Plan Hindenburg
Le plan Hindenburg est une planification économique de la fabrication de matériel de guerre par le Reich. Mis en place à partir de 1916, il porte le nom du chef de l'état-major allemand durant la Première Guerre mondiale, Paul von Hindenburg. Les concepteurs de ce programme visent à accroître de façon importante la production d'armements et à accentuer la soumission de l'économie du Reich et de ses alliés aux besoins de la guerre qui se prolonge.
Contexte
Situation militaire
Au cours de l'année 1916, Erich Ludendorff et Paul von Hindenburg prennent conscience, notamment au cours de la bataille de la Somme, que les Alliés ont engagé tous leurs moyens pour parvenir à la victoire[1].
De plus, au cours de l'été 1916, la situation militaire du Reich et de ses alliés apparaît compromise, dans un contexte marqué par les initiatives alliées, à l'Est, à l'Ouest, dans les Alpes et dans les Balkans[2].
La Grande Guerre, une guerre de coalitions
L'été 1916 est aussi marqué par une refonte de la conduite de la guerre au sein de la Quadruplice : le , Paul von Hindenburg et Erich Ludendorff sont nommés à la tête de l'Oberste Heeresleitung[T 1], le commandement militaire allemande, tandis que Guillaume II exerce le commandement nominal de l'ensemble des armées de la Quadruplice[2].
Cette évolution sanctionne en réalité l'inégalité réelle entre les différents alliés de la Quadruplice. En effet, le Reich est alors le principal fournisseur de ses alliés en matières premières et en matériel de guerre, s'appliquant à leur garantir les moyens de se maintenir dans le conflit, sans pour autant toujours disposer de contreparties : la double monarchie fournit des obusiers lourds et du bois, tandis que la Bulgarie et l'empire ottoman, dont l'effort de guerre est pris en charge par le Reich et son industrie de façon quasi exclusive, ne sont pas en mesure de fournir des compensations aux livraisons allemandes[3].
Mise en place et principe
Le programme Hindenburg se caractérise par une forte centralisation dans le domaine de la définition des besoins et, liée à cette centralisation, une grande rapidité d’exécution des décisions prises.
Mise en place
Dès son arrivée comme adjoint du chef d'état-major allemand, Erich Ludendorff, le principal initiateur des projets allemands de mobilisation économique à partir de ce moment, présente au chancelier du Reich, Theobald von Bethmann Hollweg, un projet visant à rationaliser l'économie de guerre allemande[4].
Signé par son supérieur Paul von Hindenburg le , le courrier numéro « 33825-op » prescrit une augmentation de la production de matériel de guerre ; il est complété en par deux autres propositions de réorganisation du ministère de la guerre prussien, prévoyant la mise en place d'un Kriegsamt, chargé du strict contrôle des allocations de matières premières, de l'affectation de la main d’œuvre, de la production de matériel de guerre, de la gestion du commerce extérieur du Reich, de la politique de rationnement de la population civile[4].
Mise en Å“uvre rapide de projets innovants
Pour faite face à la pénurie de matières premières, les industriels du Reich multiplient les projets de recherche, mais les résultats de ces recherches aboutit à créer des produits de moindre qualité. Ainsi, des alliages innovants sont ainsi créés, mais ils demeurent moins résistants que les métaux employés avant le conflit[5].
Exploitation économique des territoires conquis
Les territoires conquis sont aussi mis à contribution, par le biais de réquisitions importantes, tandis que des contributions exceptionnelles sont massivement levées pour subvenir aux frais de l'administration militaire[6].
Ainsi, par exemple dans le Royaume de Pologne, de sévères réquisitions de denrées alimentaires sont organisées, les forêts sont pillées pour les besoins du Reich, des déportations de main d’œuvre vers le Reich sont mises en place[7].
Résultats
Programme économique risqué, le programme Hindenburg se trouve limité par les multiples goulots d'étranglement dans l'économie du Reich[1].
Standardisation de la production
La massification de la production oblige les responsables économiques du Reich à mettre en place une production standardisée. Ainsi, par exemple, les calibres des pièces d'artillerie sont uniformisés, aboutissant à la constitution d'un parc d'artillerie comportant 5 calibres[8].
Augmentation de la production
En 1918, les objectifs chiffrés de la planification sont remplis. Tous les indicateurs établis donnent l'impression d'objectifs atteints.
Les objectifs de production de pièces d'artillerie sont ainsi tous dépassés ; ainsi, en , avant le déclenchement de la dernière offensive allemande sur le front de l'Ouest, le principal parc d'artillerie du Reich, près de Cologne, compte près de 3 500 canons de 77 et 2 500 pièces de 105[9].
Les stocks de cette réserve sont à peine entamés en ; en effet, les parcs débordent de matériels et les stocks de munitions sont remplis au mois d'[9].
Limites
La constitution de ces stocks impressionnants masque cependant le manque récurrents de soldats à partir de la fin de l'année 1916. Ainsi, les batteries d'artillerie créées grâce aux moyens utilisés sont souvent parquées dans les magasins de l'armée, faute de servants ; de plus, le manque de chevaux rend leur acheminement vers le front hasardeux en l'absence de moyens de transports[10].
De plus, l'augmentation de la production a éloigné du front de nombreux ouvriers spécialisés : ils étaient 1 190 000 ouvriers au mois d', ils sont 2 154 000 au ; parmi ces ouvriers, on recense 738 000 sursitaires lors de la mise en place du plan, et 1 097 000 en [10]. Cette ponction remet en cause les capacités offensives de l'armée allemandes ; de plus, cette ponction et ses conséquences militaires illustrent parfaitement les limites des possibilités de mobilisation du Reich dans un conflit meurtrier et prolongé[1].
Puis, la mobilisation de la population pour la satisfaction des besoins en armes de l'armée crée des pénuries de main d’œuvre et de matières premières dans les autres secteurs de l'économie : ainsi, les besoins de l'agriculture, méprisés par les militaires, sont négligés, créant les conditions de la pénurie alimentaire qui sévit dans le Reich en 1918[11].
Enfin, la croissance importante de la commande de guerre oblige les responsables économiques du Reich à créer massivement de la monnaie pour financer le conflit : cette politique revient à affaiblir le Mark, en générant une forte inflation[1] .
Conséquences
La satisfaction à court terme des besoins de l'armée en équipements épuise l'économie et génère un mécontentement diffus dans la population soumise à des pénuries toujours plus importantes au fil du conflit[1]. De plus, les populations urbaines deviennent méfiantes voire haineuses à l'encontre des populations rurales, soupçonnées de garder les denrées alimentaires pour leur consommation ou pour les vendre au prix fort[5].
Dans le même temps, handicapée par les ponctions en hommes, en carburant et en machines, la production agricole chute de façon spectaculaire dès 1916, entraînant une hausse des prix des denrées alimentaires. la baisse de la production et son corollaire, la hausse des prix alimentaire, conduisent le pays au bord de la famine dès le début de l'année 1918[11].
Dans le temps, les Ersatz règnent en maître dans l'alimentation des citadins[5]. Ainsi, au début de l'année 1918, le pain de guerre est fabriqué à partir de la farine mélangé à de la fécule de pomme de terre auxquels on ajoute de l'argile, de la pâte à modeler et de la sciure de bois[12].
Enfin, à la faveur de la rationalisation de l'économie allemande, les services d'Erich Ludendorff s'immiscent tous les jours davantage dans la vie politique et administrative, instituant en 1918 une dictature militaire de fait, tandis que l'empereur se montre de moins en moins capable de s'imposer au chef d'état-major adjoint, toujours respectueux de la personne impériale, certes, mais très autoritaire dans ses échanges avec l'empereur Guillaume[13].
Notes et références
Traductions
- Commandement suprême de l'armée.
Notes
Références
- Kennedy 1989, p. 312.
- Laparra 2006, p. 179.
- Renouvin 1934, p. 339.
- Laparra 2006, p. 183.
- Le Naour 2016, p. 286.
- Laparra 2006, p. 184.
- Szymczak 2015, p. 44.
- Laparra 2006, p. 247.
- Laparra 2006, p. 246.
- Laparra 2006, p. 239.
- Kennedy 1989, p. 313.
- Le Naour 2016, p. 285.
- Laparra 2006, p. 185.
Voir aussi
Bibliographie
- Fritz Fischer (trad. Geneviève Migeon et Henri Thiès), Les Buts de guerre de l’Allemagne impériale (1914-1918) [« Griff nach der Weltmacht »], Paris, Éditions de Trévise, , 654 p. (BNF 35255571).
- Paul Michael Kennedy (trad. Marie-Aude Cochez et Jean-Louis Lebrave), Naissance et déclin des grandes puissances : transformations économiques et conflits militaires entre 1500 et 2000 [« The Rise and Fall of the Great Powers »], Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot » (no 63), , 415 p. (ISBN 978-2-228-88401-3).
- Jean-Claude Laparra, La machine à vaincre : L'armée allemande 1914-1918, Paris, Éditions SOTECA, 14-18 Éditions, , 324 p. (ISBN 978-2-9519539-8-7, DOI 10.14375/NP.9782951953987).
- Jean-Yves Le Naour, 1918 : L'étrange victoire, Paris, Perrin, , 411 p. (ISBN 978-2-262-03038-4).
- Pierre Renouvin, La Crise européenne et la Première Guerre mondiale, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Peuples et civilisations » (no 19), , 779 p. (BNF 33152114).
- Georges-Henri Soutou, L'or et le sang : Les Buts de guerre économiques de la Première Guerre mondiale, Paris, Fayard, , 963 p. (ISBN 2-213-02215-1).
- Damian Szymczak, « Comment les Polonais retrouveront-ils leur indépendance ? », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 4, no 260,‎ , p. 33-58 (DOI 10.3917/gmcc.260.0033, lire en ligne).