Ippen
Ippen (1239-1289) ou Ippen ShĆnin (le saint Ippen), de son nom de naissance Chishin, Ă©tait un moine bouddhique japonais de lâĂ©poque de Kamakura, fondateur de lâĂ©cole amidiste Ji-shĆ« (Ă©cole du temps).
Biographie
Ippen, nĂ© en 1239, Ă©tait le second fils dâune famille du clan de samouraĂŻs KĆno de la province d'Iyo. Ă la suite de la rĂ©volte de JĆkyĆ«, son pĂšre, qui avait pris le parti des vaincus, se fit moine bouddhique, tandis que sa mĂšre mourut alors quâil avait dix ans[1]. Ippen entra en religion Ă quinze ans et Ă©tudia les enseignements de la branche Seizan du bouddhisme de la Terre pure (JĆdo au Japon) Ă Dazaifu auprĂšs de ShĆtatsu (èé), lui-mĂȘme disciple de ShĆkĆ«. Il revint un temps Ă la vie civile de 1263 Ă 1267 pour succĂ©der Ă son pĂšre aprĂšs sa mort dans la gestion des affaires familiales[2]. Il retourna Ă la vie religieuse en 1267, Ă©tablissant un ermitage de montagne oĂč il se voua trois ans Ă la pratique religieuse et la mĂ©ditation. Ă lâĂ©tĂ© 1274, Ippen Ă©tait en retraite Ă Kumano, lieu sacrĂ© du shinto[3]. Selon la lĂ©gende, il y eut une rĂ©vĂ©lation (gongen) qui lâinvita Ă rĂ©pandre la foi dâAmida dans tout le pays : tout homme pouvait accĂ©der Ă la Terre pure (ĆjĆ) du bouddha Amida par le nenbutsu, câest-Ă -dire la rĂ©citation de lâinvocation de son nom[4] - [2]. Il voyagea alors dans les temples et sanctuaires du Japon pour rĂ©pandre cette doctrine. DĂšs lors, le moine prit le nom dâIppen et mena une vie de pĂšlerin itinĂ©rant, distribuant des tablettes oĂč Ă©tait inscrit le nenbutsu[4]. Signe dâune Ă©poque oĂč lâenseignement religieux se fait plus populaire et accessible, Ippen prĂȘchait dans tous les lieux du quotidien : relais, marchĂ©s, villages... Il accompagnait ses rĂ©citations du nom dâAmida par des danses extatiques (odori nenbutsu) qui sĂ©duisaient la populace par leur « exaltation frĂ©nĂ©tique »[2] - [5].
Il tomba malade en 1289 et mourut Ă HyĆgo (de nos jours KĆbe) au Kannon-dĆ (ShinkĆ-ji), oĂč son mausolĂ©e se dresse[1]. Peu avant sa mort, il aurait brĂ»lĂ© la majeure partie de ses Ă©crits. Il fut connu sous le nom de YugyĆ ShĆnin (le saint voyageur), et obtint en 1886 le titre posthume dâEnshĆ Daishi (le grand maĂźtre de l'Illumination universelle)[6].
Il semble quâIppen convertit une large fange de la population Ă sa doctrine, peut-ĂȘtre plus de 250 000 personnes[2]. Du milieu du XIVe siĂšcle jusquâau dĂ©but du XVIe, lâĂ©cole Ji-shĆ« Ă©tait probablement lâĂ©cole amidiste la plus populaire du Japon. Toutefois, au XVIe siĂšcle, elle perdit fortement de son influence et nâest plus quâun mouvement religieux minoritaire au Japon de nos jours[7].
Doctrine
LâĂ©tude de la pensĂ©e dâIppen est rendue trĂšs complexe par lâabsence de documents de sa main ; selon la tradition, il aurait brĂ»lĂ© lâensemble de ses Ă©crits peu avant sa mort[2]. Sa doctrine est ancrĂ©e dans lâamidisme et le Shingon tantrique qui lâont beaucoup intĂ©ressĂ©. Des documents rapportent, sans preuve formelle, quâil a aussi Ă©tudiĂ© le Zen auprĂšs de Kakushin[1].
LâĂ©cole Ji-shĆ« quâil a fondĂ©e (il prĂ©fĂ©rait parler de congrĂ©gation plutĂŽt que dâĂ©cole[1]) prĂŽne la pratique assidue du nenbutsu, câest-Ă -dire la rĂ©citation de lâinvocation du nom du bouddha Amida : « Namu Amida Butsu »[4]. Quiconque ne se dĂ©tourne pas du nenbutsu peut selon lui accĂ©der Ă la Terre pure dâAmida (ĆjĆ), mĂȘme les non-croyants et les pĂ©cheurs. Selon les mots dâIppen, « le nenbutsu rĂ©cite de nenbutsu », la puissance dâAmida incarnĂ© par le nenbutsu transcende tous les karma[1]. Son Ă©cole est ainsi nommĂ©e Ji (le temps) en rĂ©fĂ©rence Ă la rĂ©citation du nenbutsu Ă tout moment de la journĂ©e. Ippen avait Ă©galement divisĂ© la journĂ©e en six pĂ©riodes, de sorte quâun fidĂšle Ă©tait chargĂ© de chanter le nenbutsu durant chacune dâelles. Câest la simplicitĂ© des doctrines et des pratiques religieuses du bouddhisme de la Terre pure qui rend ce courant si populaire auprĂšs du peuple japonais Ă lâĂ©poque de Kamakura[3].
La pratique religieuse dâIppen reposait sur deux principes essentiels : le fusan (distribution de tablettes portant lâinscription du nenbutsu) et le yĆ«gyĆ (le voyage), impliquant la renonciation Ă la propriĂ©tĂ©, le cĂ©libat et la pauvretĂ© matĂ©rielle[1]. Ippen se montrait strict et imposait un nombre dâeffets personnels trĂšs limitĂ©s aux fidĂšles qui pratiquaient le yĆ«gyĆ. Il pratiqua Ă©galement les nenbutsu dansĂ©s (odori nenbutsu)[1].
Sources
La vie dâIppen a fait lâobjet de plusieurs biographies dans la dĂ©cennie suivant sa mort, dont deux particuliĂšrement notables : la premiĂšre de son disciple et jeune frĂšre ShĆkai, la seconde de SĆshun (Ă©lĂšve de Taa, lui-mĂȘme disciple dâIppen)[8]. Chacune de ces biographies fut transcrite en emaki (rouleaux narratifs peints) intitulĂ©s Biographie illustrĂ©e du moine itinĂ©rant Ippen. Le premier emaki est achevĂ© en 1299 sous la supervision du peintre En-I, soit dix ans aprĂšs la mort dâIppen. La richesse de sa confection (usage de la soie) tĂ©moigne de l'importance du moine. Il existe plusieurs autres versions et des copies de ces emaki[9].
Références
- (en) Daigan Matsunaga et Alice Matsunaga, Foundation of Japanese Buddhism : The Aristocratic Age, vol. 2, Buddhist Books International, (ISBN 978-0-914910-28-2), p. 128-131
- Seiichi Iwao et Teizo Iyanaga, Dictionnaire historique du Japon, vol. 1, Maisonneuve et Larose, , 2993 p. (ISBN 978-2-7068-1633-8), p. 1188-1189
- Dictionnaire du Bouddhisme : termes et concepts, Maisonneuve et Larose, , 596 p. (ISBN 978-2-268-01122-6), p. 209
- (en) Kodansha Encyclopedia of Japan : J-Libe, vol. 4, KĆdansha, , 387 p. (ISBN 978-0-87011-624-7), p. 62
- (en) Elisabeth Moriarty, « Nembutsu Odori », Asian Folklore Studies, vol. 35, no 1,â , p. 7-16 (lire en ligne)
- (en) Louis Frédéric, Japan encyclopedia, Harvard University Press, (ISBN 0-674-01753-6, lire en ligne), p. 392
- Daigan et Alice Matsunaga, op. cit., 1974, p. 134-135
- (en) Akiyama Terukazu, « New Buddhist sects and emakimono (handscroll painting) in the Kamakura period », Acta Asiatica, vol. 20,â , p. 58-76
- Elise Grilli (trad. Marcel Requien), Rouleaux peints japonais, Arthaud, , p. 16
Bibliographie
- (en) James Harlan Foard, Ippen ShÎnin and Popular Buddhism in Kamakura Japan, Université Stanford,
- (ja) Kiyomitsu Kanai, äžéăšæèĄæćŁ, Tokyo, Kadokawa Shoten,â
- Elsa Saint-Marc, LâIppen hijiri-e (rouleaux peints du renonçant Ippen) : la mise en image dâune biographie, , 416 p. (prĂ©sentation en ligne) (thĂšse de lâInstitut national des langues et civilisations orientales)
- Kazuhiko SatĆ (trad. Anne Bouchy), « « Des gens Ă©tranges Ă l'allure insolite ». Contestation et valeurs nouvelles dans le Japon mĂ©diĂ©val », Annales. Histoire, Sciences Sociales, no 2,â , p. 307-340 (lire en ligne)