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Morphologie du conte

Morphologie du conte est un essai de narratologie de Vladimir Propp paru en 1928 Ă  LĂ©ningrad.

Morphologie du conte
Image illustrative de l’article Morphologie du conte
Vladimir Propp en 1928, année de la parution de Morphologie du conte

Auteur Vladimir Propp
Pays Drapeau de l'URSS Union soviétique
Genre Essai de narratologie
Date de parution 1928

Présentation

Le livre fut à peu près ignoré en Occident jusqu'à ses premières traductions en 1958 (anglaise) et 1965 (française). Ses premières recherches purement linguistiques s'étant révélées peu fructueuses, Propp eut l'idée d'étendre l'approche du formalisme russe à l'étude de la structure narrative des contes merveilleux[1].

Surtout intéressé par les problèmes de description et de classification des contes, Propp s'attache à en dresser la morphologie, c'est-à-dire « l'étude des formes et l'établissement des lois qui (en) régissent la structure »[2]. À cette fin, il examine les régularités qui apparaissent dans une centaine de contes russes et entreprend de dégager les éléments de contenu abstrait qui leur sont communs. Reprenant un projet déjà ébauché par Joseph Bédier (1911), il développe une méthodologie plus adéquate que ce dernier. Il est guidé dans son entreprise par un double modèle, qu'il revendique par des citations placées en épigraphe des principaux chapitres : Goethe et Linné. Le premier lui inspire l'idée d'une structure, conçue comme un ensemble organique, ainsi que celle de prototype qui l'amène à rechercher le conte premier qui serait à l'origine de tous les autres[3]. Le second fonde sa méthode taxinomique et l'exigence d'un classement rigoureux, évitant tout chevauchement. Paul Ricœur, qui souligne cette double filiation, présente ces deux démarches comme irréductibles à un modèle commun, la première étant d'inspiration téléologique et la seconde de type mécanique[4].

À la différence d'autres tentatives de formalisation du récit, Propp ne retient comme substrat d'analyse que des unités de sens. Il s'intéresse à la structure interne du récit et non à sa « forme », même si son appartenance à l'école formaliste russe peut prêter à équivoque. Ce serait une erreur de voir dans les fonctions un équivalent des « parties du discours » ou de les assimiler aux catégories de la grammaire du récit, qui sont des cadres purement formels alors qu'il en va autrement des fonctions, dont le contenu sémantique est indiscutable.

Les fonctions narratives

Afin de déterminer une typologie des structures narratives, Propp étudie plus d'une centaine de contes russes traditionnels, en en retranchant tout ce qu'il juge secondaire : le ton, l'ambiance, les détails décoratifs, les récits parasites, pour n'en garder que les unités narratives de base qu'il appelle « fonctions ». Les fonctions des personnages sont peu nombreuses alors que les personnages eux-mêmes sont extrêmement variés.

Définition : « Par fonction, nous entendons l’action d’un personnage, définie du point de vue de sa signification dans le déroulement de l’intrigue »[5]. Ainsi, la fonction du Don (fonction 14) peut se manifester quand le Roi donne au héros un aigle qui l'emporte dans un autre lieu, ou quand le grand-père donne un cheval à un jeune homme et que celui-ci s'en va au loin. Dans les deux cas, on trouve une même action, le don d'un objet, qui a pour effet d'entraîner un déplacement du héros dans un autre lieu.

À la suite d'une rigoureuse analyse, Propp arrive à la conclusion qu'il n'y a que 31 fonctions dans le conte traditionnel russe et que celles-ci couvrent tout l'éventail des actions significatives à l'intérieur des contes. Bien qu'elles ne soient pas toutes présentes dans tous les récits, tous les contes analysés présentent ces fonctions selon une séquence invariante :

  1. Éloignement ou Absence
  2. Interdiction
  3. Transgression de l'interdit
  4. Interrogation (du vilain par le héros / du héros par le vilain)
  5. Information (sur le héros / le vilain)
  6. Tentative de tromperie
  7. Le héros se laisse tromper
  8. Le vilain réussit son forfait (séquestrer, faire disparaître un proche du Roi ou du héros)
  9. Demande est faite au héros de réparer le forfait
  10. Acceptation de la mission par le héros
  11. Départ du héros
  12. Mise à l'épreuve du héros par un donateur
  13. Le héros passe l'épreuve
  14. Don : le héros est en possession d'un pouvoir magique
  15. Arrivée du héros à l'endroit de sa mission
  16. Combat du héros et du vilain
  17. Le héros reçoit une marque (blessure, anneau, foulard)
  18. DĂ©faite du vilain
  19. RĂ©solution du forfait initial
  20. Retour du héros
  21. Le héros est poursuivi
  22. Le héros échappe aux obstacles
  23. Arrivée incognito du héros
  24. Un faux héros/vilain réclame la récompense
  25. Épreuve de reconnaissance du héros
  26. Réussite du héros
  27. Le héros est reconnu grâce à sa marque
  28. Le faux héros/vilain est découvert
  29. Le héros est transfiguré
  30. Le vilain est puni
  31. Le héros épouse la princesse / monte sur le trône

Les séquences

Ces fonctions sont généralement organisées en séquences. Une séquence en narratologie est une combinaison de plusieurs fonctions ou ce que Propp qualifie, dans Morphologie du conte, d'« atomes narratifs ».

Propp distingue ainsi :

  • une sĂ©quence prĂ©paratoire : fonctions 1 Ă  7 ;
  • une première sĂ©quence : fonctions 8 - 18 ;
  • une deuxième sĂ©quence : fonctions 19 - 31.

Les personnages

Enfin, Propp montre que certaines fonctions peuvent ĂŞtre accomplies seulement par une certaine catĂ©gorie de personnage et jamais par une autre, chacun ayant une sphère d'action spĂ©cifique. Au total, il dĂ©termine que l'ensemble des fonctions se rĂ©partissent entre sept catĂ©gories de personnages abstraits :

  1. l'Agresseur ou le méchant : qui produit le méfait ;
  2. le Donateur : qui confie l'auxiliaire magique (symbolique ou matériel) ;
  3. l’Auxiliaire : qui peut être
    1. Universel et accomplit toutes les fonctions (cheval) ;
    2. Partiel, qui accomplit plusieurs fonctions (la fée, le génie du conte oriental, l'anneau magique) ;
    3. Spécifique, qui accomplit une seule fonction (l'épée, le violon qui joue tout seul, etc.)[6]
  4. la Princesse ou son Père (l'Objet de la quête) : qui mobilise le héros ;
  5. le Mandateur : qui mandate le héros et désigne l'objet de la quête ;
  6. le Héros (ou l’héroïne) ;
  7. le Faux Héros : quelqu'un qui fait valoir des prétentions mensongères à la victoire (il essaie de se faire passer pour le héros, alors que celui-ci n'est pas encore revenu de sa quête)[7]

Il délimite ensuite la sphère d’action de chacun d'eux, c’est-à-dire l’ensemble des fonctions qui s'y rapporte :

  1. la sphère d’action de l'agresseur ;
  2. la sphère d’action du donateur ;
  3. la sphère d’action de l’auxiliaire ;
  4. la sphère d’action de la princesse ;
  5. la sphère d’action du mandateur ou émetteur;
  6. la sphère d’action du héros ;
  7. la sphère d’action du faux-héros.

Propp peut dès lors donner du conte merveilleux la définition suivante: « ... du point de vue morphologique, tout développement partant d’un méfait ou d’un manque, et passant par toutes les fonctions intermédiaires pour aboutir au mariage ou à d’autres fonctions utilisées comme dénouement. »

Impact et transformation du modèle

Découvert par le structuralisme au début des années 1960, le modèle de Propp aura une énorme influence sur les recherches en narratologie. Comme le note Ricœur, en détachant dimension temporelle et intrigue, Propp a ouvert la voie à l'analyse structurale du conte[8].

Algirdas Julien Greimas et J. Courtés reprennent les conclusions de la narratologie de Propp dans le cadre de leur sémantique structurale et ramènent les fonctions de 7 à 6, distribuées en 3 paires d'actants :

  1. première paire : le sujet et l'objet (le héros ou l'héroïne et l'objet de sa quête, dit objet de valeur)
  2. deuxième paire : l'adjuvant et l'opposant (qui aide ou qui contrarie la quête)
  3. troisième paire : le mandateur ou émetteur et le judicateur ou destinataire (qui définit et qui sanctionne la quête ou en bénéficie).

Sur cette base, Greimas et CourtĂ©s construisent une thĂ©orie originale dite de l'« Ă‰cole sĂ©miotique de Paris Â» (voir notamment François Rastier, Jean-Claude Coquet, Jacques Geninasca, Jacques Fontanille, Ivan Darrault-Harris), dans la lignĂ©e de la sĂ©miologie de Saussure et de Hjelmslev. Pour cette Ă©cole, tout ce qui a du sens dans l'existence humaine dĂ©pend d'un schĂ©ma narratif gĂ©nĂ©ratif du sens[9].

Certains critiques, toutefois, tels Claude Bremond et Thomas Pavel, remettent en cause la méthode d'analyse utilisée, et donc le résultat obtenu, qui ne s'appliquerait guère qu'à un seul type de conte.

Il n'en reste pas moins que « l'entreprise proppienne demeurera fondatrice en narratologie par le questionnement nouveau auquel elle a soumis le rĂ©cit. C'est elle qui a mis au jour les deux plans constitutifs du rĂ©cit : celui des structures de surface et celui des structures profondes. DĂ©sormais, on ne lira plus les rĂ©cits de la mĂŞme façon. Loin de voir dans le conte une distraction tout juste bonne pour des enfants, le lecteur se met maintenant Ă  y chercher des "Ă©tages" (Barthes, 1966) susceptibles de faire apercevoir des rapports et des effets de sens nouveaux[10] Â»

En fait, le travail de Propp sur la structure du conte ne représentait qu'une étape de sa réflexion, et pas la plus essentielle à ses yeux : ce qui l'intéressait était de montrer ensuite que les contes merveilleux sont une survivance de rites archaïques (voir Les Racines historiques du conte merveilleux, son deuxième ouvrage).

Commentaires critiques

La critique de Claude LĂ©vi-Strauss

Claude LĂ©vi-Strauss, dans le cadre de ses travaux en anthropologie structurale sur la distinction fondamentale entre structure (selon la dĂ©finition) et forme (selon la tradition formaliste), a publiĂ© une critique de l'ouvrage de Propp simultanĂ©ment dans le no 9 () des Cahiers de l'Institut de science Ă©conomique appliquĂ©e et dans le no 3 de l’International Journal of Slavic Linguistics and Poetics. L'article, intitulĂ© La structure et la forme. RĂ©flexions sur un ouvrage de Vladimir Propp a Ă©tĂ© repris dans Anthropologie structurale deux (voir Bibliographie). Cette critique a Ă©tĂ© mal reçue par Vladimir Propp, qui s'est senti agressĂ©[11], en partie semble-t-il en raison de malentendus linguistiques. LĂ©vi-Strauss lui-mĂŞme a rĂ©pondu qu'il regrettait que « le savant russe [ait] vu dans son Ă©crit, non une discussion pleine d'Ă©gards portant sur certains aspects thĂ©oriques et mĂ©thodologiques de son ouvrage, mais une attaque perfide Â». Il considère aussi que Propp le traite « en pur philosophe Â» et qu'il « ignore tout de ses travaux ethnologiques Â»[12].

Dans son article, LĂ©vi-Strauss rĂ©capitule de manière dĂ©taillĂ©e les thèses de Propp, tout en dĂ©plorant que « la forme sous laquelle a paru la traduction anglaise Â» (Ă  laquelle il se rĂ©fère) ne facilite pas la diffusion des idĂ©es du folkloriste russe (passages obscurs, problèmes de traduction, fautes d'impression). Il lui rend nĂ©anmoins hommage pour « la vigueur [de ses] anticipations sur les dĂ©veloppements ultĂ©rieurs Â» et assure que ses rĂ©serves « ne sauraient en rien diminuer l'immense mĂ©rite de Propp Â». Les rĂ©serves en question concernent notamment :

  • la question de savoir pourquoi Propp a Ă©tudiĂ© plus spĂ©cifiquement les contes (il suppose que d'une part, Propp, n'Ă©tant pas ethnographe, ne disposait pas d'un matĂ©riel mythologique suffisant, d'autre part qu'il s'appuie sur les travaux de devanciers ayant dĂ©jĂ  Ă©tudiĂ© ce genre) ;
  • la thèse de la prioritĂ© historique du mythe sur le conte (selon LĂ©vi-Strauss, les deux coexistent dans une mĂŞme sociĂ©tĂ©, et sont complĂ©mentaires) ;
  • « l'obsession des explications historiques Â» de Propp, qui entre parfois en conflit avec sa vision formaliste. Pour LĂ©vi-Strauss, si l'histoire des civilisations antĂ©-historiques est en effet « pratiquement inaccessible Â», « ce n'est pas le passĂ© qui manque [Ă  Propp], c'est le contexte Â» ;
  • mais surtout, il considère la position purement formaliste de Propp (consistant Ă  n'Ă©tudier que la forme abstraite, en nĂ©gligeant le contenu) comme intenable : il montre qu'en fait Propp rĂ©introduit dans ses « espèces Â» et « sous-espèces Â» des notions relatives au contenu, et aussi qu'il regroupe dans une catĂ©gorie fourre-tout tout ce qui ne rentre pas dans son système.

Selon Lévi-Strauss, la position structuraliste tient compte au contraire à la fois de la forme, du fond (du contenu) et du contexte ethnologique. Il s'oppose à la thèse de Propp selon laquelle les personnages du conte sont peu ou prou interchangeables, quasi aléatoirement (seules les fonctions ayant une importance). Il considère aussi que la conclusion de Propp selon laquelle au fond, il n'existe qu'un seul conte (un archi-conte), avec de multiples variantes, n'apporte pas grand-chose à la réflexion (car trop vague et abstraite), et discute sa classification en quatre catégories, ainsi d'ailleurs que sa liste de trente-et-une fonctions.

Ă€ l'appui de sa propre thèse, LĂ©vi-Strauss prend comme exemple le cas des langues : selon lui, il n'est pas possible d'Ă©tudier la syntaxe indĂ©pendamment du vocabulaire (ce qui serait l'erreur majeure du formalisme au niveau de l'Ă©tude du conte). Il pressent, sans utiliser ces termes (il parle de mĂ©talangage), le rĂ´le de la sĂ©mantique et de la pragmatique des mots (et donc, dans son image, des personnages de contes). Selon lui, les mythèmes (parties Ă©lĂ©mentaires du mythe) sont, contrairement aux phonèmes de la langue, « prĂ©-contraints Â» ; le vocabulaire des contes et des mythes s'apprĂ©hende comme une « nature naturĂ©e Â» (un donnĂ© contraignant) et la libertĂ© de la vision mythique « n'est plus que de chercher quels arrangements cohĂ©rents sont possibles, entre les pièces d'une mosaĂŻque dont le nombre, le sens et les contours ont Ă©tĂ© prĂ©alablement fixĂ©s Â».

Le point de vue de Max LĂĽthi

Le spĂ©cialiste suisse des contes Max LĂĽthi (1909-1991) a inclus dans son ouvrage Das europäische Volksmärchen (« Le conte populaire europĂ©en Â» ; Ă  partir de sa 4e Ă©dition, datĂ©e de 1974) un chapitre consacrĂ© Ă  l'ouvrage de Propp. Tout en reconnaissant lui aussi l'importance des travaux du chercheur russe, il apporte essentiellement les remarques suivantes :

  • Propp a volontairement limitĂ© le champ de son analyse aux seuls contes merveilleux russes (contes n°s 50 Ă  151 dans l'ouvrage d'Afanassiev) et a extrapolĂ© Ă  l'ensemble des contes merveilleux.
  • Propp considère que la structure reprĂ©sente l'Ă©lĂ©ment constant, et le contenu l'Ă©lĂ©ment variable. Ceci prĂ©sente une analogie avec la linguistique, mais certains chercheurs (amĂ©ricains notamment) ont considĂ©rĂ© que dans ce cas, le fait de donner la prĂ©Ă©minence Ă  la structure ou au contenu pouvait n'ĂŞtre qu'une question de point de vue. LĂĽthi admet toutefois que dans le cas du conte, la structure prime.
  • selon lui, Propp sous-estime l'importance des personnages et des autres Ă©lĂ©ments stĂ©rĂ©otypĂ©s du conte. S'ils Ă©taient remplacĂ©s par des Ă©quivalents tirĂ©s de notre quotidien (par exemple si un avion remplaçait le cheval magique), le caractère propre du conte et sa force symboliques seraient en grande partie perdus.
  • l'idĂ©e de Propp de ramener en somme tous les contes Ă  un conte gĂ©nĂ©rique unique lui semble risquĂ©e car violant l'essence du matĂ©riau de base : toutes les diffĂ©rences se rĂ©duiraient finalement (Ă  tort) Ă  de simples « transformations Â».
  • le terme de « fonction Â» lui semble ambigu et il prĂ©fère la dĂ©nomination de « motifème Â», dĂ» Ă  Alan Dundes.
  • la mĂ©thode de Propp lui semble relever d'un « atomisme Â» qui irait Ă  contre-courant du courant d'idĂ©es gĂ©nĂ©ral (du XXe siècle), qui fait passer le tout avant la partie.
  • la dĂ©finition du conte merveilleux par Propp (un rĂ©cit qui, Ă  partir d'une situation de manque, ou de tort causĂ©, aboutit au travers de diffĂ©rentes fonctions intermĂ©diaires Ă  un mariage ou une autre fonction de dĂ©nouement) lui semble discutable, notamment parce qu'elle serait trop vague et pourrait s'appliquer Ă  d'autres formes littĂ©raires, et mĂŞme Ă  la vie en gĂ©nĂ©ral. Il indique Ă  ce sujet plusieurs caractĂ©ristiques qui lui semblent diffĂ©rencier le mythe du conte.
  • le recensement des fonctions et des personnages (ou plutĂ´t des rĂ´les) dans le conte devrait ĂŞtre complĂ©tĂ© par une rĂ©elle Ă©tude stylistique. Il rejette la thèse de Propp selon laquelle la recherche structurale reprĂ©sente un prĂ©alable aussi bien Ă  la recherche historico-gĂ©nĂ©tique qu'Ă  l'analyse stylistique, et soutient que ces trois axes peuvent ĂŞtre Ă©tudiĂ©s indĂ©pendamment.

Il conclut en remarquant que l'Ă©tude « morphologique Â» de Propp comporte aussi bien un axe paradigmatique que syntagmatique, et que son analyse structurale et l'analyse stylistique Ă  laquelle lui-mĂŞme s'attache se complètent l'une l'autre.

Autres lectures critiques

Dans un article publiĂ© en 1982 dans la revue LittĂ©rature (voir Liens externes), Jean Verrier et Claude Bremond remettent sĂ©rieusement en cause, de manière documentĂ©e, la mĂ©thodologie de Propp et le caractère scientifique de sa dĂ©marche. S'attachant Ă  vĂ©rifier les sources mentionnĂ©es par lui (en l'occurrence les contes recueillis par Afanassiev, dĂ©sormais traduits – pour une partie – en français), ils dĂ©noncent notamment :

  • la rigueur insuffisante dans la sĂ©lection et le rĂ©fĂ©rencement des contes du corpus Ă©tudiĂ© (tranche arbitraire, flou sur les variantes retenues) ;
  • le rejet a priori par Propp des Ă©lĂ©ments (contes, Ă©pisodes...) qui ne cadrent pas avec sa thĂ©orie gĂ©nĂ©rale, ses « assertions pĂ©remptoires Â» ;
  • l'inadĂ©quation des structures proposĂ©es Ă  divers cas prĂ©cis, sur fond d'inexactitudes, d'incohĂ©rences, voire parfois de contresens.

Verrier et Bremond soupçonnent Propp d'avoir construit toute sa théorie essentiellement à partir du conte-type AT 300 (Le Tueur de Dragon), certes très répandu dans la tradition slave et internationale, mais dont la structure ne peut rendre compte à elle seule de nombreux autres contes merveilleux.

Les auteurs font en outre part de leur Ă©tonnement d'ĂŞtre Ă  leur connaissance « les premiers Ă  dire ces choses qui auraient dĂ», dès le dĂ©but, sauter aux yeux des spĂ©cialistes Â». MalgrĂ© la sĂ©vĂ©ritĂ© de leur jugement, ils rĂ©affirment leur « foi Â» dans les notions de fonction et de sĂ©quence, mais contestent l'intĂ©rĂŞt d'une dĂ©marche purement morphologique : ils soulignent l'intĂ©rĂŞt complĂ©mentaire des notions de motif et de conte-type (dĂ©veloppĂ©es par l' Â« Ă©cole finnoise Â», mais hors des prĂ©occupations de Propp). Ils concluent que « les chercheurs dĂ©battent de Propp, mais travaillent avec Aarne Â».

Modèles inspirés du modèle de Propp

Alan Dundes

Le folkloriste américain Alan Dundes[13], cherchant à appliquer la méthode de Propp à un corpus de contes amérindiens, en est venu à proposer un modèle amendé. En particulier :

  • il remplace le terme de fonction, trop ambigu dans le langage courant, par celui de motifème. Un allomotif est la forme concrète que peut prendre un motifème donnĂ©. Il conserve le terme de motif dans le sens habituel et assez lâche de proposition narrative quelconque ;
  • il dĂ©gage trois types principaux de sĂ©quences Ă  quatre motifèmes, par exemple : Manque + Interdiction + Transgression + Suppression du manque. Les contes indiens plus longs ne seraient pas des contes plus complexes, mais des contes « Ă  rallonge Â». Si la profondeur motifĂ©mique (niveau d'imbrication) est en gĂ©nĂ©ral supĂ©rieure dans les contes indo-europĂ©ens par rapport aux contes amĂ©rindiens, ce serait en raison de l'influence de la tradition Ă©crite.

Claude Bremond

Claude Bremond[13], cherchant à éviter les défauts qu'il a détectés dans les thèses à la fois de Propp (critères sémantiques introduits dans l'analyse morphologique) et de Dundes (point de vue du héros privilégié), propose trois modes de caractérisation : la matrice initiale de trois séquences (Dégradation - Amélioration, Mérite - Récompense, Démérite - Châtiment), les liens syntaxiques synchroniques et les liens syntaxiques diachroniques.

Notes et références

  1. Propp insiste dès le dĂ©part (chapitre 2) sur le fait que son Ă©tude est consacrĂ©e aux contes merveilleux, c'est-Ă -dire « ceux qui sont classĂ©s dans l'index d'Aarne et Thompson sous les numĂ©ros 300 Ă  749 Â». Le titre français de l'ouvrage omet cette prĂ©cision capitale.
  2. 1970, p. 6.
  3. 1970, p. 112.
  4. Paul Ricœur, Temps et récit, vol. 2, 1984, Paris, Seuil, p. 56.
  5. 1970, p. 31.
  6. Morphologie du conte, p. 100-101
  7. V. Propp, Morphologie du conte, Seuil, Coll. Points, 1965, p. 74
  8. Paul Ricœur (1980) "Narrative time" in W.J.T. Mitchell, On Narrative, Chicago, University of Chicago Press, p. 165-186.
  9. « SĂ©miotique et sciences de la culture Â», 2001.
  10. Christian Vandendorpe, Apprendre à lire des fables. Une approche sémiocognitive, Montréal, Préambule/Balzac, collection « L'univers des discours », 1989, p. 21.
  11. (fr) Marina Guister, Les études sur le conte merveilleux en Russie, éditions littéraires et linguistiques de l'Université de Grenoble, Féeries, 6, 2009, Consulté le .
  12. « Post-scriptum Â» Ă  l'article reproduit dans Anthropologie structurale deux.
  13. Michèle Simonsen, Le conte populaire français, PUF, collection Que sais-je ?, 1981 (ISBN 2-13-036840-9).

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Vladimir Propp, Morphologie du conte, Seuil / Points, 1965 et 1970 (ISBN 978-2020005876). L'ouvrage contient trois textes : la Morphologie du conte proprement dite, Les transformations des contes merveilleux (Ă©galement de Propp), et L'Ă©tude structurale et typologique du conte, de Evgueni Meletinski.
  • Dictionnaire encyclopĂ©dique des Sciences du Langage, Paris, Seuil, 1972. (nouvelle Ă©dition 1995).
  • Dictionnaire de la LittĂ©rature, Bordas, Paris, 1987.
  • Aarne A. et Thompson S. auteurs d'un classement indexial (alpha-numĂ©rique) des contes: « Types de contes » (The Types of the Folktales), Ed. Academia Scientiarum Fennica. Helsinki, 1987,
  • Claude LĂ©vi-Strauss, La structure et la forme, RĂ©flexions sur un ouvrage de Vladimir Propp, dans Anthropologie structurale deux, Plon, Paris, 1973, p. 139-173
  • Algirdas Julien Greimas, SĂ©mantique structurale, PUF / Formes sĂ©miotiques, 2002 (3e Ă©dition) (ISBN 978-2-13-052763-3) p. 174 sq.
  • (de) Max LĂĽthi, Das europäische Volksmärchen (11e Ă©dition), A. Francke - UTB, 2005 (ISBN 978-3-8252-0312-2)

Liens externes

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