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Nature morte inversée

Une nature morte inversée est une image picturale représentant en son premier plan une nature morte qui occupe l'essentiel de sa surface tandis qu'à l'arrière-plan, et souvent en marge, apparaît une scène animée de personnages vivants, généralement une scène religieuse[1].

D'après Victor Stoichita, qui les appelle des images dédoublées[2], les premières peintures de ce type datent de 1550 environ et Pieter Aertsen s'en fait peu après une spécialité[3], notamment avec son tableau Jésus chez Marthe et Marie en 1552, conservé à Vienne au Kunsthistorisches Museum[4] ou son Étal du boucher en 1551 : au premier plan une nature morte alimentaire avec une tête de bœuf écorchée et à l’arrière-plan une scène biblique minuscule – la Fuite en Égypte[5].

« Ce qui était jugé jusque-là secondaire et, à ce titre, rejeté dans les marges de la peinture narrative est désormais projeté à l’avant-plan, reléguant la scène religieuse au fond de l’image. »[6].

Artistes du genre

Pieter Aertsen, Le Christ dans la maison de Marthe et Marie, 1553.
Joachim Bueckelaer, La Cuisine bien garnie. Au fond, Jésus, Marthe et Marie, 1566
  • Diego Vélasquez use de ce principe pictural dans au moins deux de ses tableaux :
  • Les natures mortes inversées se comptent par dizaines dans l’œuvre du péruvien Herman Braun-Vega. On peut citer les exemples suivants :
    • Reconstitution de l'attentat (d'après Poussin)[8], 1974, où le gibier de la nature morte au premier plan évoque la coïncidence de l'ouverture de la chasse avec l'attentat du drugstore de Saint-Germain à Paris représenté à l'arrière-plan par un détournement de L'enlèvement des sabines de Poussin[9].
    • Mercado (d'après Vermeer)[10], 1994, où le syncrétisme des fruits d'origines géographiques différentes au premier plan fait écho au syncrétisme de la scène de l'arrière plan où La femme en bleu de Vermeer se retrouve en train de relire sa liste de courses sur un marché péruvien[11].
    • La Leccion en el mercado... (d'après Rembrandt et Bacon)[12], 2003, où les poulets d'un étalage de boucherie sont le premier plan d'un détournement de La leçon d'anatomie de Rembrandt[13].

Références

  1. Étienne Jollet 2007
  2. Victor Stoichita 1999, p. 13-27.
  3. Ralph Dekoninck, « Peinture des vanités ou peinture vaniteuse ? L’invention de la nature morte chez Pieter Aertsen », Études Épistémè, n° 22, 2012, Lire en ligne.
  4. (en) M. Craig, « Pars Ergo Marthae Transit : Pieter Aertsen’s ‘Inverted’ Paintings of Christ in the House of Martha and Mary », Oud Holland, n° 97, 1983, p. 25-39.
  5. Valérie Boudier 2019.
  6. Ralph Dekoninck, « Image du désir et désir de l’image. Ou comment l’image parvient-elle à se nier », dans Pouvoirs de l’imaginaire: Paroles, textes et images (colloque), (lire en ligne).
  7. Olivier Christin 1999.
  8. Herman Braun-Vega, « Reconstitution de l'attentat », Acrylique sur bois, 111 x 165 cm, sur braunvega.com, (consulté le )
  9. « Les trois niveaux de la mémoire », verso arts et lettres, no 15,‎ , p. 6-8 (lire en ligne) :
    « il y a l'ouverture de la chasse, et l'attentat, l'agression de l'être humain. Terrible coïncidence. La référence picturale est L'enlèvement des Sabines de Nicolas Poussin »
  10. Herman Braun-Vega, « Mercado », Acrylique sur bois, 120 x 140 cm, sur braunvega.com, (consulté le )
  11. (en) Silent things, secret things : Still Life From Rembrandt to the Millennium, The Albuquerque Museum, , 34-35 p. :
    « a spread of fruits in the foreground [...] and in the middle of everything [...] the well-known reading woman from Vermeer's Woman in Blue, Reading a Letter—here looking as if she's poring over her shopping list. »
  12. Herman Braun-Vega, « La Leccion en el mercado... », Acrylique sur toile, 146 x 146 cm, sur braunvega.com, (consulté le )
  13. Rencontres et construction des identités, Espagne et Amérique latine, Publications de l’Université de Saint-Etienne, (ISBN 978-2-86272-338-9), p. 247-269 :
    « On voit le professeur qui donne la leçon d'anatomie, mais, ici, il est en train de disséquer un poulet au lieu d'un cadavre. »

Bibliographie

  • Victor Stoichita, L’instauration du tableau : métapeinture à l'aube des temps modernes, 2e éd., Genève, Droz, 1999, p. 13-27.
  • Olivier Christin, « L'Évangile comme nourriture », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  • Étienne Jollet, « La nature morte inversée : un lieu pour l'homme ou pour les choses ? », dans Nature morte ou la place des choses : l'objet et son lieu dans l'art occidental, Paris, Hazan, (ISBN 978-2-8502-5984-5), p. 153-158.
  • Valérie Boudier, « Lorsque le morcellement animal structure l’espace de la représentation », Anthropology of food, no 14,‎ (lire en ligne).

Liens externes

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