Occupation et annexion des pays baltes
L’occupation des pays baltes fait référence à l'invasion puis à l'occupation par l'Armée rouge des trois États baltes : l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie conformément au protocole secret du Pacte germano-soviétique, le , suivie de la création de républiques constitutives (ou « unionales ») : RSS d'Estonie, de RSS de Lettonie et RSS de Lituanie.
Ni les États-Unis[1], ni le Parlement européen[2] - [3] - [4], ni la CEDH, ni le Conseil des droits de l'homme de l'ONU[5] n'ont reconnu cette incorporation et ont considéré ces trois pays (et eux seuls, parmi les 15 Républiques socialistes soviétiques) comme envahis, occupés illégalement et annexés par l'URSS entre 1940 et 1941 puis entre 1944 et 1991 (entrecoupé d'une occupation par l'Allemagne entre 1941 et 1944). La plupart des pays non-communistes membres de l'ONU ont de plus continué à reconnaître de jure l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie[6] - [7] - [8] qui, après la dislocation de l'URSS fin 1991, ont été les trois seules anciens territoires soviétiques à quitter la zone d'influence de la Russie, à n'intégrer ni la CEI-Eurasec, ni l'OCCA, ni l'OTSC, et à rejoindre l'OTAN et l'Union européenne[9].
Contexte historique
Source : Archives navales russes.
Dès le début des négociations du pacte Hitler-Staline, les Soviétiques massent des troupes aux frontières de l'Estonie, de la Lettonie et de la Pologne (la Lituanie n'avait alors pas de frontière avec l'URSS), que le pacte place dans la sphère d’influence soviétique. Sous la pression diplomatique conjointe de Allemagne nazie et de l'URSS, les trois États n’ont d’autre choix que de signer un prétendu « pacte de défense et d'assistance mutuelle » qui permit à l'URSS de disposer de leurs ports et de stationner des troupes sur leurs territoires[10], traité signé respectivement le , le et le , pour des durées de dix ans pour l'Estonie et la Lettonie et quinze ans pour la Lituanie. La tension monte aussi à la suite de l’évasion hors d'Estonie de l’équipage de l’« Orzel », sous-marin polonais qui avait été interné à Talinn, ce que l'URSS, qui venait d'envahir la Pologne, considérait comme un casus belli de la part de l'Estonie. Le , le et le , les premières troupes soviétiques entrent en Estonie, en Lettonie et en Lituanie conformément au Pacte[11] - [12] - [13]. L'Union soviétique est mécontente, les États baltes penchant vers la Grande-Bretagne et la France, du fait de l’Entente baltique datant de 1934, qui pourrait être réorientée contre l'Allemagne, et considérée comme une violation des traités d'assistance mutuelle de l'automne 1939. Le , après que plusieurs soldats soviétiques ont disparu des garnisons soviétiques en Lituanie, Viatcheslav Molotov accuse Kaunas de provocations.
Occupation des États baltes
Invasion par l'Armée rouge en 1940 et annexion
Le , dans le cadre des préparatifs de l'offensive, la Flotte de la Baltique de la marine soviétique impose un blocus maritime aux États baltes, alors que l'attention internationale se focalise sur la chute de Paris sur le front occidental (voir bataille de France). 120 navires appuyés par des avions Iliouchine DB-3 et Tupolev SB participent aux blocus. Le , un ultimatum est adressé à la Lettonie. Le président lituanien Antanas Smetona insiste pour résister militairement, mais n'est pas soutenu par son état-major militaire, si bien que la Lituanie accède à l'ultimatum. Le même jour, l'avion finlandais Kaleva (qui volait de Tallinn vers Helsinki et transportait un employé du consulat américain) est abattu par l'aviation soviétique[14]. Les troupes du NKVD soviétique attaquent les postes frontières lituaniens, estoniens et lettons[10] - [15]
Le 15 et , 500 000 soldats soviétiques franchissent la frontière estonienne et lettone. Parallèlement, les Soviétiques soutiennent les communistes locaux afin de monter des coups d'État contre les gouvernements estonien, letton et lituanien. Les petites armées baltes, isolées car sans soutien occidental, sont désarmées par l'Armée rouge[16] - [17], à l'exception d'un bataillon estonien qui lutte contre les Soviétiques et les milices communistes le . Après l'invasion, la construction de la ligne Molotov débute afin de protéger les nouvelles frontières occidentales de l'URSS. Les administrations de l'État sont liquidées et remplacées par des cadres soviétiques[10], opération dans laquelle 34 250 Lettons, 75 000 Lituaniens et près de 60 000 Estoniens sont déportés ou tués[18] : les diplômés, les propriétaires fonciers et le clergé étaient arrêtés en priorité.
Les occupants soviétiques organisent des élections truquées de chacun des parlements, qualifié d'"assemblée populaire" pour laisser croire à un soutien spontané de la population. En réalité, les autorités soviétiques obligent les citoyens à voter pour une seule liste composés de candidats pro-soviétiques sélectionnées par leurs soins. Les soldats de l'armée rouges étant directement présents dans les bureaux de votes de certaines villes[19].
En Estonie, ces élections ont lieu les 14 et 15 juillet. Elles sont considérées comme illégales et contraires à la constitution de la République d'Estonie car la nouvelle loi électorale permettant leur tenue n'a jamais été approuvée par la Chambre haute du parlement, en raison de la dissolution de cette dernière pour cause d'invasion. Toutes les décisions et actes consécutives à cette élections sont juridiquement considérés comme invalides[20]. L'assemblée populaire fictive est réunie le 21 juillet, avec comme seul ordre du jour une résolution déclarant l'Estonie comme république soviétique et demandant l'adhésion à l'Union soviétique[10]. Cette délibération permet à la propagande du régime soviétique de laisser croire à une adhésion volontaire des pays baltes qui auraient rejoints l'URSS à la suite d'une révolution socialiste en leur sein.
Les RSS de Lettonie et de Lituanie sont officiellement créées le . Des changements territoriaux sont également effectués par l'URSS avec modification du tracé des frontières.
Occupation allemande (1941-1944)
Le , le Troisième Reich envahit l'URSS et occupe en quelques semaines les territoires baltes. Ceux-ci sont intégrés dans l'entité administrative du Reichskommissariat Ostland, mise en place sur les territoires conquis lors de l'opération Barbarossa (regroupant par ailleurs une partie de la Biélorussie). La politique d'occupation dans l'Ostland poursuit un objectif particulier : intégrer les pays baltes au Reich en assimilant les Lettons, Estoniens et Lituaniens, « les plus facilement germanisables », les Lettons étant considérés comme une « élite raciale ». La partie de la population impossible à germaniser doit être déportée en Biélorussie. Cette volonté d'intégration n'enlève rien à la dureté de l'occupation allemande. Comme dans d'autres territoires occupés, « l'exploitation sans vergogne des ressources du pays et de la main-d'œuvre condamne à l'avance toute politique de ralliement de la population. La pratique des représailles collectives et de l'exécution d'otages pour lutter contre la résistance ne peut que renforcer l'hostilité de la population »[21]. Malgré l'avis d'économistes du Ministère des Territoires occupés, comme Otto Bräutigam, l'Allemagne privilégie, dans l'Ostland comme ailleurs, « des politiques d'assujetissement racial, d'oppression et de meurtres » au détriment d'un « Nouvel Ordre économique européen fondé sur la coopération », qui aurait été plus profitable pour l'économie de guerre.
Les tentatives de rallier les populations civiles se heurtent à la politique allemande réellement mise en œuvre dans le commissariat. Les militaires allemands, d'abord bien accueillis dans les pays baltes, se comportent rapidement comme une armée d'occupation impitoyable : réquisitions de logements dans les villes, violences contre la population civile, déportation des Juifs et pillages[21].
À partir de , la population fait l'objet d'un enregistrement systématique, afin de distribuer les indispensables cartes de rationnement, mais aussi de contrôler les déplacements et de favoriser l'exploitation de la main-d'œuvre[21], dans le cadre « d'une chasse à l'homme sans merci pour le travail obligatoire »[22]. La population est en outre confrontée au mieux, à la pénurie alimentaire, au pire à la famine, la Wehrmacht donnant la priorité absolue à ses propres besoins[23]. Les récits et correspondances des militaires des unités d'occupation définissent la politique qu'ils ont à mener, comme ayant pour but de faire mourir, non seulement les civils inutiles aux yeux des Allemands, mais aussi les prisonniers de guerre soviétiques[23].
Les tentatives d'améliorer les conditions de vie des populations locales, que cela soit sur le plan matériel ou leur donnant des assurances sur leur avenir politique au sein d'une « communauté des peuples européens », se heurtent au refus catégorique de Hitler[22]. Une force composée de volontaires lituaniens (la Lietuvos vietinė rinktinė, Force de défense territoriale lituanienne, à ne pas confondre avec la Police de sécurité lituanienne), lettons (Légion lettonne) et estoniens (Légion estonienne) est par ailleurs mise sur pied par les autorités d'occupation nazies, intégrant la Wehrmacht et dissoutes en 1944, ayant eu pour principal rôle de lutter à la fois contre les partisans soviétiques et certains résistants nationalistes des frères de la forêt, qui luttaient à l'origine contre les Soviétiques.
En dehors du Front, les mouvements politiques tentent de récupérer tant bien que mal le pouvoir sur le territoire. En Estonie, un gouvernement par intérim est formé à partir de 1944 dans le plus grand secret. Il a pour but de préparer le pays à rétablir ses institutions après la défaite de l'Allemagne qui s'annonce imminente.
Finalement, en 1944, les territoires baltes sont réoccupés lors des contre-offensives de l'Armée rouge. Le reste des forces allemandes sont encerclées en Courlande, et capitulent le . Malgré son invasion, et contrairement aux autres pays baltes, l'Estonie possède son propre gouvernement en exil qui lui permet d'assurer continuité de son Etat jusqu'en 1992.
Occupation et retrait soviétique (1944-1991)
L'occupation soviétique des États baltes continue jusqu'en (dissolution de l'URSS), date à laquelle ces pays retrouvent leur indépendance de facto après la révolution chantante et la politique de glasnost menée par Mikhaïl Gorbatchev.
Après 1944, les Soviétiques mettent en place un programme d'industrialisation des RSS baltes et déportent systématiquement quiconque s'opposant à la collectivisation des terres. Le nombre total de déportés pour la période 1944-1955 est estimé à plus de un demi-million : 124 000 en Estonie, 136 000 en Lettonie et 245 000 en Lituanie. Un mouvement de résistance, les « frères de la forêt » mène cependant des actes de guérilla et de lutte armée contre l'occupant soviétique jusqu'au début des années 1950 (au même titre que l'Armée insurrectionnelle ukrainienne en RSS d'Ukraine).
L'arrivée au pouvoir de Nikita Khrouchtchev à la suite de la mort de Joseph Staline en 1953, grand réformateur et engageant un processus de déstalinisation, apaise en partie les contestations. Un grand nombre de personnes sont cependant encore menacées et déportées. L'Église catholique lituanienne, qui avait traditionnellement joué un grand rôle dans la vie du pays, est un élément central dans le soutien à la résistance. C'est par dizaines de milliers que les Lituaniens signent pétitions et lettres pour exiger le respect de leurs droits comme catholiques et comme citoyens libres. Les journaux clandestins comme Aušra (L'Aube), Laisvės sauklys, Perspektyvos (Perspectives) et Salin vergiją (À bas l'esclavage) encouragent le peuple à s'organiser pour exiger plus d'indépendance et de liberté. Avec la libéralisation de la politique soviétique vers la fin des années 1980 menée par le gouvernement de Gorbatchev émerge le nationalisme balte sécessionniste. Dès 1986, par exemple, les Lituaniens reprennent certains des noms de rues antérieurs au régime soviétique. C'est le début de la voie balte et de la révolution chantante pour demander l'indépendance.
En 1990, le rétablissement de l'indépendance des pays baltes est proclamé, la constitution soviétique est officiellement abolie par les indépendantistes et est remplacée par des constitutions spécifiques à chacun des États baltes. Des barricades sont construites ainsi que des postes-frontières pour délimiter la Russie et la Biélorussie des pays baltes. Pour faire face à ces proclamations d'indépendance, les autorités soviétiques choisissent en de « restaurer l'ordre constitutionnel par la force » : ce sont les événements de janvier lors desquels 21 civils auront été tués et 600 autres blessés, principalement lors de l'assaut de la tour de Vilnius par les Soviétiques. À la suite d'importantes manifestations (rassemblant jusqu'à 50 000 personnes dans la capitale lituanienne) et dans tout le bloc de l'Est (notamment en Pologne et en Ukraine), les troupes soviétiques, essentiellement constituées de soldats russes, se retirent le .
Le retrait complet des troupes russes de Lituanie puis de Lettonie et d'Estonie commence en et prend fin en [24]. Officiellement, la fin de la présence russe dans les États baltes est marquée par le démantèlement de l'installation radar à Skrunda-1 en Lettonie en . Le dernier soldat russe quitte le sol balte en [25] - [26].
Aujourd'hui, la Lettonie, l'Estonie et la Lituanie sont des pays membres à part entière de l'OTAN et de l'Union européenne. Les économies de ces trois pays (dont le PIB était bien supérieur à la moyenne des républiques de l'ex-URSS) ont été caractérisées par une forte croissante économique après 1991, accompagnée d'une baisse du taux de chômage et de l'inflation, notamment due à la décollectivisation, l'ouverture au monde extérieur et la privatisation des marchés.
Reconnaissance de l'indépendance par l'URSS
Le , l'URSS reconnaît l'indépendance des pays baltes[27] mais la Russie nie en 2005 les avoir « occupés » malgré les pressions occidentales, les forces soviétiques étant entrées « en accord avec les pouvoirs légitimes » en place[28] - [29].
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Occupation of the Baltic states » (voir la liste des auteurs).
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Annexes
Bibliographie
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Articles connexes
- Occupations militaires par l'Union soviétique
- Invasion soviétique de la Pologne
- Invasion soviétique de la Finlande
- Invasion soviétique de la Roumanie
- Comparaison entre le nazisme et le communisme
- Frères de la forêt
- Événements de janvier 1991
- Révolution chantante | Voie balte
- Parti communiste de Lituanie
- RSS d'Estonie | RSS de Lettonie | RSS de Lituanie
- Acte de rétablissement de l'État lituanien
- Géopolitique de la Russie avec les États baltes
- Russes baltes
- Par pays :
- Histoire de l'Estonie : l'ère soviétique | Déportations soviétiques depuis l'Estonie
- Histoire de la Lettonie#La Seconde Guerre mondiale ; Occupation de la Lettonie pendant la Seconde Guerre mondiale ; Incendie des synagogues de Riga
- Histoire de la Lituanie#Seconde Guerre mondiale (1939-1945)
- Occupation allemande de la Lituanie, Résistance en Lituanie pendant la Seconde Guerre mondiale
Liens externes
- Yves Plasseraud, « Pays baltes : rêves, propagandes, malentendus », Questions de communication, 6 | 2004.
- « L'invasion des États baltes par l'Armée rouge en 1940 »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?) (consulté le )
- L'annexion des États baltes, sur le World War II Database
- Sovietization of Baltic States 'Worse Than Any Occupation,' Russian Historian Says
- L'occupation de la Lettonie entre 1940 et 1991