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Rouleaux enluminés des fondateurs de la secte Kegon

Les Rouleaux enluminĂ©s des fondateurs de la secte Kegon (èŻćŽłçžè”·, Kegon engi ou èŻćŽłćź—ç„–ćž«ç””äŒ, Kegon-shĆ« sƍshi eden ; aussi traduit en Histoire de la secte Kegon ou Rouleaux de la fondation de la secte Kegon) forment un emaki japonais du dĂ©but du XIIIe siĂšcle, Ă  l’époque de Kamakura. Ils narrent en six rouleaux de papier la lĂ©gende bouddhique de la fondation de l’école Kegon en CorĂ©e et de la vie de ses deux moines fondateurs Gishƍ et Gengyƍ. Le trait fin, lĂ©gĂšrement colorĂ© et la continuitĂ© des peintures semblent caractĂ©ristiques du nouveau style de Kamakura.

Rouleaux enluminés des fondateurs de la secte Kegon
Fameuse scĂšne oĂč Zenmyƍ, transformĂ©e en dragon, guide le navire de son bien-aimĂ© jusqu’en CorĂ©e. Rouleau Gishƍ 3.
Artiste
Incertain
Date
XIIIe siĂšcle
Type
Technique
Peinture et encre sur rouleau de papier
Dimensions (H Ă— L)
0,31 Ă— env. 82 m
Propriétaire
Localisation
MusĂ©es nationaux de Kyƍto et de Tƍkyƍ (exposition). (Japon)
Protection

Contexte

Un esprit apparaĂźt Ă  Gengyƍ en rĂȘve, au dĂ©but du pĂ©riple. Rouleau Gishƍ 1.

Apparue au Japon depuis environ le VIe siĂšcle grĂące aux Ă©changes avec l’Empire chinois, la pratique de l’emaki se diffuse largement auprĂšs de l’aristocratie Ă  l’époque de Heian : il s’agit de longs rouleaux de papier narrant au lecteur une histoire au moyen de textes et de peintures. Plus tard, l’avĂšnement de l’époque de Kamakura est marquĂ© par les luttes intestines et les guerres civiles qui se rĂ©pandent et favorisent l’ascension de la classe des guerriers (les samouraĂŻs) ; ces derniers mettent Ă  l’honneur une culture aristocratique rĂ©aliste moins maniĂ©rĂ©e et Ă©sotĂ©rique (le zen apparaĂźt aussi en ces temps). De plus, de ces troubles sociaux nait un terrain fertile pour le prosĂ©lytisme bouddhique, alors que plusieurs nouvelles Ă©coles, principalement de la Terre pure (jƍdo), apparaissent au Japon. L’iconographie plastique reste importante pour transmettre les doctrines religieuses, si bien que la peinture y joue un grand rĂŽle, notamment les emaki avec les rĂ©cits de la fondation des temples ou de la vie des moines cĂ©lĂšbres. Les anciennes Ă©coles en vogue Ă  l’époque de Nara connaissent Ă©galement un regain d’intĂ©rĂȘt, ce qui est le cas ici avec l’école Kegon (Kegon-shĆ«)[1]. Le Kegon engi emaki s’inscrit donc dans ce contexte-lĂ , pendant l’ñge d’or de l’emaki (XIIe et XIIIe siĂšcles)[2].

Le terme « engi » (Kegon engi emaki) dĂ©signe un style narratif japonais qui retranscrit chroniques et lĂ©gendes sur la fondation de temples bouddhistes ; quant au terme « eden » (pour la graphie Kegon-shĆ« sƍshi eden), il dĂ©signe les biographies de moines cĂ©lĂšbres[3]. Plusieurs autres Ɠuvres abordent un thĂšme similaire, dont les plus connues sont l’Ippen shƍnin eden (sur la vie du moine Ippen, fondateur de la section Ji shĆ«) ou le Hƍnen shƍnin eden (sur le fondateur du bouddhisme de la Terre pure au Japon, Hƍnen). Toutefois, le genre de la romance, important dans la premiĂšre partie, peut Ă©galement ĂȘtre soulignĂ©[4].

Messager du royaume de Silla à la recherche du roi des mers. Rouleau Gengyƍ 2.

Les rouleaux, divisĂ©s en deux parties, narrent la vie lĂ©gendĂ©e de deux moines bouddhistes corĂ©ens qui Ă©tablirent la secte Kegon au VIIe dans leur pays (alors le royaume de Silla, ou Shiragi en japonais) aprĂšs plusieurs pĂšlerinages en Chine : Gishƍ (Uisang) et Gengyƍ (Wonhyo). Les peintures ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es au temple Kƍzan-ji non loin de Kyoto sous l’égide de Myƍe (connu Ă©galement sous le nom de Kƍben), un moine qui avait longtemps Ă©tudiĂ© le bouddhisme Kegon (au Tƍdai-ji de Nara, centre de l’école au Japon) avant de rĂ©habiliter le temple du Kƍzan-ji[5]. K. L. brock suggĂšre plutĂŽt que les rouleaux de Gishƍ ont pu ĂȘtre commissionnĂ©s par dame Sanmi, une noble alors proche du Kƍzan-ji, et ceux de Gengyƍ par ses amis (mais Myƍe en reste le principal superviseur)[6]. Myƍe serait aussi l’auteur des textes calligraphiĂ©s dans l’emaki, s’inspirant de rĂ©cits chinois plus anciens[7]. La date de confection et l’auteur restent toutefois soumis Ă  interprĂ©tation, mais il semble en tout cas clair que les rouleaux abordent un style pictural caractĂ©ristique de l’art de Kamakura, marquĂ© par un certain rĂ©alisme et une proximitĂ© avec l’humain. Si la lĂ©gende a pu l’attribuer autrefois Ă  Fujiwara Nobuzane, il est bien plus probable que l’auteur, ou l’un des auteurs, soit le peintre favori de Myƍe, Enichibƍ Jƍnin, connu Ă©galement pour ses peintures murales[7] - [8] ; pour Mason, son trait se ressent surtout dans la partie de Gengyƍ[9]. Des Ă©tudes comparatives et historiques ont permis Ă  K. L. Brock d’avancer deux dates de confection : entre 1218 et 1223 pour les rouleaux de Gishƍ, et dans les annĂ©es 1220 ou 1230 pour les rouleaux de Gengyƍ[10].

De nos jours, l’emaki est inscrit au registre des trĂ©sors nationaux du Japon et est exposĂ© au musĂ©e national de Kyoto (pour la partie sur Gishƍ) et de Tokyo (pour la partie sur Gengyƍ), aprĂšs avoir Ă©tĂ© longtemps entreposĂ©s par le Kƍzan-ji ; plusieurs scĂšnes restent parmi les plus reprĂ©sentatives de cet art. Toutefois, l’Ɠuvre nous est parvenue de façon fragmentaire et quelques sections manquent ; la reconstruction des rouleaux originaux a donnĂ© lieu Ă  de nombreuses Ă©tudes, dont la plus importante est celle de K. L. Brock en 1984[11].

Contenu narratif

Zenmyƍ avoue son amour Ă  Gishƍ ; ses paroles sont directement calligraphiĂ©es dans la peinture. Rouleau Gishƍ 2.

L’emaki se compose aujourd’hui de six rouleaux de papier, mesurant environ 31 cm de haut pour une longueur totale d’approximativement 81,95 m[7]. Quatre sont dĂ©diĂ©s Ă  Gishƍ et deux Ă  Gengyƍ.

Gishƍ et Gengyƍ sont deux humbles moines qui projettent de se rendre en Chine pour parfaire leur apprentissage du bouddhisme ; toutefois, Gengyƍ renonce dĂšs le dĂ©but, convaincu dans un songe qu’il doit chercher le salut en lui, et les deux amis se sĂ©parent. Les trois rouleaux suivants sont dĂ©diĂ©s Ă  la lĂ©gende de Gishƍ et de Zenmyƍ (Shan-miao), jeune Chinoise qui tombe amoureuse du moine alors en pĂšlerinage en Chine. Gishƍ la convertit au bouddhisme, puis repart dans son pays au grand dĂ©sespoir de la jeune fille. Zenmyƍ, accourant au port, arrive trop tard pour lui offrir un cadeau d’adieu, et le bateau disparaĂźt Ă  l’horizon ; dĂ©sespĂ©rĂ©e, elle jette l’offrande Ă  l’eau qui suit alors le navire emportant son bien-aimĂ©. FrappĂ©e par ce miracle, elle se jette Ă  l’eau en jurant de protĂ©ger Ă©ternellement son bien-aimĂ©, et se transforme alors en dragon pour porter le bateau de Gishƍ jusqu’en CorĂ©e sur son dos. LĂ , elle se transforme en une montagne sur laquelle un temple est Ă©rigĂ©. DĂ©sormais, Zenmyƍ est rĂ©vĂ©rĂ©e comme la dĂ©esse protectrice de la secte Kegon. Ce rĂ©cit dramatique est fameux au Japon et plusieurs recueils de lĂ©gendes le relatent[5].

Les autres rouleaux sont consacrĂ©s Ă  Gengyƍ et se dĂ©roulent donc en CorĂ©e (royaume de Silla), bien que la sĂ©paration soit aussi relatĂ©e au dĂ©but. L’artiste raconte notamment comment Gengyƍ obtient le sĆ«tra Vajrasamddhi (Kongƍ sanmai kyƍ) du roi des mers afin de sauver la reine, gravement malade.

Plusieurs spĂ©cialistes ont soulignĂ© l’importance de l’aspect didactique du rouleau : l’enseignement de la lĂ©gende de la fondation du temple devrait rester central dans l’analyse du contenu[6]. En effet, les deux rĂ©cits illustrent de façon simple les voies de l’illumination prĂŽnĂ©es par l'Ă©cole kegon : dans le cas de Gengyƍ, le rĂȘve qui initie la recherche de la puretĂ© de l’esprit en le soustrayant aux contraintes terrestres, et dans le cas de Gishƍ le pĂšlerinage pour l’apprentissage du dharma. Ces rĂ©ponses simples reflĂštent les pensĂ©es nouvelles de la sociĂ©tĂ© de l’époque de Kamakura[12].

Style et composition

Zenmyƍ se jette Ă  la mer. Les fines vaguelettes, le trait plus rugueux des rochers et les couleurs pastels sont caractĂ©ristiques de cet emaki. Rouleau Gishƍ 3.

Le Kegon engi emaki appartient Ă  l’art du yamato-e, et tĂ©moigne de l’évolution de la peinture sous l’époque de Kamakura[13]. En effet, les guerriers prisaient plus les rĂ©cits (historiques et religieux) rĂ©alistes et dynamiques. Toutefois, les spĂ©cialistes supposent dĂ©jĂ  les premiĂšres influences de la peinture chinoise des Song au Japon (caractĂ©risĂ©e par le lavis), Ă  travers le trait fin Ă  l’encre de Chine et la couleur pĂąle qui laisse transparaĂźtre le mouvement du pinceau[14] - [5]. Il semble clair que Myƍe, Ă©rudit de spiritualitĂ© chinoise, avait fait venir un grand nombre d’Ɠuvres contemporaines du continent qui inspirĂšrent probablement l’atelier de moines-peintres associĂ© au temple. Ce style pictural confĂšre Ă  l’ensemble une tonalitĂ© lĂ©gĂšre et aĂ©rienne[15]. Une autre Ɠuvre plus didactique sur les enseignements de la secte (notamment le sĆ«tra de Kegon, Kegonkyƍ en japonais, SĆ«tra Avatamsaka en sanskrit) prĂ©sente d’ailleurs une inspiration Song similaire, le Kegon gojĆ«gosho emaki (XIIIe)[16]. Plusieurs scĂšnes figurent parmi des classiques de l’art des emaki : c’est notamment le cas de Zenmyƍ transformĂ©e en dragon portant sur son dos le bateau de Gishƍ, sommet narratif du troisiĂšme rouleau. Le traitement de l’eau, par des vaguelettes fines Ă  l’encre rehaussĂ©es de bleu lĂ©ger, les couleurs plus fĂ©roces du dragon et les frĂȘles humains confĂšrent Ă  l’ensemble un « sens dramatique remarquable »[9].

La composition suit la plupart des canons des emaki d’alors, avec de longues sections de peintures continues contextualisĂ©es par de brĂšves sections de texte calligraphiĂ©. Les transitions entre scĂšnes dans les peintures apparaissent peu marquĂ©es et doivent transmettre une impression de mouvement, de fluiditĂ©, au fur et Ă  mesure que le lecteur dĂ©roule l’emaki. Dans le troisiĂšme rouleau, une succession de scĂšnes montrant alternativement Zenmyƍ et le navire s’éloignant crĂ©e un rythme narratif cinĂ©matographique[5]. Quant aux textes, ils sont trĂšs brefs et indiquent les paroles ou les actions des personnages ; leur but pourrait avoir Ă©tĂ© d’ĂȘtre lus Ă  haute voix lors de sĂ©ances d’explication des rouleaux aux fidĂšles[15]. Fait encore inhabituel Ă  l’époque, les paroles des personnages sont parfois calligraphiĂ©es juste au-dessus d’eux, trĂšs librement et en caractĂšres japonais (kana)[9]. Les historiens de l’art ont traditionnellement attribuĂ© les textes Ă  Myƍe lui-mĂȘme, bien que des contestations ont Ă©tĂ© soulevĂ©es depuis, notamment pour la partie de Gengyƍ[9].

Historiographie

ScĂšne de vie populaire en CorĂ©e, au style plus naĂŻf. Rouleau Gengyƍ 2.

Art narratif du quotidien, les emaki fournissent un grand nombre de renseignements sur la vie et l’histoire du Japon mĂ©diĂ©val. Toutefois, cette Ɠuvre se distingue des autres en ce qu’elle se dĂ©roule en CorĂ©e et en Chine, et peint plutĂŽt les vĂȘtements et l’architecture des Tang[17]. De par son traitement du message religieux et son style, elle offre aussi un regard particulier sur la sociĂ©tĂ© et la culture de Kamakura[12].

Certains historiens font Ă©galement le lien avec la rĂ©volte de JƍkyĆ« (1221) durant laquelle Myƍe a protĂ©gĂ© des dames de la cour ; la lĂ©gende de Zenmyƍ pourrait avoir Ă©tĂ© un ressort afin de les convertir au bouddhisme Kegon en leur fournissant un modĂšle de femme vertueuse. Il Ă©rige d’ailleurs en 1223 un temple en son honneur prĂšs de Kyoto, le Zenmyƍ-ji[18] - [10].

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • Elise Grilli (trad. Marcel Requien), Rouleaux peints japonais, Arthaud, , 56 p.
  • (en) Hideo Okudaira (trad. Elizabeth Ten Grotenhuis), Narrative picture scrolls, vol. 5, Weatherhill, coll. « Arts of Japan », , 151 p. (ISBN 978-0-8348-2710-3)
  • (en) Dietrich Seckel (trad. J. Maxwell Brownjohn, photogr. Akihisa Hase), Emakimono : the art of the Japanese painted hand-scroll, Pantheon Books, , 238 p.
  • (en) Karen L. Brock, Tales of Gishƍ and Gangyƍ : editor, artist, and audience in Japanese picture scrolls, vol. 1-2, Princeton University, , 1126 p.
  • (en) Karen L. Brock, « The Case of the Missing Scroll: A History and Reconstruction of "Tales of Gishƍ and Gangyƍ" », Archives of Asian Art, vol. 41,‎ , p. 6-31
  • (en) Chan Yuk Yue, Dream, Pilgrimage and Dragons in the Kegon Engi Emaki (Illustrated Legends of the Kegon Patriarchs) : Reading Ideology in Kamakura Buddhist Narrative Scrolls, UniversitĂ© de Hong Kong, , 123 p. (lire en ligne) (thĂšse)
  • (ja) Ichimatsu Tanaka, èŻćŽłçžè”·, vol. 7, Kadokawa Shoten, coll. « Nihon emakimono zenshĆ« »,‎ , 151 p. (ISBN 978-0-8348-2710-3)

Notes et références

  1. (en) Saburƍ Ienaga, Painting in the Yamato style, Weatherhill, coll. « The Heibonsha survey of Japanese art », , 162 p. (ISBN 978-0-8348-1016-7), p. 126
  2. Christine Shimizu, L’art japonais, Flammarion, coll. « Tout l’art », , 448 p. (ISBN 978-2-08-013701-2), p. 193
  3. Seckel 1959, p. 38-39
  4. Okudaira 1973, p. 93
  5. Akiyama Terukazu, La peinture japonaise, vol. 3, Skira, coll. « Les TrĂ©sors de l’Asie, Skira-Flammarion », (ISBN 978-2-605-00094-4), p. 89-90
  6. (en) Karen L. Brock, « The Case of the Missing Scroll: A History and Reconstruction of "Tales of Gishƍ and Gangyƍ" », Archives of Asian Art, vol. 41,‎ , p. 6-31
  7. Grilli 1962, p. 14
  8. Dictionnaire BĂ©nĂ©zit, Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, t. 4, Ă©ditions GrĂŒnd, (ISBN 2-7000-3017-6), p. 168
  9. (en) Penelope E. Mason et Donald Dinwiddie, History of Japanese art, Pearson Prentice Hall, (ISBN 978-0-13-117601-0), p. 198-200
  10. Yuk Yue 2006, p. 15-17
  11. Yuk Yue 2006, p. 2
  12. Yuk Yue 2006, p. 103-106
  13. Okudaira 1973, p. 57
  14. Okudaira 1973, p. 123
  15. Miyeko Murase (trad. de l'anglais), L’art du Japon, Paris, Éditions LGF - Livre de Poche, coll. « La PochothĂšque », , 414 p. (ISBN 2-253-13054-0), p. 159
  16. Seckel 1959, p. 128
  17. Okudaira 1973, p. 86-87
  18. (en) Junji Wakasugi, « Legends of the Kegon Sect », musée national de Kyoto, (consulté le )
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