Ordre du NĆud
Lâordre du NĆud ou ordre du Saint-Esprit au Droit DĂ©sir est un ordre de chevalerie fondĂ© en 1352 par Louis de Tarente, roi de Naples.
Contexte historique
Lâordre du NĆud (et dans son intitulĂ© plus large : du Saint-Esprit au Droit DĂ©sir) obĂ©it Ă des principes Ă©laborĂ©s au cours du Moyen Ăge. Il est directement inspirĂ© de l'ordre de l'Ătoile.
LâidĂ©e de regrouper les chevaliers Ă lâintĂ©rieur dâun ordre laĂŻc remonte au XIVe siĂšcle. Elle appartient aux souverains anglais, français et espagnols qui se sont inspirĂ©s des ordres religieux : ces ordres ont un « habit », des « rĂšgles ». Seulement lâhabit nâĂ©tait portĂ© que le jour de la rĂ©union du chapitre de lâordre ; seuls des insignes (un collier, comme dans lâordre de la Toison dâOr) pouvaient ĂȘtre apposĂ©s sur les vĂȘtements et portĂ©s lors dâoccasions solennelles ou figurer sur leur tombeau. Les rĂšgles (ou statuts) fixaient le jour de rĂ©union du chapitre de lâordre (qui correspondait Ă la fĂȘte du Saint-Patron de lâordre) et surtout lâensemble des dispositions qui autorisaient lâentrĂ©e dans lâordre, mettaient en place la hiĂ©rarchie Ă lâintĂ©rieur de lâordre et les mĂ©canismes de promotions dans un dĂ©tail de devoirs, dâobligations et de rĂ©compenses. Les statuts font donc plus explicitement rĂ©fĂ©rence Ă lâidĂ©al et Ă la fonction chevaleresques, tels quâapparus aux Xe et XIe siĂšcles en Occident[1]. Les thĂ©ories sur les fonctions des ordres chevaleresques mĂ©diĂ©vaux vont, tout dâabord, dâun simple amusement, comme les tournois, oĂč les jeux chevaleresques ne sont rien dâautre quâune forme ostentatoire de prestige. Mais est apparue ensuite leur fonction militaire (rĂ©unir une armĂ©e dâĂ©lite) et politique (distinguer ceux qui participent au pouvoir). Câest ainsi que les historiens ont mis en Ă©vidence la fonction symbolique et pratique des ordres de chevalerie : ils participent Ă lâaffirmation du pouvoir du souverain fondateur de lâordre et, plus gĂ©nĂ©ralement, de la Monarchie, de lâĂtat royal.
La fondation de l'ordre[2]
Le , jour de la PentecĂŽte, Louis de Tarente et Jeanne Ire sont couronnĂ©s Ă Naples souverains du Royaume de Sicile. Pour assoir son pouvoir, Louis crĂ©e, ce mĂȘme jour, l'ordre chevaleresque du Saint-Esprit au Droit DĂ©sir, appelĂ© aussi Ordre du NĆud[3].
Le double symbolisme, création le jour de la PentecÎte et ordre dédié au Saint-Esprit, a pour but de rappeler, d'une part les fondements de la royauté angevine en Italie du Sud, une royauté christique qui rÚgne sur un peuple de croyants, et d'autre part la mission de la chevalerie, en tant que Militia Christi.
Dans le contexte du XIVe siĂšcle, la fondation royale d'un ordre chevaleresque exprime un projet d'asseoir la royautĂ©, de lui fournir une base militaire, de renforcer les fidĂ©litĂ©s et d'affirmer l'intĂ©gration des armĂ©es fĂ©odales dans le cadre de l'Ătat royal. Mais tout cela se joue avec les rĂ©fĂ©rents culturels propres au Moyen Ăge : la chevalerie et le serment, serment de fidĂ©litĂ© symbole clĂ© de rattachement, de vassalitĂ©[4].
Un ordre chevaleresque au service de la Couronne
Le fondateur de l'ordre : Louis de Tarente
L'ordre est crĂ©Ă© par le roi Louis de Tarente et doit accueillir trois cents chevaliers triĂ©s sur le volet, ou, pour entrer dans l'idĂ©ologie qui anime le texte, trois cents chevaliers Ă©lus. Louis (et ses successeurs), roi de JĂ©rusalem et de Sicile, est le Prince tout autant que le principe de cette compagnie (compaignie). Il est, donc, Ă la tĂȘte d'un groupe d'hommes armĂ©s, dont la mission est explicitĂ©e dans les vingt-cinq chapitres de l'ordre.
Les chevaliers doivent, tout d'abord, porter aide et conseil au Prince. Le premier chapitre dit, en effet :
PremiĂšrement euls sont tenus de jurer que tout leur pouvoir et savoir dovront abandoneement loyal conseil et aider au Prince de tout ce qu'il leur requerra soit d'armes, soit d'autres choses loyalement et dobserver les entrescripts chapitres.
En cela, appartenir Ă l'Ordre c'est appartenir au Prince, ĂȘtre de sa fidĂ©litĂ©. Pour le nouveau prince, il est aussi un Ă©lĂ©ment fort d'implantation et de structuration de son pouvoir.
Si les chevaliers de l'ordre s'engagent, de leur propre chef, ou parce qu'ils suivent leur prince ou lâĂglise, dans quelque bataille que ce soit, ils doivent combattre avec courage, en Ă©levant leur banniĂšre et en prononçant, aprĂšs le leur, le cri âau nom du Droit DĂ©sirâ[5]. Ils doivent, alors, utiliser une lance et une Ă©pĂ©e marquĂ©es du symbole de l'ordre, une colombe aurĂ©olĂ©e de rais de lumiĂšre[6]. Les chevaliers ne doivent pas combattre contre lâĂglise, mais, au contraire, venir Ă son secours et combattre ses ennemis : ârecourir et gecter hors des mains des mescreansâ, libĂ©rer le Saint-SĂ©pulcre et la Terre sainte quand la âSainte Ăglise de Romeâ ou un âprince des ChrĂ©tiensâ le leur demande, livrer bataille âcontre les ennemis de la foy et pour le droit et honneur de leur naturel seigneurâ[7].
Faire la guerre... politique et diplomatique
Les ordres chevaleresque du bas Moyen Ăge sont des instruments du pouvoir. Ils sont fondĂ©s par les monarques et ont pour fonction de rĂ©unir autour du souverain des partisans (des "fidĂšles) qui constituent une Ă©lite armĂ©e. Cela est flagrant dans les fondations française de l'ordre de l'Ătoile et anglaise de l'Ordre de la JarretiĂšre. Autre fonction trĂšs proche : l'activitĂ© politique et diplomatique, parce que les membres des ordres chevaleresques sont aussi des fonctionnaires de l'Ătat royal.
Ainsi pour l'ordre du NĆud, derriĂšre la notion de croisade, trois concepts se dessinent. D'une part, le texte fait mention de la âsainte Ăglise de Romeâ. Ă l'Ă©poque de la rĂ©daction des statuts, le lĂ©gat Gil Albornoz prĂ©pare le retour du pape Ă Rome et la reprise en main des Ătats pontificaux. Louis de Tarente divulgue, aussi, le serment qu'il a jurĂ© devant le souverain pontife, en 1348 et 1352, serment qui est Ă l'origine de son couronnement. Mais il affirme, Ă nouveau, le lien qui unit le royaume de Naples Ă Rome. Le texte dĂ©clare, aussi, que les chevaliers combattent pour leur prince, contre ses ennemis dans et hors du royaume, et participent Ă ses guerres de conquĂȘte.
Louis de Tarente et Niccolo Acciaiuoli sont en train de prĂ©parer une expĂ©dition en AchaĂŻe, qui a lieu en 1353, et une autre en Sicile, pour 1354. Enfin, il est fait mention de chevaliers de l'ordre combattant, pour leur compte, contre les ennemis du roi, dans et hors du royaume. Cela fait allusion aux dangers que doit affronter la nouvelle royautĂ© angevine : les Catalans, les Duras, les Hongrois, âtous les ennemis de la foyâ, tous ceux qui refusent la foi du Prince.
Il faut tout simplement voir derriÚre ces mots la volonté d'affirmation d'exercice de la royauté.
Ce passage peut aussi faire penser que les chevaliers de Louis de Tarente sont des Napolitains, mais peuvent venir d'autres horizons. Il s'agit donc d'un systĂšme ouvert de recrutement d'aides et de fidĂ©litĂ©s. Il gĂ©nĂšre les alliances (diplomatiques) et rappelle Ă soi, relie, les fidĂ©litĂ©s fĂ©odales. Ă chaque rĂ©union annuelle, le roi tient une Cour, oĂč de nouveaux hommes pourront ĂȘtre ordonnĂ©s chevaliers. Louis renouvelle, ici, la pratique des cĂ©rĂ©monies annuelles d'adoubement des deux premiers souverains angevins. Les Ă©cuyers du royaume seront, automatiquement, chevaliers de l'ordre, puisqu'ils sont fils de chevaliers non encore adoubĂ©s. Mais l'ordre est ouvert, aussi, aux âbachellers et chavaliers extrangesâ, ainsi qu'aux membres d'autres ordres chevaleresques. Dans ce cas, la ligesse Ă cet ordre leur est demandĂ©e[8]. L'ordre accueille les fils de chevaliers non adoubĂ©s, le prince se chargeant de leur adoubement, et tous les chevaliers, qu'ils soient rĂ©gnicoles ou proviennent d'autres contrĂ©es. Ce passage permet d'accepter des chevaliers comme Nicola Acciaiuoli ou Bernarbo Visconti.
Pour attirer encore plus de vocations, il est prĂ©vu que les chevaliers pauvres, qui ne peuvent aider le Prince comme ils le voudraient ou qui sont dans l'incapacitĂ© de venir Ă la fĂȘte annuelle, recevront une indemnitĂ© du roi :
Sachent chascuns des dits Bachellers que a la Chapelle du Saint Esprit au droit désir sera donné de par le Prince a chascun d'eux tant d'argent comme chasceun par son sacrement dire que en venant a la dicte feste et en revenant en son pais il aura despendu honnestement[9].
Qui sont les membres de l'ordre ?
Quelles sont ces personnes dignes de figurer parmi l'Ă©lite de la chevalerie, qui agit dans la puretĂ© de la foi et procĂšde du Christ et du roi-christ? LâabbĂ© Lefebvre donne seulement huit noms: Louis de Tarente, Niccolo Acciaiuoli, Luigi di Sanseverino, Giacomo Caracciolo, Giovanni Bozzuto, Bernabo Visconti seigneur de Milan, un chevalier napolitain de la famille Di Costanzo et un certain Roberto de Burgenza (Brienza ?) enterrĂ© dans l'Ă©glise de Santa Chiara Ă Naples[10]. Louis de Tarente a promu ses plus fidĂšles chevaliers qui composent son entourage curial Ă©troit.
Louis prĂ©side la Cour, s'entourant de chevaliers, qui lui rendent hommage en lui baisant les pieds, et dont il prend conseil en toutes choses. Louis est gĂ©nĂ©reux, il vient en aide aux chevaliers les plus pauvres, ouvre sa table, prie pour leurs Ăąmes dĂ©funtes. Louis est un souverain aux pleins pouvoirs : il porte une robe pourpre, un sceptre et un globe surmontĂ© d'une croix. Il est roi de Sicile et de JĂ©rusalem : il est ce « prince des ChrĂ©tiens », dont parlent les statuts. Souverain chrĂ©tien, fidĂšle serviteur de lâĂglise et croyant Ă la grande piĂ©tĂ©, il est, avant tout, un intercesseur entre les Hommes et Dieu : il fait le geste de (presque) toucher deux malades, il prĂ©side le banquet annuel comme le Christ lors de la CĂšne[11].
L'ordre a Ă©tĂ© crĂ©Ă© pour servir les ambitions de Louis de Tarente et donner une base politique Ă son pouvoir, auquel il donne une justification implicite : il est digne de rĂ©gner, il est l'hĂ©ritier de ses prĂ©dĂ©cesseurs, CapĂ©tiens et Angevins, car des âsignesâ le confirment. Sa largesse, aussi, est toute royale. Il met sur pied un systĂšme d'entraide aux moins riches, dans leur vie, en leur donnant l'argent nĂ©cessaire pour accomplir leurs fonctions chevaleresques, dans la mort, en organisant les obsĂšques et en donnant la sĂ©pulture, et dans la postĂ©ritĂ©, en ordonnant la rĂ©daction du livre oĂč sont relatĂ©s les exploits des chevaliers, en dĂ©posant l'Ă©pĂ©e du mort dans la chapelle[12].
L'iconographie et le texte
Le texte et les enluminures, qui illustrent les chapitres, mettent en place une représentation, souveraine et christique, du Prince. Les illustrations suivent le déroulement du texte, sauf pour quelques images, soit par simplification (la seule thématique) d'un texte juridique (comme l'illustration du chapitre XI), soit par digression (illustration du chapitre IX). Parfois l'image utilise les références iconographiques d'un comportement générique commun à tout le Monde médiéval[13].
Ces illustrations posent le problÚme des exécuteurs de l'ouvrage que de sa finalité, longtemps retenue un « amusement de Cour » écrit en français.
Notes et références
- www.cnicg.net
- Ce texte reprend le dĂ©veloppement sur l'ordre du NĆud dans la thĂšse de doctorat de Sylvie Pollastri La Noblesse napolitaine sous la dynastie angevine : l'aristocratie des comtes (1265-1435), universitĂ© Paris X-Nanterre, 23 novembre 1994, p. 301-305.
- BNP, ms Latin 4274; AbbĂ© Lefebvre, MĂ©moire pour servir Ă lâhistoire de France du XIVe siĂšcle, contenant les statuts de lâordre du Saint-Esprit, Paris, 1764 (transcription et traduction); Viel Castel, Statuts de lâordre du Saint Esprit au droit dĂ©sir ou du NĆud, Paris, 1853 (reproduction du manuscrit). Ce statut reprend celui de lâordre de l'Ătoile, fondĂ© par le roi de France Louis le Bon en 1351. Ces deux statuts sâinspirent dâun roman du XIVe siĂšcle, Perceforest, inspirĂ© du cycle arthurien; il y est dĂ©crit un grand palais, construit par Dieu, Ă lâintĂ©rieur duquel se trouve une table ronde autour de laquelle peuvent siĂ©ger 300 chevaliers. Voir aussi Renouard, « Lâordre de la JarretiĂšre et lâordre de lâĂtoile », dans Moyen Ăge, n° 55, 1949, p. 281-300 ; M. Keen, La cavalleria, Naples, 1988, p. 283-303 ; D'Arcy Boulton, Knights of the Crown. Monarchical orders of knighthood in later medieval Europe (1325-1520), Woodbridge, 1987, p. 211-240 ; A. BrĂ€m, « Zeremoniell und Ideologie im Neapel der Anjou. Die Statuten vom Orden des Heilingen Geistes des Ludwig von Tarent, Paris, BibliothĂšque nationale de France, Ms fr. 4274 », dans Römisches Jahrbuch del Bibliotheca Hertziana, 36 (2005), p. 45-93 ; M. Lefebvre, Les statuts de l'ordre du Saint-Esprit au Droit DĂ©sir, Paris, 1764 ; G. Vitale, Araldica e politica. Statuti di ordini cavallereschi âcurialiâ nella Napoli aragonese, Salerne , 1999 (bref compte-rendu de Sylvie Pollastr idans MĂ©moire des Princes Angevins, Bulletin annuel, n° 2, 2001-2002, p. 55-57.
- N. Bock, « Enluminure, cĂ©rĂ©monial et idĂ©ologie monarchique au XIVe siĂšcle », dans Art, cĂ©rĂ©monial et liturgie au Moyen Ăge, actes du Colloque de 3e cycle romand de Lettres (Lausanne-Fribourg, 14-15 avril; 12-13 mai 2000), sous la direction de N. Bock, P. Kurmann, S. Romano, J.M. Spieser, Rome, 2002, p. 415-452; A. Perriccioli Saggese, « Gli Statudi dell'Ordine dello Spirito Santo o del Nodo. Immagine e ideologia del potere regio a Napoli alla metĂ del Trecento », dans Medioevo: immagini e ideologie, a cura di A.C. Quintavalle, Milan, 2005, p. 519-524.
- La « sagesse du cĆur » donnĂ© par l'Esprit-Saint
- Chapitres III, IV, XI, XIX, XX, XXIV, XXV.
- Chapitres IX, X.
- Chapitres XVI, XVII.
- Chapitres VI, XXIII.
- Lefebvre, MĂ©moire pour servir Ă lâhistoire de France, p. 42. Nous retrouvons la mĂȘme liste dans Di Costanzo, Storia di Napoli, p. 224, qui donne aussi Guglielmo del Balzo, comte de Nola (sic). Une autre liste est dans Summonte, Dellâistoria della cittĂ e regno di Napoli, vol. III, p. 420-423: le comte de Noja (?), Francesco Loffredo, Roberto Siripando, Gurrello di Tocco, Giacomo Caracciolo, Giovanni di Burgensa, Giovanni Bozzuto et Cristofaro di Costanzo, tous chevaliers de la ville de Naples.
- Viel Castel, Statuts de lâordre du Saint-Esprit, planche XV.
- Chapitres XVIII, XIX, XX, XXIII.
- N. Bock, cit, p. 419 dit : « Le cérémonial représenté ne sont en aucune façon des images réalistes de la vie à la Cour de Naples, mais au contraire une prise de position élaborée face aux théories monarchiques vers le milieu du XIVe siÚcle »