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Peur des lépreux de 1321

La peur des lĂ©preux de 1321 est un prĂ©tendu complot de lĂ©preux français dans le but de propager leur maladie, en contaminant l'eau des puits des chrĂ©tiens avec l'aide de poudres et de poisons[1].

Deux lépreux se voient refuser l'entrée dans une ville.
Enluminure du XIVe siècle.

Selon l'historien juif amĂ©ricain Salomon Grayzel, les lĂ©preux sont majoritairement maltraitĂ©s durant le Moyen Ă‚ge, jetĂ©s hors des agglomĂ©rations et traitĂ©s comme des animaux sauvages, en raison de la croyance selon laquelle la maladie Ă©tait très contagieuse.

Juifs et musulmans d'Espagne sont accusés d'être impliqués dans cette affaire, ce qui donne aux autorités locales une excuse valable pour attaquer à la fois les juifs et les communautés de lépreux. L'hystérie se propage rapidement vers les royaumes voisins, notamment vers le royaume d'Aragon.

France

Un lépreux agitant sa crécelle.
Enluminure du Livre des propriétés de choses de Barthélémy l'Anglais, Paris, BnF, département des Manuscrits, ms. Français 9140, fo 15 vo, fin du XVe siècle.
Gravure antisémite représentant un juif incitant deux lépreux à empoisonner un puits.
Illustration extraite de La France juive d'Édouard Drumont, Paris, Librairie Blériot, 1885.

Les rumeurs Ă©clatent vers le printemps de 1321, terrorisant ainsi les habitants du sud de la France. Les supplices des lĂ©preux s'ensuivent, et sous la torture certains « avouent Â» qu'ils agissent sur ordres des Juifs, eux-mĂŞmes soudoyĂ©s par les musulmans d'Espagne, pour tenter d'« empoisonner la population chrĂ©tienne d'Europe[2]. »

La panique se dĂ©veloppe Ă  la suite de la Croisade des pastoureaux qui a eu lieu l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente, durant laquelle des foules de jeunes hommes et femmes en milieu rural attaquèrent des Juifs en France et dans le royaume d'Aragon voisin, malgrĂ© les demandes faites par le pape Jean XXII, le roi Philippe V de France et le roi Jacques II d'Aragon de mettre un terme aux attaques[3]. DĂ©jĂ  en 1320, alors qu'ils pillaient une lĂ©proserie, certains croisĂ©s avaient affirmĂ© avoir trouvĂ© des barils remplis de pain pourri (peut-ĂŞtre près de Le Mas-d'Agenais), et en firent une accusation importante et peu commune, affirmant que les lĂ©preux avaient l'intention d'utiliser le pain pour prĂ©parer des poisons afin de contaminer l'eau des puits. Les rumeurs qui dĂ©clenchent la violence de 1321 y trouvent peut-ĂŞtre leur origine. Tandis que la Croisade des pastoureaux a Ă©tĂ© menĂ©e par des Ă©meutiers, la persĂ©cution des lĂ©preux est orchestrĂ©e par les autoritĂ©s municipales, qui la judiciarisent alors qu'elle Ă©tait originellement extralĂ©gale, le pouvoir judiciaire demeurant une prĂ©rogative royale.

Philippe V « le Long Â» se trouve dans la rĂ©gion lorsque les histoires commencent Ă  circuler. Le souverain se retrouve confrontĂ© Ă  une situation difficile, ne pouvant ouvertement ni cautionner ni condamner la persĂ©cution. En effet, la première option pourrait conduire Ă  davantage de violence tandis que la seconde porterait atteinte Ă  l'autoritĂ© royale[4].

L'inquisiteur dominicain Bernard Gui est chargĂ© de mener une enquĂŞte approfondie[5]. Le , le roi Philippe V ordonne par dĂ©cret que tous les lĂ©preux soient emprisonnĂ©s et interrogĂ©s sous la torture. Les coupables doivent ĂŞtre brĂ»lĂ©s sur le bĂ»cher. DĂ©clarĂ©s criminels de lèse-majestĂ©, les lĂ©preux auraient dĂ» se voir confisquer leurs biens par la Couronne, mais cette dĂ©cision est rejetĂ©e par les vassaux du souverain.

Aragon

"Sache Ă©galement, MaĂ®tre, que des lĂ©preux ont Ă©tĂ© capturĂ©s Ă  Avignon et sont soumis Ă  la torture, et on raconte qu'ils ont avouĂ© qu'ils avaient l'intention d'empoisonner toutes les eaux des puits et des fontaines existant en dehors des maisons. Il a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ© Ă  Avignon que personne ne devrait utiliser de l'eau provenant de fontaines extĂ©rieures. Il est dit que les Juifs ont donnĂ© leur consentement a tout ceci. Nous vous informons Votre SĂ©rĂ©nitĂ© de cela, pour que vous puissiez prendre des prĂ©cautions contre de tels actes et qu'aucun mal ne vienne sur votre peuple."
Extrait de la lettre du roi Sanche de Majorque au roi Jacques II d'Aragon[4]

Les nouvelles sur le complot se rĂ©pandent rapidement vers les pays voisins. Le roi Jacques apprend le coup montĂ© et les violences qui l'accompagnent presque immĂ©diatement[1]. Son cousin, le roi Sanche de Majorque, l'informe de la situation en France dans une lettre datĂ©e du , mais le roi Jacques y rĂ©flĂ©chit pendant presque une semaine. Les lĂ©preux français, fuyant « le fouet de la justice », comme Jacques l'Ă©crit dans une lettre Ă  ses fonctionnaires, cherchaient dĂ©jĂ  un refuge dans son royaume. Le roi ordonne l'arrestation et l'expulsion de tous les lĂ©preux Ă©trangers, tandis que les Juifs ne sont pas mentionnĂ©s. Au , il change d'avis en faveur d'une approche plus sĂ©vère[4]. Il ordonne non seulement la saisie des malades, la destruction de leurs poudres et l’interrogatoire sous la torture[1] mais aussi l'arrestation et l'expulsion des Ă©trangers non-lĂ©preux « car il est difficile, mĂŞme impossible, de les reconnaĂ®tre et de les identifier[4]. » Des investigations locales sont menĂ©es Ă  Manresa, Ejea de los Caballeros, Huesca, Montblanc, Tarazona et Barcelone. Ceux qui avouent sont brĂ»lĂ©s[1] Des lĂ©proseries sont attaquĂ©es et leurs biens saisis, y compris l'ancienne lĂ©proserie rattachĂ©e Ă  l’église de Santa Maria de Cervera[4].

Une personne soupçonnĂ©e d'ĂŞtre lĂ©preuse est souvent examinĂ©e et diagnostiquĂ©e par de simples personnes effrayĂ©es plutĂ´t que par des mĂ©decins expĂ©rimentĂ©s. Un an après la panique, un mĂ©decin appelĂ© Amonant dĂ©cide de quitter la Gascogne pour le royaume d'Aragon, avant d'ĂŞtre arrĂŞtĂ© dans la province de Huesca et accusĂ© d'ĂŞtre un lĂ©preux ayant l'intention d'empoisonner l'eau. Le mĂ©decin fait appel au fils du roi Jacques, Alphonse, qui dĂ©cide de lui accorder un examen par les mĂ©decins locaux. Ceux-ci confirment qu'il n'est pas infectĂ©. EffrayĂ©, il choisit nĂ©anmoins de quitter Aragon. L'incident, ainsi que de nombreux d'autres, a probablement aidĂ© Ă  promouvoir le diagnostic mĂ©dical de la lèpre.

Références

  1. (en) Michael R. McVaugh, Medicine Before the Plague : Practitioners and Their Patients in the Crown of Aragon, 1285–1345, Cambridge University Press, , 220 p. (ISBN 0-521-52454-7).
  2. (en) Solomon Grayzel, A History of the Jews : From the Babylonian Exile to the End of World War II, Jewish Publication Society of America, , 389–391 p. (ISBN 0-521-52454-7).
  3. (en) William Chester Jordan (en), The Great Famine : Northern Europe in the early Fourteenth Century, Princeton University Press, , 328 p. (ISBN 1-4008-2213-0, lire en ligne), p. 171.
  4. (en) David Nirenberg, Communities of Violence : Persecution of Minorities in the Middle Ages, Princeton University Press, , 52–65 p. (ISBN 0-691-05889-X).
  5. (en) James Franklin (en), The Science of Conjecture : Evidence and Probability Before Pascal, Taylor & Francis, (ISBN 0-8018-7109-3), p. 37.

Voir aussi

Bibliographie

  • Philippe Buc, « Ă€ propos de Communities of Violence de David Nirenberg (note critique) », Annales. Histoire, Sciences sociales, no 6 (53e annĂ©e),‎ , p. 1243-1249 (lire en ligne).
  • Carlo Ginzburg (trad. Monique Aymard), Le sabbat des sorcières [« Storia notturna : una decifrazione del sabba »], Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », , 423 p. (ISBN 2-07-072741-6, prĂ©sentation en ligne).
  • Isabelle Guyot-Bachy, « Expediebat ut unus homo moreretur pro populo : Jean de Saint-Victor et la mort du roi Philippe V », dans Saint-Denis et la royautĂ© : mĂ©langes offerts Ă  Bernard GuenĂ©e, Actes du Colloque international en l'honneur de B. GuenĂ©e, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, note 39, p. 501-502.
  • (en) Michael R. McVaugh, Medicine Before the Plague : Practitioners and Their Patients in the Crown of Aragon, 1285–1345, Cambridge University Press, , 220 p. (ISBN 0-521-52454-7).
  • (en) David Nirenberg, Communities of Violence : Persecution of Minorities in the Middle Ages, Princeton University Press, , 52–65 p. (ISBN 0-691-05889-X, prĂ©sentation en ligne).

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