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Pompeia Paulina

Pompeia Paulina, Ă©pouse de l'homme d'Ă©tat et philosophe SĂ©nèque, a vĂ©cu Ă  Rome au Ier siècle, sous l'empereur NĂ©ron. En 65, NĂ©ron exige que SĂ©nèque se suicide, l'accusant d'avoir pris part Ă  la conjuration de Pison organisĂ©e contre lui. Paulina tente de mourir avec son mari, mais survit Ă  sa tentative de suicide.

Pompeia Paulina
Paulina et SĂ©nèque dans La Mort de SĂ©nèque, NoĂ«l HallĂ©, 1750, Boston, musĂ©e des beaux-arts.
Biographie
Époque
Fratrie
Conjoint
Gens
Pompeii (en)

Sources antiques

L'essentiel de ce que l'on sait de Paulina vient du livre XV, chapitres 60 Ă  64 des Annales de Tacite quand il dĂ©crit le suicide de SĂ©nèque.

SĂ©nèque quant Ă  lui fait une seule mention significative du nom de son Ă©pouse dans une des Lettres Ă  Lucilius, la lettre 104 qui date de 64. Il l'a Ă©crite juste juste après son voyage de Rome Ă  sa villa Ă  Nomentum, alors qu'il Ă©tait souffrant.

« J’ai fui dans ma terre de Nomentum ... devine quoi ? « La ville ? » Non, mais la fièvre qui s’annonçait. DĂ©jĂ  elle mettait la main sur moi : je fis bien vite prĂ©parer ma voiture, malgrĂ© ma Pauline, qui voulait me retenir. « Le mal est Ă  son dĂ©but, disait le mĂ©decin, le pouls agitĂ©, inĂ©gal, troublĂ© dans sa marche naturelle. » Je m’obstine Ă  partir : je donne pour raison ce mot de mon honorĂ© frère Gallio qui, pris d’un commencement de fièvre en AchaĂŻe, s’embarqua aussitĂ´t en s’écriant : « Ce n’est pas de moi, c’est du pays que vient le mal. » VoilĂ  ce que je rĂ©pĂ©tais Ă  ma Pauline qui est cause que ma santĂ© a plus de prix pour moi. Oui, comme je sais que sa vie tient Ă  la mienne, je commence, par Ă©gard pour elle, Ă  m’écouter un peu ; et aguerri par la vieillesse sur bien des points, je perds sur celui-ci le bĂ©nĂ©fice de mon âge. Je me reprĂ©sente que dans ce vieillard respire une jeune femme qu’il faut mĂ©nager ; et comme je ne puis gagner sur elle d’être aimĂ© avec plus de courage, elle obtient de moi que je m’aime avec plus de soin.  [...] Quoi de plus agrĂ©able, en effet, que d’être chĂ©ri d’une Ă©pouse au point d’en devenir plus cher Ă  soi-mĂŞme ? Aussi ma Pauline peut compter que j’éprouve ses craintes pour moi, en outre des miennes. »

Dans sa Consolation Ă  Helvia (Ad Helviam matrem de consolatione), Ă©crite en 41, SĂ©nèque mentionne son fils nouveau-nĂ© rĂ©cemment dĂ©cĂ©dĂ© ; dans De la colère (De ira), il explique comment sa femme comprend ses mĂ©ditations nocturnes. Dans sa Vie de SĂ©nèque en latin, prĂ©face Ă  son Ă©dition des Ĺ“uvres du philosophe, publiĂ©e Ă  Anvers en 1605, l'Ă©rudit Juste Lipse affirme qu'il ne s'agit pas de Paulina mais d'une Ă©pouse d'un premier lit ; selon RenĂ© Waltz, aucun document ne permet d'affirmer que Paulina n'a Ă©pousĂ© SĂ©nèque qu'en secondes noces[1], mais la question n'est pas tranchĂ©e.

Famille et mariage

Pline l'Ancien mentionne dans son Histoire naturelle (33, 143) que la famille de PompĂ©ius Paulinus est originaire d'Arles en Gaule[2]. Entre 48 et 55, SĂ©nèque Ă©crit son dialogue De Brevitate Vitae (De la brièvetĂ© de la vie) qu'il dĂ©die Ă  Paulinus[3], important armateur d'Arles, qui fut prĂ©fet de l'annone (praefectus annonae) de 48 Ă  55, c’est-Ă -dire chargĂ© du ravitaillement de Rome, et faisait partie de l'ordre Ă©questre[4] ; il est gĂ©nĂ©ralement admis qu'il s'agit du père de Paulina.

Un autre membre de la famille, Aulus Pompeius Paulinus, a été consul suffect un peu avant 54[5] et légat en Germanie vers 55 de notre ère ; il pourrait être le frère de Paulina[6].

Si l'on suit René Waltz, Paulina épouse Sénèque vers l'an 38 : Sénèque a environ quarante-deux ans et Paulina est plus jeune que lui. Ils ont deux fils : l'un meurt en 41 ; l'autre s'appelle Marcus, sans qu'on en sache plus[7].

Tentative de suicide

Au lendemain de la conjuration de Pison, le 12 avril 65 ap. J.-C., NĂ©ron ordonne Ă  SĂ©nèque de se tuer lui-mĂŞme et envoie des soldats pour vĂ©rifier que l'acte a Ă©tĂ© fait. Tacite rapporte que Paulina voulait aussi mourir ; SĂ©nèque s'Ă©tait ouvert les veines des jambes et des bras, Paulina s'ouvre les veines des poignets. SĂ©nèque, tout en Ă©tant consternĂ©, ne dĂ©sapprouve pas entièrement sa dĂ©cision. En apprenant qu'elle essayait de se suicider, NĂ©ron ordonne qu'on la sauve, plus pour sauver la face et Ă©viter l'accusation de cruautĂ© que dans un souci rĂ©el pour la vie de Paulina ; il envoie des soldats pour s'assurer que ses esclaves et affranchis lui ont bandĂ© les poignets ; Paulina survit.

Pauline ne se remarie pas et reste fidèle à la mémoire de son mari. Tacite indique qu'après sa tentative de suicide, elle est restée d'aspect fragile, avec un visage anormalement pâle[8]. Elle meurt quelques années plus tard.

Dans l'art et la littérature

SĂ©nèque et Paulina dans La Mort de SĂ©nèque  de David, 1773, Paris, Petit Palais.

Peinture

Paulina est représentée au côté de son mari dans plusieurs tableaux représentant la mort de Sénèque, en particulier dans l'art français du XVIIIe siècle.

NoĂ«l HallĂ© peint La Mort de SĂ©nèque en 1750[9]. En 1773, l'AcadĂ©mie Royale propose ce thème pour son Grand Prix[10], et dĂ©cerne le premier prix Ă  Pierre Peyron, mais le tableau est perdu ; il est connu par une gravure.

La mort de Sénèque, gravée par Peyron d'après son propre tableau.

Jacques-Louis David prĂ©sente aussi La Mort de SĂ©nèque pour ce prix. Dans les deux tableaux, Paulina est mise en Ă©vidence, en particulier dans le tableau de David[11] - [12].

En 1792-1793, Jean-Joseph Taillasson peint Pauline, femme de SĂ©nèque, rappelĂ©e Ă  la vie, qu'il expose au Salon des artistes français Ă  Paris en 1793[13] ; le tableau, conservĂ© au musĂ©e du Louvre Ă  Paris, ne prĂ©sente que Paulina, en excluant SĂ©nèque : un soldat romain entrant dans la salle s'assure qu'on bande les poignets de Pauline pour arrĂŞter les saignements[14]

Gravure

Paulina est l'un des personnages de la Galerie des femmes fortes publiée par Pierre Le Moyne en 1647[15] ; le chapitre qui lui est consacré, p. 242-249, est illustré par une gravure sur cuivre d'Abraham Bosse d'après Claude Vignon[16].

En littérature

Pompeia Paulina est l'une des 106 femmes cĂ©lèbres dĂ©crites par Giovanni Boccace dans le De mulieribus claris[17] ; elle figure, sous le nom de « Pauline Pompeye Â», dans le rĂ©cit allĂ©gorique de Christine de Pizan, la CitĂ© des dames, comme l'une des femmes « qui ont portĂ© grand amour Ă  leurs maris et fournissent ainsi des arguments Ă  ceux qui pensent, comme Christine, "que la vie de mariage n'est point si dure Ă  porter" (...) et que l'amour conjugal a poussĂ©es Ă  sacrifier ou du moins Ă  risquer leur vie. »[18].

Dans la lignée du De claris mulieribus, Paulina apparaît dans Le Champion des dames, le vigoureux plaidoyer de Martin Le Franc écrit fin 1441 ou début 1442, un des plus importants ouvrages allégoriques suscités par la querelle des femmes à la fin du Moyen Âge ; dans un des manuscrits de ce texte (Paris, Bibliothèque nationale de France, Français 12476), une miniature représente Paulina suppliant Sénèque de l'autoriser à l'accompagner dans la mort[19].

Sénèque et Pauline, gravure sur bois mise en couleur dans la traduction allemande du texte de Boccace par Heinrich Steinhöwel, publiée à Ulm vers 1474 par Johannes Zainer.

Dans le chapitre II, 35 des Essais de Michel de Montaigne, "De trois bonnes femmes", Paulina est l'une des trois femmes romaines de mĂ©rite citĂ©es[20] - [21].

« A quoy Paulina ayant un peu repris ses esprits et reschauffé la magnanimité de son courage par une tres-noble affection : Non, Seneca, respondit-elle, je ne suis pas pour vous laisser sans ma compaignie en telle necessité ; je ne veux pas que vous pensiez que les vertueux exemples de vostre vie ne m’ayent encore appris à sçavoir bien mourir ; et quand le pourroy-je ny mieux, ny plus honnestement, ny plus à mon gré, qu’avecques vous ? Ainsi faictes estat que je m’en vay quant et vous. »

Dans la tragédie de Tristan L'Hermite, La Mort de Sénèque, jouée en 1644 par la troupe de l'Illustre Théâtre de Madeleine Béjart et Molière, publiée en 1645, le personnage de Paulina, (Pauline) apparaît dans la première scène du dernier acte ; elle supplie Sénèque de la laisser mourir avec lui et se soumet au refus de son époux[22].

Patrick de Carolis publie en 2011 La Dame du Palatin, une biographie romancée de Pompeia Paulina[23].

Notes et références

  1. René Waltz 1905, p. 223.
  2. (en) Liz Gloyn, The Ethics of the Family in Seneca, 2017, Cambridge University Press, p. 100.
  3. (en) Gareth D. Williams, Seneca : Anger, Mercy, Revenge, University of Chicago Press, , 247 p. (ISBN 978-0-226-74842-9 et 0-226-74842-1, lire en ligne), « Introduction », p. 107.
  4. JĂ©rĂ´me Carcopino, « Choses et gens du pays d'Arles Â», dans Revue du Lyonnais, 1922, n° 6, p. 47-70.
  5. Werner Eck 2001.
  6. (en) Anthony A. Barrett, Elaine Fantham et John C. Yardley, The Emperor Nero: A Guide to the Ancient Sources, Princeton University Press, 2016, p. 143.
  7. René Waltz 1905, p. 229.
  8. M. Bunson 1994.
  9. James Ker 2012, p. 233.
  10. James Ker 2012, p. 230.
  11. « La mort de Sénèque », sur Petit Palais.
  12. Régis Michel et Marie-Catherine Sahut, David, l'art et le politique, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », (ISBN 2-07-053068-X), p. 19.
  13. Notice no 00000106433, base Joconde, ministère français de la Culture
  14. « Pauline, femme de Sénèque, rappelée à la vie », sur Musée du Louvre.
  15. En ligne sur Google livres
  16. « Galerie des femmes fortes : Pauline », sur Réunion des Musées nationaux.
  17. (en) G. A. Guarino, Boccaccio, Concerning Famous Women number ninety-four, New Brunswick, 1963.
  18. Alfred Jeanroy, « Boccace et Christine de Pisan : le De claris mulieribus, principale source du Livre de la Cité des Dames », Romania, tome 48 n°189, 1922. pp. 93-105, vol. 48, no 189,‎ , p. 93-105 (lire en ligne).
  19. « Mort de Sénèque (Paris, BnF, Français 12476 f.65v) », sur Biblissima (consulté le ).
  20. Ann Moss, « Montaigne et Shakespeare : rencontres au féminin », dans Actes des congrès de la Société française Shakespeare, n° 21, 2004 Lire en ligne.
  21. James Ker 2012, p. 319.
  22. NapolĂ©on-Maurice Bernardin, « Le Théâtre de Tristan l'Hermite : la mort de SĂ©nèque Â», dans Revue des cours et confĂ©rences, 20e annĂ©e, 1911-1912, Lire en ligne.
  23. « "La dame du Palatin " de P. de Carolis », sur DominaHistoria, .

Annexes

Textes antiques

Bibliographie

  • (en) « Paulina or Paullina Â», dans W. Smith, Ă©d., A dictionary of Greek and Roman biography and mythology, Boston, 1867, vol. I, p. 141 Lire en ligne.
  • RenĂ© Waltz, « Le Mariage de SĂ©nèque Â», dans Revue des Études Anciennes, 1905, tome 7, n° 3, p. 223-230 Lire en ligne.
  • Marie-ThĂ©rès Raepsaet-Charlier, Prosopographie des femmes de l’ordre sĂ©natorial (Ier-IIe siècle), Louvain, Peeters, 1987, 2 vol. n° 630.
  • (en) M. Bunson, « Paulina, Pompeia Â», dans Encyclopedia of the Roman Empire, New York, 1994, p. 316.
  • (de) « Pompeia Paulina Â», dans Bernhard Kytzler, Frauen der Antike, Francfort, Insel-Verlag, 1997, p. 135.
  • (en) M. Lightman et B. Lightman, « Pompeia Paulina Â», dans Biographical Dictionary of Ancient Greek and Roman Women: Notable Women from Sappho to Helena, New York, 2000, p. 190.
  • (de) Werner Eck, « Pompeia 6) Â», dans Der Neue Pauly (DNP), Stuttgart, Metzler, 2001, vol. 10, col. 89.
  • (en) James Ker, The Deaths of Seneca, Oxford University Press, 2012.
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