Cesare Gnudi. Ibid, p. 85 (note 2).
  28. Il s'agit plus précisément de Napoleone di Ceccano, neveu du cardinal Stefano ci Ceccano.
  29. Cesare Gnudi. Ibid, p. 59.
  30. Cesare Gnudi. Ibid, p. 60.
  31. En ce qui concerné Lapo, on constate par exemple que les visages de ses matrones évoquent souvent ceux des défuntes étendues sur les tombes et sur les urnes étrusques.
  32. Cesare Gnudi. Ibid, p. 61.
  33. Cesare Gnudi. Ibid, p. 62.
  34. Cesare Gnudi. Ibid, p. 67.
  35. Cesare Gnudi. Ibid, p. 68.
  36. Cesare Gnudi. Ibid, p. 69.
  37. Cesare Gnudi. Ibid, p. 70.
  38. Cesare Gnudi. Ibid, p. 71.
  39. Cesare Gnudi. Ibid, p. 73.
  40. Cesare Gnudi. Ibid, p. 74.
  41. Cesare Gnudi. Ibid, p. 75.
  42. Cesare Gnudi. Ibid, p. 76.
  43. Cesare Gnudi. Ibid, p. 77.
  44. Cesare Gnudi. Ibid, p. 78.
  45. Cesare Gnudi. Ibid, p. 79.
  46. Cesare Gnudi. Ibid, p. 80.
  47. Cesare Gnudi. Ibid, p. 81.
  48. Le caractĂšre non toscan, non seulement dans la dĂ©coration de la cimaise mais dans l’art de NiccolĂČ en gĂ©nĂ©ral, fut notĂ© par Schubring, qui vit dans la provenance mĂ©ridionale de l’artiste la cause de cette tendance Ă  la surabondance et au fantastique. NiccolĂČ da Bari, in Zeitschrift fĂŒr Bildende Kunst. 1904. p. 209 et s.
  49. On peut par exemple comparer les festons de fruits de la cimaise avec les cornes d’abondance soutenues par les lions ailĂ©s qui se trouvent au-dessus de l’arche d’entrĂ©e du Castel Nuovo.
  50. (it) Cesare Gnudi, NiccolĂČ dell'Arca, Turin, Giulo Einaudi, , p. 25.
  51. Voir en particulier celui conservĂ© au musĂ©e de Cluny Ă  Paris, qui faisait partie du sĂ©pulcre de Philippe le Hardi, ainsi que le pleurant no 27 au musĂ©e archĂ©ologique de Dijon, qui sont l’un et l’autre attribuĂ©s Ă  Sluter.
  52. Cesare Gnudi. Ibid, p. 27.
  53. Cesare Gnudi. Ibid, p. 28.
  54. Cesare Gnudi. Ibid, p. 29.
  55. Cesare Gnudi. Ibid, p. 30.
  56. Cette effigie peut ĂȘtre confrontĂ©e avec les mĂ©dailles de Sperandio, celles de Francesco Raibolini dit « il Francia » et au portrait plus tardif attribuĂ© Ă  Ercole.
  57. Magistri Nicolai de Arca.
  58. Sachant que saint Agricole est clairement reprĂ©sentĂ© sous les traits de Giovanni II Bentivoglio, on a avancĂ© l’hypothĂšse que NiccolĂČ ait donnĂ© ses propres traits Ă  saint Vital, le serviteur et compagnon de saint Agricole. On pense qu’ils seraient les deux seuls portraits du sĂ©pulcre.
  59. L’élĂ©ment ferrarais dominera plus tard dans la lamentation sur le Christ mort de Santa Maria della Vita ; l’élĂ©ment florentin caractĂ©rise la pĂ©riode des derniĂšres statues de la cimaise et de la Vierge Ă  l’enfant en terre-cuite du Palazzo Comunale rĂ©alisĂ©e peu de temps aprĂšs.
  60. Cesare Gnudi. Ibid, p. 31.
  61. Cesare Gnudi. Ibid, p. 32.
  62. K. Frey envisage mĂȘme que NiccolĂČ ait pu avoir frĂ©quentĂ© l’école de Desiderio et qu’il se soit formĂ© Ă  Florence. Michelanglio Buanarroti, Quellen und Forschungen zu seiner Geschichte und Kunst. B.I., Berlin. 1907. p. 128-133.
  63. Cesare Gnudi. Ibid, p. 33.
  64. Cette anecdote de la jeunesse de saint Dominique est rapportĂ©e par Fra Constantin d’Orvieto, qui prĂ©cise que souvent l’enfant trompait la vigilance de sa nourrice dans un dĂ©sir d’austĂ©ritĂ©.
  65. La lĂ©gende veut que Jeanne d’Aza enceinte eĂ»t une vision oĂč il lui sembla porter en son sein un petit chien tenant en sa gueule une torche allumĂ©e. Ce symbole est repris dans beaucoup de reprĂ©sentations et permet d’identifier saint Dominique.
  66. Cet Ă©pisode est rapportĂ© par Jourdain de Saxe ; Dominique vendit ses livres pour venir en aide aux pauvres alors qu’une famine frappait l’Espagne.
  67. Selon cette vision, deux Ă©chelles reliaient le ciel et la terre. Le Christ tenait le sommet de l’une d’elles, la Vierge l’autre. En bas, entre les deux Ă©chelles se tenait un siĂšge et sur le siĂšge un frĂšre de l’ordre. Peu Ă  peu le Christ et la Vierge retiraient les Ă©chelles, jusqu’à ce que celui qui Ă©tait en bas sur le siĂšge, fut Ă©levĂ© Ă  la porte du paradis. Vie de saint Dominique. R.P. Henri-Dominique Lacordaire. Paris. 1872. Chap. XVII.
  68. (it) Fra Ludovico da Prelormo, Memorie.
  69. Stefano Bottari. Ibid, p. 84.
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