Principe fondamental
Introduction
Considérons tout d'abord une équation différentielle (ordinaire) linéaire à coefficients constants
où , et où avec
. Soit la décomposition en facteur premiers de sur :
où avec (, ). La solution générale de est maintenant bien connue[10], mais en vue de la généralisation qui va suivre nous allons indiquer une méthode algébrique (ou, plus précisément, relevant de l'« analyse algébrique ») pour déterminer cette solution. Posons et . On a
et cette expression est la décomposition primaire de l'idéal N de (les idéaux primaires étant les ). On a d'après le théorème des restes chinois, puisque les sont premiers entre eux pris deux à deux,
- .
D'autre part, l'espace des solutions dans un espace fonctionnel (qu'on suppose être un -module) de l'équation s'identifie à[6]
(voir l'article Module injectif). Or, on a d'après ce qui précède
- ,
soit donc .
Prenons (où ). Comme il est bien connu, tout élément de est de la forme
où et . On obtient donc le résultat classique
- .
Il en irait de même si l'on avait choisi pour l'espace des distributions ou l'espace des combinaisons linéaires d'exponentielles-polynômes
Soit l'idéal premier appartenant à (i.e. ) et la variété algébrique associée à (voir l'article Décomposition primaire). On a évidemment ici et on peut écrire
où est la mesure sur donnée par . C'est sous cette forme que la solution est généralisée dans ce qui suit[11].
On appelle variété caractéristique du -module l'ensemble algébrique . On a
où les sont les composantes irréductibles de V (voir l'article Décomposition primaire).
Notons encore que les polynômes ont la propriété suivante : un polynôme appartient à si, et seulement si
- ().
Les () sont appelés des opérateurs noethériens attachés à l'idéal primaire (terminologie de Palamodov[4]).
Représentation intégrale des solutions
La représentation intégrale détaillée des solutions, telle que présentée ci-dessous, a tout d'abord été obtenue par Palamodov[4], dont la terminologie est réutilisée dans cet article.
Définition du système différentiel
Considérons à présent le système multidimentionnel d'équation
où , , , , et (voir l'article Opérateur différentiel). Soit alors . Ce -module M de présentation finie est une représentation intrinsèque du système considéré (voir l'article Système linéaire). L'anneau est noethérien d'après le théorème de la base de Hilbert.
Soit un espace fonctionnel qui est un -module. Le -espace vectoriel des solutions du système défini par M dans s'identifie à
- .
(voir l'article Module injectif).
Variété caractéristique
La variété caractéristique associée au -module M est par définition l'ensemble algébrique V associé au module où . Cet ensemble coïncide avec l'ensemble des pour lesquels . La notion de variété caractéristique rend notamment possible la classification suivante des systèmes différentiels : le système est dit
- déterminé si (où est la dimension de V: voir l'article Décomposition primaire) ;
- surdéterminé si ;
- sous-déterminé si , i.e. .
Le cas d'un système sous-déterminé est écarté dans le reste de ce paragraphe. Généralisons les notations de l'introduction ci-dessus, en posant . Soit
la décomposition primaire de N, l'idéal premier appartenant à et la variété algébrique associée à . On a de nouveau
- .
Le lemme de normalisation de Noether entraîne qu'il existe un entier , tel que (i) , où , et (ii) est un -module de type fini. Soit le corps des fractions de l'anneau intègre et .
Ce nombre est la multiplicité de la variété algébrique , c'est-à-dire le nombre de points de où est une variété affine de de dimension , en position générale[12].
Opérateurs noethériens et solutions exponentielles-polynômes
Le -module est de type fini. Soit son rang, i.e.
- .
On montre que est un entier[12]. Pour tout , il existe des opérateurs noethériens, dits attachés au -module , et notés
- ()
où , ayant la propriété caractéristique suivante :
- et
où lorsque .
Dans la suite, est plongé dans où et on peut donc écrire . Soit
l'espace des combinaisons linéaires d'exponentielles-polynômes sur . On a le résultat suivant[13] :
Théorème — Les fonctions , sont des solutions du système différentiel dans .
Exemple
Considérons l'exemple suivant, dû à Palamodov[4], et détaillé par Hörmander[13] et Björk[12] :
d'où .
On vérifie que est un idéal primaire Q ; on peut donc dans ce qui suit omettre l'indice puisqu'il ne prend que la valeur 1. La variété caractéristique V s'obtient en écrivant , soit encore , d'où ; il s'agit donc de l'axe , et sa multiplicité est . On vérifie aussi que est l'idéal ; cet idéal est écrit pour plus de simplicité . Le quotient est engendré par les images canoniques et (ce qu'on écrira ), on a , et le rang r de sur est égal à 2. Par conséquent, . On peut choisir comme opérateurs noethériens[14] et avec . En effet, on vérifie que
- .
Les solutions exponentielles-polynômes du système différentiel forment donc le -espace vectoriel engendré par où
comme on le vérifie facilement a posteriori. On notera que dépend de et cette dépendance est inévitable dans cet exemple. Une méthode systématique pour déterminer des opérateurs noethériens associés à un module primaire a été obtenue par Oberst[15].
Principe fondamental
Soit un compact convexe. Nous caractérisons ici les solutions dans , l'espace des (germes de) fonctions fois continûment différentiables dans un voisinage ouvert de K[13]. La fonction support de K est
- .
Soit
- .
Théorème — Soit
où les sont des mesures complexes, de support est inclus dans . Supposons
où l'entier q est supérieur ou égal au degré de en . Il existe un entier tel que si est solution du système différentiel, alors l'intégrale apparaissant dans l'expression de ci-dessus, ainsi que ses dérivées jusqu'à l'ordre , est convergente absolument et uniformément (par rapport à x). Réciproquement, cette expression définit une solution du système différentiel dans .
D'autres conditions fournissent les solutions dans des espaces de distributions[4] ou d'hyperfonctions[16].
On suppose dans tout ce qui suit que l'anneau est muni de la topologie discrète, ce qui en fait un anneau topologique.
Le résultat suivant est clair :
On a d'autre part le résultat suivant[5] - [4] - [7] :
L'espace des hyperfonctions sur un ouvert convexe de n'est pas un espace vectoriel topologique, néanmoins une représentation intégrale telle que ci-dessus existe pour une hyperfonction , les intégrales devant être prises au sens des hyperfonctions[16] (ce résultat est dû à Kaneto).
Systèmes différentiels non homogènes
Position du problème
Considérons maintenant le système multidimentionnel d'équation
où l'opérateur D est défini comme plus haut ; désigne de nouveau l'anneau des opérateurs différentiels et . Le second membre v appartient à où un espace fonctionnel qui est un -module. La question qui se pose est de savoir si ce système admet des solutions .
Condition de compatibilité
Puisque l'anneau est noethérien, il existe une matrice , avec , pour laquelle la suite
est exacte, c'est-à-dire .
En effet, est de type fini, et il suffit donc de choisir une matrice dont les lignes forment un ensemble générateur de (ce raisonnement resterait valable si était seulement un anneau cohérent).
Puisque , pour que le système ci-dessus ait une solution, il faut évidemment que la condition de compatibilité
soit satisfaite. La question qui se pose est de savoir si cette condition de compatibilité, qui est nécessaire, est suffisante pour que le système différentiel admette une solution, c'est-à-dire si l'on a
- .
Principe fondamental, injectivité et platitude
Théorème — Supposons que vérifie le principe fondamental. Alors la suite
est exacte.
Démonstration
Cette démonstration reprend, en la détaillant et en la complétant, celle de Palamodov[20]. Par commodité, la formulation ci-dessous utilise l'opérateur plutôt que D. La discussion qui précède montre qu'on a toujours
- .
Il suffit donc de montrer que, si vérifie le principe fondamental,
- .
En effet, le principe fondamental dit que est un sous-espace fermé de et que l'adhérence dans de est égale à . Il suffit donc de montrer que
autrement dit que la suite
est exacte. Il suffit que pour tout la suite
soit exacte, où . On se ramène au cas où par une translation appropriée des matrices et , et . Soit l'espace des séries formelles en . Muni de la topologie de convergence simple des coefficients, est un espace de Fréchet[21]. Soit la forme bilinéaire définie pour
par la relation
- .
Cette forme bilinéaire est séparante, i.e. si pour tout alors , et si pour tout alors . Elle met donc les espaces vectoriels et en dualité séparante[22]. On montre facilement que toute forme linéaire continue sur est de la forme pour un , par conséquent s'identifie au dual de l'espace de Fréchet [21] ; par ailleurs est limite inductive stricte des espaces de dimension finie formés des polynômes de degré inférieur ou égal à m. L'opérateur :\mathbf {S} \rightarrow \mathbf {S} }
(multiplication par est linéaire et continu, et
i.e. la multiplication par est le transposé de l'opérateur .
Or la suite
est exacte. Puisque est le complété de pour la topologie -adique (où désigne l'idéal engendré par ), est un -module plat. Par conséquent, la suite
est exacte. Par dualité[22],
et il reste donc à montrer que est un sous-espace vectoriel fermé de . Or, E est limite inductive stricte de la suite strictement croissante des espaces de dimension finie . Soit une suite généralisée de V convergeant dans E vers un point x. Il existe un entier m tel que et converge vers x dans [23]. Puisque est de dimension finie, est fermé dans , par conséquent x appartient à , d'où il suit que V est fermé dans E. On en déduit que la suite
est exacte, ce qu'il fallait démontrer.
Corollaire — Tout opérateur admet une solution fondamentale (ou « fonction de Green ») qui est une distribution d'ordre fini[9].
Oberst[24] - [25] a montré que l'espace des combinaisons linéaires d'exponentielles-polynômes est le -module cogénérateur canonique.
En outre, le module des hyperfonctions sur un ouvert convexe de est un cogénérateur injectif (d'après un résultat dû à Komatsu[27]). Pour que soit un -module divisible, l'ouvert étant connexe, il est nécessaire (et suffisant) que soit convexe (résultat dû à Malgrange[6]).
En liaison avec le corollaire ci-dessus, on obtient par dualité le résultat suivant[4] :
On notera qu'un -module injectif ne vérifie pas nécessairement le principe fondamental au sens précisé ci-dessus. Par exemple, l'espace des distributions tempérées sur est un -module injectif[29], mais ne contient pas les exponentielles-polynômes, et n'est donc pas cogénérateur. (Néanmoins, son dual , à savoir l'espace de Schwartz des fonctions déclinantes, est un -module plat[6], ce qu'on peut conclure aussi d'un résultat général sur la dualité entre injectivité et platitude[26].)